ISRAËL – PALESTINE : La démographie, l’arme dont on ne parle pas

ISRAËL – PALESTINE : La démographie, l’arme dont on ne parle pas

Deux peuples qui revendiquent un seul et même territoire. C’est cet affrontement qui enflamme les débats et les populations du levant, et dont les avancées font la une de la presse internationale. Un conflit d’abord appelé « israélo-arabe » puis réduit au conflit « israélo-palestinien » que l’on connait aujourd’hui, et qui symbolise une bataille diplomatiquement irrésolvable et dont l’issue se dessine de plus en plus depuis que les bombardements israéliens anéantissent les populations de gazaouies.

Entre 2008 et 2021, les deux camps sont responsables de plus de 7000 morts : 5590 du côté palestinien, et 853 pour l’état d’Israël. Quant à l’année 2022, elle est considérée comme la plus meurtrière depuis l’intifada de 2005, avec 150 morts palestiniens et 30 morts israéliens. Et si un inventaire était nécessaire, environ 13.000 palestiniens et 3700 israéliens ont perdu la vie entre 1948 et 1993.

Ce conflit, a la spécificité d’être d’actualité depuis 1948. C’est-à-dire qu’il n’a cessé de préoccuper et de solliciter les acteurs et autorités internationales depuis cette date. Il est donc encore en 2023, un sujet d’actualité, et un sujet historique. Pourtant, c’est avec la grille de lecture démographique que cet article propose d’étudier ce conflit. Depuis l’arrivée massive de juifs en 1948, les annexions de plusieurs territoires en 1967 et le renouvellement de la politique d’occupation et d’expropriation de ces dernières années, la démographie n’est peut-être pas au cœur du débat, mais elle est bien au cœur des stratégies et des politiques des deux camps.

LA DEMOGRAPHIE QU’EST-CE QUE C’EST ?

Si la démographie n’a pas la prétention de tout expliquer, elle permet de rendre compte de l’état d’un territoire, de ses citoyens, d’une génération et même des mentalités. C’est « l’étude quantitative et qualitative des caractéristiques des populations et de leur dynamiques » ou en des termes moins abstrait, c’est ce qui permet de dresser un grand tableau statistique d’un territoire, d’y entrer des données spécifiques, comme le taux de natalité, de fécondité, de mortalité, de nuptialité ou encore de migration, et d’interpréter ces moyennes. Attention, cet outil ne permet pas une compréhension totale de la société. La théorie de Samuel Huntington par exemple, qui tentait d’expliquer la violence politique des sociétés du Maghreb par la forte présence d’une population jeune est à nuancer. Dans cet article, la démographie n’aura pour seul but que de revisiter les grilles de lectures manichéennes et traditionnelles et d’apporter un regard neuf à une situation pourtant déjà bien connue.

UN PEUPLE, C’EST UN NOMBRE

Depuis  la création de l’état d’Israël et ensuite, l’annexion israélienne de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza, du Plateau du Golan et de Jérusalem Est, la population et le peuplement sont devenu des questions majeurs pour les deux camps. Dans les territoires occupés ou à Jérusalem même, la question de la majorité ethnique pèse dans la balance. Les taux de croissances des populations sont surveillés de près, tout comme les déplacements et les arrivées. Le « choc des civilisations » n’est plus utile pour l’analyse des relations internationales, mais il semble bien faire écho aux mentalités des deux camps : qui est le plus grand nombre est chez soi, et qui est chez soi est légitime.

LES PREMICES D’UNE POLITIQUE POPULATIONISTE

L’atout démographique s’ajoutant aux nécessités de l’état israélien, celui-ci commence, avant même sa création, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, à mener une politique de mariages précoces pour s’assurer une population abondante. La « Loi du retour » permettait dès 1950, à toute personne juive capable de justifier un lien avec l’identité ou la tradition juive, de devenir un citoyen israélien, quand les Palestiniens ne pouvaient l’obtenir malgré des justificatifs de résidence ou d’appartenance familiale en Israël. Puis le Ministre Israélien Ben Gourion arrivé au pouvoir en 1955, se lance dans une politique populationniste et fait appel au sens patriotique des citoyens en inquiétant : « Nous sommes amenés à devenir une minorité ». Il ira jusqu’à créer un prix à son nom pour récompenser les familles de plus de 10 enfants. Un peu plus tard, Golda Meir, qui succède à Ben Gourion de 1969 à 1974, instaure les prémices d’une politique raciste envers les Palestiniens, et ajoute à l’équation un mépris violent à l’égard des juifs séfarades, qu’elle considère moins instruits : la qualité et la quantité sont donc à l’ordre du jour.

PALESTINE : OBJECTIF CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE

Côté Palestine, les réactions sont immédiates. Des années 1950 jusqu’à la deuxième Intifada ( 2000 – 2005) les femmes palestiniennes ont en moyenne 8 enfants, soit 5 de plus que les femmes juives, qui n’en ont que 3 jusqu’aux années 2000. Dans les années 1970, Yasser Arafat, fondateur de l’Organisation de Libération de la Palestine, demandera même aux épouses d’enfanter 12 fois avec cette phrase restée célèbre : «  2 pour elles, 2 pour la famille et 8 pour la Palestine. »

Mahmoud Abbas répondra quant à lui au prix Ben Gourion en créant un aide équivalent à 4.000 dollars américains pour tous les couples rencontrant des difficultés à avoir d’autres enfants. En une trentaine d’année, l’utérus devient, aux yeux des dirigeants, un outil politique, et une véritable arme.

ISRAEL REPRENDS SA POLITIQUE POPULATIONISTE

Malgré une légère détente encouragée par les tentatives de dialogue et de négociations, notamment la mythique poignée de main entre les deux dirigeants israéliens et palestiniens à la Maison Blanche lors des accords d’Oslo (1993) puis d’Oslo II (1995), le début des années 2000 marque une dégradation des relations bilatérales des deux pays, et le début d’une politique agressive inédite chez l’état sioniste. Avec des percées toujours plus lointaines sur le territoire palestinien et des dirigeants penchant de plus en plus à droite du spectre politique, Israël reprends sa politique populationniste.

En 2003, le président Benyamin Netanyahou déclare l’interdiction totale du droit de regroupement familial. Il est alors impossible pour un Palestinien marié avec une cisjordanienne ou une Palestinienne de la Bande de Gaza de vivre en Israël. En 2011, la Loi Comité d’Admission permet à toute commune juive de moins de 400 familles de refuser à un Palestinien de s’y installer. Puis en 2018, la Loi sur l’Etat Nation définit Israël comme un état ou « seul les juifs ont le droit à l’autodétermination », et encourage l’implantation exclusivement juive en retirant à l’arabe son statut de langue officielle de l’état.

LA NOUVELLE KNESSET, LE NATALISME REMIS AU GOUT DU JOUR

Lors des élections de la 25ème parlement israélien en 2022, la Knesset, les écarts se creusent. Les députés israéliens montrent l’exemple en terme de natalité, avec une moyenne de 3 enfants par députés tout parti confondu, et allant jusqu’à 8 enfants par députés des partis d’extrême droite. Cette politique nataliste renouvelée appuyée et encouragée par un gouvernement de plus en plus extrême souhaite cesser de « s’encombrer du laïque » selon les mots du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir. En 2021 déjà, le taux de natalité israélien de 3,13 enfants par femme avait dépassé celui de Palestine, avec seulement 2,83 enfants par femme.

QUE PEUT ON PREVOIR GRACE A LA DEMOGRAPHIE ?

