On attribue les difficultés, voire le déclin de nombreux Empires à la mauvaise gestion de leurs provinces. De l’Empire abbasside à l’Empire romain, en passant par le tout-puissant empire galactique d’Isaac Asimov dans sa saga « Fondation », les soulèvements et les révoltes « viennent de la bordure » pour citer le stratège militaire chinois Sun Bin.
Alors, si un pouvoir central et unitaire comprend des risques et des faiblesses quant à l’administration de son territoire, la décentralisation, à l’inverse, s’offre en modèle politique idéal pour les citoyens du territoire administré. Du moins c’est ce que le monde entier à semblé décider au début des années 1980, décennie qui a vu émerger des politiques économiques et sociales déchargeant les administrations centrales de leurs responsabilités sur des niveaux inférieurs : dans la France de Mitterrand, suivie de l’Allemagne, d’une partie de l’Europe, de plusieurs pays d’Afrique, puis du Proche-Orient. On assiste aujourd’hui à un nouvel élan de mise en place de politiques de décentralisation. Que ce soit au niveau national, des institutions européennes, ou à l’échelle mondiale.
DECENTRALISATION, POURQUOI ET COMMENT ?
Les avantages de ce phénomène mondial, ses enjeux et ses controverses se trouvent dans sa définition. Ce que ce système politique permet et empêche, et les résultats observables lorsqu’il est appliqué varient, mais une tendance se dégage. Alors que la centralisation n’érige qu’un seul centre de décision et ne distingue pas le pouvoir national du pouvoir local, la décentralisation permet à l’inverse de créer de nombreux centres de décisions relativement indépendants, sans pour autant aller jusqu’à l’autonomie. La décentralisation, c’est un moyen fondamental d’améliorer la gouvernance locale, d’adapter les décisions publiques aux besoins des administrés et de prendre en compte les spécificités locales dont la langue, la culture, la politique, l’histoire, ou la religion, critères parfois plus importants qu’une frontière arbitrairement tracée. En Amérique Latine, la décentralisation a pris le Blason démocratique. Les régimes centraux autocratiques discrédités se sont vu remplacés par des gouvernements décentralisés élus et auteurs de nouvelles constitutions. En Afrique, la demande accrue de participations locales aux prises de décisions a fait du processus de décentralisation un tremplin vers le pluralisme politique. En Ethiopie, cas à part, la décentralisation se trouve être la réponse aux pressions exercées par les groupes régionaux ou ethniques pour participer aux décision politiques et contrôler une partie des administrations. La décentralisation a donc parfois servi à préserver l’unité du pays en accordant plus de pouvoir ou d’autonomie à ses régions. En Asie de l’Est, elle est motivée par l’amélioration de la fourniture des services à l’ensemble de la population, l’état centrale en étant incapable. Elle a marqué, comme en Ouganda ou au Mozambique, la fin de longues guerres civiles, synonymes de nouvelles possibilités politiques et de participation des factions guerrières dans l’administration de l’état, et dans sa délimitation.
UN PEU DE THÉORIE
Votée ou imposée, par le peuple ou les dirigeants, la décentralisation existe et se répands sous différentes formes que Vincent Lemieux et son livre sur la « décentralisation [et les ] politiques publiques face au pouvoir » décrit et recense. La décentralisation administrative d’abord, permet une organisation territoriale déconcentrée mais toujours dépendant du centre. Une décentralisation fonctionnelle, permet une organisation autonome de l’instance périphérique. La décentralisation politique, permet quant à elle, une faible dépendance du centre car dirigée par des élus, d’avantages responsables envers les bases électorales locales. Et enfin, la décentralisation structurelle, dont la dépendance au centre varie selon les acteurs publics et privés. Ces catégories témoignent de la polysémie du terme et de la diversité de ses applications et des secteurs qu’elle mobilise. De la défense à l’enseignement en passant par les services de santé, sans oublier transports, communication et loisirs, tous sont mobilisés différemment selon les pays. Pouvant être pratique, fonctionnelle ou au contraire culturelle à caractère expressif, ce système, dans sa pluralité d’application, regroupe certaines tendances, favorables notamment, à la valorisation du processus démocratique.
DÉCENTRALISAITON ET DÉMOCRATIE, LE CAS EUROPÉEN
Les représentants locaux entretiennent un contact avec la population. Élus localement, leur présence, leur dialogue permanant, et les mises en œuvre concrètes de mesures correspondant au besoin d’une instance périphérique ont tendance, selon le rapport de l’INSEE du 12 janvier 2018, à apaiser la violence des revendications, le sentiment citoyen de ne pas être pris en compte, et donc à améliorer les rouages décisionnels au sein du territoire.
Au sein de l’Union Européenne, les pays intègrent peu à peu la démocratie locale, qui fait l’objet de réformes régulières et incite les transferts de compétences de l’état centrale aux collectivités locales. Certains, à la forte tradition d’un état unitaire et centralisé comme la France, appliquent vigoureusement des politiques de décentralisation, en témoignent les transfert de compétences aux collectivités territoriales en 1988, et le plus récent article premier de la constitution française révisée en 2003. D’autres pays, comme l’Allemagne, un état fédéral, valorisent les échanges régionaux dans le cadre d’états composés. Divisée en 16 landers, l’Allemagne dispose d’une faible autonomie fiscale contrebalancée par l’augmentation des dépenses publiques dans la décentralisation fonctionnelle de l’état. Quant à la « Cogestion à l’Allemande » veille de mieux en mieux à la répartition des ressources entre les états fédéraux. La Belgique, elle, pousse cette logique à son paroxysme. Les révisions constitutionnelles de l’état fédérale belge de 2012 et 2014 octroient une partie du pouvoir décisionnel à diverses instances qui exercent le pouvoir de manière autonome et remplacent le gouvernement et le parlement fédéral, dans des domaines qui leur sont propre.
