Des années 50 aux années 80, le monde a vu Armstrong marcher sur la lune, le lancement d’une première station spatiale, l’envoi d’une première sonde sur Mars, les premières navettes spatiales, et le drapeau américain planté sur notre satellite lunaire. De la mission Spoutnik jusqu’à Apollo en passant par l’opération Persévérance, la seconde partie du XXème siècle à été marquée par une « course à l’espace » dans laquelle les puissance américaine et soviétique se sont affrontées. Si la fin de la guerre froide a marqué un désintéressement général du domaine spatial, plusieurs enjeux poussent les grandes puissances à revoir à la hausse leur budget consacré à ce domaine depuis le début du XXIème siècle, et ce, pour plusieurs raisons. Quels sont les nouveaux enjeux et les acteurs de l’exploration et de la conquête de ce lieu hautement symbolique ? Assiste-t-on à une course à l’espace 2.0 ? Et quelles en seront les conséquences ?
UNE COURSE A L’ESPACE 2.0
Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherches au CNRS, constate une augmentation quantitative et qualitative des moyens mis en place par les acteurs internationaux depuis les années 2000 pour obtenir le titre de « puissance spatiale » et rejoindre le « Club spatial » informel très fermé des puissances capables de lancer leur propre satellites, comptant une dizaine de pays. Si la France, dont le Centre National d’Etudes Spatial (CNES) est le plus gros contributeur de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) grâce à la coopération européenne, elle ne se place qu’à la troisième place du podium avec un budget de 7,15 milliards d’euros en 2022, après la NASA et ses 24 milliards d’euros de budget, et la CNSA chinoise et ses 8,4 milliards d’euros. De son côté, l’agence spatiale russe ROCOSMOS, toujours capable d’assurer des lancements, voit son budget réduit à 2,5 milliards d’euros depuis le début de la guerre en Ukraine. Outre ces mastodontes, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Iran, et les Corées du Nord et du Sud, sont aussi capables d’assurer des lancements spatiaux. L’état des des forces en présence reste déséquilibré. En 2019, sur les 102 tentatives de lancement orbital, la Chine, les États-Unis et la Russie en ont réalisé 84 %, contre 8 % pour l’Europe, 6 % pour l’Inde et 2 % pour le Japon.
POLITIQUE ET ÉCONOMIE SPATIALE : PRESTIGE ET RESSOURCES
De son aspect symbolique à ses avantages très concrets, les raisons du regain d’intérêt pour le domaine spatial sont plurielles. Elle représente sur le plan idéologique, la vitrine de la puissance politique d’une nation, et lui permet ainsi de justifier aux yeux du monde, forte d’une puissance technologique suffisante pour accéder à ce domaine, la position dominante de son modèle politique et social. En termes de ressources, l’exploration spatiale promet la création d’une industrie et d’une économie fructueuse. La sonde chinoise Chang’e 1 avait confirmé dès 2009, la présence d’Hélium 3, une ressource au fort potentiel énergétique, sur la Lune. Plus généralement, l’espace regorge de minerais et de terres rares. Mars contient des réserves de cuivre, de nickel, de platine et de fer, et les astéroïdes gravitant autour des planètes les plus proches se sont avérés riches en or, en rhodium, ou en cobalt. La concentration en métaux rares y est jusqu’à 100 fois supérieure que sur terre. Le marché spatial pourrait alors représenter plus de 100 milliards de $ pour les industries d’ici 2050. Asteroid Mining Corporation, Planetary Resources et Deep Space se sont d’ailleurs déjà lancées dans la conception de machines capables d’extraire ces ressources.
ENJEU MILITAIRE, RENSEIGNEMENT ET OBSERVATION
Si l’espace peut servir d’alternative pour connecter le monde, pour l’Inde par exemple qui compte développer son réseau satellitaire pour étendre l’accès à internet de sa population, il représente aussi un enjeu militaire majeur. La maîtrise de l’espace extra-atmosphérique rend possible le déploiement d’un panel militaire et stratégique. De la navigation satellitaire, à la détection antibalistique, en passant par le guidage de drones ou de missiles, l’observation, l’écoute, ou la communication, ces éléments ont une place de plus en plus importante dans l’arsenal des armées modernes et au sein de la GEOINT (« Géopolitical Intelligence »). Chaque puissance dispose de son propre réseau. Le GPS américain, le GLONASS russe, le BEIDOU chinois, et le GALILEO européen se partagent les frontières et les territoires du monde.
