La BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole, ALSTOM, ALCATEL, TOTAL, Airbus, Technip, SIEMENS, ING, la Royal Bank of Scotland ou encore HSBC… Ces entreprises ont pour point commun de toute être de grosses multinationales, connues dans le monde entier, dotés de savoir faire historiques et de technologies inimitables, mais un autre point commun les rassemble. Elles ont toutes fait l’objet d’attaques en justice, parfaitement légales, capables de les mettre en difficulté, de perturber leur activité commerciale, et donc de les amener à prendre des décisions risquées devant les menaces auxquels elles se trouvent exposées.
Ce sont les Etats Unis qui, en 20 ans, ont infligé des dizaines de milliards de $ à de grandes entreprises, en Europe, en Asie et en Amérique du Sud pour ne pas avoir respecté la législation en vigueur. Quelle législation ? Celle de la loi américaine, qui présente une petite particularité ignorée de la majorité. Elle est en partie extraterritoriale et s’applique donc principalement en dehors du territoire des USA. Elle lui permet de mener une guerre discrète et silencieuse à l’Allemagne, à la France, au Royaume-Uni ou encore au Japon, pourtant tous signataires de traités internationaux historiques et membres de l’ONU, de l’OTAN, du G7 ou encore de l’OMC… des pays alliés, peut-être parfois seulement en apparence.
Le DOJ (Department Of Justice) s’est progressivement transformé en outil d’espionnage et a commencé à œuvrer pour faciliter des conquêtes commerciales sans équivalant, au service des entreprises américaines, capables d’abattre les concurrents les plus solides, ou de s’approprier des quantités phénoménales de données sensibles sans s’en voir empêché par les autorités des autres pays.
UNE JUSTICE AMERICAINE A L’IMAGE DE SA PUISSANCE
Loin des yeux mais pas loin du cœur, la justice américaine surveille de près ses plus gros expatriés et a trouvé un moyen infaillible de s’assurer que chacun respecte ces lois, qu’il soit américain, ou qu’il ne le soit pas. Pendant la seconde moitié du XXème siècle, la montée en puissance des USA précédemment évoquée à permis de développer la compétence de sa justice et de lui octroyer des lois un peu spéciales, de portées internationales. Au fil du temps, ces lois ont eu tendance à se multiplier, à tel point que les entreprises du monde entier s’en inquiètent de plus en plus.
La première de ces lois fut le « Trading with the enemy act » qui interdisait aux entreprises américaines tout commerce avec les pays ennemis comme l’Allemagne à l’époque des grandes guerres. Cette loi existe toujours, et on trouve sur la liste noire des nouveaux «ennemis publiques », Cuba, la Syrie, la Corée du Nord, l’Iran, le Soudan ou la Chine.
60 ans après la première, en 1977, les USA adoptent une deuxième loi majeur de portée internationale. C’est le « Foreing Corrupt Practices Act » qui permet à la justice américaine de poursuivre tout entreprise ou personne qui aurait tenté de corrompre des agents publiques à l’étranger dans n’importe quel pays, quelque soient les nationalités de l’accusé ou de l’agent. En 1998, cette loi est renforcée avec la loi internationale sur la lute contre la corruption et pour la concurrence. Elle interdit alors à toute personne ou toute entreprises, américaine ou non, de tenter de soudoyer ou de faire pression sur un agent publique, quelque soit le pays concerné, pour obtenir un avantage quelconque, et donc adopter un comportement considéré comme anti-concurrentiel.
Il suffit alors qu’un pot de vin soit versé en dollar américain, ou qu’un mail soit échangé sur un serveur américain pour que la justice américaine se déclare compétente, et que les procureurs commencent à enquêter, même si l’entreprise concernée est française et que les faits ont eu lieu de l’autre côté de l’atlantique, comme au Nigeria
L’ONCLE SAM ET SA JUSTICE OMNISCIENTE DANS LE MONDE
C’est donc en 2010, au Nigeria que la société Technip à fait partie d’une des premières entreprises à faire les frais de cette nouvelle loi. L’une de ses filiales, la société pétrolière TSJK, dont elle détient ¼ du capitale, est accusée d’avoir versé près de 180 millions de $ de dessous de table à des responsables politiques nigériens pour obtenir des concession pétrolières, actant alors ce qu’on appelle un « pacte de corruption ». Les Etats Unis, n’ayant rien à voir dans cette affaire et n’ayant subit aucun préjudice réel déclarent alors leur justice compétente, les sommes versées s’étant échangées sous forme de dollar américain. Pour mettre un terme aux poursuites, Technip à du reconnaître les faits et verser 338 millions de $ au département de justice américaine (DOJ).
