Dans différents domaines et selon différents critères, organisations internationales, entreprises privées et centres de recherche utilisent régulièrement des indices comme outil pour classer les payes. A l’initiative d’institutions comme le FMI, le PNUD, l’OCDE ou le FMI, ou fruit de recherches d’entreprises privées, de lobbies, d’ONG ou de groupes d’intérêts collectifs, les indices offrent une nouvelle grille de lecture du monde selon les facteurs qu’ils étudient. Du plus peuplé aux plus vides, des plus riches aux plus pauvres, IDH (Indice de développement humain) ou IPH (Indice de Pauvreté Humaine), on retrouve en fonction des indices, des classements mondiaux similaires. En voici un qui offre une approche originale, et dont la principale variable est la vulnérabilité. Mais à quoi des pays entiers peuvent ils être vulnérable et sur quelles données concrètes se base ce nouvel indice ?
Degré de vulnérabilité face au dérèglement climatique, aux risques de pénuries alimentaires, des guerres, du terrorisme… c’est ce que propose d’étudier le nouvel indice développé par le parlement européen, « L’indice Normandie »
L’INDICE NORMANDIE, UN NOUVEL OUTIL EUROEPÉEN
Nommé en référence au rôle fondamental de la Normandie dans la Seconde Guerre Mondiale, l’indice Normandie a été élaboré par l’ « Institute for Economics and Peace » et présenté par le Service de Recherche du Parlement Européen (EPRS) en 2019, dans le cadre de la « Stratégie Globale de l’Union Européenne ». Les 27 pays de l’Union et ses institutions se sont accordés sur une dizaine de menaces à la paix dans le monde et à l’intégrité du territoire européen. La spécificité de cet indice s’exprime par une vision et une interprétation purement européenne des menaces qu’il identifie. Parmi ces 11 menaces, 9 sont quantifiables : la vulnérabilité au changement climatique, l’indice de crime, l’insécurité énergétique, la qualité des processus démocratiques, le terrorisme, la menace des armes de destruction massive, la cybersécurité, le risque de crise économique, la fragilité de l’état, la désinformation, et les conflits violents. Ainsi, l’indice Normandie se classe entre des indices globaux comme le « Global Peace Index », qui indique le degré de paix et de sécurité des pays dans le monde, et des indices plus spécifiques comme « l’indice reporter sans frontière », qui vise à indiquer la liberté de la presse. Si on retrouve certains pays auxquels on s’attends évidement en tête du classement dont la Norvège, la Suisse, ou la Nouvelle Zélande, le Costa Rica et la Mongolie les suivent de près, grâce à leur résilience que les critères de ces indices valorisent. A la fin du classement, le Sud Soudan où sévissent la guerre civile et les pénuries, puis l’Irak, la Syrie, et l’Afghanistan, dont ses conflits et sa situation climatique le confine à l’avant dernière place.
LA SECURTIÉ ENNERGETIQUE COMME NOUVELLE GRILLE DE LECTURE
Comme expliqué, ce classement fait apparaître un lien entre les causes de dégradation des pays. Aussi, la vulnérabilité au changement climatique lié à l’insécurité énergétique, soit la dépendance à d’autres pays quant à l’alimentation énergétique, sont deux facteurs qui mènent régulièrement à une instabilité générale dans les pays étudiés par l’équipe du Parlement Européen. La guerre en Ukraine a par exemple réduit l’afflux de gaz et de pétrole vers l’Europe, menant à une augmentation des prix, et donc, fait croitre le facteur d’instabilité des pays de la région. Dans un classement où seuls ces deux variables seraient sélectionnées, la Turquie vient, de manière plus inattendue, rejoindre l’Afghanistan en avant dernière place. Cumulant une vulnérabilité au changement climatique et des températures de plus en plus extrêmes, elle se voit contrainte d’importer la quasi-totalité de son énergie chez son voisin russe, l’y rendant de plus en plus dépendante. Encore une fois, à la lumière de ce nouvel indice Normandie, on comprend mieux la stratégie du président Erdogan sur la scène internationale, à la foi membre de l’OTAN et peu regardant face aux projets russes en Ukraine.
CLIMAT ET CONFLIT, UN LIEN ÉVIDENT ?
