LE PARDON DANS LES RELIGIONS DU LIVRE

LE PARDON DANS LES RELIGIONS DU LIVRE

Cette décennie est en partie marquée par la montée des tensions interreligieuses à travers le monde. Elles apparaissent parfois sous couvert de questions politiques comme celle des musulmans en France, ou sont parfois exacerbées par des violences, comme le conflit judéo-musulman dans le monde arabe, marqué par l’expropriation des terres palestiniennes par les autorités et l’armée israélienne.

Cependant, la religion ne semble jamais être la cause première de ces maux. Elle sert plutôt à légitimer, à expliquer ou à réactualiser de vieux conflits. Si ces parallèles entre la violence et la religion entrent dans l’imaginaire collectif, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il devienne une vérité pour des millions de personnes si les médias et personnalités politiques construisent leur programme (télévisé ou électoral) sur ce soi-disant rapprochement.

Une vision objective, une froideur d’esprit et un certain éloignement de l’émotion son recommandables pour aborder le thème des religions. Il faut condamner le condamnable, réprouver le répréhensible, et mettre en exergue ce qui est peut-être moins connu de tous.  L’exemple du pardon dans les religions semble tout trouvé pour apaiser le débat, les cœurs, et confronter à l’ignorance de l’autre religion, une similarité parfois insoupçonnée. Il est le parfait vecteur pour souligner les points communs des trois religions du livre dans leur praxie, tout comme dans leur philosophie. Dans leur rapport à Dieu, comme dans leur rapport à l’autre.

Le thème du pardon s’est progressivement étendu au-delà de la morale théologique pour toucher la sphère politique et même l’histoire, libérer le présent et le passé des fautes et des crimes commis par d’autres générations ou par ses pairs. Il est donc arrivé que l’on exige le pardon ou la réconciliation d’une communauté nationale comme l’Allemagne nazie pour ses crimes ou encore la restitution d’œuvres nationales dans une logique dé-coloniale. Et si Jankélévitch et Dérida sont les maîtres en la matière (philosophique), s’intéresser à la manière dont le pardon est présenté, dicté et pratiqué dans les trois religions monothéistes qui guident près de la moitié des habitants de la terre [2.2 millions de chrétiens, 1.2 musulmans, 14 millions de juifs] relève d’un tout autre travail.

L’étude du christianisme, de l’islam et du judaïsme ainsi que des aprioris à leurs sujets et de ce qu’en disent vraiment les livres saints et l’orthodoxie théologique, permettra de montrer la manière dont chacun décide de s’en saisir et de laisser place au « message originel » de ces religions.

 Il est important de préciser que ce texte n’a d’autre but que de servir d’introduction à la question du pardon et de fournir quelque modeste outil pour pouvoir en débattre et distinguer le vrai du faux dans tous les mythes qui gravitent autour de ce sujet. Les différentes branches de chaque religion ne seront ainsi pas abordées pour rendre le propose le plus simple possible.

UN AXE VERTICAL ET UN AXE HORIZONTAL 

Il est possible d’approcher ce large sujet sous deux angles différents, deux approches inséparables et consubstantielles : le pardon dans son axe vertical soit celui que Dieu accord à l’homme, et le pardon dans son axe horizontal, soit celui qui se pratique entre les hommes.

LE CHRISTIANISME 

Le pardon s’érige comme pilier de la religion chrétienne, et si certains n’en ont que pour image l’injonction de tendre l’autre joue, son application en est infiniment plus complexe et profonde.

Dans les textes bibliques, Jésus invoque le pardon « père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (LUC 23, 24) – « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonne aussi ceux qui nous ont offensé » (Mathieu 6, 12). Bien que la vie confronte toujours à ce que le philosophe Paul Ricoeur appelle le « pardon difficile », le pardon a pour fin d’apaiser les âmes et de libérer les vieilles haines. « Tu vaux mieux que tes actes » disaient le prophète aux pécheurs et pécheresses qu’il fréquentait

Pour comprendre quelles dimensions embrasse la notion de pardon, revenons sur son histoire (récente). C’est le Concile de Latran (1215) qui fixe les règles modernes de la confession et instaure la confession privée protégée par le secret, dont Hitchcock illustre l’importance dans « La loi du silence ». On avoue désormais ses péchés à un prêtre et reçoit le pardon divin de sa main. Puis en 1962, le Concile Vatican II rappelle que le pardon doit consister en une conversion intérieure plutôt que d’un accomplissement mécanique de rituel et préfère la réconciliation avec Dieu plutôt que la culpabilisation du croyant.

Pour ce qui est de la confession, moyen d’accéder au pardon, elle s’organise en trois phases. L’examen de conscience, par lequel on recherche ses péchés, la contrition, qui implique de regretter ses fautes et de prendre la résolution de ne plus les commettre, puis la satisfaction, qui invite à matérialiser son regret ou réparer les conséquences réelles quand possible, comme rendre un vélo volé.

Le seul péché impardonnable, même par le Saint-Siège, est celui contre l’esprit, refuser la miséricorde de Dieu : si l’on ne croît pas en la faculté de l’église réparer ses péchés, elle ne peut pas le faire.

Le pardon, qui ne se refuse à accepter que quelque actes graves impardonnables qui vont à l’encontre de la loi divine et de la relation avec Dieu, est plus qu’une recommandation. C’est un commandement, une obligation. Jésus avant de monter au ciel a pour ses disciples la directive suivante : « la conversion et le pardon des péchés » (l’évangile de Luc, chap 24 ).

C’est une expérience qui s’ancre dans différentes temporalités. Le bon chrétien doit la pratiquer tous les jours envers son prochain, et il est en même temps nécessaire d’aller se confesser, face à Dieu cette fois-ci, au moins une fois par an. Dans son état de grâce universelle, Dieu pardonne dans le cœur des hommes peu importe leur croyances et religion. Le pire criminel garde du bon en lui, pour la simple raison que Dieu la fait à son image.

L’ISLAM              

L’Islam maintenant, nous parait sans pitié dans l’actualité qu’on nous montre, et aller jusqu’à être présenté en France, comme un mal en soi auquel on assimile les notions d’agressivités et de violence, enfaite propre à des groupuscules minoritaires, comme on en trouve dans chaque religion.

Contrairement aux chrétiens, le pardon dans la religion musulmane est une recommandation et pas un commandement. Il n’en est pas moins un élément central de la praxie, souvent cité dans le Coran. Sur les 114 sourates, 113 contiennent la formule, la basmala « Au nom de Dieu, le tout clément, miséricordieux », et la 55ème sourate, souvent désignée comme le plus beau chapitre coranique est celle du « miséricordieux » ou de « celui qui pardonne » : « al-raham ». Les hadiths, faits et dires du prophète, accordent une importance certaine au pardon, comme la montre la phrase du prophète : « ma bonté a devancé ma colère »

On trouve parmi les 99 noms du prophète, ceux de « celui qui pardonne » (« rafur »), de «clément » (« al-afuwa »), de celui qui revient vers les pécheurs (« al-tawab »), ou de prophète du repentir (« nabi you taouba »).

Le Docteur en science religieuses Chawkat Moucarry décrit le pardon comme un acte provenant d’une initiative divine : c’est Dieu qui vient, ou plutôt revient, vers le pécheur. Si le pécheur a échappé aux obligations religieuses, bu de l’alcool par exemple, et donc péché contre Dieu, alors le pardon de Dieu est facile. Il ne s’offre pas, mais s’obtient en priant et en le demandant. Si la faute commise est contre un homme, le pardon est tout aussi recommandé. On apprends dans la sourate « Al-Imrun » que les croyants sont « ceux qui répriment leur colère et pardonnent aux autres ». Ne constituant pas un crime impardonnable des pécher originels de l’islam, la faute est pardonnée une fois le crime réparé. Bien que « Dieu ne pardonnera sur la terre qu’a ceux qui pardonnent aux autres » l’islam ne fait pas du pardon une obligation car Dieu a créé les hommes faibles et ne leur demande pas d’accomplir une tâche au-dessus de leur forces car il est juste.

L’homme est aussi pécheur par nature et est affecté par les épreuves qu’il subit. Le coran et les hadiths ont donc bien leur part de réalisme (au sens littéraire) : le pardon divin apparaît comme une compensation à la faiblesse primordiale humaine. Il n’est par ailleurs pas un geste absolu, unidirectionnel et gratuit. Le croyant n’accède pas à la repentance sans sincérité et effort spirituel, même si, dans un certain pragmatisme, il est écrit dans le Coran verset IV, 28 que « Dieu [allège] les contraintes, car les humains sont créés faibles. »

« Ô ous mes adorateurs-serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu. Parce que Dieu pardonne tous les péchés. Oui c’est lui le pardonneur, le très miséricordieux »

Sourate 39, Les groupes, Verset 53

Il n’existe pas de péchés impardonnables pour Dieu, sinon le rejet de Dieu lui-même. Celui qui a commis un acte abject et qui vient demander le pardon est en droit de l’attendre de la part de Dieu après avoir reconnu son tort.

