UN BILAN DE LA PRESIDENCE FRANCAISE AU CONSEIL DE L’EUROPE

« L’Europe de juin 2022 est très différente de l’Europe de Janvier 2022 » déclarait Emmanuel Macron le 1er juillet 2022, quand s’achevaient les 6 mois de Présidence Française du Conseil de l’Union Européenne (PFUE). Cette présidence, chamboulée par le conflit en Ukraine qui a mis en exergue la dépendance des États membres de l’Union aux hydrocarbures russes, a surtout permis au Président Macron de placer la vision française de l’avenir d’une Europe souverain, indépendante, et humaine sur le devant de la scène. L’agenda politique français à fait prendre un nouveau tournant stratégique à l’Union Européenne, dont les membres ont fait preuve d’une coopération inédite au sein du conseil.

LE CONSEIL DE L’UNION EUROPENNE

Le Conseil de l’Union Européenne est, au même titre que le Parlement européen, la Commission européenne ou le Conseil européen, une des 4 institutions décisionnelles de l’Union Européenne. Il réunit les ministres des États membres de l’Union par secteur, et contribue de différentes manières à l’évolution de sa politique. Le Conseil négocie et adopte des actes législatifs et coordonne les politiques économiques, culturelles, d’éducation et d’emploi des 27 États membres. Il définit sa politique étrangère et sécuritaire tant dans le secteur commercial que celui de la défense, conclut les accords internationaux et adopte le budget de l’UE avec l’accord du Parlement européen.

La direction du Conseil, assurée à tour de rôle par chaque État membre pour une période de six mois, permet au chef d’État désigné d’influer sur les votes, les débats abordés et les résolutions prises au sein de cette institution, tout en veillant à la continuité des processus décisionnels ainsi qu’à la coopération de ses membres. Du 1er janvier 2022 au 1er juillet 2022, le Président de la République Emmanuel Macron a eu cette opportunité.

LE MOT D’ORDRE DE LA PFUE

« Relance, puissance, appartenance » : voici le mot d’ordre qu’Emmanuel Macron avait proclamé le 9 décembre 2021 à l’Elysée, en vue de sa présidence européenne. Avec une triple mobilisation de l’Elysée, de Matignon et du Quai d’Orsay, et un budget prévisionnel de 140 millions d’euros, Emanuel Macron et ses équipes ont mobilisé toute la capacité diplomatique et l’expérience politique de l’Hexagone pour transformer ces directives en réformes concrètes. Le Président français s’est fait le chantre d’une Europe politiquement, financièrement et militairement souveraine, sans s’éloigner de l’objectif d’une Europe en croissance et plus humaine. Le président a assuré ne pas avoir oublié non plus le « défi climatique » qui l’attendait. Mais si les élections présidentielles sont venues étoffer les pages de l’agenda macronien, l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022 a chamboulé l’ordre des priorités et poussé les États membres de l’Union à répondre rapidement et à l’unisson devant l’ambition expansionniste de Vladimir Poutine.

LA GUERRE EN UKRAINE : SITUATION DE CRISE OU VERTIBALE AUBAINE ?

Face à l’afflux de réfugiés, l’Union Européenne s’est dite prête à faire preuve d’un « soutien sans faille » envers les Ukrainiens. C’est un budget de près de 335 millions d’euros débloqué dans l’urgence qui a permis l’accueil des premiers 7,6 millions de réfugiés, et leur a garanti un accès à l’emploi, à l’éducation et à la protection sociale. A la fin de la PFUE, les fonds pour l’aide humanitaire levés par les pays membres (1,2 Milliard d’euros) sont venus s’ajouter aux 4 milliards d’euros déjà fournis par l’Union Européenne, également répartis dans le soutien à la population ukrainienne et à son armée.

Des sanctions inédites contre la Russie et la Biélorussie ont immédiatement suivi. L’UE s’est montrée catégorique en appliquant un embargo sur 90% du pétrole russe et en fermant les portes de l’Europe aux navires et aux camions russes transportant des marchandises. La diffusion de médias russes liés au Kremlin à été interdite sur les ondes européennes, les banques russes ont été exclues du système de transaction SWIFT, et ses réserves de devises dans les banques européennes ont été gelées. Enfin, la fameuse « cure de désintoxication aux énergies fossiles russes » proposée par E. Macron à été acceptée par la majorité des États membres. Ces sanctions européennes visant les secteurs clés de la finance, des transports, de la défense et de l’énergie russes ont été appliquées dès le début de l’invasion de l’Ukraine. Réel défi pour les États membres qui ont fait preuve d’une coopération inédite, la crise ukrainienne, en toile de fond de la PFUE, a non seulement permis l’émergence d’un nouveau consensus autour de la transition énergétique, pour s’écarter de la dépendance russe, mais a aussi facilité le débat autour des questions de souveraineté et d’autonomie européenne soulevé par le Président français.

