8 ans après avoir posé les pieds sur le sol malien, le président français Emmanuel Macron annonçait une réduction de la présence militaire dans la région du Sahel. « Nous allons amorcer une transformation profonde de notre présence militaire dans la région » déclarait-il lors d’une conférence de presse en faisant référence aux cinq mille soldats déployés dans le cadre de la Force Française Barkhane (FFB) pour lutter contre les groupes djihadistes. Accéléré par la crispation des relations entre Paris et Bamako, c’est sans grande gloire que le départ français est finalement annoncé le 17 février 2022, pendant que le chef des opérations assure le rapatriement des premières troupes.
La région du Sahel, ou Sahel Central, englobe plusieurs pays africains : la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad. Elle subit, depuis les années 2010, une grave crise humanitaire, et sa population fait face à plusieurs conflits armés dont les civils ne peuvent se protéger, causant des déplacements massifs sur son territoire.
Quels sont les acteurs de ces conflits, pour quelles causes combattent-ils, d’où viennent-ils et comment sont-ils formés ? Trouver une réponse à ces questions est indispensable pour saisir les raisons de la présence française, de ses opérations, et de leur bilan.
LE MALI, UN TERREAU DJIHADISTE
Sur ces cinq pays africains, un en particulier pose un problème. C’est vers le Mali que les soldats français dirigent le gros de leur effort. On y retrouve, depuis 2012, 3 groupes djihadistes majeurs, principalement au nord. Le groupe AQMI (Al-Qaïda in Maghreb Islamic), d’origine algérienne, s’y est retrouvé après avoir été poussé en dehors de ses frontières natales, vers le sud, par la politique de lutte anti-djihadiste mise en place par le président Bouteflika. Le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) à été fondé au Mali en 2011 par des anciens de l’AQMI ayant décidé de faire bande à part. Enfin, le groupe armé des ANSARDINE créé assez récemment, puisqu’en 2012, prends directement ses racines au Mali. Pour leur faire face, une petite partie des 56.000 soldats maliens coopère avec les soldats français et leurs alliés.
Si elle vient bien au secours de populations en difficultés et en proie à la violence, l’intervention française, et européenne dans une moindre mesure, n’est pas uniquement poussé par la bienveillance et le sens du devoir de l’hexagone. De la même manière, il y a bien une raison qui explique l’étendue de la puissance djihadistes dans la région, son efficacité, et son soutien par différents acteurs. Ce conflit armé oppose ses acteurs de manière bien plus complexe que le simple clivage : terroristes / soldats. Il est indispensable de remonter la pellicule de l’Histoire malienne pour le comprendre.
LES ORIGINES DE L’INSTABILITE AU NORD-MALI : ENTRE INDEPENDANTISTES ET DJIHADISTES
Le Mali est le principal théâtre des opérations au Sahel. Ses frontières, comme la majorité des pays africains, ont été dessinées lors de la répartition coloniale, et ce n’est qu’en 1960 qu’il à accédé à l’indépendance. Ses frontières n’ont donc rien à voir avec les logiques de celles d’un état nation. On retrouve dans ses 18 millions d’habitants différentes communautés, dont les intérêts, l’histoire, et les rivalités, façonnent la politique nationale. C’est au nord du pays que les tensions sont apparues. Depuis une soixantaine d’année, des groupes Touaregs réclament l’indépendance. Ignorés et très peu pris en compte par Bamako et sa politique, les Touaregs du nord lancent plusieurs rebêlions de 1963 à 2012 (1963, 1990, 2006, 2012).
C’est alors au nord, que les premiers djihadistes exploitent le sentiment d’abandon des indépendantistes pour conquérir des territoires et assoir leur autorité. La porosité entre ces deux groupes les pousse à s’entre aider, puis à briser leur alliance pour en reconstruire de nouvelles au gré de leur intérêt commun. Le fondateur du groupe armé djihadiste ANSARDINE, Iyad Ag Ghali, combattant originellement dans un groupe indépendantiste, s’est d’ailleurs servi de son réseau pour promouvoir si efficacement le djihad.