Quelque fable, à travers l’histoire, renversent d’ailleurs les idées reçus concernant la violence consubstantielle à la religion musulmane. Saladin, célèbre sultan égyptien du 12ème siècle, emprunte la voie du  pardon  en reflétant l’enseignement du coran et des hadiths « pardonner réchauffe et convertis les cœurs ». Un autre bon exemple est celui de l’Emire Abdel Kader (1862) qui sauve les chrétiens d’un pogrom à Damas en justifiant son acte par cette phrase « je n’ai rien fait d’autre que de me conformer à la parole divine : les hommes sont tous les enfants de dieu et je n’ai pas de ressentiment contre les chrétiens »

Si des centaines d’autres exemples existent, au sein de toutes les autres religions, ces dernières permettent tout de même de détacher les notions de violence que l’on cherche parfois associer à l’islam, ou dans l’autre sens, à justifier par l’islam

LE JUDAÏSME

Du côté du judaïsme, c’est l’image du fameux « œil pour œil et dent pour dent » qui pourrait faire défaut à la rédemption. Le dieu de l’ancien testament aurait-il plus instauré les bases d’un système basé sur la vengeance que sur le pardon ?

Et bien pas du tout. Le pardon a en fait tout autant d’importance chez les juifs que chez les chrétiens ou les musulmans. Il est essentiel, et une des fêtes les plus importantes, Kippour, lui est consacré. Il accompagne aussi les rites mortuaires : les proches pardonnent le défunt et l’aident à demander le pardon de Dieu. Une fois le mort mis dans son cercueil chacun va lui demander pardon à son tour. Le pardon permet de partir sans mensonge et sans tricherie derrière soi.

Comme le commentait Maimonide, philosophe juif du 12ème siècle,  dans Mishné Torah (code de la loi juive) : le pardon ne dépends pas d’autre chose que de la disposition de l’homme au repentir. Pour obtenir le pardon, il suffit de faire ce que l’on appelle une « techouva », soit opérer un retour sur soi, prise de conscience de ses actes pour améliorer sa conduite.

Le Judaïsme fait en revanche la distinction entre le pardon et l’expiation, qui offre à l’Homme l’absolution définitive de ses fautes et la possibilité de ne plus être lié au mal qu’il a commis. Yom kippour (« le grand pardon ») signifie d’ailleurs aussi le jour d’expiation. Le fondement de cette journée ne repose donc pas tant sur le pardon mais sur l’expiation, qui lave définitivement les hommes de leur faute, mais qu’envers Dieu. Pour traiter du pardon entre homme, il faut prendre en compte une phrase essentiel de la torah :  « ne fais pas à ton prochain ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasses » [Ancien Testament exprimé dans le Lévitique (Lv 19,18)]. Pour les préjudices à l’égard d’autrui il faut réparer sa faute auprès du concerné avant l’expiation. De son côté, celui qui a été offensé est invité à ne pas refuser le pardon à celui qui vient le demander.

Les étapes du pardon dans la religion juive se séparent donc en trois étapes : la compréhension de sa faute, la volonté de transformer son acte, et la transformation réelle de son comportement à l’égard de son prochain, ou de Dieu.

Le pardon est présenté comme la trame fondamentale de la bible et tout son enjeu tient dans cet équilibre : l’Homme faute ou fautera, mais garde la confiance en Dieu par l’intermédiaire du pardon. Comme le dit Psalmiste, il n’y a pas d’homme sans faute, et « quel est l’homme qui n’a jamais fauté ? ». Sans la capacité de Dieu à laisser l’Homme se repentir, sans sa magnanimité, il n’y aurait alors même pas d’humanité. Il est donc le symbole de l’humanité, d’un monde sans mensonge et encadre réellement la vie du juif.

UNE QUESITON DÉLICATE

Seulement que pourrait-on dire, pour une communauté victime de crimes inhumains et de violentes discriminations, de l’absolu du pardon ? On ne peut pas exiger d’un homme dont la famille a été abattue sous ses yeux de pardonner l’auteur du crime, ni d’une femme violée qu’elle excuse son agresseur. On ne peut pas exiger de quelqu’un qui a vu son peuple décimé de pardonner son bourreau.

C’est Vladimir Jankélévitch qui propose une médiation philosophique au sujet du pardon lors des événements de la Shoah dans l’Histoire. Ce moraliste, juif dans sa chair et philosophe dans son intelligence expérimente l’impossibilité de pardonner le génocide commis, ce qu’il décrit dans L’imperceptible.

Parallèlement à cette position pessimiste et fataliste de l’impossibilité, le philosophe puise la noblesse nécessaire pour faire l’éloge d’un pardon désintéressé et gratuit. Dans Le pardon, entreprends de présenter le pardon en utilisant les procédures philosophiques et en opposant aux logiques stoïciennes l’éthique juive et chrétienne lue d’un œil néoplatonicien. Le but n’est pas ici de rentrer dans les détails de son argumentation mais ben de mettre en lumière la subtile alliance d’une notion religieuse et d’une élaboration philosophique.

Ce message implique donc une nécessité pluraliste et inclusive, y compris pour la résolution de problèmes purement théologiques, d’une discipline dont tout homme, de toute confession, y compris athée peut se saisir : la philosophie.

SOUS L’AILE DE L’ABRAHAMISME  

Les différences entre ses trois religions se ressentent dans leur praxie et se distinguent surtout par la caractérisation qu’elles font de Dieu : un Dieu de bonté et de charité pour les chrétiens, de souveraineté et de dévotion pour les musulmans, et d’espérance et de justice pour les juifs.

Le christianisme relève la spécificité du christ dont la vie est remplie de pardon jusqu’à sa crucifixion contrairement aux autres prophètes. La tradition judéo-chrétienne rappelle que le pardon n’est pas un privilège de Dieu, mais qu’il y a urgence à le corréler avec le pardon humain et exclue l’islam de cette logique, et l’idée de la responsabilité de l’homme rapproche l’islam et le christianisme.

Mais pour poursuivre cette lancée universaliste, ces valeurs se retrouvent toutes dans les trois livres. La bible, le coran et la torah érigent la notion de pardon et ses injonctions comme un patrimoine commun issu de l’héritage abrahamique dont émane les mêmes valeurs : la justice, le don, l’hospitalité, le pardon, et le fait que seul dieu peut pardonner en sa qualité de juge divin

UN SENTIMENT UNIVERSEL

Finalement, le pardon est un acte universel, qui n’a pas attendu la naissance des prophètes pour s’exercer entre les hommes.  S’il relève d’une « folie impossible » pour Dérida, son imbrication dans la culture, et ses exigences, religieuse ou non, sont assurément de nature différente à travers le monde

Mais s’il fallait retenir une chose de tout cela, c’est qu’après son examen, et au risque d’en fâcher plus d’un, le pardon dans les religions du livre présente les mêmes directives pour des aires géographiques et philosophiques, culturelles et sociales différentes.

Dans l’Histoire, des sages se sont servis du pardon pour être en paix avec l’autre. Et Abdel Kader était musulman, comme les terroristes qui en perpétuent les dérives, Maïmonide était juif, comme les ultra-orthodoxes qui participent à la dépossession des terres palestiniennes, et les évangélistes radicaux aux USA sont chrétiens comme l’était Mère Thérèsa. La religion est un socle commun aux croyant, dont il existe mille manières de se saisir et de la pratiquer, parfois pour faire le bien, parfois pour justifier le mal.

La différence avec son voisin vient alors peut-être plus de l’éducation que l’on à reçut, de l’endroit où l’on est né, et des choix de vie que l’on fait, que du dieu pour lequel on prie.

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #1/2

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #1/2

« L’impression de savoir est bien plus dangereuse pour la connaissance que l’ignorance. » disait Gerald Bronner.

Avec l’avènement du web, les internautes sont de plus en plus exposés à de fausses informations. De plus en plus diffusées, de plus en plus relayées grâce aux nouveaux systèmes de partage, les fake news et les thèses conspirationnistes sont de plus en plus présentes sur la toile. Elles sont les armes principales d’une désinformation de masse qui touche tout-le-monde, et la jeunesse en particulier. Les théories conspirationnistes désorientent l’opinion publique à coup de mensonges, de vérités autoproclamées, de pseudo-révélations sur une vérité cachée, allant parfois jusqu’au négationnisme. Elles entravent le travail des historiens et entachent les mémoires. Ces thèses, présentes en masse et partout, parviennent même à s’insinuer dans des discours institutionnels. Le climato-scepticisme américain ou le négationnisme turc en sont de bons exemples.

DES RÉPERCUTIONS À GRANDE ÉCHELLE

Les historiens s’accordent à dire que les premières théories du complot à grande échelle nous viennent de la Révolution française. Depuis, le protocole des sages de Sion, les OVNI, l’assassinat de J.F.K, le programme Apollo, et les attentats du 11 septembre ont été les sujets de théories de ce genre. Le problème, c’est que ces thèses ont de plus en plus d’audience, notamment sur les réseaux sociaux, et qu’une part de moins en moins négligeable de la population y prête foi, avec de graves répercussions sur ses choix politiques et sociaux.

C’est pourquoi il devient de plus en plus important, voire indispensable, de connaître et de savoir manier les différents outils rhétoriques et oratoires pour s’armer contre le complotisme et ses partisans. Et pour apprendre, dans un débat à démentir des arguments infondés, se faire défenseur de la vérité et éradiquer mensonges et menteurs.

Et puis même sans ces aspirations justiciables, connaître quelque astuces rhétoriques n’est jamais fait de mal à personne. 

Le complotisme est un mal sans tête qu’il est possible d’éradiquer, chacun à son échelle.

Il ne s’agit pas ici d’exposer les failles de chaque théorie du complot (c’est le rôle du debunker), ni de prouver qu’elles sont toutes fausses, mais de mettre en place une liste non-exhaustive de scénarios et d’outils qui pourront s’avérer utiles, et dans certains cas efficaces. Évidemment, ils ne garantiront pas le succès dans un débat, mais la démarche critique qui vas être favorisée et exposée apportera certainement des outils et des idées pour remporter un débat contre des partisans d’idées complotistes, reconnaître un complot, et crier la vérité aussi haut que possible.