La même année, c’est au tour d’un des fleurons nationaux français de payer son dû. Le fabricant de téléphone Alcatel-Lucent est poursuivi pour les mêmes faits de corruptions qui se seraient cette-fois déroulés au Honduras, à Taiwan, et au Costa Rica. Bien que déjà condamné par la justice française, les transactions avaient été effectuées en dollar, un argument encore une fois suffisant pour que la justice américaine y applique ses lois. Alcatel écope alors d’une amende de 137 millions de $.
A partir des épisodes Technip et Alcatel, les poursuites du JOP contre de grosses entreprises internationales, dont beaucoup françaises, se sont multipliées, et le montant des amendes n’a plus cessé d’augmenter. Voilà alors que Total se voit amendé de 398 millions de $ en 2013, accusé de corruption en Iran. En 2014, c’est ALSTOM qui, s’étant rendue coupable de corruption en Indonésie, doit déverser 778 millions de $. C’est ensuite au tour de l’Allemand SIMENS de payer 800 millions de $, le suédois Telia perds ensuite 691 millions de $ pour ensuite laisser la place au laboratoire israélien Teva, condamné pour corruption, blanchiment et viol d’embargo, qui paiera 519 millions de $.
Selon un rapport parlementaire de 2019 intitulé « Protéger nos entreprises des lois à portée extraterritoriale », les USA auraient imposé près de 7 milliards de $ d’amandes à des entreprises étrangères entre 2008 et 2018, au titre du fameux « Foreing Corrupt Practicies Act ».
LA SOLIDIFICATION DE L’APPAREIL JURIDIQUE AMERICAIN
En 1996, les USA se dotent de deux nouvelles lois de portées internationales . Le « Helms Burton Act », qui impose un embargo encore plus sévère aux cubains, et la loi « Amato-Kennedy », plus connue sous le nom de la loi « Iran And Libya Sanciton Act ». Celle-ci interdit cette-fois les transactions avec l’Iran et la Libye qui sont exclus du système bancaire international, et avec tout autre pays considéré comme état voyou (« Rogue Country »), officiellement suspectés de soutenir le terrorisme, de chercher à se doter de l’arme nucléaire, ou de vouloir entraver les « processus de paix » au proche orient. La portée de ces deux lois a rapidement été contestée par l’Union Européenne dès la fin de l’année 1996, sans réel succès.
Toujours selon le même rapport parlementaire, plus de 15 milliards de $ ont été infligés aux entreprises étrangères ayant violé les sanctions internationales imposées par les lois de 1996 entre 2008 et 2018. En décembre 2012, c’est au tour d’HSBC d’être condamné à payer 1,9 milliard de $ d’amande pour complicité de blanchiment d’argent sale en provenance de cartels mexicains. En 2014, la BNP Paribas enfreint elle aussi les lois américaines et se retrouve contrainte de verser 9 milliards de $ pour avoir facilité des transferts de fonds (près de 190 milliards) avec l’Iran, le Soudan, et Cuba, frappés d’embargos. En 2015, la Commerzbank allemande règle à son tour une facture d’1 milliard de $, toujours pour des transactions jugées illégales entre 2002 et 2012, l’Iran étant particulièrement surveillé par les autorités américaines. Le pays est visé par 5 lois internationales qui prévoient toute de lourdes sanctions pour les contrevenants, américains ou non.
Les banques chinoises Kunlun et Dangdong, et banques irakiennes Efaf et Islamic Bnak le savent bien, ayant été exclues du système bancaire américain. Quant à la Dalian Global Unity Shipping ou au géant chinois de la téléphonie Huawei, leur droit de commercer avec des partenaires américains leur a été retiré.
