COMPLOTISME VS VÉRITÉ #1/2

« L’impression de savoir est bien plus dangereuse pour la connaissance que l’ignorance. » disait Gerald Bronner.

Avec l’avènement du web, les internautes sont de plus en plus exposés à de fausses informations. De plus en plus diffusées, de plus en plus relayées grâce aux nouveaux systèmes de partage, les fake news et les thèses conspirationnistes sont de plus en plus présentes sur la toile. Elles sont les armes principales d’une désinformation de masse qui touche tout-le-monde, et la jeunesse en particulier. Les théories conspirationnistes désorientent l’opinion publique à coup de mensonges, de vérités autoproclamées, de pseudo-révélations sur une vérité cachée, allant parfois jusqu’au négationnisme. Elles entravent le travail des historiens et entachent les mémoires. Ces thèses, présentes en masse et partout, parviennent même à s’insinuer dans des discours institutionnels. Le climato-scepticisme américain ou le négationnisme turc en sont de bons exemples.

DES RÉPERCUTIONS À GRANDE ÉCHELLE

Les historiens s’accordent à dire que les premières théories du complot à grande échelle nous viennent de la Révolution française. Depuis, le protocole des sages de Sion, les OVNI, l’assassinat de J.F.K, le programme Apollo, et les attentats du 11 septembre ont été les sujets de théories de ce genre. Le problème, c’est que ces thèses ont de plus en plus d’audience, notamment sur les réseaux sociaux, et qu’une part de moins en moins négligeable de la population y prête foi, avec de graves répercussions sur ses choix politiques et sociaux.

C’est pourquoi il devient de plus en plus important, voire indispensable, de connaître et de savoir manier les différents outils rhétoriques et oratoires pour s’armer contre le complotisme et ses partisans. Et pour apprendre, dans un débat à démentir des arguments infondés, se faire défenseur de la vérité et éradiquer mensonges et menteurs.

Et puis même sans ces aspirations justiciables, connaître quelque astuces rhétoriques n’est jamais fait de mal à personne. 

Le complotisme est un mal sans tête qu’il est possible d’éradiquer, chacun à son échelle.

Il ne s’agit pas ici d’exposer les failles de chaque théorie du complot (c’est le rôle du debunker), ni de prouver qu’elles sont toutes fausses, mais de mettre en place une liste non-exhaustive de scénarios et d’outils qui pourront s’avérer utiles, et dans certains cas efficaces. Évidemment, ils ne garantiront pas le succès dans un débat, mais la démarche critique qui vas être favorisée et exposée apportera certainement des outils et des idées pour remporter un débat contre des partisans d’idées complotistes, reconnaître un complot, et crier la vérité aussi haut que possible.

I POSER UN CADRE ET UNE MÉTHODE

Dans un premier temps, il est impératif de poser l’atmosphère du débat: n’oubliez jamais qu’en public, l’attitude compte autant que les arguments ! C’est ce que font très souvent les hommes politiques en utilisant des formules de courtoisie : Mr…. Je vous remercie de m’accueillir… Merci de me poser la question… Ce sujet est important… Il est également important de rester calme, et de veiller à ne pas se montrer catégorique dès le départ. En effet, bien que la plupart soient plus aberrantes et loufoques que probables, certaines théories qui sont passées pour complotistes au départ se sont révélées vraies par la suite. On peut citer pêle-mêle l’incident du Golfe du Tonkin, le projet MKUltra, ou les écoutes illégales de la NSA. Ce qui ne constitue pas un complot en soi, mais jette le doute et donne du poids aux arguments conspirationnistes.

Un choc frontal n’est donc pas conseillé, d’autant que le complotiste peut se révéler très au fait de son sujet. Par ailleurs, en restant par principe ouvert, et en reconnaissant que de vrais complots ont été découverts par le passé, on évite d’être considéré comme dupe, naïf, ou croyant aveuglément à la propagande officielle. Ensuite un débat calme, où chacun écoute l’autre, permettra d’atténuer, voire de gommer le principe de la raison du plus fort.

En effet dans de nombreux débats médiatiques ou officiels, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Celui ou ceux qui font preuve de force, voire d’agressivité, qui font le plus de bruit, ou qui provoquent le plus d’applaudissements, en profitent pour noyer la réponse de l’autre. Et c’est ce qu’il faut éviter ici.