Deuxième lien intéressent que laisse apparaître ce nouvel indice : une interconnexion entre les causalités des conflits violents et des réactions face au danger climatique, comme en Somalie, au Yémen ou au Tchad, ou les conflits de la région sahélienne continuent d’être en partie alimentés par l’avancée du désert. Le séquençage exact des causalités, soit la capacité à précisément discerner les liens entre ces différentes causes et conséquences ainsi que leur hiérarchie, reste impossible, mais ces liens existent bien. Une fragilité environnementale rend un territoire plus propice à la naissance de conflits violents. Pour l’expliquer plus clairement, voici un cas pratique, celui du conflit Syrien
En 2003, après l’intervention des Etats Unis en Irak, des déplacements massifs de populations vers la Syrie donnent lieu à une augmentation de la population des grandes villes de plus de 10%. Les services publiques, d’accès à l’eau potable et à l’électricité, sont dépassés face aux nouveaux besoins des citoyens d’Alep, de Damas et de Homs. En 2008, c’est la plus grande sècheresse jamais enregistrée en Syrie qui entraine un afflux massif de population des campagnes vers les villes, avec de nouveau, une augmentation de 10% de la population citadine. Une population rurale quasi exclusivement musulmanes arrive dans des grandes villes multiculturelles, multiethniques, et multireligieuses. Le sentiment de maltraitance et de rejet s’associe alors progressivement et particulièrement aux sunnites récemment arrivés. Bien que la cause de ces souffrances soit due au manque de services publiques, ce sentiment de discrimination participera à former un terreau fertile et favorable au développement de l’Etat Islamique. L’organisation récupère et instrumentalise alors les conséquences du conflit en Irak et de la vulnérabilité environnementale syrienne pour favoriser son implantation et son développement dans la région.
UN INDICE TROP EUROPÉEN ?
L’indice Normandie éclaire les menaces à l’intégrité des pays et à la paix de bien des manières, mais surtout à la manière européenne, et pour les décideurs européens, et les critères de cet indice ne correspondent et ne conviennent pas à tous les chefs d’état. Le président brésilien Bolsonaro avait confié en mai 2022 au journal « Estado » ses réserves quant à cet indice « qui arrange ceux qui l’ont créé ». Pour 11 menaces identifiées par l’Union Européenne, certains pays en identifient beaucoup moins. La Chine par exemple, ne craint que le terrorisme, les conflits violents, la cyber-insécurité, et les armes de destruction massives. La France, elle, en identifie une dizaine : les mêmes que l’Australie. Les Etats-Unis et le Bresil adaptent quant à eux cette liste de menaces à leur vision du monde en en établissant moins que l’Europe mais plus que la Chine.
Y compris au sein de l’Union Européenne, les différences et différends sont nombreux, et les 27 ne se positionnent pas de la même manière face aux menaces qu’ils définissent. L’Estonie et l’Espagne voient le changement climatique d’un œil différent, tout comme les positions de l’Irlande, un pays neutre, et de la Grèce, peuvent s’opposer au sujet de la défense de l’Europe.
UN OUTIL POUR COOPERATION ET DE PARTENARIAT
Ces discussions au niveau européen et mondial quant aux types de menaces et à leur nombre constituent un exercice comparatif qui permet aux partenaires mondiaux d’identifier des zones communes sur lesquelles concentrer leur effort. Avant le conflit russo-ukrainien, les pays membres de l’UE et la Russie avaient mis en place une série d’objectifs communs face au changement climatique. La Russie, acteur important du sommet de Copenhague de 2009, coopérait activement avec les pays de l’Union Européenne, craignant la libération d’une grande quantité du CO2 contenue dans son permafrost et coopérait activement
LES LIMITES DE CET INDICE
Malgré ses avantages, les limites de ce nouvel indice résident dans son approche quantitative. Comme l’explique le chercheur Phillipe Peroch, l’intérêt de cet outil est d’en apprendre plus sur les raisons du classement des pays et de leur évolution, dans une approche qualitative. La hiérarchie des pays dans le classement proposé comporterait alors une part de subjectivité, cette même subjectivité qui détermine les menaces et leur hiérarchie, une subjectivité européenne.
Il est par ailleurs pour l’instant impossible d’étudier ces phénomènes par région géographiques et d’en faire émerger les dynamiques régionales. Le classement étudie les pays et rends difficiles l’analyse des clusters géographiques entre les pays voisins et les phénomènes de contagion positifs ou négatifs, les similarités et les liens causaux vis-à-vis des menaces. Au Sahel par exemple, où les conflits et les défis climatiques touchent une zone géographique qui s’étends sur plusieurs pays, l’indice peine à retranscrire la dimension transnationale des ces enjeux.
UN NOUVEL ESPOIR
Si l’indice permet aux décideurs et aux chefs d’états de définir et d’adapter leur objectifs, face aux tendances de désinformation qui augmentent, il s’étends au-delà des sphères institutionnelles et s’adresse aussi au grand public, afin d’alimenter le débat sur l’état du monde et de ses régions
Au long terme, pouvoir identifier et anticiper l’indice qui se dégrade ou s’améliore en premier lorsque la position d’un pays change dans le tableau pourrait mener à la création d’un système d’alerte permettant aux acteurs humanitaires et européens de savoir où, quand, et comment diriger leurs efforts et leur attention.