En mai 2018, le président français Emmanuel Macron prononçait un discours en Australie, à Sidney, dans lequel il incombait ses partenaires indiens et australiens de s’unir pour former un front commun, solide, et capable de contrebalancer ou du moins, de limiter l’hégémonie chinoise galopante dans la région pacifique. Le Japon, un pays asiatique, et auquel le président français s’adressait pourtant indirectement lors de son appel à la solidarité, mène une politique complexe dans cette zone menacée par la Chine, qui revendique avec de plus en plus d’assurance les archipels de la mer de Chine et ses ZEE.
UN ACTEUR ECONOMIQUE DE TAILLE
Les 125 millions de Japonais prennent de plus en plus conscience de la délicatesse de toute éventuelle action diplomatique envers la Chine dans la région Pacifique. Si le premier ministre nippon annonçait en 2016 son souhait d’un « Indopacifique libre et ouvert » tant dans ses échanges commerciaux que dans sa géopolitique, la BRI (Belt and Roas Initiative) chinoise vient contrecarrer ce bel idéal d’espace maritime ouvert.
En effet, c’est bien vers les océans indiens et pacifiques que les micros, les caméras, et les canons sont pointés. La première raison de cette attention particulière portée à la mer est la dispute de certains de ses espaces. Si les 4 principales îles japonaises et les archipels des Ruyuke et des Ogasawara et leur 4,3 km2 de ZEE semblent bien définitivement acquis pour le Japon, les conflits territoriaux autour des Kourilles du Sud, occupé par la Russie depuis 1945, l’îlot Takeshima, occupé par la Corée du Sud, et celui de Tokodo revendiqué par Taïwan, sans compter les ZEE des Rochers Okinotori et Minamitori, constituent un élément de tension régional croissant. Deuxième raison de cette attention particulière : les ressources de ces espaces. 1ère puissance mondiale en matière de pêche jusqu’en 1991 en terme de tonnage débarqué, le Japon se voit restreint, pourtant au sein de sa propre ZEE, dans son accès aux ressources halieutiques. Quant à la surpêche chinoise et les prises illégales des chalutiers chinois et taïwanais, elle étouffe tant ses concurrents, que la FAO fut contrainte de lui imposer un objectif d’une baisse de 15% de sa pêche d’ici 2030 sous peine de sanctions. Selon la EIA (Energy Information Administration), les hydrocarbures ne manquent pas non plus dans les sous-sols de la Mer de Chine. Avec 200 millions de barils de pétrole et entre 30 et 50 milliards de mètre cube de gaz naturel, leur forte concentration autour des îles Senkaku explique les litiges autour de l’île depuis 1971
Très dépendant des apports étrangers, le marché japonais vie des importations de ressources naturelles et de produits manufacturés, et ce encore plus depuis le Tsunami de 2011 et la remise en cause de l’énergie nucléaire. Dans le secteur énergétique, le pays importe 88% de son énergie dont 75% des régions du Moyen-Orient, acheminé par les détroits d’Ormuz et de Malacca. La part d’importation du PIB étant passé de 15% en 1984 à 20% en 2018, l’importance du principe de liberté de navigation et les accès aux grandes routes maritimes transpacifiques et indopacifiques prennent alors tout leur sens : ce sont des conditions nécessaires à la survie économique nippone
L’HEGEMONIE CHINOISE CROÎT EN MER DE CHINE
Si le blocage de certains détroits est souvent surévalué, l’éventualité de fermeture de détroits stratégiques inquiète le Japon face à la politique de Pékin en mer de chine méridionale. Avec la montée en puissance de la marine chinoise et son harcèlement des routes commerciales, le géant rouge inquiète. De plus en plus de terminaux portuaires sont acquis, construits et gérés par les entreprises chinoises. De l’Inde au Moyen-Orient en passant par l’Europe , Mombasa, Gwadar, Colombo, Sittw ou encore Pirée sont autant de ports, de bases militaires et d’installations de la marine qui contribuent la stratégie de « collier de perle » chinois.