Avec une augmentation des proportions nationalistes et d’ultra-droite de Knesset en Knesset, et l’intensification des politiques natalistes, les projections de courbes de natalités prévoient une majorité juive à l’échelle nationale d’ici 2065 avec 16 millions de Juifs contre 14 millions de Palestiniens selon le rapport de Nitzan Perelman, directrice du magistère de l’IREMMO et enseignante à Paris 1. Depuis les évènements du 7 octobre 2023, les bombardements israéliens, la mort de dizaines de milliers de civils palestiniens, les pénuries en eau et la famine qui s’installent dans l’enclave Gazaouie viennent évidement accélérer les tendances précédemment énoncées. Les chiffres sont à nuancés, ne prenant ni en compte la diaspora palestinienne qui s’élève à environ 1 million, ni les non citoyens israéliens non juifs. Toujours est-il que l’avantage démographique est un argument de poids qui pourrait faire tomber la balance qui penchait déjà du côté Israélien. Peut-on parier sur la longévité de ce conflit au vu des évènements de l’Histoire ? Faut-il s’inquiéter de cette « date de péremption » de la majorité palestinienne qui vient s’ajouter aux expropriations constantes israéliennes et aux menaces existentielles qui pèsent depuis le mois d’octobre 2023 sur le peuple palestinien ? La question est ouverte.

RUSSIE – URKAINE : LA RÉAFFIRMATION DE LA CULTURE ET DE L’IDENTITÉ RUSSE

RUSSIE – URKAINE : LA RÉAFFIRMATION DE LA CULTURE ET DE L’IDENTITÉ RUSSE

De par le monde, les dires et les stéréotypes sur les Russes abondent. Grandeur d’âme, générosité, les grands espaces de son territoire, des esprits insondables qui ont inspiré Tolstoï et Dostoïevski, et l’héritage des Tsar et de l’Empire soviétique. Ces dires se frottent souvent à une réalité plus plate, mais font pourtant bien partie de ce que sont l’identité et la culture russe au XXIème siècle. Cette culture russe dont les symboles sont nombreux, est profondément liée à la place qu’occupe le pays dans la géopolitique contemporaine. Elle trouve sa place et son influence dans les décisions et les débats politiques régionaux, et c’est peut-être même bien cette culture russe qui donne aux relations internationales en Europe de l’Est toute leur complexité.

LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ ET DE LA CULTURE RUSSE

Si l’essentiel de ce qui fait le peuple russe d’aujourd’hui s’est formé pendant la période de la Russ’ de Kiev (du IXème siècle au XIIIème siècle) puis celle des Tsar, jusqu’en 1917, c’est l’époque soviétique qui marque son l’apogée. Peut être que le sondage du centre indépendant Levada indique que 66% des Russes regrettent ce régime parce que sa chute marque une perte notable de puissance et la dislocation de son territoire en passant d’une population de 300 millions d’habitants en 1991 pour une superficie de 22 millions de Km2, à une Fédération de Russie dont la population est réduite de moitié (146 millions d’habitants en 2021) pour une superficie de 17 millions de Km2, privée de ses 15 régions, devenues des Républiques indépendantes. Parmi elles, les états slaves que sont l’Ukraine et la Biélorussie, des pays d’Asie Centrale dont le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan, du Caucase comme l’Arménie ou l’Azerbaïdjan, les Etats Baltes soit la Lettonie, la Lituanie, et l’Estonie, ainsi que la Moldavie. Pour la Russie, la disparition de l’URSS est « la catastrophe géopolitique du siècle » pour reprendre les mots de Gorbatchev. Pendant que certains déplorent le déclin de l’influence russe, d’autres cherchent des moyens d’arriver à réaffirmer sa culture et son identité par le biais d’autres structures.

L’EGLISE ORTHODOXE, ELEMENT CENTRALE DE LA CULTURE RUSSE

Le Patriarche de Moscou, à la tête de l’Eglise orthodoxe, fait justement parti de ceux qui adhèrent à cet imaginaire de monde russe, à ce monde de la « Sainte Russie ». Avec une forte présence orthodoxe dans la région, le Patriarche Kirill, au service de Vladimir Poutine, partage son combat contre les « forces du mal » occidentales, qu’il diabolise dans son discours du 27 février 2022, 3 jours après le début de l’invasion en Ukraine. Dans la lignée de son prédécesseur Alexis II (1929-2008), dont la stratégie de missionnaire en Europe occidentale dans les années 1990 avait permis la consolidation et l’élargissement de la base de fidèles, Kiril ouvre les portes de l’église en prônant le principe d’une cohabitation des civilisations inscrite dans la tradition religieuse et culturelle russe, à l’image de la multipolarité prônée par le chef d’état russe. Une opération couronnée de succès, si l’on en croit les statistiques rendues publiques par Atlasocio.com qui indique un passage de la population orthodoxe en Russie de 58 millions en 2010, à 101 millions en 2020.

UNE IDENTITE RUSSE RECONSTRUITE A L’ANITHESE DE L’OCCIDENT

Si les Russes savent que l’Eglise orthodoxe de Russie est une des places fortes de leur culture commune, les valeurs portées par l’occident en sont l’antithèse. Cette répulsion totale trouve son origine dans la violation d’un accord verbale entre le secrétaire américain James Baker et Gorbatchev datant du 9 février 1990 sur la non-prolifération de l’OTAN. « Ils nous ont menti à plusieurs reprises… avec l’expansion de l’Otan vers l’est […] et avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières » expliquait Vladimir Poutine le 18 mars 2014, pour justifier la Guerre en Crimée. Depuis ce constat, le triomphe des valeurs libérales et de l’unipolarité du monde ne cesse de révolter les partisans russes, héritiers de l’ancien Empire Soviétique et de ses valeurs communistes.

UNE NOUVELLE CULTURE POLITIQUE QUI SEDUIT

Face à l’unipolarité du monde, c’est aussi la culture politique multilatérale affirmée par le chef d’état russe qui rends son pays si appréciable aux yeux de ceux qui y trouvent intérêt. La Russie réaffirme son propre système de valeur. L’absence d’une idéologie forte à exporter lui permet justement de déployer un panel d’arguments propre à sa politique multilatérale : souverainisme, respect des particularismes culturels, refus de l’universalisme occidental… des « principes » auxquels il est bien moins contraignant d’adhérer qu’à l’idéologie communiste, et qui trouve son succès de la Syrie de Bachar el-Assad à la Corée du Nord de Kim Jong-un, en passant par la Turquie d’Erdogan et le Cuba de Diaz-Canel, sans oublier les généraux africains ougandais, tanzaniens, ougandais ou zimbabwéen.

LA FRATERNITE RUSSE, UN OUTIL DE LA RHETORIQUE DE POUTINE

La « culture russe, c’est l’habitude de protéger les siens » expliquait Mikhaïl Michoustine, membre du gouvernement de Poutine depuis 2020. Cette phrase, haute de sens ayant fait l’objet des travaux de Tatiana Kastuvea, chercheuse à l’IFRI, permet de comprendre la manière dont la Russie justifie ses incursions qui s’écartent de sa politique de respect de la souveraineté. En Ukraine, il fallait secourir les 7,5 millions de russophones victimes de génocides et répondre à l’appel à l’aide des république populaires de Donetsk et de Lougansk selon la version officielle. Dans la même logique, il était impératif de « garantir la sécurité de siens au Donbass »… d’où l’intervention russe. La chercheuse explique la vision que Vladimir Poutine se fait de l’Histoire, en parlant d’un même peuple, qu’il bombarde pourtant dans une guerre fratricide. Cette notion de frère revient aussi lors des critiques de Poutine à l’égard des « trahison fraternelles » qu’il subit à l’occasion de livraison des missiles anti-char américains Javelins à plusieurs pays slaves.

