LA FIN DE L’ACCORD SUR LE NUCLÉAIRE : QUELLES CONSÉQUENCES ?

16 mois. Du 14 juillet 2015, lors de la signature de l’accord de Vienne, jusqu’à l’élection du président Donald Trump le 8 novembre 2016. C’est la période pendant laquelle l’accord sur le nucléaire aura donné de l’espoir à la population iranienne et à la communauté internationale.

« Ma priorité numéro un est de démanteler cet accord désastreux avec l’Iran » déclare Le 45e président des Etats-Unis, une semaine après son investiture en prévoyant de se retirer du pacte qui avait nécessité 15 ans de négociations pour être ratifié.

Pourquoi et par qui l’accord de Vienne a-t-il été signé, et en quoi était-il synonyme d’amélioration des relations entre l’Iran et l’Occident, pourquoi les États-Unis se sont-ils retirés de cet accord et quelles furent les conséquences de ce désistement ? Un rappel historique s’impose.

RAPPEL HISTORIQUE

En 1979, le nouveau guide suprême Ayatollah Khomeini lance la création du centre nucléaire d’Ispahan pour créer lui-même son uranium enrichi. La société Eurodif, dont le siège est à Paris, et dans laquelle le Chah avait investi près d’un milliard de dollars, avait bloqué les avoirs iraniens et refusait de remettre l’uranium enrichi à l’État iranien, suite la prise d’otage de l’ambassade américaine.

Malgré la ratification de l’Iran, en 1968, du traité de non-prolifération nucléaire, la communauté internationale découvre en 2002, deux sites nucléaires enrichissant l’uranium bien au-delà du seuil de 5% nécessaire pour un usage civil. Après l’application de sanctions en 2006, un accord sur le nucléaire est signé le 14 juillet 2015. Le Plan d’Action Global Commun, ou JCPOA en anglais est ratifié par l’Iran, les membres du P5+1 soit les membres permanant du conseil de sécurité de l’ONU (USA, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) et l’Allemagne. Cet accord permet la levée progressive des sanctions économiques visant l’Iran et permet de contrôler son programme nucléaire.

Au mépris du feu vert de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) pour entamer la levée des sanctions (2017), Donald Trump annonce le 8 mai 2018 son retrait de l’accord et sa volonté d’appliquer des sanctions « au niveau le plus élevé », n’en déplaise à l’Union Européenne qui se dit « prête à continuer d’honorer l’accord iranien ». l’Iran se retire de l’accord et relance sa production d’uranium enrichis tout en cherchant du côté européen, un moyen de contourner les sanctions économiques américaines.

Depuis son élection, le nouveau président Joe Biden organise de nouvelles cessions de négociation entre les anciens signataires visant un retour aux conditions de l’accord de Vienne par l’ensemble des partis.

 Le mandat Trump n’a pas « simplement mis en pause » l’accord de Vienne que Biden tente de relancer comme l’explique le porte-parole de la maison blanche Karine Jean Pierre dans un  communiqué de presse. Les répercussions régionales et mondiales du désistement américain ont marqué un tournant dans les relations entre l’Iran et l’occident. Pour saisir la complexité de la situation, il est important de revenir à l’origine de ce changement.

QUE CONTIENT L’ACCORD DE VIENNE ?

L’accord de Vienne permet une activité nucléaire civile sur le sol iranien mais impose de sévères restrictions quant à son usage militaire. Son objectif est de maintenir et retarder le  « break out », soit la durée nécessaire pour enrichir un uranium permettant la fabrication de l’arme atomique. L’accord contient trois points principaux. Il impose des contraintes au programme nucléaire pour au moins une décennie en limitant ses stocks d’uranium enrichis, qui doivent être exportés ou dilués au-delà de 3,67%. Il permet aussi la levée des sanctions économiques, et permet aux inspecteurs de l’AIEA des contrôles réguliers.

Avec cet accord, l’Iran ne représente plus la menace d’une nouvelle puissance nucléaire, est exemptée des sanctions qui asphyxient sa population depuis 2006 et peut récupérer ses 1,7 milliards de dollars gelés sous formes d’avoir. Chaque parti semble tirer profit de cet accord. Pourtant moins de 16 mois après sa signature en novembre 2016, le président des USA fraichement élu, affirme sa volonté de se retirer de ce traité « piètrement négocié et terriblement désavantageux ».