UN JAPON TOURNE VERS L’INDOPACIFIQUE :
La puissance de la BRI chinoise et le retour historique de la flotte chinoise en Asie pacifique et les restes de la politique isolationniste de Trump contribuent au sentiment d’instabilité croissante face à cette menace permanente de bouleverser l’ordre mondial. Ses projections économiques, diplomatiques et militaires poussent alors le Japon à s’orienter vers d’autres partenaires, et d’autres alliés… des alliés qui refusent cette hégémonie géostratégique. Les USA, devenus les premiers partenaires en matière de coopération sécuritaire avec les Japon, appuient les revendications nippones, surtout depuis leur adhésion au FOIP (Free and Open Indopacifique)
UN AXE TOKYO – NEX DEHLI?
Puis, si l’année 2020 à marqué un rapprochement considérable entre les USA et l’Inde, Tokyo aussi, fait partit de ceux qui étendent leur intérêt vers l’Océan Indien. La nouvelle stratégie japonaise s’appuie notamment sur la méfiance partagée et se concrétise depuis 2022 avec la mise en place de coopérations et de partenariats sécuritaire, économiques et humanitaires, comme par exemple, l’ « Humanitarian assistance and Disaster Relief ». Une vision commune de l’état des voies maritimes et de ses communications a poussé les nouveaux partenaires établir les SLOC (« Sea Lines of Communication » ; et le Japon, après la publication d’un nouveau livre blanc de défense en 2019, l’état nippon remplace la Corée du Sud par l’Inde comme 3ème partenaire en terme de coopération sécuritaire, après les USA et l’Australie. Le couple nipo-indien établit depuis fin 2023, grâce à la BAD (Banque Asiatique de Développement), des infrastructures populaires et un corridor de croissance Asie-Afrique (« Asia-Africa Growth Corridor »)
UNE COOPERATION FACE A LA PRESSION CHINOISE
Promoteur du dialogue multilatéral dans la zone pacifique, le Japon participe à des ateliers sur la sécurité maritime de « l’ASEAN Defense Minister Meeting Plus » et de « l’ASEAN Regional Forum », et finance les politiques de soutien bilatéral en Asie du Sud Est aux Philippines, en Malaisie, en Indonésie, et au Vietnam. Il lutte également contre la piraterie et la pêche illégale au niveau régional, et vends ses avions P1 de patrouille maritime à ses allier du Pacifique.
SI les 240.000 hommes et son budget militaire de 45 milliards d’euro n’égalent pas les 200 milliards de la Chine, sa force réside dans sa coopération régionale. En 2014, la relecture de l’article 9 de la constitution permet désormais au Japon de participer à des opérations pour soutenir ses alliés et non plus uniquement n cas d’autodéfense. En 2008, il indiquait d’ailleurs qu’une attaque chinoise dirigée contre Taïwan sera interprété comme un casus belli. La flotte nippone, forte de 155 unitées, de 20 sousmarins, de 5 navires de ravitaillement et de 4 porte-helicoptères, se hisse à la 5ème place des flottes les plus puissantes. Depuis 2021, une brigade amphibie est même formée et régulièrement entrainée dans l’éventualité d’une opération visant à reprendre les îles Senkaku. Malgré sa discrétion dans sa stratégie de réarmement, le Japon développe bel et bien ses capacités aéronavales face à l’avancée des positions chinoises.
En jouant le jeu de la Chine , Tokyo espère amener Pékin à contribuer à la stabilisation du pacifique tout en entretenant les attentes des USA en respectant ses règles de gouvernance et son système libéral. Depuis fin 2010, les intérêt japonais pour le concept d’espace indo-pacifique le pousse encore plus à ouvrir l’archipel nippon aux coopérations de ceux contre la Chine .