I POSER UN CADRE ET UNE MÉTHODE

Dans un premier temps, il est impératif de poser l’atmosphère du débat: n’oubliez jamais qu’en public, l’attitude compte autant que les arguments ! C’est ce que font très souvent les hommes politiques en utilisant des formules de courtoisie : Mr…. Je vous remercie de m’accueillir… Merci de me poser la question… Ce sujet est important… Il est également important de rester calme, et de veiller à ne pas se montrer catégorique dès le départ. En effet, bien que la plupart soient plus aberrantes et loufoques que probables, certaines théories qui sont passées pour complotistes au départ se sont révélées vraies par la suite. On peut citer pêle-mêle l’incident du Golfe du Tonkin, le projet MKUltra, ou les écoutes illégales de la NSA. Ce qui ne constitue pas un complot en soi, mais jette le doute et donne du poids aux arguments conspirationnistes.

Un choc frontal n’est donc pas conseillé, d’autant que le complotiste peut se révéler très au fait de son sujet. Par ailleurs, en restant par principe ouvert, et en reconnaissant que de vrais complots ont été découverts par le passé, on évite d’être considéré comme dupe, naïf, ou croyant aveuglément à la propagande officielle. Ensuite un débat calme, où chacun écoute l’autre, permettra d’atténuer, voire de gommer le principe de la raison du plus fort.

En effet dans de nombreux débats médiatiques ou officiels, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Celui ou ceux qui font preuve de force, voire d’agressivité, qui font le plus de bruit, ou qui provoquent le plus d’applaudissements, en profitent pour noyer la réponse de l’autre. Et c’est ce qu’il faut éviter ici.

Rester donc courtois… et factuel. Prenons l’exemple des Protocoles des Sages Sion, point de départ de nombreux complots modernes. Ce texte, qui se présente comme un compte-rendu de réunions secrètes, pourrait se résumer par ce petit pitch: l’Occident est en passe de tomber aux mains de 300 Juifs influents qui ne souhaitent pas autre pas autre chose que de faire basculer le monde sous leur coupe. Mais voila ! Ce qui apparaît comme la véritable preuve de l’existence d’un complot mondial est en réalité un faux… Et c’est là que va commencer la bataille: notre interlocuteur, lui, est persuadé que ce complot est bien réel, et il va falloir instiller le doute. Le meilleur moyen de commencer est donc peut-être de reconnaître qu’en effet, ce document a bien été écrit en 1903… bien qu’il y ait querelle entre spécialistes, et que certains affirment que c’était plutôt en 1901… À Moscou ou à Paris ?

D’ailleurs, quelle est ta position sur le sujet ? La réponse vous permettra de savoir quel est le degré d’implication et de connaissances historiques de votre opposant sur la question. Et de laisser penser, par la même occasion, que vous êtes vous-même ouvert à ses arguments. Le ton, s’il était vindicatif, devrait se radoucir…

Votre adversaire va maintenant commencer à dérouler ses preuves. Même face aux plus grosses absurdités, il est important de ne pas se laisser emporter. Ne pas rire, même si c’est parfois difficile, ne pas s’énerver, ne pas lever les yeux au ciel… Il faut impérativement qu’il / elle se sente pris(e) au sérieux si vous voulez laisser une chance à vos contre-arguments. Savoir respecter l’Autre est une position de principe, même s’il s’agit d’un crétin, d’un ignorant ou d’un fou. Faute de quoi vous ferez vite partie de la très actuelle et décriée catégorie des sachants, technos et autres intellos… et passerez à côté de votre objectif: convaincre. Pire, il / elle se sentira conforté(e) dans sa position de combattant(e) anti-système, se mettra en situation de défiance, refusera d’écouter davantage, et sera perdu(e) pour le dialogue.

Comme donc on ne persuade personne sans écouter d’abord… Courage et patience à vous ! Il faut donc se comporter en bon rationaliste, auquel une théorie est soumise. Théorie qui n’est ni bonne ni mauvaise a priori. Et il faudra montrer que l’on s’y penche, sans mépris ni condescendance. Pour reprendre notre exemple, Les Protocoles servent aujourd’hui de modèle aux anti-conspirationnistes pour dénoncer les théories du complot. Or à l’origine, ce texte provient bien d’une manipulation destinée à influencer le gouvernement russe.

Si la révélation de la supercherie met donc à mal la théorie du complot judéo-maçonnique, elle ne détruit pas pour autant l’existence d’une machination fomentée au sein de l’État. Et admettre que de telles cabales existent va vous donner du crédit dans le camp adverse. Vous pouvez même enfoncer le clou en citant d’autres mystifications avérées, comme l’affaire des armes de destruction massive en Irak en 2004, le sabotage du Rainbow Warrior de Greenpeace, coulé par les services secrets français en 1985, ou tout ce que le (vrai) journalisme d’investigation ou les enquêtes de (vrais) historiens auront pu vous apprendre. Bref, Les Protocoles des Sages de Sion prouvent bien que les complots existent. Mais pas forcément ceux qu’on croit…

Tu avais raison, il y avait bien un complot là-dessous.. Votre adversaire n’y a pas perdu.

Il a bien son complot, sauf qu’il a changé de nature. Sa théorie a été troquée pour les travaux d’un historien, d’un journaliste ou d’un scientifique. Vous aurez peut-être gagné l’oreille d’un opposant, qui sera plus enclin à vous écouter lors de votre prochaine confrontation… et ce n’est pas un sophisme. En effet, lutter contre le complotisme n’a jamais voulu dire ne se poser aucune question sur les discours officiels, ne jamais douter de rien, ou relayer sans réfléchir le premier article de presse venu.

Quel que soit le sujet, il y a probablement des travaux sérieux et documentés à trouver pour se faire une idée et développer un contre-argumentaire en cas de délire judéo-maçon paranoïde diagnostiqué. En situation d’urgence, la petite sélection ci-dessous vous permettra d’accéder rapidement à des sources web fiables, et de vous faire une première idée des grandes lignes d’un sujet que vous ne maîtrisez pas forcément.

EN BREF Calme, patience, respect et bienveillance

Rendez-vous dans le deuxième épisode de cette série, où on aborde l’argument du doute!

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #2/2

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #2/2

Pour ce deuxième épisode concernant la lutte contre le complotisme, on se concentre sur l’usage des points communs et du doute.

Si vous n’avez pas lu le premier épisode, lisez-le ! L’ordre chronologique est impératif.

Après avoir déterminé les problèmes du complotisme et défini le cadre du débat, il sera également utile de reconnaître que nous sommes tous un peu complotistes par moments, afin de créer un lien et de montrer que nous pouvons tous être amenés à croire quelque-chose qui semble vrai.

Ce qui revient à utiliser le procédé que Pascal applique dans ses Pensées, dans lesquelles il part d’un constat sur l’Humanité, dont il fait partie, pour développer toute une partie sur des observations probablement partagées par une majorité qu’il veut convaincre. Lui attribuant du coup un certain crédit, les esprits sous l’emprise du stratagème pascalien se laissent donc séduire par la solution proposée, qui ne peut qu’être raisonnable et juste étant donné la position commune qu’ils partagent avec l’auteur.

Mais comme le disait Ésope dans sa fable Le loup et l’agneau, «les arguments les plus justes ne peuvent rien contre les gens décidés à faire le mal». C’est-à-dire, en ce qui nous concerne, que les conspirationnistes les plus radicaux vont systématiquement mettre en doute le moindre argument que vous pourriez leur opposer. Totalement fermés d’esprit, refusant d’entendre d’autres idées que les leurs, ils vont se retrancher dans une position hermétique que vous ne pourrez que difficilement contrer. Et dans ce cas, il vous faudra espérer, au minimum provoquer le doute.

Mais pourquoi tant de certitudes et de passion? Parce-que les théories du complot nous apportent une sensation de contrôle. Face à un environnement et des informations parfois difficiles à interpréter, la théorie du complot nous permet d’appliquer une grille de lecture toute faite qui fonctionne pour (presque) tout. Elle nous permet d’échapper aux souffrances du doute, à l’obligation de la réflexion, et offre une interprétation toute simple à un monde devenu complexe. Il devient alors facile de rassembler les informations qui confirment cette interprétation, et de les exposer comme un ensemble cohérent et limpide.

Elle permet également de s’extraire de la masse de nos semblables. Je suis spécial, je sais et je comprends ce que d’autres ne voient pas. Je suis intelligent(e). Je suis capable de repérer des connexions pleines de sens entre des éléments distincts, ou encore de décrypter les intentions malveillantes qui se cachent derrière les événements. Je suis comme un journaliste d’investigation qui va vous révéler ce que vous ignorez. Alors profitons de cette posture, et exploitons-la à la façon de Pascal.

« Oui, c’est une démarche qui vaut la peine… Il faut se pencher sur le sujet… J’avoue m’être déjà posé la question…Tu pourrais me passer les infos? J’adore poser des questions qui fâchent... » En reconnaissant que la méfiance est dans la nature de l’homme, et que le doute sain et raisonnable fait partie du devoir de tout bon citoyen, on dit quelque chose de vrai. Et en principe, la garde de l’adversaire devrait se relâcher un peu.

