LE PARDON DANS LES RELIGIONS DU LIVRE

Cette décennie est en partie marquée par la montée des tensions interreligieuses à travers le monde. Elles apparaissent parfois sous couvert de questions politiques comme celle des musulmans en France, ou sont parfois exacerbées par des violences, comme le conflit judéo-musulman dans le monde arabe, marqué par l’expropriation des terres palestiniennes par les autorités et l’armée israélienne.

Cependant, la religion ne semble jamais être la cause première de ces maux. Elle sert plutôt à légitimer, à expliquer ou à réactualiser de vieux conflits. Si ces parallèles entre la violence et la religion entrent dans l’imaginaire collectif, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il devienne une vérité pour des millions de personnes si les médias et personnalités politiques construisent leur programme (télévisé ou électoral) sur ce soi-disant rapprochement.

Une vision objective, une froideur d’esprit et un certain éloignement de l’émotion son recommandables pour aborder le thème des religions. Il faut condamner le condamnable, réprouver le répréhensible, et mettre en exergue ce qui est peut-être moins connu de tous.  L’exemple du pardon dans les religions semble tout trouvé pour apaiser le débat, les cœurs, et confronter à l’ignorance de l’autre religion, une similarité parfois insoupçonnée. Il est le parfait vecteur pour souligner les points communs des trois religions du livre dans leur praxie, tout comme dans leur philosophie. Dans leur rapport à Dieu, comme dans leur rapport à l’autre.

Le thème du pardon s’est progressivement étendu au-delà de la morale théologique pour toucher la sphère politique et même l’histoire, libérer le présent et le passé des fautes et des crimes commis par d’autres générations ou par ses pairs. Il est donc arrivé que l’on exige le pardon ou la réconciliation d’une communauté nationale comme l’Allemagne nazie pour ses crimes ou encore la restitution d’œuvres nationales dans une logique dé-coloniale. Et si Jankélévitch et Dérida sont les maîtres en la matière (philosophique), s’intéresser à la manière dont le pardon est présenté, dicté et pratiqué dans les trois religions monothéistes qui guident près de la moitié des habitants de la terre [2.2 millions de chrétiens, 1.2 musulmans, 14 millions de juifs] relève d’un tout autre travail.

L’étude du christianisme, de l’islam et du judaïsme ainsi que des aprioris à leurs sujets et de ce qu’en disent vraiment les livres saints et l’orthodoxie théologique, permettra de montrer la manière dont chacun décide de s’en saisir et de laisser place au « message originel » de ces religions.

 Il est important de préciser que ce texte n’a d’autre but que de servir d’introduction à la question du pardon et de fournir quelque modeste outil pour pouvoir en débattre et distinguer le vrai du faux dans tous les mythes qui gravitent autour de ce sujet. Les différentes branches de chaque religion ne seront ainsi pas abordées pour rendre le propose le plus simple possible.

UN AXE VERTICAL ET UN AXE HORIZONTAL 

Il est possible d’approcher ce large sujet sous deux angles différents, deux approches inséparables et consubstantielles : le pardon dans son axe vertical soit celui que Dieu accord à l’homme, et le pardon dans son axe horizontal, soit celui qui se pratique entre les hommes.

LE CHRISTIANISME 

Le pardon s’érige comme pilier de la religion chrétienne, et si certains n’en ont que pour image l’injonction de tendre l’autre joue, son application en est infiniment plus complexe et profonde.

Dans les textes bibliques, Jésus invoque le pardon « père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (LUC 23, 24) – « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonne aussi ceux qui nous ont offensé » (Mathieu 6, 12). Bien que la vie confronte toujours à ce que le philosophe Paul Ricoeur appelle le « pardon difficile », le pardon a pour fin d’apaiser les âmes et de libérer les vieilles haines. « Tu vaux mieux que tes actes » disaient le prophète aux pécheurs et pécheresses qu’il fréquentait

Pour comprendre quelles dimensions embrasse la notion de pardon, revenons sur son histoire (récente). C’est le Concile de Latran (1215) qui fixe les règles modernes de la confession et instaure la confession privée protégée par le secret, dont Hitchcock illustre l’importance dans « La loi du silence ». On avoue désormais ses péchés à un prêtre et reçoit le pardon divin de sa main. Puis en 1962, le Concile Vatican II rappelle que le pardon doit consister en une conversion intérieure plutôt que d’un accomplissement mécanique de rituel et préfère la réconciliation avec Dieu plutôt que la culpabilisation du croyant.