POUR UNE EUROPE PLUS SOUVERAINE

Devenu le symbole du renforcement de la souveraineté européenne, « L’Agenda de Versailles » est signé le 11 mars 2022. Ce corpus, constitué d’accords inédits entre chefs d’États européens, s’appuie sur trois points :  renforcer la coopération et les capacités de défense de l’Europe en augmentant son budget, mettre un terme à la dépendance énergétique russe et réduire les énergies fossiles en diversifiant les voies d’approvisionnement énergétiques des États membres, et enfin, renforcer l’indépendance européenne dans le secteur des matières premières, de la santé et de l’alimentation. La PFUE à aussi été marquée par la réforme de l’espace Schengen. Des contrôles renforcés aux frontières et la création d’un « Conseil Schengen » assurent depuis juin 2022 la sécurité des citoyens face aux différentes menaces extérieures, aux crises sanitaires, et à l’instrumentalisation des migrations.

Concernant la politique de défense de l’UE, la rédaction d’un « Livre blanc » de la défense européenne qui identifie les menaces communes aux 27 États membres, a permis de déterminer l’orientation stratégique de l’Union jusqu’en 2030. Dans un second temps, la reconstruction des stocks des États membres ayant apporté leur soutien militaire à l’Ukraine et l’exemption de TVA dans le secteur de la construction de matériel militaire a été voté à Versailles. Si l’élan de réarmement général dans le cadre de l’OTAN accompagne les réformes européennes visant une certaine autonomie, l’Union n’en oublie pas pour autant ses voisins et partenaires. Dans un projet de politique européenne commune, E. Macron propose de renforcer les liens économiques, culturels et sécuritaires avec les États tiers partageant des valeurs démocratiques pour lutter contre la criminalité organisée et garantir une meilleure sécurité alimentaire. Il signe dans un même temps, via la plume du Conseil de l’UE, un contrat mutuellement bénéfique de 150 Milliards d’euros avec l’Union Africaine. Son but étant de lutter contre l’influence de la Chine en répartissant les investissements dans une dizaine de thématiques :  santé, infrastructures modernes, énergie…

 A travers les efforts d’indépendance et de souveraineté européenne pour ne plus avoir à rougir devant les géants américains et chinois, un nouveau modèle de croissance européen se dessine sous la PFUE qui fait de la production, de l’innovation et de la création d’emploi ses principaux objectifs.

UN NOUVEAU MODÈLE DE CROISSANCE EUROPEENNE

Le Président français a mis fin à 10 années de négociations en parvenant à établir des conditions de concurrence équitables entre les entreprises européennes sur le marché mondial, en interdisant toute restrictions ou pratiques discriminatoires de la part des États. Au mois de mai, l’UE à élargi les règles européennes aux États tiers, qui ne pourront toucher des subventions européennes que dans le cas d’une politique conforme aux lois de l’UE.  Le PIIEC (Projet Industriel Commun Européen) a progressé et permis une plus grande coopération industrielle. Le meilleur encadrement des services financiers européens assure une sécurité informatique renforcée des banques et des transactions, ainsi qu’une meilleure régulation des crypto-monnaies. Emmanuel Macron pense aussi à la compétitivité, en entamant une politique spatiale plus ambitieuse qui propose la création d’infrastructures européennes communes. SI l’UE encadre de mieux en mieux les services financiers, le programme macronien a voulu participer à la construction d’une Europe « plus humaine », qui protège ses consommateurs et citoyens en élargissant ces régulations aux géants du numérique.

POUR UNE EUROPE PLUS HUMAINE :

