LE PACTE EUROPÉEN SUR L’ASILE ET LA MIGRATION : QUEL FUTUR POUR LES MIGRANTS EN MEDITÉRRANNÉE ?

Le 23 septembre 2020, la Commission Européenne présentait le Pacte sur la Migration et l’Asile, ayant pour but de modifier en profondeur le système d’accueil et de gestion des demandeurs d’asile et des migrants arrivant aux frontières de l’Union Européenne, présenté comme capable de mieux gérer la pression migratoire que peuvent ressentir certains États, mais aussi de renforcer les récoltes de données, et permettant aussi la décriminalisation des sauvetages en mer, et la création d’une agence de l’Union Européenne pour l’asile. Les migrants sont une majorité à traverser la mer Méditerranée pour atteindre l’Europe. La route de la Méditerranée occidentale donne sur l’Espagne, tant par voie maritime en accédant directement au continent, que par la voie terrestre qui aboutit sur les enclaves de Ceuta et Melilla en Afrique du Nord, et la route de la Méditerranée centrale donne sur l’Italie et Malte. C’est d’ailleurs ces routes vers les pays de l’Europe qui a massivement été empruntée lors des vagues migratoires de 2015 et 2016, plaçant la Grèce, l’Espagne et l’Italie en première ligne, la gestion des demandeurs d’asile incombant principalement au premier pays les accueillant, conformément au règlement de Dublin.

L’APRES 2015

Avec 1,28 millions de demandes d’asile déposées sur le territoire de l’Union Européenne en 2015, la crise migratoire a exposé l’inefficacité de la politique migratoire européenne au groupe des 27. Puis, au cours de ces 7 dernières années la moyenne annuelle de 3.000 disparus pendant les traversées de la Méditerranée n’a cessé de souligner la nécessité d’une action concrète aux frontières de l’UE pour répondre aux directives humanitaires et sécuritaires, alliant protection et légalité. Pour se faire, l’UE s’est dotée de nouvelles politiques visant un meilleur contrôle de ses frontières. Dès l’année suivante, en 2016, l’adoption d’accords controversés avec la Turquie, puis avec la Libye en 2017 ont permis de limiter l’afflux migratoire méditerranéen. Avec un total de 600.000 demandeurs d’asile provenant de la méditerranée en 2022, soit une augmentation de 34% par rapport à 2020 mais une diminution de 10% depuis le 2019 d’avant-covid, cette politique ne semble toujours pas être à la hauteur des attentes des pays membres. Quelque jour avant la présentation de ce pacte, qui œuvre notamment dans l’intérêt des enfants et des diplômés, Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission Européenne, déclarait vouloir « abolir le système de Dublin » qui régit l’accueil des demandeurs d’asile depuis les années 1990, jugé peu efficace et désavantageux pour les pays en « première ligne ». Comme pour appuyer son constat, l’incendie du plus grand camp de réfugiés d’Europe à Moria sur l’île grecque de Lesbos, interpelait Margaritis Schinasvice, président de la Commission en charge des migrations, qui constait, quant à lui, l’échec d’un « système qui n’en est pas un ».

IMMIGRE ET DEMANDEUR D’ASILE, QUELLE DIFFERENCE ?

Présenté il y’a 3 ans de cela, ce pacte sur l’asile et la migration ambitionne donc de traiter une partie des demandes d’asile en dehors des frontières de l’Union, de renforcer ces frontières pour dissuader de nouveaux départs, et de laisser plusieurs options aux états face à une éventuelle crise migratoire. Seulement, la politique migratoire et surtout son application, est partagée entre les états membres et l’Union Européenne. Les gouvernements doivent respecter un certain nombre de règles qu’ils se sont fixés ensemble, mais comment distinguer pour qui il est vital d’obtenir un permis de séjour, et pour qui cela l’est moins ? Il faut pour cela différencier les migrants, en quête de meilleures conditions de vie, de ceux à qui on accorde l’asile, qui fuient leur pays, où ils ne sont plus en sécurité. Ces derniers obtiennent alors le statut de réfugiés si le pays d’accueil reconnait que leur vie est en danger, selon les critères de la Convention de Genève. Les politique de migration et d’asile sont liées, mais leurs objectifs ne sont pas les mêmes. La première cherche à encadrer l’immigration légale et lutte contre l’immigration clandestine, et la deuxième tente d’offrir une protection aux ressortissants de pays tiers qui en ont besoin.