Pour cette deuxième étape, nous utiliserons l’exemple d’une théorie plus délicate à contrer parce-qu’elle contient une part de faits avérés, et une part de fantasmes conspirationnistes. Il s’agit du Forum Bilderberg. Initié en 1954 par un ancien diplomate polonais et une dizaine de personnalités inquiètes de la montée de l’anti-américanisme en Europe au moment où la Guerre froide fait rage, ce Forum avait pour but de réunir dirigeants européens et nord-américains pour renforcer la coopérations militaire, économique et politique entre alliés. Très vite, on y retrouve des personnalités aussi en vue qu’Antoine Pinet, David Rockfeller, Paul van Zeeland (ex-premier ministre belge et co-fondateur de l’Otan) ou plus tard Georges Pompidou… La liste est longue… Rien de plus extraordinaire qu’une conférence internationales direz-vous.

Et bien si… Parce-que pour garantir la sécurité des conversations face à d’éventuelles oreilles venues de l’Est, aucun compte-rendu des discussions n’est publié, et aucun journaliste n’est admis à assister aux tables-rondes. Votre adversaire déroule alors la liste 2018 des membres du comité directeur Bilderberg, très officiellement publiée sur la toile… justement pour lutter contre le complotisme dont fait aujourd’hui l’objet le Club. On y trouve donc pêle-mêle Henri de Castries, ancien patron d’AXA, des représentants de Goldman Sachs, de Fiat, de la Commission européenne ou de Ryanair… – Un mini Davos en comité restreint ? – Pas du tout ! D’ailleurs dès 1967, leur projet de Synarchie, c’est-à-dire d’éradication des nations au profit d’un gouvernement mondial, commence à fuiter… Mais comme ils sont hyperpuissants, la presse n’en parle jamais. Normal, les media officiels leur appartiennent

C’est là qu’il vous faut faire preuve d‘un soupçon de malice: notre nouvel ami est intelligent, et par-dessus tout, il aime établir des connexions et des liens de cause à effet. Il aime raisonner. À sa façon certes, mais il aime manier la logique et les faits. Alors c’est le moment de caser vos infos sur ceux qui ont lancé «L’affaire Bilderberg»: « Oui, une réunion internationale qui compte autant d’hommes politiques, de banquiers et de cadres de multinationales, depuis autant de temps, c’est louche… Mais qui les a donc démasqués ?« 

Soit il/elle sait et vous avez affaire à un(e) anti-judeo-maçonnique: retournez alors à l’épisode #1/6

Soit il / elle ne sait pas, et vous pourrez lui faire remarquer que ce sont justement des partisans de la droite religieuse, des suprématistes blancs et des anti-communistes qui furent les premiers, en 1964, à dénoncer la famille Rockefeller et le groupe Bilderberg (dixit Conspiracy Watch). Quel intérêt des anti-communistes auraient-ils eu à dénoncer un groupe qui justement cherchait à lutter contre l’influence soviétique à cette époque ? On se pose encore la question… Sauf s’il s’agissait en fait de «dénoncer» un énième complot judéo-maçon…

Tu vois ce que je veux dire ? Sinon, tu tombes dans la théorie du complot là… Et puis dans ce cas, on peut dire la même chose de tous les Forums internationaux non ? L’ONU aussi ? Tu crois qu’ils veulent créer un gouvernement mondial pour remplacer nos gouvernements ?

Quel que soit l’argument qui vous sera alors opposé à ce moment-là, foncez ! Allez-y de votre couplet anti-ce-que-vous-voudrez le plus primaire, ou le plus sincère, c’est selon… Balancez les multinationales, les guerres civiles et le travail des enfants pour Nike ou H&M, le risque des lois de protection des investissements qui donneront le droit aux intérêts privés d’attaquer en justice des États souverains, les paradis fiscaux…

« Et on laisse faire, tu te rends compte« … Bref, tout ce que vous pourrez trouver, de bien réel cette fois, pour pousser votre camarade de jeu à s’indigner, à dire que « non vraiment… C’est pas acceptable…« 

En principe à ce stade, il / elle s’est un peu déporté(e) sur sa jambe droite, et vous pouvez pousser un peu plus loin.

« D’ailleurs, si tu veux vraiment savoir qui fricote avec qui, il y a quelques groupes de gens (il faut éviter le mot Institution ou ONG avec nos amis complotistes, ça les fait reculer tout-de-suite…) qui font un super-boulot là-dessus « .

Et vous pouvez citer à l’appui, et selon la sensibilité de votre contradicteur, le réseau Tax Justice Network qui lutte contre l’évasion fiscale, Anticor qui se bat contre la corruption, Transparency International, ou des groupements de journalistes d’investigation comme OOCRP, Forbiden Stories ou encore ICIJ.org à l’origine des Panama Papers. Mais sans lui dire tout de suite qu’il s’agit de groupes tout-à-fait officiels.

Et comme la réalité dépasse parfois la fiction, il devrait y trouver de quoi se renseigner. Mais cette fois à partie de sources fiables et vérifiées.

N’oubliez pas: un(e) complotiste aime l’investigation, et cherche à comprendre le monde qui l’entoure. Il / elle veut avoir accès à des information qui lui permettent d’y trouver un sens ou un ennemi à combattre, parce-qu’il sent confusément que quelque-chose cloche… Et il / elle a raison, des tas de choses sont injustes, immorales ou insupportables: le faim dans le monde, la montée des inégalité (et du coup des idéologies extrémistes) ou le changement climatique… Mais inutile d’aller chercher un complot derrière chaque phénomène. Étudier un sujet, fouiller les sources universitaires, les archives ou la littérature sans fautes d’orthographe permet toujours de découvrir des explications, c’est-à-dire ces fameux liens de cause à effet que notre complotiste aime tant… et nous aussi !

EN BREF Se fier aux historiens, penseurs, journalistes, philosophes….

Tant que ces théories du complot se développeront, les vrais pouvoirs n’auront aucun souci à se faire. (François Langlet, Journaliste France 2)

Rendez-vous dans le troisième épisode de cette série, ou l’on aborde la charge de la preuve.

LE VOTE, UN DROIT OU UN DEVOIR ?

LE VOTE, UN DROIT OU UN DEVOIR ?

On a tous déjà entendu un proche ou un ami dire qu’il n’est pas allé voter. Vous-même, cher lecteur, si vous en avez l’âge, vous êtes-vous déjà abstenu de voter ?

« Ça sert à rien », « Je préfère pas choisir entre la peste et le choléra », « Mon vote ne changera rien », « De toutes façons, c’est même pas une démocratie »… autant de raisons qu’on ne peut parfois que comprendre à moitié.

Pourtant, l’abstention, bien que hautement décriée, se veut un paramètre inéluctable de tout suffrage, et sépare l’opinion publique en deux. Alors l’abstention est-elle une menace pour la démocratie ?

En clair, le vote représente-t-il un devoir que chaque citoyen se doit d’appliquer, ou un simple droit que l’on peut appliquer ou non ?

FONDEMENT DE LA DÉMOCRATIE & DEVOIR DU CITOYEN

Conformément à l’article 3 de la Constitution, tous les Français majeurs jouissant de leurs droits civils et politiques ont le droit de voter depuis 1791. C’est sur cet article que reposent les fondements de notre démocratie

D’un côté, il est souvent dit que voter est une nécessité absolue, un devoir moral dont l’esquive équivaudrait à un manquement social, arme de destruction massive contre la démocratie, ou que l’abstention n’est pas « inaction », mais une prise de position, une action par défaut qu’on jugerait immorale.

Si l’on remonte un peu plus loin, à l’époque ou le droit de vote vient d’entrer en vigueur (1795), Kant nous dit la chose suivante «  ne pas voter serait une action immorale car mue par une maxime ne pouvant s’ériger en loi universelle sans réduire à néant son enveloppe qu’est la démocratie. »

C’est d’ailleurs sur la base des arguments cités ci-dessus que la fondation Jean-Jaurès, un think tank proche du PS, ainsi que des responsables écologistes, ont proposé récemment de rendre le vote obligatoire pour résoudre le problème de l’abstention. Le manquement à cette obligation serait alors sanctionné d’une amende pouvant aller jusqu’à 1000 euros ou des travaux d’intérêt général.

Seulement, cette réponse proposée à la réduction du nombre de votants participe aussi à la punition et à l’infantilisation du citoyen.

Et puis le droit de vote, n’est-ce pas aussi le droit de non-vote ? On a le droit de voter, comme on a le droit de ne pas voter, de la même manière que le droit à la liberté d’expression inclut le droit de ne pas s’exprimer. C’est un choix personnel plutôt qu’égoïste.

Et surtout, le droit de ne pas voter est un des seuls moyens dont le citoyen dispose pour contester, à son échelle, le système même dans lequel on lui demande de s’exprimer.

POURQUOI NE PAS VOTER, C’EST AUSSI REVENDIQUER QUELQUE-CHOSE

Le sociologue Raymond Boudon explique que l’on devait s’efforcer, pour comprendre les actions humaines, de rejeter les explications irrationalistes. Son postulat est que les individus agissent parce qu’ils ont de bonnes raisons de le faire. Quelles sont donc les bonnes raisons qui poussent les classes moyennes et populaires à s’abstenir de voter ?

Tout d’abord, force est de constater que les offres politiques dominantes sont en grande partie contraires à leurs intérêts à court et moyen terme. Les deux principales formations de gouvernement ont mené sur le plan national la même politique, inspirée du pari de la croissance par la compétitivité. Si tant est qu’une politique de l’offre permette de relancer l’économie à long terme (ce dont de nombreux spécialistes doutent fortement), à court terme elle provoque une paupérisation de la moitié la moins aisée de la population. Entre 2008 et 2012, alors que les 10 % des plus riches ont vu leurs revenus annuels augmenter de 450 euros de plus par an (après impôts et prestations sociales), les 40 % du bas de l’échelle ont connu une baisse de 400 à 500 euros.