Dans le Nord du Mali, trois acteurs principaux mènent donc un combat différent. Les djihadistes œuvrent pour la mise en place d’un état islamique et de la Shari’a, les Touaregs se battent pour l’autonomie de la région, et l’Etat malien souhaite rétablir son autorité. Cette zone de non droit exclue politiquement et économiquement les populations pauvres qui décident parfois de s’engager dans les groupes rebelles djihadistes ou indépendantistes, plus souvent par instinct de survie que par idéologie.
LE PROBLEME LIBYEN
Pour nourrir leur rang, ces groupes rebelles ont aussi fait appel à d’autres soldats venus… de Lybie.
Après la chute du dictateur libyen Mouammar Kadafi dont se félicitait l’ancien président Nicolas Sarkozy, une grande partie de l’armée libyenne s’est retrouvée sans commandement et à rejoint les groupes djihadistes en apportant avec elle armes, matériel militaire, expérience du combat et techniques de formations. Les Touaregs du Nords ayant servi de mercenaires sont eux aussi rentré « fusils dans le dos », rêvant de se séparer d’un sud-Mali avec lequel ils ne se sont jamais entendus et de proclamer l’indépendance de l’Asawad, une nouvelle région autonome.
SI ces quelques lignes rappellent les rapports entre les différents groupes armés, la réalité de leur relation reste bien plus complexe. La grande fragmentation des mouvements djihadistes en une multitude de sous-catégories et bataillons leur permet de rester difficilement identifiables. Les leader locaux, efficaces et opérationnels permettent de facilement remplacer la tête de l’araignée en cas de chute. Et pour ne rien faciliter aux soldats maliens, leur connaissance du terrain et leur grande autonomie permet à l’hydre djihadiste de continuer à étendre ses têtes.
LES OPERATIONS SERVAL ET BARKHANE
C’est dans ce contexte que la France décide d’intervenir, aussi concernée par l’instabilité de son ancienne colonie, que par la richesse de son sol.
Le 11 janvier 2013, le président François Hollande annonce le début de l’opération Serval. Elle a pour but de repousser l’avancée terroriste ayant mis la main sur le nord du Mali qui menace de plus en plus la capitale Bamako. Les Français et l’armée malienne reprendront les villes de de Gao (25/02), de Tombouctou (27/01), de Kidal (30/01), et de Tessalit (08/02). Le franc succès de cette opération, qui prendra fin le 1 aout 2014, comporte tout de même un point d’ombre. Les zones rurales et montagneuses, trop difficiles d’accès et considérés comme des détours dans la « route de libération » vers le nord, sont devenu des lieux de refuges puis des foyers pour des djihadistes, encore bien implanté dans plusieurs villages, et près à riposter.
La menace terroriste, loin d’être éradiquée mais écartée pour un temps, doit maintenant être combattue dans toute la région du Sahel. Cette zone, grande comme l’Europe, doit être sécurisée et les bastions djihadistes, qui ne cessent d’agir et de se reconstruire, doivent être débusqués. Sur le plan économique, une autre opération dans la région permettrait de protéger les nombreuses ressources naturelles à plus long terme et d’établir d’ajouter des liens diplomatiques à ces profit issus de l’exploitation des ressources par des entreprises étrangères, comme AVEA au Niger, ou Total en Mauritanie.
C’est ainsi que le 1 aout 2014, l’armée française, encouragée par ses alliés européens, lance une opération de grande ampleur anti-terroriste qui remplace l’opération Serval, dont les efforts se concentrent au Mali, tout en élargissant ses actions aux pays du « G5 Sahel » évoqués plus haut (Mauritanie, Niger, Burkina Faso).
Pendant 8 ans, plus de six mille soldats seront déployés sur la bande sahélienne chargés de débusquer des milliers de terroristes tout en protégeant les populations locales, et plus de 12 bases temporaires, logistiques et militaires seront établies et permettront d’affaiblir le MUJAO et ANSARDINE.