UN PACTE,  DES PROPOSITIONS LEGISLATIVES, 3 AXES MAJEURS

Pour les demandeurs d’asile ou les migrants, la Commission Européenne propose d’abord un règlement introduisant un procédé de filtrage (« screening ») contre l’immigration illégale aux frontières de l’union. Il s’appuies sur l’instrument « Eurodac », capable de récolter les données biométriques des migrants, leur empreintes digitales, et de leur faire passer contrôles de santé et de sécurité. Un autre règlement propose ensuite de remplacer celui de Dublin pour assurer un plus juste équilibre d’obligations au sein des pays membres. « Aucun état ne devrait supporter une responsabilité disproportionnée en matière migratoire, tous doivent contribuer à l’effort de solidarité » stipulait le bas de la première page du Pacte. L’échec de la politique de relocalisation obligatoire instaurée en 2016 laisse place à une plus grande flexibilité concernant l’effort des pays dans leur contribution respective. En cas de crise migratoire, il leur sera possible de déclencher un mécanisme de solidarité en choisissant d’accueillir une partie des demandeurs d’asile, de parrainer la reconduite des migrants en situation irrégulière en les prenant directement en charge, ou d’aider financièrement l’état sous pressions. 18 membres de l’UE et 3 pays associés ont formellement approuvé ce mécanisme de solidarité le 22 juin 2022, et engagé une dizaine de milliers de relocalisation dans cette logique. Résumée en 3 axes principaux, soit le renforcement des frontières extérieures, le partage plus équitable des responsabilités et de la solidarité, et le renforcement des coopérations avec les pays tiers, ces réformes visent surtout à harmoniser la politique migratoire européenne.

UNE HARMONISATION DE LA POLITIQUE EUROPEENNE

Harmoniser l’application de la politique migratoire et d’asile chez les états membres, et insister sur la nécessaire application des normes et des règles par tous les états, ce qui n’est pas toujours une évidence, permettrait donc de centraliser les rouages européen dans une seule institution. La « carte bleue européenne » adoptée en 2021, doit favoriser l’accueil des migrants hautement qualifiés, et l’AUEA, nouvelle agence de l’Union Européenne née en janvier 2022, s’assure désormais de vérifier et d’appuyer ces règles. Dotée de 172 millions d’euros et de 500 experts, elle fournit un soutien opérationnel et technique, et propose des formations aux autorités nationales de chaque pays. L’UE prévoit notamment de faciliter l’immigration légale en améliorant les conditions des résident longue durée en leur facilitant l’accès à l’emploi et aux autres pays de l’espace Schengen.

L’IMPACT DE LA CRISE UKRAINIENNE

Depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine apporte de nouvelles perspectives, tantôt justifiant le refoulement des flux migratoires, tantôt en expliquant l’importance de s’ériger en terre d’accueil. Le ministre de l’intérieur français Gérald Darmanin expliquait : « Je pense que ce qui s’est passé a créé une sensibilité différente, chacun évidemment est concerné par le continent européen, par ces questions migratoires« . Il proposera dans la foulée d’abandonner le principe de quotas obligatoires de relocalisation des migrants, laissant ainsi aux pays de transit les responsabilités les plus lourdes et réduisant l’arrivée migratoire en France. Tout à l’inverse, le ministre luxembourgeois de l’immigration Jean Asselborn déclarait deux mois après le début de la guerre : « Nous devons savoir que si nous pouvons accueillir des millions d’Ukrainiens, nous pouvons aussi nous occuper de milliers de personnes qui ne viennent pas d’Ukraine mais du Sud, et qui souffrent des mêmes conditions et qui ont une autre langue et une autre religion« . Quant aux ONG, elles saluent cet accord mais souhaitent des précisions. Cet ensemble de règles et de recommandations doit permettre à l’UE de ne plus revivre le chaos observé en 2015 lorsque la Grèce, l’Italie et l’Espagne se sont retrouvées seules pour accueillir des milliers de demandeurs d’asile qui fuyaient la guerre en Syrie.