L’ESPACE, REFLET DE LA GÉOPOLITIQUE TERRESTRE
Après la concurrence bipolaire russe des années 50, de nouveaux axes de rivalités et de coopération se sont mis en place sur terre et ailleurs… Dès le lendemain de la chute du mur de Berlin, la diversification des acteurs internationaux s’est accompagnée d’un développement du multilatéralisme dans le cosmos, qui reflète logiquement l’état de la géopolitique terrestre. L’importance des programmes spatiaux, japonais, indiens, coréens et iraniens sont proportionnels à leur influence sur la scène internationale. Le lancement de la sonde spatiale « Espoir » en orbite autour de Mars des Emirats Arabes Unis témoigne quant à elle, de leur montée en puissance. Sur terre ou dans l’espace, les difficultés européennes résidant dans la multiplicité de ses acteurs sont les mêmes. Les 11 milliards d’euros de budgets répartis dans le CNES français, l’Agence Spatiale Européenne, les projets spatiaux européens, les coopérations variées de constellations de satellites, et les différents projets nationaux, empêchent une avancée notable, qu’une centralisation pourrait faciliter. La Russie, quant à elle, lève de moins en moins les yeux vers le ciel. Elle conserve un rôle clef au sein de l’ISS et de la base Baïkour au Kazakhstan, qu’elle administrera jusqu’à 2050, mais les avancées les plus récentes son marquées par son absence et soulèvent des risques quant à son déclassement, notamment aux vues de la fulgurante avancée chinoise
FUTUR THÉÂTRE DE LA CONCURRENCE SINO-AMÉRICAINE
Avec un budget annuel de 50 milliards de $ en 2019, les USA restent les maîtres de l’espace, seul pays à pouvoir utiliser l’espace à des fins militaires de manière poussée, notamment grâce à la création de l’US Space Force sous le mandat Trump.Mais à force de méthode et d’efficacité, le budget chinois de 10 milliards de $ permet à Xi Jinping de rattraper son retard. En septembre 2011 Pékin lançait Tiangong 1 (Palais céleste 1), sa première station spatiale prototypale, le 3 janvier 2019, elle annonçait être parvenue à faire germer des graines de coton sur la lune, et en elle devenait en 2020, la 2ème puissance à planter son drapeau sur lune grâce à un robot. Le projet commun sino-russe d’une station lunaire concurrence directement celui de l’opération « Lunar Gateway » lancé par Trump et confirmé par Biden, visant à installer une station en orbite lunaire, en coopération avec le Canada et l’Europe. Quant au projet « Artémis » lancé le 16 novembre 2022, il remplace l’abandon du projet « constellation » de la NASA, et prévoit de refaire marcher un américain sur le satellite terrestre d’ici 2025. La lune est l’épicentre de la concurrence sino-américaine, mais les deux puissances regardent déjà au-delà. En février de l’année dernière, deux robots mobiles (« Rovers ») américains et chinois se sont posés sur Mars à quelque mois d’intervalle pour étudier son sol. Aussi, le livre blanc spatial chinois de l’année 2022 prévoir l’envoi d’un vaisseau sur la planète en 2028 et le déblocage d’un budget colossale dédié à l’exploration de Jupiter et de ses océans dés 2029. Elle pourrait ainsi rejoindre la mission JUICE de l’ESA (Europe Space Agency) et la mission « Clipper » de la NASA.
VERS LA GUERRE DES ÉTOILES ?
Certains territoires comme l’Ukraine, Taïwan ou le Donbass font l’objet de tensions géopolitique et son témoins d’affrontements. Certains s’inquiètent alors, au même titre, des conséquence de la dispute du territoire spatial. En 2017, le rapprochement d’un satellite russe de l’appareil franco-italien « Athena-Findus » dans un but d’espionnage était jugé hostile par les français, qui lançaient 4 ans plus tard, 3 satellites espions en réponse à cette menace. En juillet 2020 la Russie se voyait de nouveau accusée de tester des armes capables de cibler des satellites américains et anglais. Les conflits seront de plus en plus fréquents autour de la question spatiale, pourtant, une « guerre des étoiles » n’est pas non plus à prévoir. La destruction de satellites engendre des débris aux trajectoires incalculables capables de grands dommages. En revanche, la défense des installations terrestres réceptrices des informations satellitaires verront probablement leur défense renforcée face à leur importance stratégique.