Pour ce qui est de la confession, moyen d’accéder au pardon, elle s’organise en trois phases. L’examen de conscience, par lequel on recherche ses péchés, la contrition, qui implique de regretter ses fautes et de prendre la résolution de ne plus les commettre, puis la satisfaction, qui invite à matérialiser son regret ou réparer les conséquences réelles quand possible, comme rendre un vélo volé.

Le seul péché impardonnable, même par le Saint-Siège, est celui contre l’esprit, refuser la miséricorde de Dieu : si l’on ne croît pas en la faculté de l’église réparer ses péchés, elle ne peut pas le faire.

Le pardon, qui ne se refuse à accepter que quelque actes graves impardonnables qui vont à l’encontre de la loi divine et de la relation avec Dieu, est plus qu’une recommandation. C’est un commandement, une obligation. Jésus avant de monter au ciel a pour ses disciples la directive suivante : « la conversion et le pardon des péchés » (l’évangile de Luc, chap 24 ).

C’est une expérience qui s’ancre dans différentes temporalités. Le bon chrétien doit la pratiquer tous les jours envers son prochain, et il est en même temps nécessaire d’aller se confesser, face à Dieu cette fois-ci, au moins une fois par an. Dans son état de grâce universelle, Dieu pardonne dans le cœur des hommes peu importe leur croyances et religion. Le pire criminel garde du bon en lui, pour la simple raison que Dieu la fait à son image.

L’ISLAM              

L’Islam maintenant, nous parait sans pitié dans l’actualité qu’on nous montre, et aller jusqu’à être présenté en France, comme un mal en soi auquel on assimile les notions d’agressivités et de violence, enfaite propre à des groupuscules minoritaires, comme on en trouve dans chaque religion.

Contrairement aux chrétiens, le pardon dans la religion musulmane est une recommandation et pas un commandement. Il n’en est pas moins un élément central de la praxie, souvent cité dans le Coran. Sur les 114 sourates, 113 contiennent la formule, la basmala « Au nom de Dieu, le tout clément, miséricordieux », et la 55ème sourate, souvent désignée comme le plus beau chapitre coranique est celle du « miséricordieux » ou de « celui qui pardonne » : « al-raham ». Les hadiths, faits et dires du prophète, accordent une importance certaine au pardon, comme la montre la phrase du prophète : « ma bonté a devancé ma colère »

On trouve parmi les 99 noms du prophète, ceux de « celui qui pardonne » (« rafur »), de «clément » (« al-afuwa »), de celui qui revient vers les pécheurs (« al-tawab »), ou de prophète du repentir (« nabi you taouba »).

Le Docteur en science religieuses Chawkat Moucarry décrit le pardon comme un acte provenant d’une initiative divine : c’est Dieu qui vient, ou plutôt revient, vers le pécheur. Si le pécheur a échappé aux obligations religieuses, bu de l’alcool par exemple, et donc péché contre Dieu, alors le pardon de Dieu est facile. Il ne s’offre pas, mais s’obtient en priant et en le demandant. Si la faute commise est contre un homme, le pardon est tout aussi recommandé. On apprends dans la sourate « Al-Imrun » que les croyants sont « ceux qui répriment leur colère et pardonnent aux autres ». Ne constituant pas un crime impardonnable des pécher originels de l’islam, la faute est pardonnée une fois le crime réparé. Bien que « Dieu ne pardonnera sur la terre qu’a ceux qui pardonnent aux autres » l’islam ne fait pas du pardon une obligation car Dieu a créé les hommes faibles et ne leur demande pas d’accomplir une tâche au-dessus de leur forces car il est juste.

