LES ÉTATS-UNIS EN 2022, UN RECUL DE L’INFLUENCE AMÉRICAINE DANS LE MONDE ?

« Je ne veux pas de seconde place pour les USA » lançait Barack Obama lors de son premier discours sur l’état de l’Union en janvier 2010. Voilà quelques mots qui résument à la perfection l’horizon stratégique des USA de la fin des années 1990 à aujourd’hui. Le pays se donne les moyens de conserver son hégémonie en dépit de celle des autres. L’ancien Secrétaire d’État remarquait : « Dans la première moitié du XXème siècle, les USA ont mené deux guerres pour empêcher la domination de l’Europe par un adversaire potentiel… Dans sa seconde moitié, à partir de 1941, ils ont ensuite mené trois guerres pour revendiquer le même principe en Asie, contre le Japon, en Corée et au Vietnam ». 

Ayant pour but de creuser l’écart entre ses concurrents russes et chinois, Washington n’a pas lésiné sur les moyens. Pourtant, le discours de l’ancien président Donald Trump « Make America Great Again » annonçait déjà de manière contradictoire la volonté de retrouver une situation et une influence égale à celle de leur âge d’or, celle de leur apogée, en 1950. Les USA se relèvent toujours des crises qui les secouent. Ils restent, comme expliqué précédemment, une puissance militaire indéniable et se placent du côté des vainqueurs de la globalisation, mais font pourtant de plus en plus défaut à leur rôle de puissance stabilisatrice, garante de l’ordre mondial.

UNE PERTE D’INFLIENCE DEPUIS LES ANNÉES 2000

La perte d’influence des États-Unis se fait sentir depuis le début des années 2000. Les attentats de 2001 et ses 3000 morts ont été considérés par beaucoup comme le symbole de la perte de la toute-puissance que Washington avait acquise à la fin de la guerre froide. Ensuite, la politique isolationniste et le désintéressement de Trump pour la politique étrangère ont remis en cause des pans entiers du soft power américain et de son influence au-delà de ses frontières. Plus récemment, le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan vient s’ajouter aux échecs de Joe Biden dans le Golfe qui à du faire face au refus du prince Mohamed Ben Salman quant à l’augmentation de sa production de pétrole. On compte aussi parmi les échecs de la politique étrangère américaine, sa perte d’influence en Amérique Latine suite au Boycott du président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador du sommet des Amériques du 8 juin 2022, en réaction à l’exclusion de Cuba des dialogues, jugés injustes par une partie de la communauté internationale. Aussi, le retrait des Etats Unis de l’accord iranien sur le nucléaire et sa réduction des financements de l’OTAN ont privé le pays d’outils coopératifs nécessaires à l’endiguement de ses concurrents russes et chinois.

LA CHINE, UN NOUVEAU CONCURRENT

La Chine défie de plus en plus les USA au sein des organisations internationales. Si elle ne fait pas partie de l’OTAN, elle reste le deuxième contributeur au sein de l’ONU, organisation au sein de laquelle plusieurs observateurs remarquent la tendance trop importante des fonctionnaires chinois nommés à se comporter comme des instruments du pouvoir chinois. L’Empire du Milieu est aussi parvenu à placer l’un de ses ressortissants à la tête de chacune de ces quatre agences spécialisées des Nations unies : l’Union internationale des télécommunications, l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’ONUDI (pour le développement industriel), et la FAO.

Au Moyen-Orient et en Amérique Latine aussi, la Chine séduit les alliés traditionnels américain en intensifiant les partenariats économiques avec Riyad et en signant de nouveaux accords dans les domaines agricoles, aéronautiques, nucléaires et pétroliers, avec le Brésil, le Chili, l’Argentine et le Venezuela. Elle coopère également avec Israël dans le domaine militaire et vient donc menacer sa relation privilégiée avec Washington. Son avancée diplomatique fulgurante en Afrique dans les anciennes colonies européennes renforce ce nouveau sentiment d’encerclement de l’occident. Il y a 10 ans, la dette de l’Afrique à l’égard de la Chine était minime. Aujourd’hui, alors que Pékin y multiplie les investissements via son gigantesque programme des Routes de la Soie, elle est d’environ 140 milliards de dollars. Le Nigéria, le Soudan ou l’Angola ont également su tirer profit des investissements chinois dans l’exploitation, le raffinage et le transport d’hydrocarbures. Depuis 2010, la Chine, bien décidée à entrer en concurrence directe avec les grandes puissances moniale, se lance dans la construction de semi-conducteurs ainsi que dans l’ingénierie aéronautique, nucléaire et spatiale. Elle ira, après avoir finit l’assemblage de la « Grande Station Modulaire Chinoise », jusqu’à annoncer la création d’une base lunaire d’ici 2030. Quant à son projet des nouvelles routes de la Soie lancé en 2013, il permet, malgré quelque contestation, d’étendre à leur tour l’influence chinoise par des vois maritimes et ferroviaires allant jusqu’à l’Europe, et passant par le Kazakhstan, l’Allemagne, Djibouti, la Somalie, ou encore par la Biélorussie, la Pologne, empiétant ainsi sur les anciens territoires faisant partie de la chasse gardée russe : un autre puissance concurrente des États-Unis, au moins en terme de zones d’influences.

