Deux peuples qui revendiquent un seul et même territoire. C’est cet affrontement qui enflamme les débats et les populations du levant, et dont les avancées font la une de la presse internationale. Un conflit d’abord appelé « israélo-arabe » puis réduit au conflit « israélo-palestinien » que l’on connait aujourd’hui, et qui symbolise une bataille diplomatiquement irrésolvable et dont l’issue se dessine de plus en plus depuis que les bombardements israéliens anéantissent les populations de gazaouies.
Entre 2008 et 2021, les deux camps sont responsables de plus de 7000 morts : 5590 du côté palestinien, et 853 pour l’état d’Israël. Quant à l’année 2022, elle est considérée comme la plus meurtrière depuis l’intifada de 2005, avec 150 morts palestiniens et 30 morts israéliens. Et si un inventaire était nécessaire, environ 13.000 palestiniens et 3700 israéliens ont perdu la vie entre 1948 et 1993.
Ce conflit, a la spécificité d’être d’actualité depuis 1948. C’est-à-dire qu’il n’a cessé de préoccuper et de solliciter les acteurs et autorités internationales depuis cette date. Il est donc encore en 2023, un sujet d’actualité, et un sujet historique. Pourtant, c’est avec la grille de lecture démographique que cet article propose d’étudier ce conflit. Depuis l’arrivée massive de juifs en 1948, les annexions de plusieurs territoires en 1967 et le renouvellement de la politique d’occupation et d’expropriation de ces dernières années, la démographie n’est peut-être pas au cœur du débat, mais elle est bien au cœur des stratégies et des politiques des deux camps.
LA DEMOGRAPHIE QU’EST-CE QUE C’EST ?
Si la démographie n’a pas la prétention de tout expliquer, elle permet de rendre compte de l’état d’un territoire, de ses citoyens, d’une génération et même des mentalités. C’est « l’étude quantitative et qualitative des caractéristiques des populations et de leur dynamiques » ou en des termes moins abstrait, c’est ce qui permet de dresser un grand tableau statistique d’un territoire, d’y entrer des données spécifiques, comme le taux de natalité, de fécondité, de mortalité, de nuptialité ou encore de migration, et d’interpréter ces moyennes. Attention, cet outil ne permet pas une compréhension totale de la société. La théorie de Samuel Huntington par exemple, qui tentait d’expliquer la violence politique des sociétés du Maghreb par la forte présence d’une population jeune est à nuancer. Dans cet article, la démographie n’aura pour seul but que de revisiter les grilles de lectures manichéennes et traditionnelles et d’apporter un regard neuf à une situation pourtant déjà bien connue.
UN PEUPLE, C’EST UN NOMBRE
Depuis la création de l’état d’Israël et ensuite, l’annexion israélienne de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza, du Plateau du Golan et de Jérusalem Est, la population et le peuplement sont devenu des questions majeurs pour les deux camps. Dans les territoires occupés ou à Jérusalem même, la question de la majorité ethnique pèse dans la balance. Les taux de croissances des populations sont surveillés de près, tout comme les déplacements et les arrivées. Le « choc des civilisations » n’est plus utile pour l’analyse des relations internationales, mais il semble bien faire écho aux mentalités des deux camps : qui est le plus grand nombre est chez soi, et qui est chez soi est légitime.
LES PREMICES D’UNE POLITIQUE POPULATIONISTE
L’atout démographique s’ajoutant aux nécessités de l’état israélien, celui-ci commence, avant même sa création, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, à mener une politique de mariages précoces pour s’assurer une population abondante. La « Loi du retour » permettait dès 1950, à toute personne juive capable de justifier un lien avec l’identité ou la tradition juive, de devenir un citoyen israélien, quand les Palestiniens ne pouvaient l’obtenir malgré des justificatifs de résidence ou d’appartenance familiale en Israël. Puis le Ministre Israélien Ben Gourion arrivé au pouvoir en 1955, se lance dans une politique populationniste et fait appel au sens patriotique des citoyens en inquiétant : « Nous sommes amenés à devenir une minorité ». Il ira jusqu’à créer un prix à son nom pour récompenser les familles de plus de 10 enfants. Un peu plus tard, Golda Meir, qui succède à Ben Gourion de 1969 à 1974, instaure les prémices d’une politique raciste envers les Palestiniens, et ajoute à l’équation un mépris violent à l’égard des juifs séfarades, qu’elle considère moins instruits : la qualité et la quantité sont donc à l’ordre du jour.