LE RETRAIT AMÉRICAIN, LE DÉBUT DE LA FIN

Annoncé depuis 2015, Donald Trump tient parole le 8 mai 2018 en se retirant de l’accord et en imposant de nouvelles sanctions encore plus lourdes. Agacée par cette décision unilatérale, la communauté européenne met en place un fond commun de créance nommé « INSTEX » (Instrument in Support of Trade and Exchanges ») hors de la zone dollar, pour honorer son contrat avec l’Iran et lui permettre de contourner les sanctions américaines. Cet acte symbolique n’empêchera pas L’Iran de se retirer à son tour de l’accord en 2019, et de relancer sa production d’Uranium enrichis à 60%

Outre la dégradation rapide des relations irano-américaines, ce retrait porte un sérieux coup à la crédibilité de la parole étasunienne dans la région qui provoque une « crise de confiance », et sert sur un plateau les arguments contre l’oncle Sam aux régimes anti-américains, qui se saisissent de l’occasion pour se rapprocher de l’Iran en offrant de nouveaux partenariats économiques et des voies alternatives pour contourner les sanctions

L’IRAN SE TOURNE VERS L’EST

La République Islamique s’est rapprochée de la Russie. Elle produit différentes marchandises, des médicaments et des drones pour le Grand Ours, et il est prévu qu’elle adopte son système de paiement « MIR ».  Les vols militaires entre Téhéran et Moscou ont triplé depuis la fin de l’accord, et les échanges de connaissances et les formations qu’offrent les agents iraniens à l’armée Russe, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine, rappelle la coopération dont les deux pays avaient fait preuve sur le sol syrien. L’Iran est d’ailleurs le premier pays que Vladimir Poutine décide de visiter depuis le début de l’assaut en Ukraine.

Si la Chine, partenaire discret de Téhéran, attends patiemment la levée des sanctions pour diversifier son approvisionnement en pétrole, elle trouve aussi son intérêt dans le partenariat politique et économique qu’elle signe avec le régime des Mollah pour une durée historique de 25 ans sur l’énergie, la sécurité, les infrastructures, la communication, l’achat de pétrole à prix réduits et la livraison de matériel militaire chinois à l’Iran.

Plus proche de la Russie et de la Chine qu’avant, l’Iran ne néglige pas pour autant sa diplomatie européenne en faisant du marchandage nucléaire son fer de lance

LA STRATÉGIE DE MARCHANDAGE NUCLÉAIRE

Pour le journaliste et chercheur clément Therme, la République Islamique à tout intérêt à se déclarer comme technologiquement à même de produire l’arme atomique tout en se disant indécis quat à leur volonté de souveraineté nucléaire. Le guide suprême Ebrahim Raïssi se dit capable d’enrichir un uranium à 90% tout soulignant l’aspect « haram » (prohibé par la religion) de l’arme atomique, qui n’a pourtant pas empêché son voisin pakistanais tout aussi musulman de s’en doter. A l’échelle régionale, la puissance nucléaire « non déclarée » israélienne voit cette possibilité d’un mauvais œil.

LA RIVALITÉ IRANO-ISRAÉLIENNE

Malgré les nombreuses tentatives d’Israël d’infiltrer et de déstabiliser l’institution des Gardiens de la Révolution, une riposte iranienne n’était pas à craindre pendant la période de négociation et d’application de l’accord. Or sans cette assurance, l’Iran représente une nouvelle concurrence directe à l’hégémonie régionale israélienne. Malgré ce risque, une attaque frontale de l’Iran contre l’état hébreux n’est pas prévue.

UN NOUVEAU RISQUE D’ISOLEMENT

Israël avait tout intérêt à faire preuve d’une certaine retenue dans ses assauts contre l’Iran.  Il aurait été délicat pour l’occident de formellement soutenir Israël pendant ses négociations avec l’Iran. Il est en revanche probable que les USA défendent bien plus férocement leur pied à terre au moyen orient une fois les négociations closes en cas de conflit.  Sans la Russie, enlisée dans le bourbier Ukrainien et la Turquie, trop soucieuse de rentrer dans l’Union Européenne, l’Iran ne pourrait que compter sur la chine pour ne pas faire cavalier seul face à l’occident.

 Si les relations diplomatiques de l’Iran sont affectées par la fin de l’accord sur le nucléaire, c’est aussi sa population qui souffre des sanctions

DES SANCTIONS ÉCRASANTES

Le discours officiel assure que les sanctions américaines n’ont pas l’effet escompté. Selon le porte-parole du gouvernement iranien Bahadori Jahromi « il ne reste plus rien à sanctionner, les USA ont fait tout ce qu’ils pouvaient »

L’accord avait donné de l’espoir à la population asphyxiée par les sanctions économique et commerciale, mais la faible coopération des banques et le long délai des bénéfices de cet accord à se faire sentir n’ont pas eu le temps d’alléger la population iranienne. Depuis 2018, les 40% d’inflation, la dépréciation de la monnaie et le taux de chômage important pour les 70% de la population ayant moins de 35 ans, pèse sur les habitants du pays. Les sanctions servent également de prétexte à la corruption et à la mauvaise gestion administrative, et le mécontentement massif des citoyens de cet état plongé dans une crise profonde expliquent la minorité de 10% à 15% des soutient au régime.