DES PAYS REFRACTAIRES

Une épisode « 2015 bis » n’est pas souhaitable aux yeux de l’UE, et plusieurs pays membres restent réfractaires aux principes de solidarité. Les réticences de la Pologne et de la Hongrie s’ajoutent à celles de la République Tchèque et de la Slovaquie. Ensembles ils forment le groupe de Visegrad, dont les membres préfèrent gérer et repousser les flux migratoires extra européens individuellement, tenant à leur souveraineté et refusant d’avoir à se soucier d’un quota d’accueil. Le Danemark, dans la même optique, refuse toute demande d’asile en optant pour une politique « 0 réfugiés ». Depuis 6 ans maintenant, sur quelque millier de demandes dans le pays seul 1% obtiennent un permis de séjour. Quant à l’Angleterre post-brexit, désormais hors de l’Union Européenne, elle voulait renvoyer les premiers cobayes de sa politique d’externalisation au Rwanda à bord d’un avion. La CEDH (Cour Suprême Européenne des Droits de l’Homme), saisie par les ONG, a finalement cloué l’engin au sol en estimant que les autorités britanniques devaient d’abord s’assurer de la sécurité du pays de destination. Le Haut-Commissariat aux réfugiés s’en était aussi indigné, soulignant la réputation douteuse du pays africain en matière de droits de l’Homme et en notant que l’accord entre l’Angleterre et le Rwanda contrevenait aux obligations internationales du pays.

*Une frise chronologique retraçant l’évolution des débats et de la législation européenne concernant les politiques migratoires en 2022 est disponible sur le site du Conseil Européen https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/migration-timeline/

UNE UE TOURNEE VERS L’EXTERNALISATION ?

Outre les membres du groupe Visegrad, et les exemples cités, les politiques émergentes d’extrême droite en Europe estiment que les exilés doivent faire leur demande d’asile depuis leur pays d’origine, ignorant les situations de conflit, de guerre, de persécution ou de menaces de mort qui de fait, ne permettent pas de se lancer dans de telles démarches.

L’Union Européenne semble de plus en plus envisager une politique d’externalisation de la migration, et ce nouveau Pacte sur l’Asile et la Migration paraît s’ancrer dans cette tendance. La délégation des responsabilités européennes à l’égard des migrants extra-européens trahit l’inefficacité et le manque de confiance des institutions européennes. Centre décisionnel en matière de défense, d’économie et de santé, ces institutions décident pourtant de détourner le regard d’une question qui agite le débat, les et l’inquiétudes au sein de ses populations. La question est instrumentalisée par l’extrême droite qui place ce problème au cœur de ses campagnes électorales en France, en Italie, en Espagne et en Allemagne. Pourtant, le drapeau bleu aux étoiles jaunes missionne les autorités libyennes, connues pour leur manque de scrupule, pour patrouiller aux frontières méditerranéennes de l’Europe et surveiller les départs d’Afrique du Nord.

LE SCANDALE LYBIEN

C’est l’agence de surveillance Frontex qui se charge depuis 2018, de lancer ses avions et ses drones, au service de l’UE. Et pourtant, les autorités libyennes en bénéficient aussi, bien qu’elles ne soient pas censé pouvoir avoir directement accès aux renseignements de l’agence, réservée aux états membres. Différentes ONG se sont rendu compte de cette anomalie lors de la publication d’une dizaine d’image de surveillance sur les pages Facebook des gardes côtes libyens entre 2018 et 2021, ayant notamment servies à intercepter des embarcations. Le 8 mai 2019, les Aéronefs de Frontex ont donc mis à la disposition de ces gardes côtes, des informations sur la localisation d’une embarcation transportant 70 personnes. Coupables d’actions violentes et dangereuses documentées par le rapport du Conseil de Sécurité de l’ONU, allant jusqu’à la traite d’être humain et la torture, les Libyens n’ont aucune limite dans leur méthode. C’est alors l’Union Européenne qui est tenue pour moralement responsable par les ONG. « Quand on délègue un travail ou une mission, on ne peut pas s’assurer qu’il est fait correctement. Quand c’est à un employé pour gagner plus d’argent je veux bien, mais quand c’est un devoir moral qui impacte la vie de milliers de gens, il faut prendre ça au sérieux » expliquait désespérée, un membre de l’association SOS Méditerranée.

UNE UNION SOLIDAIRE ?

L’Union Européenne, encore plus depuis la mise en vigueur du Pacte sur l’Asile et la migration, s’assure de la sécurité de ses frontières, vise à correctement identifier et suivre les flux entrants, et se montre de plus en plus efficace quant à l’immigration irrégulière et la lutte contre la criminalité, tout en faisant de la solidarité entre pays membres une priorité. Pourtant les tendances d’externalisation de la question migratoire semblent faire défaut à la philosophie européenne et remettent en question les principes de « solidarité universelle envers ceux qui souffrent » évoqué par le président du Conseil Européen Charles Michel.