L’homme est aussi pécheur par nature et est affecté par les épreuves qu’il subit. Le coran et les hadiths ont donc bien leur part de réalisme (au sens littéraire) : le pardon divin apparaît comme une compensation à la faiblesse primordiale humaine. Il n’est par ailleurs pas un geste absolu, unidirectionnel et gratuit. Le croyant n’accède pas à la repentance sans sincérité et effort spirituel, même si, dans un certain pragmatisme, il est écrit dans le Coran verset IV, 28 que « Dieu [allège] les contraintes, car les humains sont créés faibles. »

« Ô ous mes adorateurs-serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu. Parce que Dieu pardonne tous les péchés. Oui c’est lui le pardonneur, le très miséricordieux »

Sourate 39, Les groupes, Verset 53

Il n’existe pas de péchés impardonnables pour Dieu, sinon le rejet de Dieu lui-même. Celui qui a commis un acte abject et qui vient demander le pardon est en droit de l’attendre de la part de Dieu après avoir reconnu son tort.

Quelque fable, à travers l’histoire, renversent d’ailleurs les idées reçus concernant la violence consubstantielle à la religion musulmane. Saladin, célèbre sultan égyptien du 12ème siècle, emprunte la voie du  pardon  en reflétant l’enseignement du coran et des hadiths « pardonner réchauffe et convertis les cœurs ». Un autre bon exemple est celui de l’Emire Abdel Kader (1862) qui sauve les chrétiens d’un pogrom à Damas en justifiant son acte par cette phrase « je n’ai rien fait d’autre que de me conformer à la parole divine : les hommes sont tous les enfants de dieu et je n’ai pas de ressentiment contre les chrétiens »

Si des centaines d’autres exemples existent, au sein de toutes les autres religions, ces dernières permettent tout de même de détacher les notions de violence que l’on cherche parfois associer à l’islam, ou dans l’autre sens, à justifier par l’islam

LE JUDAÏSME

Du côté du judaïsme, c’est l’image du fameux « œil pour œil et dent pour dent » qui pourrait faire défaut à la rédemption. Le dieu de l’ancien testament aurait-il plus instauré les bases d’un système basé sur la vengeance que sur le pardon ?

Et bien pas du tout. Le pardon a en fait tout autant d’importance chez les juifs que chez les chrétiens ou les musulmans. Il est essentiel, et une des fêtes les plus importantes, Kippour, lui est consacré. Il accompagne aussi les rites mortuaires : les proches pardonnent le défunt et l’aident à demander le pardon de Dieu. Une fois le mort mis dans son cercueil chacun va lui demander pardon à son tour. Le pardon permet de partir sans mensonge et sans tricherie derrière soi.

Comme le commentait Maimonide, philosophe juif du 12ème siècle,  dans Mishné Torah (code de la loi juive) : le pardon ne dépends pas d’autre chose que de la disposition de l’homme au repentir. Pour obtenir le pardon, il suffit de faire ce que l’on appelle une « techouva », soit opérer un retour sur soi, prise de conscience de ses actes pour améliorer sa conduite.

Le Judaïsme fait en revanche la distinction entre le pardon et l’expiation, qui offre à l’Homme l’absolution définitive de ses fautes et la possibilité de ne plus être lié au mal qu’il a commis. Yom kippour (« le grand pardon ») signifie d’ailleurs aussi le jour d’expiation. Le fondement de cette journée ne repose donc pas tant sur le pardon mais sur l’expiation, qui lave définitivement les hommes de leur faute, mais qu’envers Dieu. Pour traiter du pardon entre homme, il faut prendre en compte une phrase essentiel de la torah :  « ne fais pas à ton prochain ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasses » [Ancien Testament exprimé dans le Lévitique (Lv 19,18)]. Pour les préjudices à l’égard d’autrui il faut réparer sa faute auprès du concerné avant l’expiation. De son côté, celui qui a été offensé est invité à ne pas refuser le pardon à celui qui vient le demander.

Les étapes du pardon dans la religion juive se séparent donc en trois étapes : la compréhension de sa faute, la volonté de transformer son acte, et la transformation réelle de son comportement à l’égard de son prochain, ou de Dieu.

Le pardon est présenté comme la trame fondamentale de la bible et tout son enjeu tient dans cet équilibre : l’Homme faute ou fautera, mais garde la confiance en Dieu par l’intermédiaire du pardon. Comme le dit Psalmiste, il n’y a pas d’homme sans faute, et « quel est l’homme qui n’a jamais fauté ? ». Sans la capacité de Dieu à laisser l’Homme se repentir, sans sa magnanimité, il n’y aurait alors même pas d’humanité. Il est donc le symbole de l’humanité, d’un monde sans mensonge et encadre réellement la vie du juif.

