Thucydide a dit peu avant sa mort « L’équilibre de la crainte est la seule garantie d’une alliance ». Alors l’OTAN, né de la peur d’une invasion soviétique de l’Europe de l’Est a-t-il toujours lieu d’être dans ce monde multipolaire? Comment fonctionne l’OTAN au lendemain de la guerre froide, privé de son but premier ? Est-il devenu le symbole d’un déséquilibre flagrant dans la coopération transatlantique entre l’Europe et les USA ? Comment et pourquoi est-il devenu une organisation si contraignante que la puissance américaine s’en désintéresse ?
Ce sont autant de questions complexes que cet article tente d’élucider.
L’INSTRUMENT DE L’HÉGEMONIE
L’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) est une alliance politique et militaire dont le siège est à Bruxelles. Elle réunit 30 pays d’Europe, D’Amérique du Nord, et la Turquie, pays proche-oriental, et est placé sous l’autorité d’un comité militaires composé des chefs d’état majors des pays membres. Ces derniers organisent leur défense et coopèrent dans les domaines politiques et sécuritaires dans un but d’assistance militaire mutuelle en cas d’agression.
CRÉÉ DANS UN CERTAIN CONTEXTE
Doté de lourds moyens opérationnels, l’origine du Traité de l’Atlantique Nord, synonyme de la puissance et de la coopération occidentale, remonte au 4 avril 1949, lorsque 12 pays dans un contexte d’Europe en ruine et incapable de se prémunir contre une attaque soviétique, décident de s’unir, tout en se plaçant sous l’aile protectrice de l’Oncle Sam et de son Plan marshal. « Une attaque portée contre l’un des pays membres est considéré comme une attaque contre tous » déclarait le président américain Truman s’adressant indirectement à Gorbatchev, auquel il s’opposait en tout point, dans ce monde bipolaire d’après-guerre.
Jusqu’à l’éclatement du régime soviétique en 1991 et de son pacte de Varsovie créé en réponse à l’OTAN, l’organisation avait pour unique but de dissuader l’URSS de toute expansion vers l’Europe de l’Ouest.
L’OTAN POST GUERRE-FROIDE :
Incapable de se fonder sur la crainte de la menace communiste depuis son effondrement, et sans nouvelles menaces comparables émergente, l’OTAN voit son existence menacée, mais survit à la disparition du Bloc de l’Est. Si en 1989, le secrétaire d’état James Baker avait recommandé de modifier les fonctions de l’OTAN en reflétant l’évolution géopolitique européenne, c’est bien la volonté de conserver le lien le plus visible de la coopération transatlantique sous sa forme institutionnelle qui l’emportera. Les divergences de points de vue entre ses partenaires sur les décisions de l’OTAN s’effacent devant le socle de valeur et d’intérêts communs dont ils font preuve. Au lendemain de la chute du mur, l’organisation s’étends donc à des missions de gestions de crises et de maintien de la paix en diversifiant ses moyens d’action au-delà de ses frontières. Les pays attaché à la souveraineté comme la Chine, la Russie ou l’Inde, le voient d’un mauvais œil.
DE NOMBREUSES MISSIONS ÉXÉCUTÉES
L’OTAN s’est impliquée dans la deuxième guerre du golfe en 2003, a apporté son aide aux victimes du terrible tremblement de terre au Pakistan et de l’ouragan Katerina en 2005
Il a aussi montré son soutien au peuple Libyen en 2011 et s’est opposée au dictateur Kadafi en instaurant des embargos, des zones d’exclusions aériennes et en commandant des frappes aériennes et navales contre les troupes du régime, condamné pour violation flagrante et systématique des droits de l’Homme.
DE NOUVEAUX OBJECTIFS ET MISSIONS EN COURS
Encore aujourd’hui, l’OTAN déploie ses forces militaires et diplomatiques de bien des manières, dans plusieurs missions en cours.