UNE CULTURE QUI DEPASSE LES RUSSOPHONES ORTHODOXES

Le noyau identitaire russe est clairement défini par les russophones orthodoxes, mais le Kremlin se vente de rassembler l’ensemble des communautés slaves sous un même drapeau, celui d’une histoire commune née au batême de la Russ’ de Kiev au 10ème siècle. Plus large que cette supposée communauté qui regroupe la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et plusieurs pays des Balkans, Alexandre Dougouine souffle dans les années 2000 l’idée d’un grand complexe eurasiatique post-soviétique. L’idée qui marquera les frontières de la culture et de l’identité russe s’avèrera finalement être celle du « Rousski mir » (« monde russe ») soufflé à l’oreille de Vladimir Poutine par le politologue Gleb Pavlovsky : un ensemble culturel et politique semblable à la Francophonie ou au Commonwealth qui ne s’arrête ni à l’ethnie, ni à la religion, mais qui permet de penser la russité comme une civilisation transnationale. La Russie regroupe des populations ethniquement et religieusement très diverses ; on peut leur nombre à plus de 120. La région du Nord Caucase, comprenant l’Ingouchie, le Daguestan et la Tchétchénie, est musulmane et partage une tradition d’islam confrérique. Il existe également des minorités juives, bouddhistes, catholiques et protestantes. Vecteur de cohésion identitaire, ce « monde russe » fédère slaves, turcophones, orthodoxes et musulmans. Efficace par son inclusivité, il englobe aussi les populations russes des diasporas. Or dans les anciennes régions soviétiques, les conversations en russe sont fréquentes dans la rue. En Lettonie par exemple, nue passante interrogée par Helen Richard pour le Monde Diplomatique en septembre 2022 que « le russe [était sa] langue maternelle bien qu’elle parle le letton sans problèmes ». Cette construction idéologique puise une peu partout dans l’Histoire des arguments allant dans le sens de l’unité régionale et culturelle russe. En en faisant son fer de lance ces dernières années, c’est sous ce large drapeau du « Monde russe » que Vladimir Poutine développe et défends les valeurs autour des traditions et contre la postmodernité occidentale.

LA CULTURE RUSSE, AU SERVICE DE LA RHETORIQUE RUSSDU KREMLIN

S’il est indéniable que la culture et l’identité russe existent, elles sont avant tout des outils de la puissante rhétorique du Kremlin : une rhétorique de protection des siens maltraités par des gouvernements nazis et anti-russes justifient alors les conflits diplomatiques notamment dans les pays baltes, et les interventions militaires. Sous la rhétorique d’une démarche protectrice de ses frontières et de son peuple, la Russie prend parts aux conflits en Géorgie (2008), en Ukraine (en 2014 puis en 2022), et en Azerbaïdjan et en Arménie (en 2020). Le Patriarche Kirill, qu’Hubert Védrine s’était amusé à appeler « l’employé de Poutine », mets la religion à disposition de cette politique russophone en remplaçant la théorie de Samuel Huntington du « Choc des civilisations » par « Le choc d’un projet global euro-atlantique contre les cultures traditionnelles et les civilisations locales ».

LE RAPPORCHEMENT DES STRUCTURES EURO-ATLANTIQUES

Manque de fidélité ou concrétisation d’un besoin d’émancipation naturel ? Le rapprochement des états post-soviétiques et baltes de l’Union Européennes pose la question. La logique propre au « Monde Russe », qui considère presque ces 15 pays indépendants comme des régions lui revenant de droit, voit d’un mauvais œil les vagues d’élargissement de l’OTAN des années 2000. En 1997, la GUAM (Organisation pour la Démocratie et le Développement), qui regroupe la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Ukraine et la Moldavie, manifeste sa volonté d’intégrer les structures européennes. Puis en 1999, les pays du Pacte de Varsovie rejoignent l’Organisation du traité Nord Atlantique, et en 2004, 7 nouveaux membre dont les pays baltes font de même sous l’élan des révolutions de couleur (2003-2005). Face à ces rapprochements, couronnés par l’intervention américaine en Yougoslavie (1999), la Russie est tentée de couper la région des influences de cette culture occidentale compétitive et attractive pour certains. Mais en est-elle capable ?

LE SYNDROME POST-IMPERIAL ET LE CONCEPT « D’ETRANGER PROCHES »

Dans ses rapports avec les Etats de l’ex-Union, la Russie montre qu’elle est loin d’avoir renoncé à la posture impériale qui caractérisait tant le pouvoir tsariste que l’URSS. Mais elle n’en a plus les moyens, comme l’indiquent aussi bien la poursuite de la guerre en Tchétchénie que le recul de son influence dans le Caucase et dans les nouveaux Etats issus de la décomposition de l’URSS, qu’elle perçoit maintenant comme des « étrangers proches ». En 2014, la première guerre en Ukraine marquera l’activation d’un syndrome post-impérial au sein du Kremlin. La volonté de réunir et de mobiliser les populations pour restaurer la puissance soviétique se heurte aux politiques indépendantes des états de la région. Soucieuse de l’effritement de son « Rousski mir », la Russie déploie massivement des médias de propagandes pour prêcher la bonne parole et diffuser l’aura post soviétique de la Lettonie à l’Ukraine en passant par le Kazakhstan. Elle développer par ailleurs  « Runet », un réseau indépendant de l’internet mondiale, vise la souveraineté et un contenu contrôlé. Au-delà du récit transnational qui se veut fédérateur, la Russie développe une multitude d’outils intergouvernementaux.

DES ORGANISATIONS INTERGOUVERNEMENTALES GARANTES DE L’UNITE DU MONDE RUSSE ?

En réaction à sa perte d’influence, le Kremlin institutionnalise sa présence dans les domaines économiques et politiques dés 1992. LA CEI (Communauté des Etats Indépendants) qui regroupe 12 des 15 états post-soviétiques voit pourtant le Turkménistan, la Géorgie, et l’Ukraine quitter son bord, respectivement en 2005, 2008, et 2014. La même année, l’OTCS voit le jour, avec la Russie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan comme membres. En 1995, C’est la création d’une Union Douanière entre la Biélorusse, le Kazakhstan, et la Russie, qui donnera naissance en 2014 à l’UEEA (Communauté Economique Eurasiatique), rejoint par l’Arménie. Ainsi, ces trois organisations, la CEI, l’UEEA et l’OTCS, soudent l’espace post-soviétique autour de la Russie tout en repoussant l’avancée de l’OTAN, de l’UE et des USA vers l’est. Si la Russie renforce aussi, entre 1991 et 2014, ses accords énergétiques, c’est de la diaspora russe, nombreuse d’une trentaine de millions, dont elle va se servir comme levier d’influence. Ces « compatriotes à l’étranger », partageant la même culture, justifient alors toute l’attention du Kremlin, comme expliqué précédemment. C’est alors dans le bit de concrétiser la présence russe à l’étranger, que seront créées RUssia TOday (2005), la Fondation Rousski mir (2007) et l’Agence Fédérale Rossotroudnitchestvo (2008). Ces structures d’influences à l’étranger permettent alors, comme l’expliquent Vitcheslav Nikonov, président de Rousski Mir, « d’élargir les frontières de la culture russe et d’affirmer ce phénomène russe global qui ne peut être décrit par aucune définition ».