Tout en remarquant le nombre de 5500 soldats français déployé au plus fort des opérations et en déplorant les 50 d’entre eux morts au combat depuis 2013, le bilan et les conséquences de cette opération semblent plus importantes que son déroulement même. Les causes du retrait français de cette lutte inachevée sont bien différentes selon les versions. Le discours officiel de Macron, qui omet quelques aveux et des grilles d’analyses intéressantes, dénonce principalement la politique hostile de la nouvelle junte au pouvoir depuis l’année dernière, son manque de légitimité, et l’ambiguïté d’un soutien militaire à un gouvernement qui se dit prêt à traiter avec des terroristes. De l’autre côté, le discours d’Assimi Goïta, à la tête du Mali depuis mai 2021, qui ne mentionne pas non plus toutes les informations nécessaires pour saisir la situation, déplore l’abandon français, et tiens à avoir le dernier mot en accélérant le processus de départ des Français.
L’ECHEC DES OPPERATIONS FACE AU NOUVEAU GOUVERNEMENT MALIEN
Les causes du retrait français son enfaite nombreuses et complexes. Les deux états ont commis des erreurs, plus ou moins graves aux yeux de leur interlocuteurs.
Le Mali gangréné par la corruption, s’est rendu coupable du détournement des fonds destinés à lutter contre le terrorisme. Le président Ibrahim Bubakar Keïta (« IBK »), protège son fils des accusations d’assassinat du journaliste d’investigation Birma Touré, et a permis à une entreprise bretonne d’obtenir le marché de confection des passeports malien sous la pression de Jean Ives le Drian. Il est aussi connu pour avoir accepté de laisser la société Airbus investir dans une mine d’or dans le sud du pays pour dégager du cash et corrompre les officiels maliens et leur vendre des hélicoptères.
Soutenue par le peuple, l’armée renverse IBK le 18 août 2020. Son remplaçant, Bah N’Dao ne se montre pas hostile à Paris. Mais c’est pendant sa présidence que le président français décide de fermer les yeux sur le coup d’état au Tchad, et donne par son manque de réaction et son inaction, le feu vert au Mali, pour violer sa constitution. Et c’est face à cette trop grande tolérance qu’Assimi Goïta organise le deuxième coup d’état dans le pays en moins d’un an, et annonce, le 24 mai 2021, avoir pris le pouvoir après avoir capturé son prédécesseur. Moins favorable à la France, la nouvelle figure qui dirige Bamako refuse de se faire dicter sa conduite par l’Hexagone et participe à la dégradation de l’image du Coq français au Mali dans les mois qui suivent en faisant notamment appel aux tristement célèbres mercenaires russes du groupe Wagner. C’est suite à cette rupture que le président Emanuel Macron décrira le premier ministre malien comme « l’enfant de deux coup d’états » en appuyant son la légitimité du gouvernement actuel : « démocratiquement nulle »
LA FRANCE ET SA PART DE RESPONSABILITE
Pourtant, de son côté non plus, la patte française ne montre pas totalement patte blanche. Certains intellectuels maliens déclarait à peut-être plus juste titre que le gouvernement français ne laisse l’entendre, qu’il était tout naturel que la France intervienne au Mali : quelle vienne éteindre la mèche allumée par la chute de Kadafi en Libye. Comme expliqué plus haut, le président Nikola Sarkozy a grandement participé à la chute de l’homme suspecté d’avoir financé sa campagne. C’est par la suite qu’il n’a pu que constater, faute d’assez de coups d’avances, les conséquences de l’éparpillement de son armée.
Pendant l’Opération Barkhane, la France a parfois été critiquée pour son manque d’efficacité. Médiapart expliquait que « [l’on] ne peut que lutter contre le terrorisme avec un ventre plein et une tête pleine », et un article du Monde du 17/10/22 soulignait que les régions le plus pauvres du Mali, du Burkina Faso et du Niger, faisant tous parti des 5 pays les plus pauvres du monde, constituaient un terreau extrêmement fertile pour les djihadistes.
Si les politiques de luttes contre le terrorisme auraient parfois pu être améliorées, c’est face aux agissements de son armée que le pays des droits de l’Homme rechigne à servir d’exemple. En 2013 l’armée française parviens à reprendre la ville de Kidal, au nord du Mali, qu’elle ne rend pas à l’état malien, mais aux indépendantistes Touaregs qui négocient et s’allient aux djihadistes : un acte qui contraste la condamnation de l’ambiguïté de la junte malienne par le président français. En 2014, les services français renoncent à éliminer Iyad Ag-Ghali, un chef Djihadiste protégé par l’Algérie, maintenant échappé et à la tête du GSIM (« Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans »), notamment responsable de l’enlèvement du journaliste Olivier Dubois. En 2018, l’armée française prends la liberté de « déléguer le crime » à des supplétifs Touaregs du MSA (« Mouvement pour le Salut de l’Azawad ») qui usent de ce nouveau pouvoir pour régler de vieux comptes avec la communauté peule et se rends perpétue des violences contre des civils désarmés. Et en 2021, deux Mirages2000 français bombardent un rassemblement terroriste qui s’est enfaite avérer être un mariage, dont les 19 civils conviés sont morts.