Les 3700 soldats des pays membres déployés au Kosovo ont pour mission d’instaurer un environnement sûr, de veiller au maintien de l’ordre et de faciliter un dialogue avec la Serbie tout en appuyant des actions humanitaires. En Méditerranée, des moyens contre le terrorisme international sont déployés depuis 2001 sous le nom de l’opération « Endeavour », remplacée depuis 2016 par les « Sea Gardiens ». En Irak, la « Mission Otan Irak » tente progressivement de remplacer les institutions et les forces de sécurité irakiennes depuis 2018. Enfin, l’OTAN soutien fermement l’Union Africaine. Il offre son aide au Soudan en 2005, à la Somalie en 2007, et soutient la Force Africaine (FAA) en lui fournissant des experts et formateurs dans le domaine militaire.
Ainsi, l’OTAN promeut peu à peu des valeurs démocratiques et développe son aspect diplomatique en mettant un point d’honneur à régler pacifiquement les conflits. Depuis la fin des années 1990, l’OTAN se concentre sur la lutte contre le terrorisme, contre les cyber-attaques, le secours aux populations en danger, la conservation de son intégrité territoriale, et plus récemment, contribue aux efforts déployés par le secteur civil pour lutter contre la pandémie dans les états membres. Alors que la « chute du mur » menaçait son existence, on observe chez l’OTAN une accélération de la cadence des opérations ainsi que leur diversification et une augmentation de la participation d’autres pays membres que les Etats Unis.
Cependant, un déséquilibre frappant persiste entre la puissance américaine et les autres pays au sein de l’Union. Aussi, l’augmentation du nombre de ses membres et son fameux article 5 sont autant d’objection contraignantes au bon déroulement de la coopération entre ses membres.
UN ORGANISATION CONTRAIGNANTE ET DÉSÉQUILIBRÉE :
LA SUPRÉMATIE AMÉRICAINE
Selon le site officiel de l’OTAN, depuis les années 2010, les USA participent à hauteur d’environ70% du budget de l’organisation. Elle dépense 683 milliards de $ en 2017 (72% du budget).
A la manière d’un actionnaire qui détient la majorité des parts d’une grande entreprise, le géant américain s’est vu lancer des opérations à plusieurs reprises sans l’avale de l’OTAN, ou pire, malgré la désapprobation d’autres organisations partenaires comme l’ONU.
En 1999, Bill Clinton lance une opération aérienne au Kosovo, après l’échec de la voie diplomatique. Les USA s’emparent du rôle du siège de l’Organisation à Bruxelles et lancent des frappes aériennes que les européens ne peuvent que désapprouver politiquement.
La même année l’Intervention de l’OTAN lancée sans l’autorisation de l’ONU en Serbie se couronne par des frappes aériennes « accidentelles » sur l’ambassade de chine à Belgrade. Le chef d’état-major américain à l’origine de cette attaque aurait oublié de prévenir ses homologues…
En 2003, c’est la présence d’armes de destructions massives en Irak qui aura suffit de prétexte à l’administration américaine pour agir sans mandats onusiens et contre la volonté de l’Allemagne, de la Russie et de la France, qui refusaient catégoriquement une opération contre Saddam Hussein
Face à cette indépendance américaine autoproclamée au sein de l’organisation, l’Europe constate malgré-elle la trop grande puissance des USA et la trop faible indépendance du vieux continent dans l’OTAN.
L’IMPERATIF D’UNE AUTONOMIE EUROPÉENNE
Si ce rapport de force n’était pas problématique dans le monde bipolaire de la guerre froide, cela l’est lors de conflits de faible ampleur, où les intérêts et risques européens ont aussi leur importance. Il est alors devenu impératif pour l’Europe de renforcer ses propres forces militaires et décisionnelles. Le président Emanuel Macron s’est fait le chantre d’une souveraineté européenne aux contours flou qu’ils s’est efforcé d’appliquer lors de sa présidence au Conseil de l’Union Européenne. Synonyme d’indépendance, la souveraineté européenne et seulement européenne est vue d’un mauvais œil par certains des pays membre de l’OTAN. Varsovie porte un regard inquiet sur l’avancée russe en Ukraine, et ne trouverait aucun intérêt à ce que les USA négligent la défense de l’Europe.
Malgré les réticences polonaises à le reconnaitre, l’OTAN rencontre plusieurs difficultés. Fervent défenseur d’une Europe souveraine, le président français avait marqué les esprits en déclarant le 8 novembre 2018 devant les journalistes de The Economist, la « Mort cérébrale de l’OTAN ».