UKRAINE, L’ILLUSTRATION PARFAITE DE L’AMBIGUITE CULTURELLE RUSSE

En guerre avec la Russie depuis le 24 février 2022, l’Ukraine est l’illustration parfaite de la finesse et de l’ambigüité de la géopolitique menée par Poutine. Elle explique par les exemples quelle donne, l’ancrage de la culture russe chez ses citoyens, et exacerbe les liens profonds qui relient la question de l’identité et la géopolitique. Obsédé par la continuité de l’Histoire Russe interrompue par des ruptures fratricides et traumatisantes, Vladimir Poutine considère l’Ukraine comme une de ses provinces. « Les ukrainiens ne son pas un peuple, c’est une tribu » explique Sergueï Choïgou, ministre la défense russe. Pourtant, la résistance ukrainienne fait du patriotisme sa source en remettant au gout du jour un chant de l’armée Hostro-Hongrois de 1914. La journaliste Ksenia Bolchakova mesure l’ampleur de la fracture des deux pays : le petit frère ukrainien s’émancipe de la domination russe et de l’ancien paternalisme soviétique, il dispose d’alternatives. Les arguments du Kremlin d’une Ukraine arbitrairement détachée par Lénine et donc illégitime se heurtent aux arguments historiques avancés par Zelensky d’une Ukraine plus longtemps détachée que rattachée à la Russie dans l’Histoire. La cinquième enquête européenne sur les valeurs et les comportements européens, qui demande directement aux ukrainiens leur position vis-à-vis de la Russie, note que 72% d’entre eux sont fiers d’être Ukrainiens et que 91% d’entre eux sont favorables à une adhésion à l’Union Européenne. Pourtant, si 53% des entretiens se sont déroulés en Ukrainiens, 47% des interrogés ont préféré parles russe, et ce même pourcentage s’est dit plus sensible aux informations diffusées sur les chaînes de TV Russes (Spoutnik) avant le début de la guerre. Si la culture russe est bien présente dans les espaces post-soviétiques et au-delà, c’est alors, suivant la logique du « monde russe », contre ses frères et ses compatriotes que Vladimir Poutine dirige son armée et expose les conséquences d’une trahison. En soulevant cette contradiction, le Kremlin réaffirme son identité qu’il oppose à l’occident et à ses valeurs et continue de vouloir ancrer dans les pays russophones, qui font l’expérience du lien entre influence culturelle et intimidation militaire, incapable de se détourner de ce « grand frère bienveillant », dont les élans indépendantistes ou les orientations politiques alternatives éveillerait le courroux

LA DÉCENTRALISATION, VERS DE NOUVELLES POLITIQUES PUBLIQUES ?

LA DÉCENTRALISATION, VERS DE NOUVELLES POLITIQUES PUBLIQUES ?

On attribue les difficultés, voire le déclin de nombreux Empires à la mauvaise gestion de leurs provinces. De l’Empire abbasside à l’Empire romain, en passant par le tout-puissant empire galactique d’Isaac Asimov dans sa saga « Fondation », les soulèvements et les révoltes « viennent de la bordure » pour citer le stratège militaire chinois Sun Bin.

Alors, si un pouvoir central et unitaire comprend des risques et des faiblesses quant à l’administration de son territoire, la décentralisation, à l’inverse, s’offre en modèle politique idéal pour les citoyens du territoire administré. Du moins c’est ce que le monde entier à semblé décider au début des années 1980, décennie qui a vu émerger des politiques économiques et sociales déchargeant les administrations centrales de leurs responsabilités sur des niveaux inférieurs : dans la France de Mitterrand, suivie de l’Allemagne, d’une partie de l’Europe, de plusieurs pays d’Afrique, puis du Proche-Orient. On assiste aujourd’hui à un nouvel élan de mise en place de politiques de décentralisation. Que ce soit au niveau national, des institutions européennes, ou à l’échelle mondiale.

DECENTRALISATION, POURQUOI ET COMMENT ?

Les avantages de ce phénomène mondial, ses enjeux et ses controverses se trouvent dans sa définition. Ce que ce système politique permet et empêche, et les résultats observables lorsqu’il est appliqué varient, mais une tendance se dégage. Alors que la centralisation n’érige qu’un seul centre de décision et ne distingue pas le pouvoir national du pouvoir local, la décentralisation permet à l’inverse de créer de nombreux centres de décisions relativement indépendants, sans pour autant aller jusqu’à l’autonomie. La décentralisation, c’est un moyen fondamental d’améliorer la gouvernance locale, d’adapter les décisions publiques aux besoins des administrés et de prendre en compte les spécificités locales dont la langue, la culture, la politique, l’histoire, ou la religion, critères parfois plus importants qu’une frontière arbitrairement tracée. En Amérique Latine, la décentralisation a pris le Blason démocratique. Les régimes centraux autocratiques discrédités se sont vu remplacés par des gouvernements décentralisés élus et auteurs de nouvelles constitutions. En Afrique, la demande accrue de participations locales aux prises de décisions a fait du processus de décentralisation un tremplin vers le pluralisme politique. En Ethiopie, cas à part, la décentralisation se trouve être la réponse aux pressions exercées par les groupes régionaux ou ethniques pour participer aux décision politiques et contrôler une partie des administrations. La décentralisation a donc parfois servi à préserver l’unité du pays en accordant plus de pouvoir ou d’autonomie à ses régions. En Asie de l’Est, elle est motivée par l’amélioration de la fourniture des services à l’ensemble de la population, l’état centrale en étant incapable. Elle a marqué, comme en Ouganda ou au Mozambique, la fin de longues guerres civiles, synonymes de nouvelles possibilités politiques et de participation des factions guerrières dans l’administration de l’état, et dans sa délimitation.

UN PEU DE THÉORIE

Votée ou imposée, par le peuple ou les dirigeants, la décentralisation existe et se répands sous différentes formes que Vincent Lemieux et son livre sur la « décentralisation [et les ] politiques publiques face au pouvoir » décrit et recense. La décentralisation administrative d’abord, permet une organisation territoriale déconcentrée mais toujours dépendant du centre. Une décentralisation fonctionnelle, permet une organisation autonome de l’instance périphérique. La décentralisation politique, permet quant à elle, une faible dépendance du centre car dirigée par des élus, d’avantages responsables envers les bases électorales locales. Et enfin, la décentralisation structurelle, dont la dépendance au centre varie selon les acteurs publics et privés. Ces catégories témoignent de la polysémie du terme et de la diversité de ses applications et des secteurs qu’elle mobilise. De la défense à l’enseignement en passant par les services de santé, sans oublier transports, communication et loisirs, tous sont mobilisés différemment selon les pays. Pouvant être pratique, fonctionnelle ou au contraire culturelle à caractère expressif, ce système, dans sa pluralité d’application, regroupe certaines tendances, favorables notamment, à la valorisation du processus démocratique.

DÉCENTRALISAITON ET DÉMOCRATIE, LE CAS EUROPÉEN

Les représentants locaux entretiennent un contact avec la population. Élus localement, leur présence, leur dialogue permanant, et les mises en œuvre concrètes de mesures correspondant au besoin d’une instance périphérique ont tendance, selon le rapport de l’INSEE du 12 janvier 2018, à apaiser la violence des revendications, le sentiment citoyen de ne pas être pris en compte, et donc à améliorer les rouages décisionnels au sein du territoire.

