DIPLOMATIE ET RELIGION

DIPLOMATIE ET RELIGION EN RUSSIE

Dans son discours du 27 février 2022, Vladimir Poutine justifiait son « intervention spéciale » en Ukraine par son orthodoxie. En d’autres termes, par la gloire et la justice qu’elle apporterait et qu’elle se devait d’apporter à l’Église russe. Par une théorie métaphysique, le Patriarche Kirill, chef de l’Église, qualifie cette guerre comme « une opération contre les forces du mal », partisan, comme Vladimir Poutine, d’un monde russe affranchi de la menace occidentale. En légitimant ce conflit armé, le Patriarche Kirill se détourne des valeurs chrétiennes, et passe outre la juridiction du patriarche de Constantinople, qui avait accordé l’autocéphalie à l’Église ukrainienne, soit l’indépendance religieuse. À la tête du pouvoir spirituel depuis 2009, le Patriarche de Moscou agit comme un employé du chef d’État et reproche aux Chrétiens du monde de s’écarter du droit chemin. Il écrivait dans sa lettre au COE (Conseil Économique des Églises) que « la Russie [était] la seule à défendre les valeurs chrétiennes ».

Si, comme dans cet exemple, la religion peut servir à justifier des conflits armés, nous le rappellent les conquêtes islamiques et les croisades, la diplomatie religieuse s’est aussi révélée pacifiste. Quand les forces occidentales envoyaient du matériel militaire et des soldats sur le front, le pape François lançait de vifs appels à l’arrêt des affrontements, se rendait à l’ambassade russe en personne, organisait des visio-conférences avec le patriarche, et mandatait deux envoyés spéciaux à la frontière hongroise pour montrer son soutien et sa proximité avec ceux qui souffrent. Plusieurs dizaines d’enfants ukrainiens ont également été accueillis dans son hôpital à Rome, le Bambino Gesu.

LE SAINT-SIÈGE, UNE DIPLOMATIE HISTORIQUE

Petit État de 44 hectares et d’un millier d’habitants, le Vatican ne dispose pas d’une armée, et n’est pas une puissance économique. Pourtant, la petite entité géographique est reconnue à l’international, grâce à son autorité morale. Le Pape étend son influence sur les 1,2 milliards de Catholiques répartis à travers le monde (soit 17% de la population mondiale), et sa popularité, qui fait fi des frontières, octroie au Saint-Siège un soft power qui repose en réalité sur des pouvoirs spécifiques et originaux, liés à son identité hybride, structure qui relève à la fois de l’organisation religieuse, de l’organisation politique et de l’organisation humanitaire, auxquels on pourrait ajouter, dans une logique wébérienne, le charisme de son leader, principalement due à sa sacralisation. Le Pape François expliquait à des journalistes en 2014 « La Diplomatie est l’art du possible et de rendre le possible réel », et c’est de cette pratique, de cette tradition papale longue de 1500 ans, que l’implication catholique internationale fait du Saint Siège un des réseaux les mieux informés au monde. Le Pape est capable d’ingérence pour défendre les minorités chrétiennes, comme en Syrie, et son positionnement au sujet des questions sociales sont lourdes de conséquences, en témoignent le « Pro Vita » italien, et le « Sens Commun » français. Aussi, son apparition en couverture des magazines et journaux internationaux à chacune de ses visites et la politique culturelle des écoles catholiques qui tendent l’oreille à ses recommandations, sont autant de témoins de son influence.

L’administration du Saint Siège dispose aussi, avec la section des rapports avec les états, d’un service dévolu au suivi politique de ses relations diplomatiques. Le souverain pontife est représenté auprès des églises mais aussi de ceux qui gouvernent les nations, avec qui il entretient souvent de bonnes relations. Doté d’une personnalité juridique internationale, le Pape est impliqué dans différentes institutions internationales et onusiennes dont il est membre observateur. Parmi elles : les Nations Unies, l’Union Européenne, et le Conseil de l’Europe.

Ce sont aussi à travers des ONG, dont Caritas International, Pax Christi International, ou la communauté Sant’Egidio, que le Pape fait porter sa voix et son influence. Si le Pape plaide pour la charité chrétienne au sein du Parlement Européen, ce sont bien ces ONG, majoritairement humanitaires, qui la matérialisent en actions concrètes à Lampedusa, en Sicile, en Syrie ou à Lesbos.