UNE QUESITON DÉLICATE

Seulement que pourrait-on dire, pour une communauté victime de crimes inhumains et de violentes discriminations, de l’absolu du pardon ? On ne peut pas exiger d’un homme dont la famille a été abattue sous ses yeux de pardonner l’auteur du crime, ni d’une femme violée qu’elle excuse son agresseur. On ne peut pas exiger de quelqu’un qui a vu son peuple décimé de pardonner son bourreau.

C’est Vladimir Jankélévitch qui propose une médiation philosophique au sujet du pardon lors des événements de la Shoah dans l’Histoire. Ce moraliste, juif dans sa chair et philosophe dans son intelligence expérimente l’impossibilité de pardonner le génocide commis, ce qu’il décrit dans L’imperceptible.

Parallèlement à cette position pessimiste et fataliste de l’impossibilité, le philosophe puise la noblesse nécessaire pour faire l’éloge d’un pardon désintéressé et gratuit. Dans Le pardon, entreprends de présenter le pardon en utilisant les procédures philosophiques et en opposant aux logiques stoïciennes l’éthique juive et chrétienne lue d’un œil néoplatonicien. Le but n’est pas ici de rentrer dans les détails de son argumentation mais ben de mettre en lumière la subtile alliance d’une notion religieuse et d’une élaboration philosophique.

Ce message implique donc une nécessité pluraliste et inclusive, y compris pour la résolution de problèmes purement théologiques, d’une discipline dont tout homme, de toute confession, y compris athée peut se saisir : la philosophie.

SOUS L’AILE DE L’ABRAHAMISME  

Les différences entre ses trois religions se ressentent dans leur praxie et se distinguent surtout par la caractérisation qu’elles font de Dieu : un Dieu de bonté et de charité pour les chrétiens, de souveraineté et de dévotion pour les musulmans, et d’espérance et de justice pour les juifs.

Le christianisme relève la spécificité du christ dont la vie est remplie de pardon jusqu’à sa crucifixion contrairement aux autres prophètes. La tradition judéo-chrétienne rappelle que le pardon n’est pas un privilège de Dieu, mais qu’il y a urgence à le corréler avec le pardon humain et exclue l’islam de cette logique, et l’idée de la responsabilité de l’homme rapproche l’islam et le christianisme.

Mais pour poursuivre cette lancée universaliste, ces valeurs se retrouvent toutes dans les trois livres. La bible, le coran et la torah érigent la notion de pardon et ses injonctions comme un patrimoine commun issu de l’héritage abrahamique dont émane les mêmes valeurs : la justice, le don, l’hospitalité, le pardon, et le fait que seul dieu peut pardonner en sa qualité de juge divin

UN SENTIMENT UNIVERSEL

Finalement, le pardon est un acte universel, qui n’a pas attendu la naissance des prophètes pour s’exercer entre les hommes.  S’il relève d’une « folie impossible » pour Dérida, son imbrication dans la culture, et ses exigences, religieuse ou non, sont assurément de nature différente à travers le monde

Mais s’il fallait retenir une chose de tout cela, c’est qu’après son examen, et au risque d’en fâcher plus d’un, le pardon dans les religions du livre présente les mêmes directives pour des aires géographiques et philosophiques, culturelles et sociales différentes.

Dans l’Histoire, des sages se sont servis du pardon pour être en paix avec l’autre. Et Abdel Kader était musulman, comme les terroristes qui en perpétuent les dérives, Maïmonide était juif, comme les ultra-orthodoxes qui participent à la dépossession des terres palestiniennes, et les évangélistes radicaux aux USA sont chrétiens comme l’était Mère Thérèsa. La religion est un socle commun aux croyant, dont il existe mille manières de se saisir et de la pratiquer, parfois pour faire le bien, parfois pour justifier le mal.

La différence avec son voisin vient alors peut-être plus de l’éducation que l’on à reçut, de l’endroit où l’on est né, et des choix de vie que l’on fait, que du dieu pour lequel on prie.