Au sein de l’Union Européenne, les pays intègrent peu à peu la démocratie locale, qui fait l’objet de réformes régulières et incite les transferts de compétences de l’état centrale aux collectivités locales. Certains, à la forte tradition d’un état unitaire et centralisé comme la France, appliquent vigoureusement des politiques de décentralisation, en témoignent les transfert de compétences aux collectivités territoriales en 1988, et le plus récent article premier de la constitution française révisée en 2003. D’autres pays, comme l’Allemagne, un état fédéral, valorisent les échanges régionaux dans le cadre d’états composés. Divisée en 16 landers, l’Allemagne dispose d’une faible autonomie fiscale contrebalancée par l’augmentation des dépenses publiques dans la décentralisation fonctionnelle de l’état. Quant à la « Cogestion à l’Allemande » veille de mieux en mieux à la répartition des ressources entre les états fédéraux. La Belgique, elle, pousse cette logique à son paroxysme. Les révisions constitutionnelles de l’état fédérale belge de 2012 et 2014 octroient une partie du pouvoir décisionnel à diverses instances qui exercent le pouvoir de manière autonome et remplacent le gouvernement et le parlement fédéral, dans des domaines qui leur sont propre.

L’EXEMPLE AFRICAIN

Pour ne pas faire de l’Europe, et de l’occident, le centre des considérations décentralisatrices, le rapport KIMUNU de la 9ème édition des afri-cités, paru en 2022, dresse un état des lieux de ce processus sur le continent africain. Il explique comment, au regard de ces 40 ans de valorisation des politiques territoriales, la décentralisation est devenue une caractéristique majeur du paysage institutionnel des pays d’Afrique. La libre administration au niveau régional, provincial ou local sont de plus en plus synonymes d’autonomie financière et de reconnaissance juridique. Le principe de subsidiarité, élément essentiel des politiques décentralisatrices, attribut la responsabilité d’une action publique à la plus petite entité capable de s’en charger et de la résoudre, peu importe le secteur concerné. Les 14. 000 collectivités africaines, « districts », « urbans concils » ou « houses town » sont répartis sur  les 30 millions de KM2 du territoire, avec 5 régions au Togo, 8 en Guinée, ou encore 27 au Tchad. Le processus de décentralisation a, sur ce continent aussi, réduit les fréquences et les intensités des révoltes  et des manifestation du mécontentement populaire, malgré les difficultés que peuvent éprouver ces pays dans leur développement. Une meilleure administration et surtout une meilleure utilisation des ressources confortent les processus démocratiques, et les actions publiques efficaces et ciblées, allant même jusqu’à transformer l’enjeu migratoire en levier du développement des villes intermédiaires.

UN ENJEU DU XXIème SIÈCLE : ENTRE ENVIRONNEMENT ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

Au-delà de son efficacité pratique, que les rapports des urbanistes et des économistes ne manquent pas d’applaudir, la décentralisation est présentée par les activistes comme la solution aux enjeux démographiques et environnementaux qui attendent l’humanité au tournant des prochaines décennies. Si Greta Thunberg brandissait une pancarte encourageant à la décentralisation à la marche pour le climat du 14 mars 2020 à Paris, des activistes et des écrivains vont plus loin dans ce combat pour l’environnement. L’écrivain Ernest Callembach publiait déjà, en 1975, son roman de science-fiction « Ecotopia » dans lequel quelque état de la côte ouest américaine se ferment au monde et deviennent peu à peu indépendants. Des villes de moins de 15. 000 habitants également réparties sur l’ensemble du territoire, des exemples de circuits courts et une décentralisation totale des services juridiques, de santé, et d’éducation, où les écoles, mêmes les plus prestigieuses, sont autogérées. Monde, encore fictif, de la décroissance et de l’écologie politique, l’auteur place la décentralisation au centre des rouages de son utopie.

Plus réaliste, et plus concret cette fois, une tribune socialiste parue dans le journal le Monde en 2020, faisait en quelque points, l’état des logiques d’un état centralisé. Se devant de se concentrer sur des missions essentielles et limitées dans la constitution, l’état doit appliquer la subsidiarité et une adaptation locale des normes, logique incompatible avec un état fort et centralisé (1). Il se doit aussi de financer ces collectivités locales et de réduire les inégalités qui les séparent (2) et d’inciter les choix de consommation locales, d’aliments comme d’énergie (3). On note aussi dans ce cahier de doléances l’amélioration des transports publiques, plus inspirés d’une mosaïque que d’une étoile dont le centre contient tous les intérêts (4), et un renouveau des fonctionnalités spécialisées intercommunales, ou interrégionales (5). En bref, décentraliser consiste à rapprocher le citoyen de l’action publique, et les services publiques du citoyen.

IDÉAL POLITIQUE OU PERTE D’UNITÉ NAITONALE ?

La décentralisation mets à disposition et encourage l’apparition de nouveaux services locaux. Promue par certains comme un système politique nécessaire au développement équitable et efficace, elle permet une certaine redistribution économique, facilite l’impôt et la participation aux politique publiques, réponds plus précisément aux demandes et aux besoins citoyens en leur donnant une place et une voix. Une décentralisation française plus poussée permettrait à Mayotte, ou à la Martinique, des territoires ultramarins délaissés par la politique marconiste, de retrouver une place au sin de l’attention politique. La « diagonale du vide » n’en serait peut-être plus une, et la question des déserts médicaux serait réglée.

Pourtant, ses détracteurs y trouvent des aspects négatifs. Sa logique poussée à son paroxysme, elle entrave l’image d’unité nationale et fait perdre aux frontières du pays leur sens premier. Les difficultés de l’exécution des politiques de stabilisation creuseraient la dette publique en multipliant presque les dépenses de l’état par 2. Comment gérer ces allocations aux régions les plus pauvres et s’assurer de leur justesse, et de leur justice ? Comment, sans un centre névralgique et décisionnel, gérer les relations diplomatiques et internationales ? Chaque région aurait alors son ambassade ?

Ni bonne ni mauvaise, la décentralisation témoigne surtout d’une tendance politique mondiale qui consiste à prendre, avec plus ou moins d’avance et d’importance, conscience des enjeux du siècle qui nous attends. Plus que ce qu’elle est, la décentralisation s’illustre dans ce qu’elle permet. Elle est un des rares exemples où le politique et l’économique peuvent servir une même fin. Les objectifs politiques (l’accroissement de la sensibilité des élus et la participation politique des citoyens au niveau local), peuvent coïncider avec les objectifs économiques (de meilleures décisions concernant l’usage des ressources publiques et une volonté accrue de payer pour les services fournis

UNE HISTOIRE DE L’APARTHEID, DU PROBLÈME RACIAL AU PROBLÈME SOCIAL

UNE HISTOIRE DE L’APARTHEID, DU PROBLÈME RACIAL AU PROBLÈME SOCIAL

En 1948, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le gouvernement sud-africain mettait en place l’Apartheid : une doctrine d’État séparant la population en deux groupes : les blanc et les noirs. Jusqu’au 30 juin 1991, cette politique de ségrégation à dicté la vie des 28 millions de Sud-Africains noirs et métisses qui ont du faire face à la misère, la discrimination et la violence, au profit des 4 millions et quelques de blancs, descendants des premiers colons néerlandais et européens arrivés par bateau 3 siècles plus tôt.

Le régime de l’Apartheid est aboli depuis maintenant près de 30 ans, notamment grâce à la figure emblématique du président Sud-Africain en fonction de 1994 à 1999, celui qu’on surnommait « Madiba », Nelson Mandela. Malgré son abolition, les cendres de ce régime de ségrégation raciale brulent encore le peuple Sud-Africain, qui souffre encore de nombreux maux.

La mise ne place du régime de l’Apartheid

Instituée par le Parti National (PN) de Daniel François Malan en 1948, l’apartheid, « séparation » en afrikaans, à systématisé les pratiques des premiers colons néerlandais du 17ème siècle. Ce régime se veut l’aboutissement institutionnel d’une pratique jusque-là empirique de ségrégation raciale. En reprenant les bases instaurées par la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales de 1652, les « néo-colons » Sud-Africains théorisent le « Baasskap » qui établit un rapport hiérarchique de maître (Blancs) à serviteur (Noir), ou encore le « Colour Bar Act » qui précède l’apartheid en réservant des post plus avantageux aux blancs. Malgré la prise de conscience de la population majoritaire de sa condition, et de la création de l’African National Congres (ANC) en 1912, les revendications restent impuissantes face au gouvernement suprémaciste.

