La définition de la philosophie traditionnelle traite de l’homme et de sa situation à travers sa pensée. Autrement dit, le philosophe, l’homme qui pense, ou du moins, l’homme qui pense les hommes. Comme s’il plaçait tout son être et sa substance dans la pensée. Certes il n’est possible de connaître l’opinion d’un Homme qu’a travers ses travaux, ses productions ou ses discours; ses actes et gestes si l’on est particulièrement sensible et attentif.
Mais avant toute parole claire et arrêtée, n’y a-t-il pas association analogique ou logique d’idées, bourdonnements de réflexions et de remarques personnelles, ou d’échanges?
L’homme est un être qui certes pense, mais d’abord songe, imagine et sent.
Chaque livre ou traité, chaque annonce ou déclaration auxquels on peut associer l’adjectif “philosophique”, aboutissent certainement d’un étonnement premier, d’une bribe de réflexion ou d’un sursaut de pensée.
Chaque pensée d’ailleurs a une origine sensible (sensitive), et le trajet de toute chose partant de l’aval (monde sensible) et allant trouver l’amont (monde intelligible) du monde, doit bien être motivée par quelque chose. C’est l’homme qui, par la force de son esprit, aide ou oblige le voyage, à contre-courant de son expérience sensible vers ce monde fait d’idée. Une fois en ces lieux, il est capable, via sa concentration, sa volonté, son intelligence et sa méthode, de malaxer ce flux emmêlé, de le clarifier et de procéder à des associations. Il est capable, peu à peu, de détacher du chaos d’étonnements qui l’habitent une véritable réflexion, une idée claire et prête à être partagée, entendue et comprise.
Celle-ci peut être introduite clairement dans le monde matériel : un discours, avec exorde, narration, confirmation et péroraison, un écrit scindé en autant d’étapes que sa complexité l’exige, en une entité artistique même: une peinture à l’huile, une symphonie…
Le processus de création de la pensée chez l’homme n’a donc rien de démiurgique.
Ce n’est pas un réflexe : elle est issue de la volonté que l’Homme a de réfléchir. La pensée n’est pas soudaine (on parle du processus et non d’instantanéité temporelle) étant donné qu’elle trouve ses origines dans une expérience d’abord sensible.
La philosophie qui tend à éclairer tout phénomènes par une justification rationnelle, appuyé sur la démonstration et la preuve, omet parfois de considérer les origines de la pensée étudiée et leur rôle. Le philosophe lui, se penche trop peut souvent sur les motivations de ses propres réflexions. Si son but est d’éclaircir le monde et de se rapprocher de la vérité, la question première et primordiale ne devrait-elle pas porter sur les motivations de cette quête ?