L’OTAN « EN ÉTAT DE MORT CÉRÉBRALE » ?
Il dénonçait le manque de coordination entre les USA et l’Europe ainsi que le comportement unilatéral de la Turquie lors de l’épisode syrien, et appelait à clarifier les stratégies de l’OTAN pour muscler sa défense. Malgré l’importance de la Turquie, seul pays musulman dans l’organisation certains de ses comportements restent « indignes du traité ». L’achat d’Erdogan de missiles S-400 à la Russie et son chantage envers la suède sur son prétendu laxisme envers les réfugiés Kurdes qu’elle refuse d’extrader vers Ankara interrogent sur l’unité de l’OTAN.
« Si Bachar al Assad attaque la Turquie, vas-t-on réellement s’engager auprès d’Erdogan ? » Demande E. Macron aux journalistes du monde en 2019.
Les membres de l’OTAN étaient originellement 12 à discuter défense et sécurité. Aujourd’hui, l’organisation compte 30 membres. Mais en vu de ces désaccord, l’expansionnisme américain aurait-il été contre-productif ?
30 PAYS AUX INTÉRÊTS DIFFÉRENTS
En 1999 la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque, s’ajoutent volontairement, à l’inverse du pacte de Varsovie, à la liste des états membres de l’OTAN. C’est ensuite en 2004 que sept autres pays rejoignent l’organisation : la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, et la Slovénie, suivis de l’Albanie et de la Croatie en 2009.
L’ajout de ces membres rends les prises de décisions communes bien plus complexes comme on l’a vu avec la Turquie et la Suède. Un consensus total est impossible. C’était déjà le constat du secrétaire général de l’OYTAN Lord Robertson à l’époque de « l’OTAN des 19 » : « Finalement, nous avons dû accepter le fait qu’un consensus entre les membres de l’OTAN était impossible, non par caprice mais du fait des différences politique de fond » expliquait-il au sujet de l’intervention en Irak.
Ces commentaires européens sur la dégradation de l’unité de l’OTAN poussent à s’interroger sur la pierre angulaire du traité : son fameux article 5
L’ARTICLE 5 : LA PIERRE ANGULAIRE DE L’OTAN
Il stipule que lors d’une attaque armée contre un pays de l’OTAN, l’alliance considère cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble de ses membres et prendra donc les mesures nécessaires pour venir en aide au pays attaqué. Une règle bien contraignante qui sous-entend que chaque membre devra se ranger du côté de la Turquie en cas de conflit, peu importe l’autre belligérant.
Cet article, et plus généralement la politique générale de l’OTAN sous entends une entre-aide et une communication permanente entre les états membre, et des concessions au profit d’un consensus et d’accords communs. Une politique très contraignante pour le peu d’avantages qu’elle apporte aux yeux des USA
LE DÉSINTÉRÊT DES USA
« L’épisode Kosovo » avait semé une certaine méfiance chez les hauts fonctionnaires américains.
L’opposition européenne et sa politique de limitation quant aux dommages collatéraux d’un attaque aérienne avaient été perçues comme une volonté de contraindre les forces militaires américaines et avait affaiblit la confiance de l’Oncle Sam dans l’Otan.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les USA refusent les premières aides européennes dans la lutte contre le terrorisme. Si certains l’ont perçu comme une revanche du Kosovo, il est bien plus probable que ce soit là l’expression publique d’une stratégie de réponses aux nouvelles menaces terroristes. Affranchie de l’OTAN, les USA retrouveraient une liberté d’action dans leur intervention, renoueraient avec leur passé placé sous joug de la « Manifest Destiny » et en reviendraient à leur « politique naturelle »
LA POLITIQUE NATURELLE DES USA
Si les USA avaient mis de côté leur méfiance envers tout engagement permanant à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il est bon de rappeler qu’il est dans la nature politique du pays de rester libre de toute action. En 1796, le Président Washington exprimait publiquement ses réticences à s’engager dans un accord de défense systématique et contraignant. « L’illusion d’un intérêt commun ne peu berner longtemps les américains » disait-il peu après l’indépendance américaine. En 2004 c’est d’ailleurs le seul point sur lequel s’accordaient démocrates et républicains dans leur campagne : le besoin de rester libres.