UNE HOSTILITÉ LATENTE

La fin de l’accord sur le nucléaire aura eu de lourdes conséquences. Avec une population paralysée par les sanctions l’Iran se tourne vers l’Est trouvant en la Russie et la Chine des soutiens et partenaires alternatifs. Déterminé à se doter de l’arme atomique pour concurrencer son rival régional israélien, l’Iran joue aussi la montre face à l’occident en se disant « prêt à discuter sérieusement d’un nouvel accord ».

Malgré la pénible reprise des négociations depuis le mandat Biden, on entendait le peuple iranien crier « mort à l’Amérique » et brûler son drapeau lors des manifestations du 4 novembre 2022.

Si un affrontement direct entre les deux puissances n’est pas à craindre, l’augmentation des tensions et des moyens déployés en Irak qui est le théâtre de cet affrontement depuis 2003 reste à surveiller.

SOURCES

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Bahar Makooi, « Le rôle discret de la Chine dans les négociations sur le nucléaire iranien », France 24 – Moyen Orient, 10-10-21 https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220118-le-r%C3%B4le-discret-de-la-chine-dans-les-n%C3%A9gociations-sur-le-nucl%C3%A9aire-iranien

Alba Sabz, « La réactivation de l’accord nucléaire entre les mains de l’Iran », Atalayar, 10-08-22 : https://atalayar.com/fr/content/la-reactivation-de-laccord-nucleaire-entre-les-mains-de-liran

Frédéric Lemaitre, « La Chaine, négociatrice très intéressée de l’accord sur le nucléaire iranien », Le Monde, 29-11-22 : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/29/la-chine-negociatrice-tres-interessee-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_6103997_3210.html

Adam Hayes, « What is a special Purpose vehivul (SVP) and why companies form them, investopedia, 23-08-22 : https://www.investopedia.com/terms/s/spv.asp

La rédaction, « Nucléaire Iranien : quels sont les principes de l’accord de Vienne », Geo, 01-08-22 : https://www.geo.fr/geopolitique/nucleaire-iranien-quels-sont-les-principes-de-laccord-de-vienne-211113

Rédacteur anonyme, « Retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien », Wikipédia, 11-08-15 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Retrait_am%C3%A9ricain_de_l%27Accord_de_Vienne_sur_le_nucl%C3%A9aire_iranien#:~:text=Promesse%20%C3%A9lectorale%20de%20Donald%20Trump%20%C3%A0%20l’%C3%A9lection%20pr%C3%A9sidentielle%20am%C3%A9ricaine,concr%C3%A9tis%C3%A9%20le%208%20mai%202018%20.

Rédacteur anonyme, « Note d’actualité : causes et conséquences du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien », Centre Thucydide, 23-08-16 : https://www.afri-ct.org/2018/thucydoc-n-8-note-dactualite-causes-et-consequences-du-retrait-americain-de-laccord-sur-le-nucleaire-iranien/

Réponse à une question de Ladislal Poniatowski, « Conséquences du retrait de l’accord sur le nucléaire iranien pour airbus », Sénat, un site au service des citoyens, 02-03-2019 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Retrait_am%C3%A9ricain_de_l%27Accord_de_Vienne_sur_le_nucl%C3%A9aire_iranien#:~:text=Promesse%20%C3%A9lectorale%20de%20Donald%20Trump%20%C3%A0%20l’%C3%A9lection%20pr%C3%A9sidentielle%20am%C3%A9ricaine,concr%C3%A9tis%C3%A9%20le%208%20mai%202018%20.

François Nicouillard, « Le sabotage de l’accord de Vienne et ses conséquences », Cairn.info, 2020 : https://www.cairn.info/le-moyen-orient-et-le-monde–9782348064029-page-253.htm

La rédaction, « Retrait des USA de l’accord Iranien : quelles conséquences pour les entreprises ? », SUDOUEST, 09-05-18 : https://www.cairn.info/le-moyen-orient-et-le-monde–9782348064029-page-253.htm

-Vidéos:

Chaine YouTube du Monde, « Pourquoi Trump veut en finir avec l’accord sur le nucléaire iranien », Le Monde, 4-05-18 : https://www.youtube.com/watch?v=LFMoQ50PiAI

Chaine YouTube AJ+ Français, « Accord nucléaire iranien : pourquoi ça coince ? », Aljazeera + France, 09-09-22 : https://www.youtube.com/watch?v=nEcUhk0qYWU

Chaine YouTube de France 24, « Nucléaire Iranien : énièmes négociations pour sauver l’accord », France 24, 24-03-22 : https://www.youtube.com/watch?v=XF4aA_UvzgM

Chaine YouTube de la recherche stratégique, « La fin de l’accord nucléaire avec l’Iran ? », Fondation pour la recherche stratégique, 01-03-2019 : https://www.youtube.com/watch?v=Tq0oNaukf-w&t=4s