L’alternative proposée, le Front National, est peu crédible sur le plan économique : un protectionnisme brouillon, des propositions sociales contradictoires, une violence dans le verbe et des élus aux compétences discutables. À l’autre extrémité, la gauche radicale est divisée et son positionnement vis-à-vis du PS est encore peu clair. Elle souffre en plus d’une invisibilité médiatique importante comparée à l’omniprésence du FN, devenu une référence incontournable du débat public, notamment grâce à son rôle d’épouvantail électoral agité par les socialistes comme par la droite.

La défiance à l’égard du politique trouve aussi sa source dans les promesses non tenues, en particulier le contournement des résultats du référendum de 2005 et l’abandon pur et simple par François Hollande de son programme électoral.

Un autre soucis de ce système, c’est la forte homogénéité parlementaire, qu’on peut qualifier d’injustifiée, sinon d’illégitime. En 2014, 32% des conseillers généraux étaient cadres supérieurs, alors qu’ils ne représentent que 8% de la population active. 1% seulement était ouvriers alors même qu’il s’agit d’un groupe fortement présent dans la population française.

Plus démocratisées que l’Assemblée Nationale (où 81,5 % des députés sont cadres), les instances départementales représentent cependant faiblement les classes populaires, et cela ne cesse de s’aggraver depuis plusieurs décennies. Il est donc sociologiquement compréhensible que des ouvriers ou des employés peinent à se reconnaître dans des assemblées composées majoritairement d’individus aux revenus, aux patrimoines et donc aux intérêts différents des leurs.

La majorité de la population n’est tout simplement pas représentée, et c’est ainsi que le gap entre les intérêts de ceux qui prennent les décisions et ceux qui les subissent se creuse de plus en plus.

Le principe républicain présuppose qu’un représentant de la nation subordonne ses intérêts particuliers à l’intérêt général. Mais l’actualité politique dément en permanence cet idéal : que cela soit au niveau local ou national, la proximité des élus avec les catégories inférieures de la population est parfois inexistante.

Si l’on ajoute à cela le fait que les lieux de pouvoirs, comme les départements, sont régis par des mécanismes politiciens complexes et opaques, dont la traduction médiatique laisse très franchement à désirer, on peut alors bien comprendre le phénomène de désengagement électoral de nombreux Français.

Ainsi, toutes ces raisons permettent d’identifier de bonnes raisons de s’abstenir. Il est nettement moins aisé de comprendre l’aveuglement dont font preuve les politiques à l’égard de leur propre crédibilité. Le vote obligatoire serait une mesure de fin de régime, un artifice de caste défaillante. Le taux d’abstention du 22 mars est, (malgré les raisons liées à la nouvelle pandémie du COVID-19), plutôt qu’un indicateur du désengagement ou du désintérêt des Français pour la chose publique, l’expression de leur profonde lucidité.

Rendre le vote obligatoire, ce serait réduire notre liberté d’expression à un cadre prédéfini et incontestable, tout le contraire de la démocratie totale dont ceux qui proposent ces réformes rêvent pourtant.

IA & RESPONSABILITÉ JURIDIQUE

IA & RESPONSABILITÉ JURIDIQUE

À une époque où le numérique accompagne de plus en plus la vie de l’homme, les créateurs et les utilisateurs des nouvelles technologies ont inventé l’IA, nouvel outil apparu il y a moins d’un quart de siècle…

L’intelligence artificielle semble être la nouvelle voie du progrès, et marque un changement notable dans les processus d’interactions humaines

Mais l’émergence de cette technologies aux effets potentiellement préjudiciables pour les individus pose la question de l’attribution de la responsabilité en cas de dommage. Il est essentiel de s’assurer que la responsabilité des risques, des préjudices et des torts découlant de l’exploitation de l’IA soient bien identifiés et attribués.

Que faire lorsque l’action d’une IA est impliquée ou responsable d’accidents, ou a des conséquences néfastes voire désastreuses ? Quand on demande à Siri : « dit Siri, de quoi es-tu responsable ? »…. silence

Alors, l’homme doit-il être rendu irresponsable des actes et décisions de l’intelligence artificielle ? Si non, est-ce le développeur que l’on doit blâmer ? Ou son utilisateur ? Quelle faute est-il possible d’attribuer à la décision d’une intelligence artificielle, pourtant fatale à un acteur ? Comment appliquer la loi lors d’un accident entre deux voitures automatisées ? Faut-il créer une personnalité juridique pour les IA ? Devra-t-on même une jour léguer nos droits et nos devoirs à une IA ?

UNE PROBLÈME JURIDIQUE ÉMERGENT ET MONDIAL

D’abord, qu’est-ce-que l’intelligence artificielle ? C’est l’ensemble des théories et des techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence. Par extension elle désigne, dans le langage courant, les dispositifs imitant ou remplaçant l’homme dans certaines mises en œuvre de ses fonctions cognitives. Ce qui nous intéresse donc ici, c’est la manière dont il est possible d’appréhender juridiquement un comportement humain issu d’une machine numérique.

Un problème majeur d’un nouveau genre émerge alors: l’IA n’est pas exactement un outil car elle reproduit parfois des processus intelligents et peut donc agir indépendamment, notamment via ce qu’on appelle une «black box», une partie complexe de l’IA à laquelle l’homme n’a pas accès, où s’effectuent les calculs et les prises de décisions. Mais ce n’est pas non plus une personne: elle reste programmée, utilisée et contrôlée dans une certaine mesure.

Pour légiférer sur ce nouveau domaine, c’est à grande échelle que l’on doit agir. Influencés par plusieurs compagnies d’assurances, les parlementaires européens ont demandé à étudier la possibilité de créer un statut juridique spécial pour les IA, « afin de clarifier la responsabilité en cas de dommages », notamment ceux causés par les voitures autonomes. Fortement contestée, cette position divise les acteurs de ce débat en deux parties. D’un côté, le camp dit des « modérés », qui voient l’IA comme un outil, un bien, ou un service, et pensent que la notion de responsabilité ne doit pas être revue et que les développeurs et utilisateurs doivent veiller à ce que l’IA respecte les législations attribuées à ces notions.

À l’opposé, les auto proclamés «progressistes », ceux-là même qui ont pour objectif de créer un personnalité juridique pour l’IA, souhaitent voir se développer pleinement cet « outil » inédit, qui n’entre dans aucune case juridique.

IA, ÉTHIQUE, MODÉRATION

Bien que de nombreuses propositions aient été faites, peu de réformes et de lois ont été mises en vigueur, et la majorité des procès liés à cette problématique se sont réglés par jurisprudence.

Comme la très récente affaire Tesla, où l’accident entre deux voitures automatisés causant l’hospitalisation d’un homme de 40 ans s’est réglé par l’indemnisation de la marque.

Sur le plan notionnel, aucune définition commune n’existe actuellement au niveau de l’Union européenne. Cependant, le Parlement a demandé à la Commission européenne de proposer une définition « des différentes catégories de systèmes cyber-physiques, de systèmes autonomes et de robots autonomes et intelligents »

En 2019 l’«Alliance européenne pour l’IA» à été crée. Elle allie plusieurs partis pour débattre du sort de l’IA. D’ici la fin de l’année, un projet de lignes directrices pour le développement et l’utilisation éthiques de l’intelligence artificielle sur la base des droits fondamentaux de l’UE devrait être voté. Ce faisant, le groupe prendra en considération des questions telles que l’équité, la sécurité, la transparence, l’avenir du travail, la démocratie et plus généralement l’impact sur l’application de la Charte des droits fondamentaux.

Malgré cette stagnation, les membres de l’Union européenne sont parvenus à s’accorder sur trois règles concernant les robots, qu’ils ont pour projet d’attribuer à l’IA:

  1. Un robot ne peut attenter à la sécurité d’un être humain, ni par inaction, permettre qu’un être humain soit mis en danger;
  2. Un robot doit obéir aux ordres d’un être humain, sauf si ces ordres entrent en conflit avec la première loi;
  3. Un robot doit protéger sa propre existence tant que cela n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi. »

Toujours est-il que leur attribuer une personnalité juridique est impensable à l’heure actuelle. Celle-ci se caractérise par le fait d’avoir des droits et des obligations, ainsi que la capacité de mener une action civile et d’être tenu responsable de ses actes. Une personne juridique est également en mesure d’exprimer des valeurs morales. Une fois que la personnalité est attribuée à des robots ou à d’autres agents artificiels autonomes, ils deviennent des sujets et pénètrent dans l’univers des personnes juridiques. C’est notamment le cas du robot Sophia, conçu par la société Hanson Robotics (États-Unis) qui a obtenu le 25 octobre 2017 la citoyenneté saoudienne. Pour autant, celle qui a déclaré vouloir « détruire les humains » peut-elle véritablement être considérée consciente de ses propos au même titre qu’un humain ? Les robots pourront-ils savoir qu’ils sont responsables et donc susceptibles de rendre des comptes ? La récente affaire des tests sur route d’une voiture autonome d’Uber en Floride ayant conduit à un accident mortel au mois de mars dernier devrait apporter des éléments de réponses sur ces questions.

L’IA est donc un outil dont on doit limiter la capacité, et rendre son utilisation conforme à la législation concernant les services. Il serait aussi possible, selon les propositions du Comité d’éthique européen, de la considérer comme un produit défectueux ou porteur d’un vice caché lorsque elle cause des dommages.

