LA CRISE DES RÉFUGIÉS PROVENANT D’UKRAINE PERMETTRA-T-ELLE L’ADHÉSION DE LA ROUMANIE À L’ESPACE SCHENGEN ?

QU’EST-CE QUE L’ESPACE SCHENGEN ?

Né d’un accord datant de 1985 auquel ont originairement pris part l’Allemagne, la France, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas, l’Espace Schengen trouve son nom dans le petit village luxembourgeois où il a été signé. Il est aujourd’hui un résultat tangible et emblématique de l’intégration européenne. 3,5 millions de personnes se sont habituées à franchir quotidiennement leur frontières sans avoir besoin de montrer leur passeport ou à subir des contrôles. Cette suppression des contrôles aux frontières des pays de l’Union est non seulement synonyme d’une plus grande liberté pour ses citoyens, d’avantages économiques, mais aussi d’une sécurité améliorée. Si l’accord a été initialement créé parallèlement à l’Union européenne, il a finalement été intégré dans sa législation et fait désormais office de pilier central pour soutenir le marché unique. Ses frontières sont surveillées et sécurisées par l’agence Frontex qui aide les états et l’Union Européenne à gérer ses flux entrants et sortants depuis 2004. Cette large zone couvre aujourd’hui 26 pays : 22 des 27 membres de l’UE, et l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège, et la Suisse, tous membres de l’association européenne de libre-échange. L’Espace Schengen concerne en tout 420 millions de personnes, et son adhésion requiert le respect de règles communes ainsi qu’une bonne gestion des frontières extérieures à laquelle s’ajoute l’application d’une politique de coopération policière efficace et d’échange d’information sur la sécurité. Une poignée de pays de l’Union Européenne cherchent toujours à pouvoir profiter de ses avantages, dont ceux de l’exemption de passeports. On retrouve plusieurs candidats sur cette liste d’attente, dont l’Albanie, le Monténégro, la Serbie, et… la Roumanie, dont la Commission Européenne a pourtant reconnu, il y a 12 ans de cela, la validité de sa candidature, qui remplissait toute les conditions à son adhésion.

LA ROUMANIE EN STAND-BY DEVANT LES PORTES DE L’ESPACE SCHENGEN,

Membre de l’OTAN depuis 2004 et de l’Union Européenne depuis 2007, la décennie d’attente pour rentrer dans l’Espace Schengen est source de frustration pour Bucarest, dont les citoyens ont toujours besoin de visa pour se déplacer au sein de ses frontières. Le parlement Européen avait, dés 2011, adopté une résolution faisant pression sur les politiciens pour qu’ils approuvent les candidatures roumaine et bulgare. En effet, le feu vert final revient au Conseil de l’Union Européenne et ses 27 pays. L’approbation d’un nouveau membre doit être entériné à l’unanimité. Un seul « non » peut effectivement geler l’ensemble du processus.

En 2011, l’Allemagne, la Finlande, la France, la Suède et les Pays Bas se sont opposés à sa candidature en raison de préoccupations liées au crime organisé, aux réformes judiciaires, et à la corruption, la Roumanie faisant partie des pays les moins bien classés des états  membres de l’UE dans l’indice de perception de la corruption rendu publique chaque année par Transparency International. Puis, la crise migratoire de 2015 provenant de la méditerranée et des Balkans est devenu l’enjeu principal pour Schengen, en éloignant encore Bucarest de ses espoirs d’admission. L’épisode COVID-19 avait pesé positivement dans la balance pour le pays, en raison du gel partiel des flux migratoires. Mais le 8 décembre 2022, c’est l’Autriche qui a posé son véto face à la Roumanie (et à la Bulgarie), estimant qu’elle accentuerait la hausse d’arrivée migratoire. Le ministre autrichien de l’intérieur Gerhard Karner  s’en plaignait le 9 décembre 2022: « Cette année, nous avons enregistré 100 000 passages illégaux à la frontière autrichienne, et c’est plus que suffisant ».

Les flux migratoires arrivés de la route occidentale des Balkans est effectivement un enjeu majeur pour l’Espace Schengen et ses pays . Frontex récence 140 000 entrées irrégulières dans l’UE depuis janvier 2022. Loin d’atteindre les 764 000 migrants enregistrés en 2015, cette situation a poussé l’Autriche et la République Tchèque à réintroduire des contrôles aux frontières, et a poussé la Commission Européenne à présenter un plan d’action pour tenter de réduire l’afflux par cette voie, comme elle l’a fait récemment pour la route de la Méditerranée centrale. Cette donc d’une main préoccupée par la situation migratoire, que le Conseil de la Justice et des Affaires Intérieures de l’Union Européenne s’est vue balayer la candidature roumaine.

LA GUERRE EN UKRAINE, UNE AUBAINE ROUMAINE ?

Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne marquée par la date clef du 24 février 2022, plus de 360 000 ukrainiens se sont rendu en Roumanie, et 82 000 sont restés (chiffres du 12/12/22). Partageant sa frontière est avec l’Ukraine, la Roumanie est un des derniers remparts avant les pays de l’Union Européenne. Sa non-appartenance à l’espace de libre circulation européenne constitue un obstacle sur la route des réfugiés ukrainiens. Si la vice-président Kamala Harris, en visite à Bucarest, constatait les efforts du président romain Klaus Iohannis dans son rôle en tant que membre de l’OTAN, les chefs d’état français, allemands et suédois ont également noté l’effort roumain pour protéger les frontières extérieures de l’UE et prouver sa légitimité à être dans l’Espace Schengen. La volonté de faciliter le trajet des grandes victimes de cette guerre russo-ukrainienne pourrait donc servir de laisser passer à la Roumanie, pour finalement être intégré à cet espace. Détournant le regard des problèmes endémiques de corruption nationale, les pays de l’Union Européenne pourraient décider d’ouvrir la porte aux 19 millions de roumains. Un nouveau véto quant à son admission serait alors sévèrement critiqué par les pays de l’OTAN et de l’UE, dont les yeux sont rivés sur les itinéraires des Ukrainiens. Déjà victime de boycott depuis son véto du 8 décembre, l’Autriche n’aurait alors d’autre choix que de resserrer les rangs derrière l’image de bienveillance et de terre d’accueil que souhaite renvoyer les institutions occidentales à l’égard de l’Ukraine, l’avancée roumaine, dont les débouchés restent à suivre, pause plus largement la question de l’impact de la guerre ukrainienne et de ses réfugiés sur le positionnement des institutions internationales et européennes vis-à-vis des Balkans, terre d’accueil mais surtout de passage des flux migratoires venant de l’Est.