UN SERVICE HUMANITAIRE PAPAL INTERNAITONAL

Le Pape se fait aussi lanceur d’alertes dans les enceintes institutionnelles en dénonçant l’ordre international libéral et le capitalisme financier devant les membres de l’ECOSOC, de l’UNESCO, ou de l’OSCE. Les prises de position du Saint Siège se multiplient, et contribuent à ouvrir et à faire avancer des débats portant sur les biens communs de l’Humanité Le cardinal Jena Louis Tauran (1943-2018) avait parfaitement défini les buts de la diplomatie vaticane : « Une activité religieuse sans interférence de la part du pouvoir, sans aucune subordination et en coopération entre société et autorité religieuse. ». Pourtant, la diplomatie vaticane se voit contrainte de dialoguer avec les états souverains dans l’intérêt de sa communauté. Elle signera d’ailleurs une série d’accords en 2018 sur la nomination d’évêques avec la Chine, dans le but de normaliser les paroisses et les pratiques de ses 12 millions de catholiques chinois.

Le Vatican fait certes fi des frontières, mais il est certain qu’il place la communauté chrétienne au centre de son attention, quitte à parfois taire ses revendications caritatives. Lors de son passage en Birmanie par exemple, le Pape, qui critiquait depuis Rome le sort dévolu de la minorité des Rohingyas, s’est cependant abstenu de les mentionner pendant sa visite, donnant la priorité aux relations entre le Saint-Siège et l’État birman en vue de protéger d’abord et avant tout la minorité chrétienne du pays.

Favorisant sa communauté, toujours est-il que la non-implication du Pape dans les affaires politiques en fait un excellent médiateur. Bien placé pour résoudre les conflits, il s’est souvent illustré dans des processus historiques de normalisation des relations.

LE VATICAN, UN MÉDIATEUR INTERNATIONAL

La rencontre officieuse entre le Cuba de Raoul Castro et les Etats-Unis d’Obama s’est faite sur le sol du Saint Siège. Sollicité par une délégation américaine, le Pape Benoit XVI y a rapidement répondu, et permit les discussions entre les deux pays, qui ont par la suite, normalisé leur relation sous les encouragements du Pape.

Le traité d’amitié de Montevideo signé entre le Chili et l’Argentine en 1978, se sont, eux aussi, faits au Vatican. Le Pape Jean Paul II étant parvenu à faire renoncer à l’Argentine, pays très catholique, à son opération militaire pour reprendre le Cap Horn, plusieurs îles, et le canal de Beagle accordés au Chili .

Puis, plus récemment, la visite inédite du Pape François dans la région du Levant en 2014, à témoigné de son objectivité et de sa bienveillance, reflétant parfaitement les volontés pacifiques de l’église. En visitant la tombe du fondateur du sionisme Théodore Herzl, et en reconnaissant l’état de Palestine en le mentionnant dans son discours, le Pape à accepté les deux récits en plaignant les victimes israéliennes du terrorisme tout en se révoltant contre la misère palestinienne, traumatisée par l’occupation et méritant de vivre en tant que peuple libre.

LA CONSTANTE PAPALE, AU-DESSUS DES POLITIQUES NATIONALES

Le Prince Phillipe de Belgique, les présidents italiens, polonais, lituaniens, portugais, hongrois, tchèques et togolais, l’ex-reine Sophie d’Espagne, le ministre français de l’intérieur Gérard Darmanin, un ambassadeur américain, et même le Patriarcat de Moscou et de Constantinople. Autant de personnalité politiques présentes aux Obsèques du récemment défunt Pape Benoit XVI. Peu importe leur bord politique ou leur confession, leur présence atteste de la popularité papale

Les espérances diplomatiques, et les causes que défendent les acteurs pontificaux et le pape forment une constante dépassant les rivalités géopolitiques, les frontières nationales, les évolutions historiques, et les conflits ethniques. Si ses frontières sont religieuses, la charité chrétienne le pousse à agir pour les autres, surtout les « citoyens en marge ». Figure spécifique des enjeux politiques de coopération, le Vatican manifeste l’importance des enjeux culturels intégrant le religieu. Bien qu’il ni la capacité, ni l’intérêt de défendre quelque intérêt national, le petit état pousse à s’interroger sur une vision trop exclusivement axée sur les rapports militaires et financiers. Les plaidoyers papaux pour les réfugiés, le migrants, la défense de la cause environnementale et contre les inégalités et… le mariage pour tous, témoignent de la mise au service du Pape au nom des idéaux catholiques, quel qu’ils soient. Toujours œuvrant pour la personne humaine plutôt de des formes abstraites d’appartenances, le Vatican continue de veiller sur sa communauté, et d’aider les autres, quant des conflits d’intérêts ne l’en empêche pas.