IA, MODIFIER LA LOI EN VUE D’UNE PERSONNALITÉ JURIDIQUE

Cependant, les acteurs autoproclamés « progressistes » de ce débat juridique refusent le chemin de la modération. Alain Bensoussan, avocat français et auteur d’un court manifeste concernant le droit des robots, réclame la création d’une personnalité juridique pour l’IA. Fer de lance de ce mouvement, il dénombre plusieurs arguments en faveur de cette démarche…

Les intelligences artificielles ne peuvent pas prendre l’initiative de mentir. De ce fait, elles ont une analyse objective de leur responsabilité en cas de dommages. Pour reprendre l’exemple de l’accident de deux voitures automatisées, leurs intelligences artificielles seraient capables d’évaluer les répercutions de leurs actions : quelle voiture est responsable de quoi. Ainsi, pas besoin de juge pour attribuer la responsabilité de chacun. L’auto-responsabilisation est possible. Ce « progrès » allégerait les tribunaux de bien des affaires, et apporterait une certaine impartialité.

Avec une personnalité juridique, l’IA serait directement inculpable, on pourrait la rendre directement responsable de dommages et lui demander un indemnisation. En effet, punir une intelligence artificielle n’a pas de sens car on punit pour faire comprendre. L’indemnisation serait donc la seule peinr possible. Ainsi, un « capital assurance » serait attribué à l’IA par son utilisateur ou son fabricant dès sa mise en circulation.

Lors d’un dommage, le processus d’auto-évaluation, d’attribution de la responsabilité, et de l’indemnisation via le capital assurance serait presque immédiat. Mais peut-on considérer ce système comme un réel avantage juridique ? Il est certes plus rapide, moins coûteux en temps et en argent, mais la où il résoud ces problèmes, il en pose d’autres :

Pour ce qui est de l’auto-évaluation menant à l’attribution des responsabilités, comment s’assurer que celle-ci ne sera pas volontairement faussée ? Aucun moyen de le savoir si cette évaluation passe par la black box.

Pour l’indemnisation, un problème d’ordre éthique nous saute aux yeux : pour indemniser, il faut évaluer un montant. Comment alors évaluer le prix d’une vie humaine prise dans un accident ? Que prendre en compte ?

Et puis, ce capital assurance nous informe sur la moralité douteuse du procédé : il ne s’agit plus de prévenir ou d’empêcher un crime, mais de prévenir et réduire un maximum son impact chez le responsable… Voici un dangereux pas vers la déresponsabilisation !

Voici aussi un dangereux pas vers le transhumanisme: laisser deux IA régler un litige entre elles, c’est léguer nos droits à un robot. Gaspard Koening, écrivain et fervent défenseur du libéralisme, ne s’en plaint pas, et nous dit dans La fin de l’individu que « pour un soucis de praticité et d’efficacité, cette démarche est tout à fait acceptable, elle devrait nous convenir et nous ravir ».

DES SOLUTIONS POUR CE VIDE JURIDIQUE

Chaque potentielle solution vient avec son lot de mécontents et d’insatisfaits. Face à cet imbroglio juridique, deux solutions ont été envisagées par le Parlement européen.

PARVENIR PLUTÔT QUE GUERRIER

Incertain, le Parlement propose de mettre en place des « bacs à sable d’innovation » : adopter des réglementations temporaires dans des zones géographiques précises pour découvrir l’évolution de ces nouveaux systèmes. Concrètement, cela reviendrait à adopter différentes réglementation au sein de l’Union européenne, attendre pour voir laquelle sera la plus efficace, et ensuite l’appliquer partout. Mais un problème reste à régler : pendant cette « période d’essai » censée durer trois ans, deux cas identiques seront jugés différemment si ils sont dans deux pays différents. Cette situation pourrait bien faire fuir certaines entreprises d’IA…

En Espagne par exemple, là ou la réglementation s’annonce la plus dure, alphabet.inc et Google menacent de réduire leur services. Cette pression, notamment du géant qu’est Google, freine toute mise en application.

RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

Le Parlement à donc retenu une autre solution possible, celle de la responsabilité contractuelle. Elle consisterait en la création de conditions d’utilisations entre les différents fabricants, et entre fabricants et utilisateurs. Cette option a pour avantage de reposer sur un système que l’on connaît déjà, que l’on sait aborder et gérer : la contractualisation. Cette solution est orientée vers la modération et la réduction des capacités de l’IA, et satisfait ceux qui s’opposaient à trop de conservatisme.

Les accords entre fabricants permettront de se partager les charges d’indemnisations à hauteur de leur implication et de leur responsabilité. Porsche et Google ont d’ailleurs prévu, dans le cas ou cette loi entrerait en vigueur, de lancer une collaboration.

Cette solution pose tout de même, elle aussi un problème : la justice ne pourra dans ce cas qu’estimer le montant de la responsabilité, mais ne pourra pas l’attribuer comme elle le souhaite aux acteurs du contrat. Imaginons que le contrat de Porsche et Google, pour reprendre cet exemple, désigne Porsche responsable à hauteur de 65%, la justice pourra réclamer cette indemnisation des deux acteurs, s’assurer que le contrat est respecté, mais pas décider de sa répartition.

On assisterait alors à la privatisation d’une partie de la justice.

Nous l’avons vu, ce n’est pas sans difficultés que le Parlement européen tente de trouver une solution au problème de la responsabilité de l’intelligence artificielle. Avec d’un côté la pression de certaines entreprises et géants de la tech qui ont tout avantage à ce qu’une personnalité juridique soit créée pour réduire leurs pertes potentielles et augmenter leur indépendance, et d’un autre, des juristes, philosophes et scientifiques qui affirment que l’IA doit être considérée comme une service, un objet ou un bien, et ainsi être jugée comme un vice caché ou un produit défectueux lors d’une action néfaste. Il semble que faute d’avancer dans la recherche d’un équilibre qui puisse satisfaire libéraux, modérés, conservateurs et progressistes, il serait peut-être bon d’oublier les revendications des acteurs de ce débat et ne prêter attention qu’aux avis des scientifiques et des juristes.

EN BREF

Stephen Hawking disait : « il faut arrêter les progrès de l’IA avant qu’on ne se demande qui paiera pour les dommages qu’elle causera. » Ce conseil judicieux et visionnaire ne peut plus être appliqué. L’intelligence artificielle est déjà trop présente dans nos vies, nous en sommes déjà trop dépendants pour parvenir à stopper son développement.

Quoi qu’il en soit, les outils d’IA se développent à une vitesse considérable. Il y a fort à parier que notre tendance actuelle à déléguer des responsabilités à des systèmes artificiellement intelligents deviendra un problème encore plus sérieux à l’avenir, d’où l’importance de la résolution du Parlement et des travaux de la Commission européenne. Les conséquences du développement technologique doivent être envisagées en tenant compte des acteurs de la société. Un cadre réglementaire efficace s’impose pour assurer que les agents artificiels coexisteront harmonieusement avec les humains, qu’ils seront spécifiquement conçus en fonction des valeurs et des besoins des hommes, et qu’ils opèreront et seront capables de s’adapter en conséquence.

Dans cette optique il serait alors logique, faute de ne pas ralentir son développement technologique, de réduire le pouvoir juridique de l’IA en continuant de la considérer comme un outil, un objet, un moyen en vue d’une fin, et non une fin en soi.

INTERNET & NOTRE NOUVEAU RAPPORT À L’INFORMATION

INTERNET & NOTRE NOUVEAU RAPPORT À L’INFORMATION

Umberto Eco pense qu’un texte est une coconstruction : il y a d’une part ce que l’auteur écrit, d’autre part ce que le lecteur lit, c’est-à-dire comment il s’approprie le texte. Il y a d’un côté la production d’une information par un ou plusieurs auteurs, sa forme, son support et sa diffusion, et d’un autre côté, la manière dont une information est perçue par celui qui y est exposé. Mais ces deux processus ont été considérablement modifiés depuis les années 2000, avec l’arrivée d’internet.

Le dernier changement de cet ordre remonte à 1454 précisément: c’est l’invention de l’imprimerie.

Avec la révolution numérique, l’homme a développé une nouvelle manière d’absorber l’information, plus rapide, plus efficace, en adéquation avec la logique consumériste et mondialisée de notre époque. Pour le meilleur… et pour le pire.

La première chose qui vient à l’esprit au sujet des changements qu’internet a apporté dans notre rapport à l’information, est que « les gens ne lisent plus les articles en entier ».

Et bien ce n’est pas aussi simple. Cela dépend du support : ordinateur, tablette, smartphone, titre de presse, type d’article, lieu et conditions dans lesquelles on lit… Et puis, peut-on comparer la lecture d’un article de presse people, ou sportif, avec un papier payant de Médiapart ?

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’internet à modifié notre rapport à l’information.

UNE NOUVELLE APPROCHE

D’après l’étude du site BDM, en 2019, sur une population mondiale de 7,676 milliards d’êtres humains, on dénombre 4,5 milliards d’utilisateurs internet, dont la moitié qui passent plus de 6 heures par jour à utiliser ce réseau.

Les chiffres pour la France en 2019

Ces quelque chiffres donnent une idée de la masse d’informations disponibles, et surtout de la quantité des sources d’information: beaucoup, beaucoup plus d’info circulent qu’auparavant.

Toujours pour 2019, ce sont 2 milliards de sites internet qui sont recensés, avec parfois des milliers de pages et de catégories différentes. Parmi eux, on dénombre, à l’échelle mondiale, plus de 19 millions de sites relayant de l’information.

Autant dire que comparé aux 17 000 journaux officiels qui circulaient dans le monde entier à la fin des années 1980, le nombre d’informations disponibles est bien plus élevé. D’autant que là ou ces journaux nationaux étaient disponibles à une échelle plus ou moins locale, les journaux officiels actuels sont disponibles à travers le monde entier.