Aussi, la ferme condamnation d’Emanuel Macron envers la junte malienne illégitime et meurtrière, et de sa collaboration avec les mercenaires russes, interroge ses propres relations avec l’Egypte, le Togo et le Congo. Enfin, à l’occasion de manifestations contre la présence hexagonale en novembre dernier, l’armée française à choisit la voie des armes pour se dégager de barrières dressées par de jeunes Nigériens et Burkinabés, en causant 3 morts et deux blessés.
UN MALI TOURNE VERS DE NOUVEAUX ALLIES
Le 26 juillet 2022, le Président Français prononçait ces mots depuis le Cameroun : « nous ne lâcheront ni la sécurité de l’Affrique, ni ses intérêts » avec un paternalisme rappelant à certains le ton de l’administrateur colonial. Ainsi, les soldats français continueront donc d’opérer dans d’autres zones à risques contre les djihadistes sous d’autres latitudes. Depuis le Tchad de Débit junior, depuis le Niger du Mohamed Bazoum ou depuis le Burkina-Faso du Lieutenant-Colonel Tamiba dont le coup d’état semble beaucoup moins déranger la France.
C’est alors aussi peut être de ces raisons qu’émanent les ressentiments maliens aux yeux de qui l’image de la France s’est dégradée. Il est indéniable que le porte-parole putschiste aborde une approche hostile lorsqu’il appelle au départ « sans délai » des troupes françaises dans son opération de propagande. Cette sur enchère, vise enfaite à montrer que ce n’est pas la France qui part, mais bien le Mali qui pousse l’ancien colonisateur vers la sortie. Seulement, peut-être que la France aurait eu intérêt à porter un œil plus attentif sur sa politique, et sur le commandement de son armée au Sahel. La France, qui réponds à cette provocation dans un délai de 15 minutes, mets donc fin aux opérations en s’accordant sur un délai de 4 à 6mois pour quitter les lieux.
Les conséquences de ce que le premier ministre malien a qualifié « d’abandon en plein vol » détériorent profondément la coopération franco-malienne. L’hexagone et sa Force Barkhane se sont vu retiré leur statut particulier de détachement au Mali qui a décidé de se tourner vers de nouveaux collaborateurs, venus de l’Est. Le ministre de la Défense Sadio Camara s’est rendu la semaine du 10 aout 2022 à Moscou, pour discuter des termes d’une future coopération et les mercenaires russes de l’agence Wagner ont pris la place des soldats français depuis quelque mois dans les bases désertées en usant avec beaucoup moins de parcimonie de leur AK-47 devant, et parfois contre les civils maliens.
QUEL AVENIR POUR LE MALI ET LA REGION DU SAHEL?
Malgré le départ français, plus de 3 milles hommes resteront au Niger, au Tchad, et au Burkina-Faso pour poursuivre la lutte contre le terrorisme, qui s’est désormais réarticulée autour d’une alliance internationale ou s’associeront états européens et forces spéciales. Selon l’AFP et les prévisions du programme « Horizon 2023 », 2500 français continueront tout de même d’opérer sous le pavillon de la nouvelle agence. Pourtant, ce « Grand remplacement impérialiste » marque une fois de plus la perte d’influence française dans la région sahélienne et plus généralement en Afrique. La décision d’Emanuel Macron soulève l’éternelle question qui tiraille d’autres de ses homologues, notamment face à l’Afghanistan, à la Chine ou à l’Iran : comment traiter et négocier avec un régime que l’on considère illégitime ? faut-il prioriser sa souveraineté ? ses intérêts ? son image ? ou agir en selon des valeurs de son pays ?
Le président français a-t-il fait le bon choix ? La question reste ouverte