PALESTINE : OBJECTIF CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE
Côté Palestine, les réactions sont immédiates. Des années 1950 jusqu’à la deuxième Intifada ( 2000 – 2005) les femmes palestiniennes ont en moyenne 8 enfants, soit 5 de plus que les femmes juives, qui n’en ont que 3 jusqu’aux années 2000. Dans les années 1970, Yasser Arafat, fondateur de l’Organisation de Libération de la Palestine, demandera même aux épouses d’enfanter 12 fois avec cette phrase restée célèbre : « 2 pour elles, 2 pour la famille et 8 pour la Palestine. »
Mahmoud Abbas répondra quant à lui au prix Ben Gourion en créant un aide équivalent à 4.000 dollars américains pour tous les couples rencontrant des difficultés à avoir d’autres enfants. En une trentaine d’année, l’utérus devient, aux yeux des dirigeants, un outil politique, et une véritable arme.
ISRAEL REPRENDS SA POLITIQUE POPULATIONISTE
Malgré une légère détente encouragée par les tentatives de dialogue et de négociations, notamment la mythique poignée de main entre les deux dirigeants israéliens et palestiniens à la Maison Blanche lors des accords d’Oslo (1993) puis d’Oslo II (1995), le début des années 2000 marque une dégradation des relations bilatérales des deux pays, et le début d’une politique agressive inédite chez l’état sioniste. Avec des percées toujours plus lointaines sur le territoire palestinien et des dirigeants penchant de plus en plus à droite du spectre politique, Israël reprends sa politique populationniste.
En 2003, le président Benyamin Netanyahou déclare l’interdiction totale du droit de regroupement familial. Il est alors impossible pour un Palestinien marié avec une cisjordanienne ou une Palestinienne de la Bande de Gaza de vivre en Israël. En 2011, la Loi Comité d’Admission permet à toute commune juive de moins de 400 familles de refuser à un Palestinien de s’y installer. Puis en 2018, la Loi sur l’Etat Nation définit Israël comme un état ou « seul les juifs ont le droit à l’autodétermination », et encourage l’implantation exclusivement juive en retirant à l’arabe son statut de langue officielle de l’état.
LA NOUVELLE KNESSET, LE NATALISME REMIS AU GOUT DU JOUR
Lors des élections de la 25ème parlement israélien en 2022, la Knesset, les écarts se creusent. Les députés israéliens montrent l’exemple en terme de natalité, avec une moyenne de 3 enfants par députés tout parti confondu, et allant jusqu’à 8 enfants par députés des partis d’extrême droite. Cette politique nataliste renouvelée appuyée et encouragée par un gouvernement de plus en plus extrême souhaite cesser de « s’encombrer du laïque » selon les mots du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir. En 2021 déjà, le taux de natalité israélien de 3,13 enfants par femme avait dépassé celui de Palestine, avec seulement 2,83 enfants par femme.
QUE PEUT ON PREVOIR GRACE A LA DEMOGRAPHIE ?
Avec une augmentation des proportions nationalistes et d’ultra-droite de Knesset en Knesset, et l’intensification des politiques natalistes, les projections de courbes de natalités prévoient une majorité juive à l’échelle nationale d’ici 2065 avec 16 millions de Juifs contre 14 millions de Palestiniens selon le rapport de Nitzan Perelman, directrice du magistère de l’IREMMO et enseignante à Paris 1. Depuis les évènements du 7 octobre 2023, les bombardements israéliens, la mort de dizaines de milliers de civils palestiniens, les pénuries en eau et la famine qui s’installent dans l’enclave Gazaouie viennent évidement accélérer les tendances précédemment énoncées. Les chiffres sont à nuancés, ne prenant ni en compte la diaspora palestinienne qui s’élève à environ 1 million, ni les non citoyens israéliens non juifs. Toujours est-il que l’avantage démographique est un argument de poids qui pourrait faire tomber la balance qui penchait déjà du côté Israélien. Peut-on parier sur la longévité de ce conflit au vu des évènements de l’Histoire ? Faut-il s’inquiéter de cette « date de péremption » de la majorité palestinienne qui vient s’ajouter aux expropriations constantes israéliennes et aux menaces existentielles qui pèsent depuis le mois d’octobre 2023 sur le peuple palestinien ? La question est ouverte.