Cette régulation ambitieuse des services et des marchés du numérique se compose de deux niveaux de législation. La première consiste à réguler les marchés numériques en interdisant les grandes plateformes d’imposer des applications et logiciels par défaut. Elle interdit également d’utiliser des données personnelles sans le consentement du consommateur. La deuxième permet de limiter les contenus illicites sur les grandes plateformes, et leur impose une plus grande transparence. Ces réformes garantissent une liberté de choix au consommateur et renforcent l’idée d’une Europe plus souveraine face au numérique. Toujours dans l’optique de protéger ses citoyens, la PFUE a fixé des salaires minimaux adéquats pour chaque État membre afin de lutter contre la concurrence salariale et le dumping social, et a imposé une parité homme / femme à 40% d’ici 2026 pour les entreprises cotées en Bourse. Le Président français a également souhaité offrir une réponse « solidaire et sûre » au défit migratoire en instaurant le pacte « Asile et migration » pour une meilleure répartition des réfugiés entrant dans l’espace européen, et en renforçant les contrôles aux frontières pour lutter contre les mouvements irréguliers. Attaché à l’esprit démocratique partagé par l’Europe des 27, E. Macron a présidé la Conférence sur l’Avenir de l’Europe jusqu’en mai 2022 en ouvrant une voie de dialogue entre citoyens européens et dirigeants des États membres. Au succès bien plus notable que le « Grand débat National » français, c’est plus de 700.000 citoyens européens, dont 50.000 jeunes Français, qui ont pu faire part de leurs propositions et revendications. C’est sans grande surprise que l’on retrouvait, loin devant toute les autres, l’exigence de mesures en faveur du climat, ce à quoi la PFUE à répondu par plusieurs mesures.

À la protection des citoyens de cette Europe de plus en plus souveraine et indépendante, vient s’ajouter la gestion des impératifs climatiques trop longtemps laissés de côté.

CONCRETISER LES AMBITIONS CLIMATIQUES EUROPÉENNES

La réforme phare de l’agenda climatique de la PFUE, pour laquelle un budget de 59 milliards d’euros a été levé, consiste à instaurer la législation la plus ambitieuse au monde en termes de transition écologique. Dans l’optique d’une neutralité Carbonne d’ici 2050, l’Union Européenne à imposé un prix du carbone identique sur l’ensemble de son territoire, et interdira la vente de véhicules thermiques d’ici 2035 afin d’atteindre la barre symbolique des 40% d’énergies renouvelables dans le « mix européen » avant 2040. Ces réformes s’accompagnent d’un projet de « compensation carbone » qui a permis la plantation de 230.000 arbres. Un accord contre la « déforestation importée », signé entre les États membres, empêche également l’entrée sur le marché européen de produits ayant fortement dégradé l’environnement. Et l’obligation d’afficher la durabilité des produits sur les étiquettes européennes contribue à sensibiliser les consommateurs aux enjeux climatiques. En quelques chiffres, la présidence française comptabilise plus de 2.000 réunions et 130 textes adoptés, un chiffre exceptionnellement élevé. Alors le bilan de la PFUE est-il aussi bon qu’il le laisse paraître ?

UN BILAN SALUÉ PAR LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE

Dans une lettre postée le 30 juin 2022 sur le site de l’Union Européenne, le Président s’est félicité d’avoir tenu ses engagements. Le retour de la guerre sur le continent a poussé les États membres à resserrer les rangs derrière la présidence française et à engager de lourdes sanctions contre la Russie, parallèlement au déploiement de l’aide humanitaire. La crise ukrainienne et le contexte géopolitique et sanitaire complexe n’ont pas détourné le Président de la gestion des questions climatiques et migratoires, et de sa promotion des droits sociaux. Les réformes de l’espace Schengen, la lutte contre la déforestation importée, l’exigence de réciprocité dans le commerce international, la refondation des relation euro-africaines et les accords de parité hommes / femmes étaient autant de réformes attendues. Le président n’est pas le seul à saluer son mandat semestriel. Parvenu à dérouler la quasi-totalité de son Agenda (97%), les rares échecs de la PFUE au sujet du « blocage hongrois » sur les accords de taxation et le contrôle des subventions de plusieurs entreprises européennes s’effacent face au succès d’Emmanuel Macron, qui a marqué les esprits en ouvrant les portes de l’Union Européenne aux candidatures de la Moldavie et surtout de l’Ukraine.

 Il est indéniable que le bilan de la PFUE est positif. Macron renvoie une image digne d’un président exigeant, dont les préoccupations s’articulent autant autour des questions de souveraineté, de défense et de croissance économique, que des enjeux sociaux et climatiques. Mais à l’aube de la PFUE, l’ancien conseiller en communication de Nicola Sarkozy prévenait : « La gestion du Conseil va éloigner le Président des Français […] et l’élection présidentielle ne se remporte pas à Bruxelles ». Alors le mandat d’E. Macron à la tête de l’UE, vivement salué, reflète-t-il la politique nationale menée par le Président de l’Hexagone ?