Beaucoup moins nombreux que ceux qu’ils écrasent, les blancs établissent des lois, que l’Historien Giliomee expliquera par la crainte des « Afrikaners » d’être engloutis par la masse des peuples noirs. La minorité privilégiée, obsédée par sa survie ou peut-être juste par son règne, impose des lois rigides qui finissent par opposer sur un même territoire, une population sur développée, à une société de subsistance. Les noirs n’ont ni le droit de vote, ni de s’assoir sur les mêmes bancs. Ils ne montent pas dans les mêmes bus, ne vont pas dans les mêmes écoles, n’ont pas accès aux mêmes services, aux mêmes soins. Ils sont parqués dans des états fantômes. La ségrégation raciale, est aussi géographique.

A partir du 21 mars 1960, il devient impossible pour les Noirs de se déplacer en zone blanche sans porter une autorisation. Cette « Loi du Pass » déclenche alors une manifestation pacifique à Sharpeville, au cours de laquelle la violence de la police, tirant à balle réelle, marquera les esprits révoltés :  69 morts et 200 blessés et plusieurs centaines d’incarcérations, dont celle du futur président Nelson Mandela.

Les révoltes et leur internationalisation

Les manifestations terriblement réprimées de Sharpeville en témoignent, un tel régime soulève inévitablement des protestations. L’interdiction de l’ANC et de la PAC (Panafrican Congress), deux mouvement noirs anti-apartheid, pousse les militants vers la clandestinité. L’ANC prends alors les armes sous l’impulsion de Mandela, qui sera condamné à la prison à vie en 1964.

Les contestations du régime Sud-Africain débordent de plus en plus des frontières nationales et ethniques. De nombreux blancs britanniques ou catholiques s’y opposent dès le début des années 70, et la communauté internationale use de son influence pour faire pression et les sanctions de l’ONU (1962) poussent le Premier ministre de l’époque, Hendrik Verwoerd à déclarer l’indépendance de l’Union Sud-Africaine. Assi, les déclaration d’indépendances de l’Angola en 1975 et du Mozambique la même année, renforcent le nationalisme noir tout en affaiblissant le pouvoir en place. Les manifestations de la jeunesse noire à Soweto en 1976 dont la violente répression causera 575 morts et le combat pacifique de la nouvelle figure de la lutte anti suprémaciste Nelson Mandela, font pencher l’opinion international.

L’abolition de l’apartheid

Dans les années 80, le système de l’apartheid se fissure. Certains blancs d’Afrique du Sud commencent à enquêter eux même sur les sévices du régime en place et les différents crimes racistes. Le président de l’époque, Pieter Botha, supprime quelque loi ségrégationniste dans les lieux publiques, concernant le « passeport de couleur » ou l’accès des noirs à l’emploi, tout en maintenant sa politique « by white and for white » (« par les blancs et pour les blancs »). En 1984, l’autorisation de l’accès aux métisses et aux asiatiques au parlement ne fait qu’attiser la colère de la majorité noire et de l’opposition. Les grèves, manifestations, discours et révoltes contre le gouvernement se multiplient, et en 1985, les sanctions économiques des pays partenaires de la République d’Afrique du Sud font sombrer le pays dans un désordre politique et social qui poussera les autorités à déclarer l’état d’urgence.

Dans ce chaos, une seule issue possible : abolir l’apartheid. C’est ce que le président Fredrik de Klerk entreprendra en supprimant la totalité des mesures sous la supervision de l’ANC, redevenu légal. Après 27 ans de prison, Nelson Mandel est libéré en 1990 et élu aux premières élections multiraciales en 1994. Il s’impose auprès de la communauté internationale comme le symbole de l’égalité raciale. En 1997 enfin, une nouvelle constitution reconnait l’égalité des droits entre tous les citoyens Sud-Africains, peu importe leur couleur

Du problème racial au problème social

Après 50 ans d’injustice, l’apartheid est enfin aboli. Pourtant, les années de ségrégation raciale restent profondément ancrées dans les mentalités. Avec Mandela à sa tête, premier représentant de la majorité noire, le pays entreprends un processus de réconciliation nationale et internationale et met en place la « commission vérité et réconciliation » pour clarifier les torts, les crimes, et les injustices commises pendant l’apartheid. Mais si les inégalités raciales s’estompent, les inégalités sociales restent bien difficiles à combattre. Presque 30 ans après la fin de l’Apartheid, le pays est en proie à l’injustice, à la pauvreté, et reste divisé sur des critères raciaux. Il occupe la triste place de pays le plus inégalitaire sur des critères économiques selon la Banque Mondiale. Le chômage, qui atteint les 30% en 2021, connait un écart de 63% entre les blancs et des noirs. 15% des Sud-Africains n’ont pas accès à l’électricité et une partie de la population n’a toujours pas accès à la santé de manière décente, et le taux de féminicide y est 5 fois plus élevé que la moyenne mondiale. L’ANC, toujours au pouvoir et rongé par une corruption endémique qui entrave toute réforme économique ou politique, est de plus en plus critiqué par la population et par la communauté internationale. Le pays fait face à de graves problèmes structurels qui impliquent une mauvaise gestion des entreprises. La fragilité des compagnies nationales comme ESKOM , fournisseur d’énergie, fait peser des risques important de surendettements et menace l’activité économique Sud-Africaine et les finances publiques, dont l’état est déjà préoccupant. L’économie n’étant pas en mesure de créer suffisamment d’emplois, la recherche d’une croissance inclusive reste difficile aborder, faisant de l’Afrique du Sud l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde ;

Quel avenir pour l’Afrique du Sud ?

S’il veut sortir son pays de sa torpeur, le prochain président Sud-Africain devra rapidement s’atteler à endiguer la corruption tout en promouvant une croissance inclusive. La lutte contre le chômage et le redressement des finances publiques en est une étape indispensable à la réduction de la pauvreté et des inégalités non plus basées sur des critères raciaux, mais sociaux

LE PARDON DANS LES RELIGIONS DU LIVRE

LE PARDON DANS LES RELIGIONS DU LIVRE

Cette décennie est en partie marquée par la montée des tensions interreligieuses à travers le monde. Elles apparaissent parfois sous couvert de questions politiques comme celle des musulmans en France, ou sont parfois exacerbées par des violences, comme le conflit judéo-musulman dans le monde arabe, marqué par l’expropriation des terres palestiniennes par les autorités et l’armée israélienne.

Cependant, la religion ne semble jamais être la cause première de ces maux. Elle sert plutôt à légitimer, à expliquer ou à réactualiser de vieux conflits. Si ces parallèles entre la violence et la religion entrent dans l’imaginaire collectif, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il devienne une vérité pour des millions de personnes si les médias et personnalités politiques construisent leur programme (télévisé ou électoral) sur ce soi-disant rapprochement.

Une vision objective, une froideur d’esprit et un certain éloignement de l’émotion son recommandables pour aborder le thème des religions. Il faut condamner le condamnable, réprouver le répréhensible, et mettre en exergue ce qui est peut-être moins connu de tous.  L’exemple du pardon dans les religions semble tout trouvé pour apaiser le débat, les cœurs, et confronter à l’ignorance de l’autre religion, une similarité parfois insoupçonnée. Il est le parfait vecteur pour souligner les points communs des trois religions du livre dans leur praxie, tout comme dans leur philosophie. Dans leur rapport à Dieu, comme dans leur rapport à l’autre.