Rester donc courtois… et factuel. Prenons l’exemple des Protocoles des Sages Sion, point de départ de nombreux complots modernes. Ce texte, qui se présente comme un compte-rendu de réunions secrètes, pourrait se résumer par ce petit pitch: l’Occident est en passe de tomber aux mains de 300 Juifs influents qui ne souhaitent pas autre pas autre chose que de faire basculer le monde sous leur coupe. Mais voila ! Ce qui apparaît comme la véritable preuve de l’existence d’un complot mondial est en réalité un faux… Et c’est là que va commencer la bataille: notre interlocuteur, lui, est persuadé que ce complot est bien réel, et il va falloir instiller le doute. Le meilleur moyen de commencer est donc peut-être de reconnaître qu’en effet, ce document a bien été écrit en 1903… bien qu’il y ait querelle entre spécialistes, et que certains affirment que c’était plutôt en 1901… À Moscou ou à Paris ?

D’ailleurs, quelle est ta position sur le sujet ? La réponse vous permettra de savoir quel est le degré d’implication et de connaissances historiques de votre opposant sur la question. Et de laisser penser, par la même occasion, que vous êtes vous-même ouvert à ses arguments. Le ton, s’il était vindicatif, devrait se radoucir…

Votre adversaire va maintenant commencer à dérouler ses preuves. Même face aux plus grosses absurdités, il est important de ne pas se laisser emporter. Ne pas rire, même si c’est parfois difficile, ne pas s’énerver, ne pas lever les yeux au ciel… Il faut impérativement qu’il / elle se sente pris(e) au sérieux si vous voulez laisser une chance à vos contre-arguments. Savoir respecter l’Autre est une position de principe, même s’il s’agit d’un crétin, d’un ignorant ou d’un fou. Faute de quoi vous ferez vite partie de la très actuelle et décriée catégorie des sachants, technos et autres intellos… et passerez à côté de votre objectif: convaincre. Pire, il / elle se sentira conforté(e) dans sa position de combattant(e) anti-système, se mettra en situation de défiance, refusera d’écouter davantage, et sera perdu(e) pour le dialogue.

Comme donc on ne persuade personne sans écouter d’abord… Courage et patience à vous ! Il faut donc se comporter en bon rationaliste, auquel une théorie est soumise. Théorie qui n’est ni bonne ni mauvaise a priori. Et il faudra montrer que l’on s’y penche, sans mépris ni condescendance. Pour reprendre notre exemple, Les Protocoles servent aujourd’hui de modèle aux anti-conspirationnistes pour dénoncer les théories du complot. Or à l’origine, ce texte provient bien d’une manipulation destinée à influencer le gouvernement russe.

Si la révélation de la supercherie met donc à mal la théorie du complot judéo-maçonnique, elle ne détruit pas pour autant l’existence d’une machination fomentée au sein de l’État. Et admettre que de telles cabales existent va vous donner du crédit dans le camp adverse. Vous pouvez même enfoncer le clou en citant d’autres mystifications avérées, comme l’affaire des armes de destruction massive en Irak en 2004, le sabotage du Rainbow Warrior de Greenpeace, coulé par les services secrets français en 1985, ou tout ce que le (vrai) journalisme d’investigation ou les enquêtes de (vrais) historiens auront pu vous apprendre. Bref, Les Protocoles des Sages de Sion prouvent bien que les complots existent. Mais pas forcément ceux qu’on croit…

Tu avais raison, il y avait bien un complot là-dessous.. Votre adversaire n’y a pas perdu.

Il a bien son complot, sauf qu’il a changé de nature. Sa théorie a été troquée pour les travaux d’un historien, d’un journaliste ou d’un scientifique. Vous aurez peut-être gagné l’oreille d’un opposant, qui sera plus enclin à vous écouter lors de votre prochaine confrontation… et ce n’est pas un sophisme. En effet, lutter contre le complotisme n’a jamais voulu dire ne se poser aucune question sur les discours officiels, ne jamais douter de rien, ou relayer sans réfléchir le premier article de presse venu.

Quel que soit le sujet, il y a probablement des travaux sérieux et documentés à trouver pour se faire une idée et développer un contre-argumentaire en cas de délire judéo-maçon paranoïde diagnostiqué. En situation d’urgence, la petite sélection ci-dessous vous permettra d’accéder rapidement à des sources web fiables, et de vous faire une première idée des grandes lignes d’un sujet que vous ne maîtrisez pas forcément.

EN BREF Calme, patience, respect et bienveillance

Rendez-vous dans le deuxième épisode de cette série, où on aborde l’argument du doute!