UN PROGRAMME NATIONAL PLUS MITIGÉ

Nombreux sont les détracteurs, opposants politiques ou citoyens qui, ne s’opposant en rien au bilan positif de la PFUE, se sont étonnés du gouffre qui séparait les agendas politiques européen et français. Malgré des objectifs européens inédits sur le climat, la France se distingue des 26 autres membres de l’Union Européenne qui ont tous rempli voire dépassé leur objectif de consommation finale d’énergie renouvelable (23% en 2021). Emmanuel Macron fait donc cavalier seul dans son inaction climatique en ayant manqué ses objectifs sur ce volet.

Face au tournant de souveraineté et d’indépendance européenne, la France fait face à une sévère perte d’indépendance face aux Etas-Unis. L’interdépendance peut être synonyme d’efficacité dans le cadre de la coopération transatlantique, mais la dépendance face à l’approvisionnement d’une ressource cruciale ou la prise de décisions est à proscrire. En 2018, la société française d’armement MBDA a fait les frais de l’ITAR (International Trafic in Arms Regulation) qui a permis aux USA de bloquer la vente et l’exportation de missiles SCALP de la France à l’Egypte. L’état avancé des négociations concernant le rachat de groupes industriels français, comme Exxelia par le géant américain HEICO, questionne la souveraineté française future que le Président s’est pourtant donné tant de mal à défendre à l’échelle européenne. Le rachat de ce groupe, qui fabrique des composants essentiels dans des domaines industriels clés comme l’aviation, la défense et le spatial, ne ferait que creuser le gouffre qui sépare déjà le coq français de l’aigle américain, qui a toute les cartes en main pour imposer un modèle particulier de catapultes au célèbre porte avion Charles-de-Gaule. Le 13 juillet 2022, un rapport de la commission européenne (« 2022 Rules of Law report ») est venu nuancer les progrès de l’État de droit sous la PFUE, en relevant le manque d’indépendance de la justice française. La Commission a appelé à des réformes permettant d’accroître la responsabilité et la protection des magistrats. Une référence au cas d’Éric Dupond-Moretti, premier Garde des Sceaux à être renvoyé devant la Cour de Justice de la République pour « prise illégale d’intérêt » pendant l’exercice de ses fonctions. Encore une fois félicité pour sa gestion de la question migratoire pendant la PFUE, le président Macron refuse pourtant depuis le 21 mai 2022 de répondre aux questions concernant une « Start-up de l’Asile », qui accumule les subventions malgré ses défaillances, et refuse toute transparence sur la gestion des 1,7 millions d’euros de fonds publics ainsi que sur les statistiques de réinsertion des migrants.

Enfin, le Défenseur des Droits pointe la « non-action de l’État » pour les 10 millions de français en difficulté dans leurs démarches numériques. Quant à l’Institut Montaigne, il rapporte l’inadaptation des armées françaises aux nouveaux conflits portés par la Russie et la Turquie dans l’espace numérique. Ces deux constats nuancent l’ambition portée par le Programme français sur la protection du consommateur face au numérique et la lutte contre les menaces hybrides, affichée pendant la PFUE. Ces constats ne définissent évidemment pas les deux mandats d’Emmanuel Macron à eux seuls, mais marquent une différence suffisamment importante pour être relevés, entre la politique menée par le Président français lors de la PFUE, et celle qu’il applique depuis 2017 au sein de l’Hexagone. 

« UNE FRANCE FORTE DANS UNE EUROPE FORTE »

Saluée par les citoyens français et la communauté européenne, la PFUE a amélioré la coopération politique, économique et militaire des états membres, et le nouveau modèle européen de production régulé et solidaire, a accompagné l’Europe dans sa transition climatique. La régulation numérique et la responsabilisation des entreprises permet à l’Europe de s’approcher d’un équilibre qui empêche les monopoles tout en faisant la promotion de l’esprit d’innovation. Mais surtout, la PFUE a contribué à concrétiser les ambitions de souveraineté et d’indépendance du vieux continent et par conséquent, de la France.

Le Président a confié aux journalistes de « l’Observateur » qu’une « France forte ne [pouvait] exister que dans une Europe forte », et que c’est bien ce qu’il avait tenté d’appliquer. Malgré une différence notable avec la politique intérieure du Président, la PFUE à contribué à redorer le blason français dont on remarque, parfois à juste titre, la « panne de croissance » et la « perte d’influence régionale ». Grille de lecture efficace de la politique étrangère française, elle montre comment son président pro-européen a souhaité inscrire son mandat dans un contexte de coopération européenne, qui serait, selon lui, le meilleur moyen pour la France États membres de réduire leur dépendance aux autres grandes puissances de ce monde désormais multipolaire.

Ecrit dans le cadre de la revue Terra Bellum « La France, un potentiel inexploité »

Disponible sur le site : https://www.terrabellum.fr/