Le thème du pardon s’est progressivement étendu au-delà de la morale théologique pour toucher la sphère politique et même l’histoire, libérer le présent et le passé des fautes et des crimes commis par d’autres générations ou par ses pairs. Il est donc arrivé que l’on exige le pardon ou la réconciliation d’une communauté nationale comme l’Allemagne nazie pour ses crimes ou encore la restitution d’œuvres nationales dans une logique dé-coloniale. Et si Jankélévitch et Dérida sont les maîtres en la matière (philosophique), s’intéresser à la manière dont le pardon est présenté, dicté et pratiqué dans les trois religions monothéistes qui guident près de la moitié des habitants de la terre [2.2 millions de chrétiens, 1.2 musulmans, 14 millions de juifs] relève d’un tout autre travail.

L’étude du christianisme, de l’islam et du judaïsme ainsi que des aprioris à leurs sujets et de ce qu’en disent vraiment les livres saints et l’orthodoxie théologique, permettra de montrer la manière dont chacun décide de s’en saisir et de laisser place au « message originel » de ces religions.

 Il est important de préciser que ce texte n’a d’autre but que de servir d’introduction à la question du pardon et de fournir quelque modeste outil pour pouvoir en débattre et distinguer le vrai du faux dans tous les mythes qui gravitent autour de ce sujet. Les différentes branches de chaque religion ne seront ainsi pas abordées pour rendre le propose le plus simple possible.

UN AXE VERTICAL ET UN AXE HORIZONTAL 

Il est possible d’approcher ce large sujet sous deux angles différents, deux approches inséparables et consubstantielles : le pardon dans son axe vertical soit celui que Dieu accord à l’homme, et le pardon dans son axe horizontal, soit celui qui se pratique entre les hommes.

LE CHRISTIANISME 

Le pardon s’érige comme pilier de la religion chrétienne, et si certains n’en ont que pour image l’injonction de tendre l’autre joue, son application en est infiniment plus complexe et profonde.

Dans les textes bibliques, Jésus invoque le pardon « père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (LUC 23, 24) – « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonne aussi ceux qui nous ont offensé » (Mathieu 6, 12). Bien que la vie confronte toujours à ce que le philosophe Paul Ricoeur appelle le « pardon difficile », le pardon a pour fin d’apaiser les âmes et de libérer les vieilles haines. « Tu vaux mieux que tes actes » disaient le prophète aux pécheurs et pécheresses qu’il fréquentait

Pour comprendre quelles dimensions embrasse la notion de pardon, revenons sur son histoire (récente). C’est le Concile de Latran (1215) qui fixe les règles modernes de la confession et instaure la confession privée protégée par le secret, dont Hitchcock illustre l’importance dans « La loi du silence ». On avoue désormais ses péchés à un prêtre et reçoit le pardon divin de sa main. Puis en 1962, le Concile Vatican II rappelle que le pardon doit consister en une conversion intérieure plutôt que d’un accomplissement mécanique de rituel et préfère la réconciliation avec Dieu plutôt que la culpabilisation du croyant.

Pour ce qui est de la confession, moyen d’accéder au pardon, elle s’organise en trois phases. L’examen de conscience, par lequel on recherche ses péchés, la contrition, qui implique de regretter ses fautes et de prendre la résolution de ne plus les commettre, puis la satisfaction, qui invite à matérialiser son regret ou réparer les conséquences réelles quand possible, comme rendre un vélo volé.

Le seul péché impardonnable, même par le Saint-Siège, est celui contre l’esprit, refuser la miséricorde de Dieu : si l’on ne croît pas en la faculté de l’église réparer ses péchés, elle ne peut pas le faire.

Le pardon, qui ne se refuse à accepter que quelque actes graves impardonnables qui vont à l’encontre de la loi divine et de la relation avec Dieu, est plus qu’une recommandation. C’est un commandement, une obligation. Jésus avant de monter au ciel a pour ses disciples la directive suivante : « la conversion et le pardon des péchés » (l’évangile de Luc, chap 24 ).

C’est une expérience qui s’ancre dans différentes temporalités. Le bon chrétien doit la pratiquer tous les jours envers son prochain, et il est en même temps nécessaire d’aller se confesser, face à Dieu cette fois-ci, au moins une fois par an. Dans son état de grâce universelle, Dieu pardonne dans le cœur des hommes peu importe leur croyances et religion. Le pire criminel garde du bon en lui, pour la simple raison que Dieu la fait à son image.

L’ISLAM              

L’Islam maintenant, nous parait sans pitié dans l’actualité qu’on nous montre, et aller jusqu’à être présenté en France, comme un mal en soi auquel on assimile les notions d’agressivités et de violence, enfaite propre à des groupuscules minoritaires, comme on en trouve dans chaque religion.

Contrairement aux chrétiens, le pardon dans la religion musulmane est une recommandation et pas un commandement. Il n’en est pas moins un élément central de la praxie, souvent cité dans le Coran. Sur les 114 sourates, 113 contiennent la formule, la basmala « Au nom de Dieu, le tout clément, miséricordieux », et la 55ème sourate, souvent désignée comme le plus beau chapitre coranique est celle du « miséricordieux » ou de « celui qui pardonne » : « al-raham ». Les hadiths, faits et dires du prophète, accordent une importance certaine au pardon, comme la montre la phrase du prophète : « ma bonté a devancé ma colère »

On trouve parmi les 99 noms du prophète, ceux de « celui qui pardonne » (« rafur »), de «clément » (« al-afuwa »), de celui qui revient vers les pécheurs (« al-tawab »), ou de prophète du repentir (« nabi you taouba »).

Le Docteur en science religieuses Chawkat Moucarry décrit le pardon comme un acte provenant d’une initiative divine : c’est Dieu qui vient, ou plutôt revient, vers le pécheur. Si le pécheur a échappé aux obligations religieuses, bu de l’alcool par exemple, et donc péché contre Dieu, alors le pardon de Dieu est facile. Il ne s’offre pas, mais s’obtient en priant et en le demandant. Si la faute commise est contre un homme, le pardon est tout aussi recommandé. On apprends dans la sourate « Al-Imrun » que les croyants sont « ceux qui répriment leur colère et pardonnent aux autres ». Ne constituant pas un crime impardonnable des pécher originels de l’islam, la faute est pardonnée une fois le crime réparé. Bien que « Dieu ne pardonnera sur la terre qu’a ceux qui pardonnent aux autres » l’islam ne fait pas du pardon une obligation car Dieu a créé les hommes faibles et ne leur demande pas d’accomplir une tâche au-dessus de leur forces car il est juste.

L’homme est aussi pécheur par nature et est affecté par les épreuves qu’il subit. Le coran et les hadiths ont donc bien leur part de réalisme (au sens littéraire) : le pardon divin apparaît comme une compensation à la faiblesse primordiale humaine. Il n’est par ailleurs pas un geste absolu, unidirectionnel et gratuit. Le croyant n’accède pas à la repentance sans sincérité et effort spirituel, même si, dans un certain pragmatisme, il est écrit dans le Coran verset IV, 28 que « Dieu [allège] les contraintes, car les humains sont créés faibles. »

« Ô ous mes adorateurs-serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu. Parce que Dieu pardonne tous les péchés. Oui c’est lui le pardonneur, le très miséricordieux »

Sourate 39, Les groupes, Verset 53

Il n’existe pas de péchés impardonnables pour Dieu, sinon le rejet de Dieu lui-même. Celui qui a commis un acte abject et qui vient demander le pardon est en droit de l’attendre de la part de Dieu après avoir reconnu son tort.