Par ailleurs, l’accès à l’information est aujourd’hui aussi bien actif que passif. C’est-à-dire que l’on peut décider de chercher une information en particulier, de consulter un site, ou de se renseigner sur un sujet, mais il est aussi possible d’accéder à un contenu sans avoir à le chercher, parfois même sans le vouloir. En effet les partages, mais aussi les partenariats et les publicités nous amènent à suivre un chemin bien précis dans notre consultation virtuelle. Certes, les publicités existaient dans les journaux, mais les liens n’étaient pas cliquables et accessibles aussi facilement, et le support était un objet finit qui ne pouvait proposer qu’une quantité de liens annexes proportionnelle à sa taille.

Cette remarque souligne une autre différence de taille. Avec le scroll continu, la quantité d’information n’est plus augmentée mais infinie. En effet, le format papier contient un certain nombre d’informations sur ses pages blanches ; mais l’ordinateur ou le smartphone ne sont que des moyen d’accès à des serveurs, des clefs pour accéder à la banque d’information du web.

Si on se concentre sur un article, et sur la manière dont on le lit, on voit encore des différences notables. Nos yeux se baladent et sont happés par les images, vidéos, publicités et notifications tandis qu’on a tendance à approcher le format papier de manière plus linéaire.

Dans l’optique de la diffusion d’information, là encore rien à voir. Les marchands de journaux, les kiosques, et le bouche à oreille peut-être, étaient les trois seules sources de diffusion des formats papier. Grâce aux nouvelles connexion, c’est toute l’ergonomie des sites qui est élaborée pour qu’ils soient partagés par Whatsapp, Twitter, Facebook, Instagram, Snapshat, mail et bien d’autres canaux encore…

Ainsi, la viralité d’un contenu est bien plus facile et fréquente. La seule barrière encore existante à la propagation d’information est la bienséance et la langue. Avec cette connexion mondiale, l’anglais s’est démocratisé et le partage n’a plus de limite géographique, ni linguistique : même la barrière de la langue est en train d’être abolie.

Alors notre rapport à l’info a-t-il changé ? La réponse est incontestablement oui. Mais alors, ce changement est il synonyme de progrès ou de pas en arrière ? Est-il bon de continuer dans cette voie ? Le format papier avait-il plus d’avantages ?

Ce qui est sûr, c’est que des tendances qui existaient déjà avant Internet se sont renforcées, comme le besoin d’immédiateté, la course à la rapidité et au flux constant de « nouveautés », le recours à l’émotionnel, notamment à travers l’indignation, mais aussi les bulles de filtrage : l’idée que nous consommons davantage de contenus qui correspondent à nos sphères d’appartenance sociale, à nos idées et opinions. Cette tendance est d’autant plus appuyée que les algorithmes de recommandation sont conçus pour augmenter notre temps d’utilisation.

UN CHANGEMENT NÉFASTE

Bien que plus faciles d’accès, les infos web présentent de nombreux inconvénients.

LA DÉSINFORMATION

Les bulles de filtrage, nous l’avons vu, peuvent conforter le lecteur dans ses convictions, aussi erronées puissent-elles être.

Beaucoup plus d’informations étant en circulation, il est logique que la quantité impacte la qualité. Sur internet, tout le monde peut lire ce que tout le monde écrit. Une légitimité est certes accordée aux journaux officiels (Le Monde, Le Point, Médiapart…), ou à des blogs reconnus (La quadrature du net…), mais l’internaute a autant de chances de tomber sur un de ces articles que sur une fake news ou sur un article complotiste, présents par centaines de milliers dans las pages de Google.

Si l’on trouve beaucoup plus de « faux articles », sans sources ni preuves qui affirment une réalité ou en remettent en cause une autre, ils sont partagés en masse. Les nouveaux systèmes de partage ne présentent donc pas que du bon. L’application Whatsapp a d’ailleurs limité la possibilité de partage à un seul groupe ou contact pour limiter cette désinformation.

Pour le format papier, ce problème n’existait pas ou très peu. Les publications n’étaient pas anonymes, le contenu était vu par moins de personnes, et il était plus simple d’attaquer l’auteur d’un article douteux dans un journal.

LA LOGIQUE INTERNET, CERCLE VICIEUX

J’ai un jour entendu un éditeur dire « le soucis, c’est que maintenant tout le monde veut écrire mais personne ne lit ». Le problème est assez bien résumé. Grâce aux nouveaux outils disponibles, toujours plus faciles d’accès, toujours plus abordables, de plus en plus de gens veulent se mettent à rédiger. Je tiens à préciser ici qu’aucune sorte de légitimité n’est nécessaire à l’écriture, et que quiconque ayant quelque revendication à faire valoir a le droit, et se doit même de sortir sa plume.

Seulement, ainsi, le ratio d’auteurs et de lecteurs tend vers une inversion. Toujours plus de contenus, et donc moins de lecteurs pour chaque article.

Avec internet, la frontière entre « je sais » et « je crois », entre étude et opinion, à tendance à s’estomper. Ainsi l’information, qui semblerait intuitivement plus accessible, se retrouve parfois submergée par un tas de pensées et d’opinions auto-proclamées en vérités.

UNE CHANGEMENT QUI APPORTE DU BON

Internet, quand on y pense, n’en est qu’à ses débuts puisqu’il vient à peine de dépasser la vingtaine. Et si il nous accompagne dans nos recherche en nous imposant quelques-uns de ses défauts, il reste un outil de progrès révolutionnaire en bien des points…. positifs.

UN ACCÈS PLUS RAPIDE ET PLUS FACILE

La démocratisation de l’information, bien que parfois obstruée, reste une avancée sociale majeure et un vecteur d’égalité. Penser que deux étudiants, de classes sociales distinctes sinon opposées puissent avoir accès à une même page web, contenant les mêmes informations, vient compenser, aussi modestement soit-t-il, les écarts de classes et d’opportunités.

LE PARTAGE

Si les fake news peuvent se propager rapidement grâce au partage individuel via réseaux sociaux et autres moyens de communication, alors l’information vérifiée peut aussi prendre ce chemin. Ce processus de partage présente lui même plusieurs avantages, notamment pour les minorités. Les médias font appel à l’émotionnel, nous l’avons dit, et bien des causes ont reçu des dons et du soutien grâce à une vidéo partagée. Qui n’a pas vu passer sur un groupe familial ou d’amis, des vidéos qui donnaient de la voix à des personnes que l’on essayait de faire taire ? La révolte des Hongkongais, le drame des Ouïgours, la colère chilienne de cette année… ont été relayés par quelque médias institutionnels, quelques journaux, mais les chaînes d’information classiques préféraient traîter d’autres sujets.

Le partage d’individu à individu, de citoyen à citoyen est facilité. Tout peut être entendu par tous dès lors que la population exige qu’il le faut.

DIVERSIFICATION, CONTESTATION DE L’AUTORITÉ MÉDIATIQUE & SÉCURITÉ

En effet, le citoyen n’a plus besoin de passer par aucune institution pour communiquer à grande échelle. Les journaux et les chaînes de télévisions ont une personnalité, une orientation politique parfois, et surtout quelqu’un qui s’inquiète pour son audience et ses revenus. Internet, c’est un moyen de partage, des réseaux utilisés et orientés, mais qui ne sont que de purs outils.

Et l’anonymat que permet internet libère la parole, pour le meilleur et pour le pire, certes, mais cela reste un moyen d’échapper à la censure, aussi discrète puisse-t-elle être. C’est sur cette idée que l’on a vu émerger des sites porteurs de messages, qu’aucun individu n’aurait pu librement exprimer « sur la place publique ». Bien sûr, la notion d’anonymat ne naît pas avec internet, mais le réseau mondial permet son utilisation, parfois mis au service de quelque noble cause.

CITOYENS DU MONDE

L’accessibilité de l’information pousse les internautes à développer une culture locale et nationale par les flux d’information traditionnels, mais aussi une conscience accrue et globale de ce qui se passe dans le monde. En effet, on s’informe depuis toujours sur ce qui nous concerne, et ce qui nous impacte en premier. Or aujourd’hui, avec l’urbanisation, l’interdépendance des villes et des pays, la mondialisation, les accords internationaux… bien des phénomènes font que tout ce qui peut arriver dans le monde nous impacte d’une manière plus ou moins directe. Des accords compétitifs entre États peuvent modifier tout un marché et, exemple le plus probant, un virus des quartier de Wuhan en Chine peut provoquer plus d’un milliard de confinements à travers le monde. Ainsi, la presse internationale s’est grandement développée, et les journaux traditionnels y dédient souvent une catégorie.

Avec la normalisation des connexion instantanée, certains espaces géographiques produisent une majorité de contenus concernant un domaine précis : Los Angeles et le domaine de la tech (E3), le Japon et la culture du jeu vidéo…

L’auteur de l’article « L’info des Français » nous explique : « on pourrait penser que le français moyen et plus généralement le lecteur moyen préfère les informations légères, divertissantes et locales, mais « Cette année, le Reuters Institute for the Study of Journalism a interrogé des milliers de personnes du monde entier, leur demandant quelles sortes d’informations étaient les plus importantes pour eux. […] La politique internationale écrase les infos people et “marrantes”. Les informations économiques et politiques arrivent encore plus haut ».

En prenant tout cela en compte, l’individu développe, grâce à internet, deux visions différentes du monde que l’on pourrait caractériser de marco et micro.