Les années suivantes, d’autres lois sont entrées en vigueur pour compléter l’arsenal américain et renforcer son protectionnisme commercial. La fiscalité, la concurrence financière, le droit de la concurrence, l’espionnage… le droit américain est celui qui comporte le plus de lois extraterritoriales, et la situation n’a cessé de se compliquer depuis qu’il les a transformés en armes économiques de premier choix. En 2018, avec le « Cloud Act », les Etats Unis se sont arrogé le droit de collecter les données des entreprises ciblées par les actions en justice, ou qu’elles se trouvent, et ce, au mépris des règles établies par la Coopération Judiciaire Internationale. Cette nouveauté lui donne le droit de s’adresser aux hébergeurs américains pour obtenir toutes les données stockées sur leur serveur sans passer par une demande d’entraide, et donc sans aucune surveillance des autorités de la société mis en cause. Aujourd’hui, c’est plus de 65% du marché mondial du cloud qui est détenu par des entreprises américaines.
ALSTOM, LE GRAND SCANDALE NATIONAL
A titre d’exemple, voici une affaire qui illustre parfaitement ce dont les USA se sont rendus capable. Une affaire érigée en grand scandale national, la vente de la branche énergie d’ALSTOM. Concepteur du TGV, reconnu mondialement pour son savoir-faire, et que tous les investisseurs français ont eu à un moment ou à un autre, dans le portefeuille d’investissement, l’entreprise fait partie des moteurs de l’économie française. Sa branche ALSTOM énergie, rassemble les activités des énergies renouvelables, des énergies thermiques et nucléaires, ainsi qu’une quantité phénoménale d’informations stratégiques et de brevets français. En 2014, la France apprends soudain qu’elle à été vendue pour 12 milliards de $ après 18 mois de négociations avec le géant américain General Electrics. Face à la grande surprise nationale, le PDG de l’époque Patrick Kron à du mal à se justifier devant la presse : « Je répète que je suis fier de donner un avenir à l’ensemble de nos activités, même si c’est, pour certaines, à l’extérieur du groupe. » expliquera-t-il devant les micros des journalistes. Selon lui, cette opération particulièrement réussie allait permettre à ALSTOM de se recentrer sur ses activités de transport, son « vrai métier », alors que le groupe se débat avec la justice.
En effet 2014 marquait, comme évoqué précédemment, la condamnation d’ALSTOM par le DOP pour ses activités de corruption en Indonésie, alors contraint de verser 778 millions de $ d’amande. Or, d’après les derniers éléments rendus publiques, il semblerait qu’il existe un lien entre des menaces de poursuite chez les cadres du groupe, à titre personnel cette fois, et la décision de vendre cette branche énergie aux américains. Par soucis de transparence, il est important de préciser qu’il n’existe à ce jour, que des témoignages, parfois anonymes, ainsi que le livre intitulé « le piège américain », de l’ancien comptable d’ALSTOM, Frederic Pierucci, emprisonné 2 ans au moment de l’affaire.
Les journalistes d’investigation et plusieurs juristes français soupçonnent donc l’utilisation du « Deal Of Justice », une méthode désormais bien rodée, qui ne serait que l’application d’une politique américaine de chantage économique moderne opérée en toute légalité par la première puissance mondiale. En 2018, le député français Olivie Marleix à publiquement pointé le rôle du ministère de l’économie de l’époque dans cette vente, représenté par le président actuel Emanuel Macron, qui aurait autorisé cette opération. Le député à également demandé l’ouverture d’une enquête qui aurait dû démarrer dés 2014, et qui pourrait apporter un éclairage nouveau sur les raisons de la vente d’ALSTOM et sur les méthodes américaines pour garantir leur souveraineté économique.
TOUJOURS PLUS D’INTERVENTIONS AMERICAINES EN FRANCE
Plus récemment, l’avioneur Airbus a versé 3,6 milliards de $ pour éviter les poursuites pénales pour corruption, dont 530 millions de $ au trésor américain. La procédure d’enquête américaine a duré 6 ans, pendant lesquels des milliers d’informations sensibles ont été rendues accessibles à une puissance étrangère. Puis en 2020 le fleuron français spécialiste du nucléaire Orano, a lui aussi été visé par une enquête pour un pacte de corruption passée avec des élus américains. En conséquence, on parle alors d’une amende record de 24 milliards de $. Le groupe à du montrer patte blanche et se plier à toute les demandes d’informations nécessaires à l’enquête. Une aubaine pour les services de renseignement américains qui ont pu obtenir un accès privilégié à toute ces données stratégiques.