POUTINE, L’HÉRITIER DU BLOC DE L’EST

La Russie entreprend depuis les années 2000 de renforcer son potentiel militaire et politique, notamment via le développement d’armes stratégiques offensives. Plus récemment, le conflit en Ukraine et la pénurie mondiale d’hydrocarbures a permis à la Russie de contraindre ses opposants à tendre l’oreille quant à son cahier des charges. Vladimir Poutine ne cherche pas non plus à cacher le chantage énergétique qu’il inflige aux pays sortis de son giron, et adopte des positions diplomatiques, notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies, de moins en moins conciliantes avec les intérêts américains. Quant aux sanctions imposées à la Russie par l’Union Européenne et les puissances du G7, le prix plafond sur le pétrole russe et son embargo peinent à réduire la manne financière de la Russie. Présente en Afrique où elle use de moyens irréguliers et extralégaux pour étendre son influence, notamment en déployant mercenaires, désinformation, ingérences électorales, soutien aux coups d’État, et accords d’échanges d’armes contre des ressources, Moscou a obtenu de 25 des 54 pays africains l’abstention lors des votes de l’assemblée générale de l’ONU en mars dernier pour condamner son invasion en Ukraine. Aussi présente au Moyen-Orient, où elle prétend au nouveau titre presque vacant de gendarmes du monde, la Russie comble le vide laissé par l’Oncle Sam dans la Syrie de Bachar El-Assad. Elle renforce ses liens avec l’Iran d’Ebrahim Raïssi grâce à des contrats de vente d’arme, et obtient, de manière plus générale, une certaine discrétion et une prudence diplomatique de plusieurs pays arabes quant à la condamnation de ses opérations militaires. Vladimir Poutine parviendra même à faire douter quelque temps l’Allemagne du social-démocrate Frank-Walter Steinmeier quant à son alignement sur les sanctions internationales, parfaitement conscient des avantages énergétiques que représentait le projet Nord Stream 2.

UNE CIRSE PASAGÈRE OU LE DÉBUT DU DÉCLIN POUR LES USA ?

Avec la remise en question de ses institutions suite à l’assaut du Capitol le 6 janvier 2021, et les velléités d’indépendances Latines et Moyen-orientales, les USA ont de quoi se remettre en question. Les progrès techniques et technologiques chinois en termes d’armement progresse à une vitesse fulgurante. De leur missile hypersonique, à l’avion de 5e génération J-35, en passant par les drones furtifs, ou l’augmentation du nombre de navires de la marine, Xi Jinping fait de plus en plus obstacle à la suprématie américaine, qui conserve tout de même un PIB bien supérieur à la Chine (21 000 milliards de $ contre 15 000 milliards de $), qui lui permet d’investir près de 500 milliards de $ de plus que sa concurrente dans le domaine militaire (780 milliards contre 300 milliards pour les chinois).

VERS UNE RECONFIGURAITON DE L’ORDRE MONDIAL

La guerre en Ukraine a finalement permis aux Etats Unis de procéder à la réunification et à l’élargissement de l’OTAN, et de montrer les muscles sur le vieux continent en y envoyant 100 000 soldats, une première depuis 2005. Pourtant, il est possible de deviner l’avènement d’une nouvelle configuration de l’ordre mondial, d’une modification des rapports de force, et de l’avènement de nouveaux axes fédérateurs impliquant une nouvelle polarisation du monde autour d’oppositions et de clivages inédits, au regarde de ce bilan de l’étendue variable de l’influence américaine. Le paradoxe est qu’aujourd’hui, les États-Unis ne cherchent plus, pour des raisons internes plutôt qu’externes, à laisser libre cours au déploiement de leur puissance. Ils semblent se dédouaner de leur rôle de gendarme mondial. Ce mélange complexe d’interventionnisme retenu et d’une nouvelle tendance isolationniste laisse place à une reconfiguration de l’ordre mondial.

Comme semblait l’annoncer le rapport récemment paru du NIC sur l’état du monde en 2040, les instances internationales ont tendance à être négligées. Pour autant, le États-Unis ne s’impose pas non plus comme centre névralgique des décisions et des impulsions politiques occidentales. Ils ne s’effondrent pas non plus, et il n’est pas prévu qu’ils soient relayés au second plan. Mais ils devront apprendre à partager leur leadership avec les pays de l’Union Européenne pour faire face à la concurrence orientale et asiatique, en se référant par exemple à l’élan coopératif que la crise ukrainienne a engendré. Au regard de ces évènements et de ces nouveaux défis, on devine une nouvelle polarisation mondiale. Deux nouveaux blocs s’érigent : celui de la démocratie et des valeurs occidentales, et celui qui préfère l’efficacité dans la gouvernance plutôt que la démocratie, composé de régimes souvent autoritaires qui s’opposent aux valeurs occidentales. C’est donc au sein de ce premier axe que les USA devront peut-être s’impliquer en en devenant un composant essentiel, sans pour autant en être le leader incontesté et tout-puissant. Peut-être alors que la clé de cette coopération, dans un objectif de défense des intérêts communs occidentaux et démocratiques, réside dans la valorisation et la promotion d’organes internationaux, permettant la prise de décision commune et le ralliement de nouveaux acteurs, capables de fédérer, et d’être dirigés par plusieurs pays, sur les mêmes principes que l’ONU ou l’OTAN.