D’UNE ALLIANCE À UNE SIMPLE COALITION ?
L’inégalité des moyens militaires et économiques donne plus de poids aux arguments américains, mais l’alliance permanente impliquant un partage décisionnel constant présent que trop peux d’avantages militaires comparé aux inconvenants politiques pour les USA.
L’idée d’une alliance souple plaisait déjà à l’administration Bush, qui proposait une interprétation assez libre de l’article 5 et avait tendance à considérer l’OTAN non comme une alliance à laquelle ont fait sans-cesse recours mais comme une coalition. Le président avait d’ailleurs imaginé la construction d’un modèle de défense adaptable à chaque crise proposant un « modèle à la carte » selon ses mots. Cette nouvelle forme de coopération de « circonstance » se rapprocherai du fonctionnement de l’OTAN lors de son implication en Iraq. Cette volonté de transformation de l’alliance en une coalition de circonstance témoigne de l’évolution profonde et réfléchie des USA concernant les aspects contraignants de l’OTAN.
L’OTAN et sa « mort cérébrale » présente assez d’inconvenants pour que les USA veulent en changer la forme. Et si le président Trump, utilisait l’OTAN pour distribuer des bons et mauvais points en se servant de sa présidence hégémonique, il a aussi participé à dégrader la coopération au sein de l’organisation. La situation critique de l’OTAN inquiète les membres du traité, et les nouveaux membres arrivants qui bénéficient d’une protection garantie et ne trouvent que des désavantages dans une alliance « souple ». Heureusement, plusieurs causes engendrent une renaissance stratégique au sein de l’OTAN, voici les principales.
UNE RENNAISSANCE STRATÉGIQUE
LE MANDAT BIDEN
Le 46e président des Etats Unis Joe Biden relance les processus de coopération de l’organisation et assite au premier sommet en juin 2021. Les USA conservent leur rôle de protecteurs, et ne comptent pas faciliter l’indépendance militaire et stratégique européenne, mais garantissent leur implication dans l’Organisation, affirment vouloir conserver cette alliance et acceptent le rôle de médiateur pour clarifier les relations avec la Russie.
L’OTAN voit ses structures renforcées et deux nouvelles menaces, inédites depuis la fin de l’ère soviétique éveillent des instinct de solidarité chez les pays membres.
LE NOUVEAU DÉFI CHINOIS
Pour la première fois dans son histoire, l’OTAN prends la Chine pour cible lors du sommet de Madrid le 30 juin 2022. Il la définit comme un « défi pour sa sécurité future ». « Les ambitions de la Chine et ses politiques coercitives défient nos intérêts, notre sécurité, nos valeurs » conclut l’OTAN dans un document baptise « Concept Stratégique ».
L’AUBAINE DE LA GUERRE EN UKRAINE
Aussi, l’OTAN est une organisation défensive, donc incapable d’attaquer directement la Russie en réponse à son invasion en Ukraine. Pourtant, les prévisions de Vladimir Poutine quant à la « désintégration prochaine de l’OTAN » se sont avérées fausses. La guerre russo-ukrainienne à eu pour effet de resserrer les rangs derrière Washington dans le renforcement des positions de l’organisation sur son flanc Est. L’OTAN se dit d’ailleurs prêt à accueillir la Suède et la Finlande et montre ainsi son impassibilité face aux menaces russes.
UNE COHÉSION RENFORCÉE FACE AUX NOUVELLES MENACES DE L’EST
L’OTAN est passé par de nombreuses crises et ses membres ont vu son institution et sa forme menacée de disparaitre. Le gouffre entre l’Amérique et l’Europe à déséquilibré pendant un temps les relations transatlantiques occidentales. Et le désintérêt des USA quant à cette organisation à poussé les européens à se questionner sur leur indépendance stratégique, militaire et politique. Malgré ces difficultés, l’émergence de menace chinoise et la réaffirmation de la puissance russe marquent un nouveau tournant dans un monde devenu multipolaire. Les USA sont poussés à constater l’importance d’une coopération transatlantique pour faire face à Moscou, à Pékin, et à leur partenariat stratégique approfondis et leur tentative mutuelle de « miner l’ordre international basé sur des règles pré-établies ».