L’IMPERATIF DE MODERNISATIN DE LA JUSTICE FRANÇAISE
Avec des lois d’une telle portée, aucune transaction n’est en réalité véritablement protégée des actions de la justice américaine. Les USA se voient aujourd’hui reprochées de transformer des combats éthiques comme la lutte contre la corruption ou le financement du terrorisme, en prétexte opportuniste facilitant l’espionnage ou l’attaque de grosses sociétés étrangères, au service des sociétés américaines. En France particulièrement, il est très facile pour le DOJ d’intervenir au vu de la mauvaise protection législative des entreprises françaises. La loi du 26 juillet 1968, connue sous le nom de « loi de blocage », relative à la communication de documents, de renseignements commerciaux, stratégiques ou technologiques, est le seul outil juridique, périmé au vu des enjeux contemporains, dont les entreprises françaises peuvent de servir pour faire face au géant américain. Obsolète et facilement contournable, elle doit impérativement être modernisée en incluant une obligation de déclaration et un suivit de dossier par les autorités françaises. Une extension du règlement général pour la protection des données (RGPD) devrait être sérieusement étudiée selon plusieurs juristes spécialistes de la question. Le RGPD devrait donc assurer une réelle protection des personnes morales quant à l’utilisation des données et à leur transfert sans contrôle à des puissances étrangères. Pour fixer les frontières du droit international en matière d’extraterritorialité, il est envisagé de saisir la cour internationale de justice.
UNE STRATEGIE QUI S’IMBRIQUE DANS LA POLTITIQUE INTERVENTIONISTE AMERICAINE
Malgré le sentiment d’injustice que peuvent révéler l’étude des procédures peut orthodoxes du DOJ, il est important de se rappeler que ces amendes punissent des crimes qui n’avaient pas lieu d’être. Quelle différence entre l’ingérence des Etats Unis dans l’Affaire Airbus, et leur intervention militaire au Vietnam ou en Serbie ? dorénavant informé des agissements répréhensibles du DOJ, il reste bon de remarquer que cette interventionniste correspond au fil rouge américain qui, malgré quelque épisode isolationniste, semble avoir fait vœux de s’ériger en gendarme du monde, sur le plan politique, militaire, mais aussi économique. Ils imposent alors parfois leur vision de la justice et de ce qu’est un bon régime, y compris concernant le financement et les échanges économiques entre d’autres pays. Malgré l’argument judiciaire brandit par l’Oncle Sam pour justifier ses interventions autour de tout ce qui touche au dollar américain, de près ou de loin, il reste injuste que la somme des amandes leur revienne au lieu d’être versé aux acteurs victimes du dommage en question.
VERS UNE LEGISLATION INTERNATIONALE ?
« L’union fait la force ». C’est peut-être dans l’optique de suivre ce mantra proclamé par Vonck lors des premières indépendances de 1790, que la France souhaite proposer un projet de lois communes au sein des pays de l’OCDE et de l’Union Européenne, l’objectif étant de rétablir la souveraineté nationale en matière de justice et protéger les activités et la santé des entreprises et de leurs actionnaires. Mais avant l’adoption et la mise en œuvre de ces mesures, les opérations continuent. Il est difficile d’imaginer les Etats Unis en maître chanteur internationale, pourtant le pays de la bourse, des milliardaires du pétrole et des technologies modernes ne s’encombre pas d’une politique particulière pour entretenir de bons rapports avec ses voisins, quand le jeu en vaut autant la chandelle. Les entreprises françaises attendaient beaucoup de la visite du président français à la Maison Blanche le 30 novembre dernier. Ayant promis de s’entretenir avec Joe Biden au sujet de toute ces mesures protectionnistes, de la limitation de l’accès américain aux entreprises françaises, et de l’impact des décisions de justices sur leur productivité, Emanuel Macron s’est trouvé face à un Joe Biden à l’écoute, mais dont la réponse fut claire : « Vous n’avez qu’à faire pareil ».
Ecrit dans le cadre de la revue Terra Bellum « USA : Lutter pour l’hégémonie »
Disponible sur le site : https://www.terrabellum.fr/