L’EXEMPLE AFRICAIN
Pour ne pas faire de l’Europe, et de l’occident, le centre des considérations décentralisatrices, le rapport KIMUNU de la 9ème édition des afri-cités, paru en 2022, dresse un état des lieux de ce processus sur le continent africain. Il explique comment, au regard de ces 40 ans de valorisation des politiques territoriales, la décentralisation est devenue une caractéristique majeur du paysage institutionnel des pays d’Afrique. La libre administration au niveau régional, provincial ou local sont de plus en plus synonymes d’autonomie financière et de reconnaissance juridique. Le principe de subsidiarité, élément essentiel des politiques décentralisatrices, attribut la responsabilité d’une action publique à la plus petite entité capable de s’en charger et de la résoudre, peu importe le secteur concerné. Les 14. 000 collectivités africaines, « districts », « urbans concils » ou « houses town » sont répartis sur les 30 millions de KM2 du territoire, avec 5 régions au Togo, 8 en Guinée, ou encore 27 au Tchad. Le processus de décentralisation a, sur ce continent aussi, réduit les fréquences et les intensités des révoltes et des manifestation du mécontentement populaire, malgré les difficultés que peuvent éprouver ces pays dans leur développement. Une meilleure administration et surtout une meilleure utilisation des ressources confortent les processus démocratiques, et les actions publiques efficaces et ciblées, allant même jusqu’à transformer l’enjeu migratoire en levier du développement des villes intermédiaires.
UN ENJEU DU XXIème SIÈCLE : ENTRE ENVIRONNEMENT ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
Au-delà de son efficacité pratique, que les rapports des urbanistes et des économistes ne manquent pas d’applaudir, la décentralisation est présentée par les activistes comme la solution aux enjeux démographiques et environnementaux qui attendent l’humanité au tournant des prochaines décennies. Si Greta Thunberg brandissait une pancarte encourageant à la décentralisation à la marche pour le climat du 14 mars 2020 à Paris, des activistes et des écrivains vont plus loin dans ce combat pour l’environnement. L’écrivain Ernest Callembach publiait déjà, en 1975, son roman de science-fiction « Ecotopia » dans lequel quelque état de la côte ouest américaine se ferment au monde et deviennent peu à peu indépendants. Des villes de moins de 15. 000 habitants également réparties sur l’ensemble du territoire, des exemples de circuits courts et une décentralisation totale des services juridiques, de santé, et d’éducation, où les écoles, mêmes les plus prestigieuses, sont autogérées. Monde, encore fictif, de la décroissance et de l’écologie politique, l’auteur place la décentralisation au centre des rouages de son utopie.
Plus réaliste, et plus concret cette fois, une tribune socialiste parue dans le journal le Monde en 2020, faisait en quelque points, l’état des logiques d’un état centralisé. Se devant de se concentrer sur des missions essentielles et limitées dans la constitution, l’état doit appliquer la subsidiarité et une adaptation locale des normes, logique incompatible avec un état fort et centralisé (1). Il se doit aussi de financer ces collectivités locales et de réduire les inégalités qui les séparent (2) et d’inciter les choix de consommation locales, d’aliments comme d’énergie (3). On note aussi dans ce cahier de doléances l’amélioration des transports publiques, plus inspirés d’une mosaïque que d’une étoile dont le centre contient tous les intérêts (4), et un renouveau des fonctionnalités spécialisées intercommunales, ou interrégionales (5). En bref, décentraliser consiste à rapprocher le citoyen de l’action publique, et les services publiques du citoyen.
IDÉAL POLITIQUE OU PERTE D’UNITÉ NAITONALE ?
La décentralisation mets à disposition et encourage l’apparition de nouveaux services locaux. Promue par certains comme un système politique nécessaire au développement équitable et efficace, elle permet une certaine redistribution économique, facilite l’impôt et la participation aux politique publiques, réponds plus précisément aux demandes et aux besoins citoyens en leur donnant une place et une voix. Une décentralisation française plus poussée permettrait à Mayotte, ou à la Martinique, des territoires ultramarins délaissés par la politique marconiste, de retrouver une place au sin de l’attention politique. La « diagonale du vide » n’en serait peut-être plus une, et la question des déserts médicaux serait réglée.
Pourtant, ses détracteurs y trouvent des aspects négatifs. Sa logique poussée à son paroxysme, elle entrave l’image d’unité nationale et fait perdre aux frontières du pays leur sens premier. Les difficultés de l’exécution des politiques de stabilisation creuseraient la dette publique en multipliant presque les dépenses de l’état par 2. Comment gérer ces allocations aux régions les plus pauvres et s’assurer de leur justesse, et de leur justice ? Comment, sans un centre névralgique et décisionnel, gérer les relations diplomatiques et internationales ? Chaque région aurait alors son ambassade ?
Ni bonne ni mauvaise, la décentralisation témoigne surtout d’une tendance politique mondiale qui consiste à prendre, avec plus ou moins d’avance et d’importance, conscience des enjeux du siècle qui nous attends. Plus que ce qu’elle est, la décentralisation s’illustre dans ce qu’elle permet. Elle est un des rares exemples où le politique et l’économique peuvent servir une même fin. Les objectifs politiques (l’accroissement de la sensibilité des élus et la participation politique des citoyens au niveau local), peuvent coïncider avec les objectifs économiques (de meilleures décisions concernant l’usage des ressources publiques et une volonté accrue de payer pour les services fournis