DES EXCEPTIONS DE COOPÉRATION AU NOM DU PROGRÈS
Les acteurs internationaux adaptent de plus en plus leur jeu aux enjeux spatiaux, sachant parfois faire preuve de coopération au nom du progrès scientifique. L’ISS (Station Spatiale Internationale) rassemble américains, Russes, Canadiens et Japonais grâce à l’infrastructure aux 100 milliards de $. Les chercheurs s’accordent à prédire la « décennie prodigieuse » pour le secteur spatial, mais la multiplication par 10 d’objets en orbite d’ici 2040 soulignent l’urgence d’une règlementation.
LA QUESTION DES FRONTS PIONNIERS ET LA LÉGISLATION DE L’ESPACE
En 2022, la course à l’espace a donc bien repris, et dans cette compétition ou le principe du « winner takes it all » (« Le gagnant remporte tout ») semble s’appliquer, les acteurs de la communauté internationale se posent de plus en plus la question de la légifération du cosmos et des fronts pionniers, des territoire considéré comme inhabité, inoccupé ou inapproprié et convoité par une ou plusieurs sociétés humaines en raison de son espace et de ses ressources. Il est interdit pour tout acteur, depuis 1967, de s’approprier l’espace extra-atmosphérique. Le « Traité de l’espace » signé par 132 pays interdisant toute revendication de souveraineté, censé rendre l’espace ouvert à tous. Certains pays, comme le Luxembourg ou les Emirats Arabes Unis et leur 54 articles législatifs ont déjà établi une réglementation spatiale précise. Mais en signant le « Space Act » en 2015, les USA d’Obama se retiraient de l’accord international, et le premier président afro-américain permettait aux entreprises américaines de s’approprier et de vendre les ressources extraites de l’espace.
PRIVATISATION DE L’ESPACE
La question de la privatisation de l’espace fait partie des enjeux majeurs de la prochaine décennie. Le recours aux entreprises privées dans le domaine spatial n’a rien de nouveau, Boeing et Lockheed Martin, fournisseurs de la NASA depuis 50 ans en témoignent. Ce sont en revanche ces nouveaux acteurs privés qui tentent d’imposer leur propre vision de l’espace et qui s’en donnent les moyens qui marquent une étape inédite. L’espace, comme de nombreux domaines, dépasse peu à peu les rivalités institutionnelles en devenant le lieu d’affrontement de puissants capitaux privés mondiaux, le terme de « New Sapce » désignant ce phénomène entrepreneurial, les agences Space X et Starlink du milliardaire Elon Musk, la filière Blue Origin de Jeff Bezos, Rocketlab, ou encore Virgin Gaalactic en sont les principaux acteurs. Parmi les projections des entrepreneurs dans cet espace plus si publique que l’on ne le voulait, on retrouve les projets de diffusion d’internet à haut débit, le maillage spatial qui pourrait atteindre 40.000 satellites d’ici 2023, ou les objectifs à court terme de tourisme spatial de Space X lancé par Elon Musk, à l’image du projet « Kuiper » de Jeff Bezos.
Toujours plus puissants, les acteurs privés sollicitent, collaborent, et influencent les institutions. La fusée Crew Dragon de Space X à récemment décollée pour une mission commerciale organisée par la startup Axiom Space, qui prévoit la création d’un hôtel raccordé à l’ISS d’ici 2024. Quant au financement de la société israélienne Spacell dans sa mission lunaire par Space X en 2019, il pose la question de l’indépendance des institutions face à leur redevances. Plus marquant, en 2019, le refus du satellite de Starlink de dévier sa trajectoire de celle d’un satellite de la Station Spatiale Européenne qui poussera cette dernière à dévier en catastrophe, illustre parfaitement l’influence sinon la domination croissante du domaine privé.
LE FUTUR DU DOMAINE SPATIAL
Reflet de la géopolitique terrestre dans ses acteurs, ses rivalités et ses enjeux, l’espace se profile aussi comme futur terrain de compétition économique. Comme tout nouvel enjeu, à l’instar des nouvelles technologies, ou des questions climatiques, son absence de réglementation scellera peut-être la domination de la puissance qui parviendra le mieux à l’exploiter, dans le domaine stratégique, notamment de la défense, de l’aéronautique, des technologies spécifiques aux lanceurs, de la surveillance, et des systèmes orbitaux.