Quelque fable, à travers l’histoire, renversent d’ailleurs les idées reçus concernant la violence consubstantielle à la religion musulmane. Saladin, célèbre sultan égyptien du 12ème siècle, emprunte la voie du  pardon  en reflétant l’enseignement du coran et des hadiths « pardonner réchauffe et convertis les cœurs ». Un autre bon exemple est celui de l’Emire Abdel Kader (1862) qui sauve les chrétiens d’un pogrom à Damas en justifiant son acte par cette phrase « je n’ai rien fait d’autre que de me conformer à la parole divine : les hommes sont tous les enfants de dieu et je n’ai pas de ressentiment contre les chrétiens »

Si des centaines d’autres exemples existent, au sein de toutes les autres religions, ces dernières permettent tout de même de détacher les notions de violence que l’on cherche parfois associer à l’islam, ou dans l’autre sens, à justifier par l’islam

LE JUDAÏSME

Du côté du judaïsme, c’est l’image du fameux « œil pour œil et dent pour dent » qui pourrait faire défaut à la rédemption. Le dieu de l’ancien testament aurait-il plus instauré les bases d’un système basé sur la vengeance que sur le pardon ?

Et bien pas du tout. Le pardon a en fait tout autant d’importance chez les juifs que chez les chrétiens ou les musulmans. Il est essentiel, et une des fêtes les plus importantes, Kippour, lui est consacré. Il accompagne aussi les rites mortuaires : les proches pardonnent le défunt et l’aident à demander le pardon de Dieu. Une fois le mort mis dans son cercueil chacun va lui demander pardon à son tour. Le pardon permet de partir sans mensonge et sans tricherie derrière soi.

Comme le commentait Maimonide, philosophe juif du 12ème siècle,  dans Mishné Torah (code de la loi juive) : le pardon ne dépends pas d’autre chose que de la disposition de l’homme au repentir. Pour obtenir le pardon, il suffit de faire ce que l’on appelle une « techouva », soit opérer un retour sur soi, prise de conscience de ses actes pour améliorer sa conduite.

Le Judaïsme fait en revanche la distinction entre le pardon et l’expiation, qui offre à l’Homme l’absolution définitive de ses fautes et la possibilité de ne plus être lié au mal qu’il a commis. Yom kippour (« le grand pardon ») signifie d’ailleurs aussi le jour d’expiation. Le fondement de cette journée ne repose donc pas tant sur le pardon mais sur l’expiation, qui lave définitivement les hommes de leur faute, mais qu’envers Dieu. Pour traiter du pardon entre homme, il faut prendre en compte une phrase essentiel de la torah :  « ne fais pas à ton prochain ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasses » [Ancien Testament exprimé dans le Lévitique (Lv 19,18)]. Pour les préjudices à l’égard d’autrui il faut réparer sa faute auprès du concerné avant l’expiation. De son côté, celui qui a été offensé est invité à ne pas refuser le pardon à celui qui vient le demander.

Les étapes du pardon dans la religion juive se séparent donc en trois étapes : la compréhension de sa faute, la volonté de transformer son acte, et la transformation réelle de son comportement à l’égard de son prochain, ou de Dieu.

Le pardon est présenté comme la trame fondamentale de la bible et tout son enjeu tient dans cet équilibre : l’Homme faute ou fautera, mais garde la confiance en Dieu par l’intermédiaire du pardon. Comme le dit Psalmiste, il n’y a pas d’homme sans faute, et « quel est l’homme qui n’a jamais fauté ? ». Sans la capacité de Dieu à laisser l’Homme se repentir, sans sa magnanimité, il n’y aurait alors même pas d’humanité. Il est donc le symbole de l’humanité, d’un monde sans mensonge et encadre réellement la vie du juif.

UNE QUESITON DÉLICATE

Seulement que pourrait-on dire, pour une communauté victime de crimes inhumains et de violentes discriminations, de l’absolu du pardon ? On ne peut pas exiger d’un homme dont la famille a été abattue sous ses yeux de pardonner l’auteur du crime, ni d’une femme violée qu’elle excuse son agresseur. On ne peut pas exiger de quelqu’un qui a vu son peuple décimé de pardonner son bourreau.

C’est Vladimir Jankélévitch qui propose une médiation philosophique au sujet du pardon lors des événements de la Shoah dans l’Histoire. Ce moraliste, juif dans sa chair et philosophe dans son intelligence expérimente l’impossibilité de pardonner le génocide commis, ce qu’il décrit dans L’imperceptible.

Parallèlement à cette position pessimiste et fataliste de l’impossibilité, le philosophe puise la noblesse nécessaire pour faire l’éloge d’un pardon désintéressé et gratuit. Dans Le pardon, entreprends de présenter le pardon en utilisant les procédures philosophiques et en opposant aux logiques stoïciennes l’éthique juive et chrétienne lue d’un œil néoplatonicien. Le but n’est pas ici de rentrer dans les détails de son argumentation mais ben de mettre en lumière la subtile alliance d’une notion religieuse et d’une élaboration philosophique.

Ce message implique donc une nécessité pluraliste et inclusive, y compris pour la résolution de problèmes purement théologiques, d’une discipline dont tout homme, de toute confession, y compris athée peut se saisir : la philosophie.

SOUS L’AILE DE L’ABRAHAMISME  

Les différences entre ses trois religions se ressentent dans leur praxie et se distinguent surtout par la caractérisation qu’elles font de Dieu : un Dieu de bonté et de charité pour les chrétiens, de souveraineté et de dévotion pour les musulmans, et d’espérance et de justice pour les juifs.

Le christianisme relève la spécificité du christ dont la vie est remplie de pardon jusqu’à sa crucifixion contrairement aux autres prophètes. La tradition judéo-chrétienne rappelle que le pardon n’est pas un privilège de Dieu, mais qu’il y a urgence à le corréler avec le pardon humain et exclue l’islam de cette logique, et l’idée de la responsabilité de l’homme rapproche l’islam et le christianisme.

Mais pour poursuivre cette lancée universaliste, ces valeurs se retrouvent toutes dans les trois livres. La bible, le coran et la torah érigent la notion de pardon et ses injonctions comme un patrimoine commun issu de l’héritage abrahamique dont émane les mêmes valeurs : la justice, le don, l’hospitalité, le pardon, et le fait que seul dieu peut pardonner en sa qualité de juge divin

UN SENTIMENT UNIVERSEL

Finalement, le pardon est un acte universel, qui n’a pas attendu la naissance des prophètes pour s’exercer entre les hommes.  S’il relève d’une « folie impossible » pour Dérida, son imbrication dans la culture, et ses exigences, religieuse ou non, sont assurément de nature différente à travers le monde

Mais s’il fallait retenir une chose de tout cela, c’est qu’après son examen, et au risque d’en fâcher plus d’un, le pardon dans les religions du livre présente les mêmes directives pour des aires géographiques et philosophiques, culturelles et sociales différentes.

Dans l’Histoire, des sages se sont servis du pardon pour être en paix avec l’autre. Et Abdel Kader était musulman, comme les terroristes qui en perpétuent les dérives, Maïmonide était juif, comme les ultra-orthodoxes qui participent à la dépossession des terres palestiniennes, et les évangélistes radicaux aux USA sont chrétiens comme l’était Mère Thérèsa. La religion est un socle commun aux croyant, dont il existe mille manières de se saisir et de la pratiquer, parfois pour faire le bien, parfois pour justifier le mal.

La différence avec son voisin vient alors peut-être plus de l’éducation que l’on à reçut, de l’endroit où l’on est né, et des choix de vie que l’on fait, que du dieu pour lequel on prie.