D’abord, une connaissance presque empirique de ce qui l’entoure : les activités de sa région, les derniers discours du président de son pays, les réformes qui impacteront ses revenus… (c’est le point de vue micro)

Puis, une compréhension globale des enjeux de son monde, une connaissance des conflits d’autre continents (vision macro), grâce à la presse internationale, ou plus simplement à travers la culture pop américaine, la culture manga du Japon, peu importe, ce qu’il faut retenir c’est qu’internet traverse les frontière. L’internaute a accès à un flux d’information mondiale et planétaire.

EN BREF

Internet modifie notre rapport à l’information. Il en change même la nature. Plus dense, moins sûre, mais aussi plus précise et plus vaste. Dans les pages de Google, il y a de tout ; on peut être inondé de fake news, d’articles complotistes, mais on peut aussi trouver l’article d’un scientifique à l’autre bout du monde qui répond précisément à notre question. Grâce à ce réseau mondial, on peut intégrer toutes sortes d’informations, peu importe ou elle ont été mises en ligne et par qui, mais aussi les relayer ou les contester.

Finalement, internet n’est qu’un outil. Il est ce que l’on décide de faire de lui, et si (en Europe en tout cas) on peut difficilement vivre sans l’utiliser, il n’existe que parce que l’on a décidé de l’utiliser. Internet prend la forme de ce que l’on en fait. Il à ses avantages, ses inconvénients… libre à nous d’ajouter de l’un ou de l’autre.

INTERNET & LES OBJETS-MONDE DE MICHEL SERRE

INTERNET & LES OBJETS-MONDE DE MICHEL SERRE

Avec un monde de plus en plus connecté, des flux commerciaux toujours plus nombreux et fréquents, un phénomène d’interdépendance se développe, lentement et irréversiblement. Ce mécanisme fait écho à un concept élaboré par le philosophe et historien Michel Serre : les objets-mondes.

La distinction sujet-objet, et sa remise en cause, est une dominante de la pensée de Michel Serre. Les objets-monde rendent cette dualité traditionnelle inopérante puisque d’après lui, les artefacts traditionnels, outils et machines, forment des ensembles à rayon d’action local, dans l’espace et le temps : l’aiguille perce le morceau de cuir, la marteau frappe et enfonce le clou, le tracteur laboure la terre… Un tel objet est manipulé par un sujet afin d’agir sur d’autres objets, voire même parfois sur des sujets. Mais cette relation sujet-objet est nettement délimitée dans l’espace (c’est une relation de proximité immédiate) et dans le temps (c’est une relation faite de séquences de courte durée). Les objets-monde, au contraire, n’ont plus de limite spatio-temporelle précise.

Ces objets-monde sont incompatibles avec la possession ou la propriété qui suppose une localisation (biens corporels) ou une durée (biens incorporels. Il me semble que les biens incorporels n’ont rien à voir avec la durée). Nous devînmes les hommes que nous sommes pour avoir techniquement sculpté notre environnement, notre propre maison afin de nous protéger. L’homme s’est servi et a pioché dans les éléments de la nature pour vivre, mais jamais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’homme n’a possédé la nature, cet objet qui le dépasse, cet objet-monde.

Les objets-monde ne sont donc pas, ou plus, aux proportions spatio-temporelle humaines et, par leur condition, ils dépassent largement la taille de l’instrument manuel en atteignant les dimensions mêmes de notre monde. Ce concept concerne des objets qui nous entourent, dont on dépend, qui étaient parfois là avant nous, dont on est la cause, ou avec lesquels on peut interagir. Comme le climat, la nature ou encore l’eau et l’air. En tout cas, ces objets nous dépassent et si on peut avoir un certain impact sur eux, il nous est impossible de les contrôler ou de les posséder.

Seulement, des objets-monde, l’homme en a aussi produit volontairement : en 1945, les Américains

inventent la bombes atomique, capable de raser un ville entière, immédiatement. On peut aussi citer les satellites artificiels, ou l’exemple le plus évident: le système mondial de communication internet.

Depuis sa naissance dans les années 2000, cette révolution a gagné les foyers des habitants de notre

planète. La définition, que l’on trouve dans l’encyclopédie Larousse, de ce réseau à échelle mondiale nous en apprend beaucoup sur sa nature : Réseau informatique mondial accessible au public. C’est un réseau de réseaux, à commutation de paquets, sans centre névralgique, composé de millions de réseaux aussi bien publics que privés, universitaires, commerciaux et gouvernementaux, eux-mêmes regroupés en réseaux autonomes. Internet est donc un réseau global de communication sans limite spatiale claire, et sans limite temporelle puisqu’il fonctionne de façon continue. Quel sujet alors domine cet objet ? S’il n’était qu’un simple réseau de communication au moment de sa création, il a, en moins d’une décennie, atteint ce statut d’objet-monde. Peut-on alors dire que l’on en a perdu le contrôle ?

En effet, l’objet en lui même n’est plus malléable puisqu’aucun individu ne peut contrôler totalement cet objet planétaire. Il est certes possible d’avoir un impact sur son flux en coupant ses serveurs clefs, en sectionnant les câbles sous-marins qui assurent sa diffusion, ou en désactivant certaines de ses source, mais l’objet entier ne peut être dirigé précisément. Des millions, si ce n’est des milliards d’êtres humains dépendent financièrement de cet outil, et il est devenu indispensable au bon fonctionnement des États qui l’utilisent, c’est-à-dire quasiment tous. Mais là ou les objets-monde naturels peuvent exister indépendamment des hommes, les objets mondes artificiels, du fait qu’ils ont été crées par l’homme, sont destinés à interagir ou à servir l’humain. Or ces interactions occupent une place de plus en plus importante dans la vie de l’homme : on sait par exemple que l’adolescent européen moyen passe plus de 2h30 par jour sur son smartphone.

Ces objets nous dépassent, mais nous avons trouvé un certain équilibre, souvent à travers la géopolitique, qui maintient et force un rapport plus ou moins sain avec ces objets. Si l’on prend l’exemple de la bombe atomique, ce n’est que parce qu’au fil du temps différents pays s’en sont dotés, et qu’il n’y a pas de monopole nucléaire, que l’on ne vit pas dans la crainte perpétuelle d’être atomisés. C’est parce qu’aucun individu n’a le contrôle total de cet objet-monde que l’équilibre est (plus ou moins) maintenu.

Mais alors on pourrait se demander ce qu’il adviendrait, non pas si on perdait le contrôle du flux qu’est internet, mais si justement un seul homme, ou un groupuscule, s’en emparait. D’autant que ce scénario est loin d’être improbable étant donné la privatisation croissante des flux mondiaux, notamment par les GAFAM.

Que se passerait-il si cet objet aussi bien intégré dans les systèmes nationaux et internationaux que dans la vie de milliards d’individus, devenait un moyen de pression, que l’équilibre qui maintenait ce rapport sain à l’objet se rompait… il est légitime de craindre le pire.

De plus en plus, des flux et systèmes échappent au contrôle humain. Avant, on s’appropriait un objet, maintenant on vient s’y soustraire et s’y attacher le temps de son utilisation. Cette nouvelle démarche pose une question d’ordre mondial : si la présence de systèmes comme internet, qui entrent dans la conception des objets-monde du philosophe continue d’augmenter dans la circulation marchande, alors comment conserver l’équilibre, la place et le pouvoir d’action de l’individu face à cette effervescence qui concerne et soumet l’homme à ces flux hors de contrôle. Et pire, comment réagir face à une possible appropriation totale du système mondial internet ? Comment modifier notre rapport à cet objet dont on n’est théoriquement indépendant mais dont on ne peut plus se passer ? La servitude sera-t-elle volontaire ?

Toutes ces questions ne sont que théoriques, mais il n’est pas dit que leur réponses ne nous servent pas un jour.

COMMENT PENSE-T-ON ?

COMMENT PENSE-T-ON ?

La définition de la philosophie traditionnelle traite de l’homme et de sa situation à travers sa pensée. Autrement dit, le philosophe, l’homme qui pense, ou du moins, l’homme qui pense les hommes. Comme s’il plaçait tout son être et sa substance dans la pensée. Certes il n’est possible de connaître l’opinion d’un Homme qu’a travers ses travaux, ses productions ou ses discours; ses actes et gestes si l’on est particulièrement sensible et attentif.

Mais avant toute parole claire et arrêtée, n’y a-t-il pas association analogique ou logique d’idées, bourdonnements de réflexions et de remarques personnelles, ou d’échanges?

L’homme est un être qui certes pense, mais d’abord songe, imagine et sent.

Chaque livre ou traité, chaque annonce ou déclaration auxquels on peut associer l’adjectif “philosophique”, aboutissent certainement d’un étonnement premier, d’une bribe de réflexion ou d’un sursaut de pensée.

Chaque pensée d’ailleurs a une origine sensible (sensitive), et le trajet de toute chose partant de l’aval (monde sensible) et allant trouver l’amont (monde intelligible) du monde, doit bien être motivée par quelque chose. C’est l’homme qui, par la force de son esprit, aide ou oblige le voyage, à contre-courant de son expérience sensible vers ce monde fait d’idée. Une fois en ces lieux, il est capable, via sa concentration, sa volonté, son intelligence et sa méthode, de malaxer ce flux emmêlé, de le clarifier et de procéder à des associations. Il est capable, peu à peu, de détacher du chaos d’étonnements qui l’habitent une véritable réflexion, une idée claire et prête à être partagée, entendue et comprise.

Celle-ci peut être introduite clairement dans le monde matériel : un discours, avec exorde, narration, confirmation et péroraison, un écrit scindé en autant d’étapes que sa complexité l’exige, en une entité artistique même: une peinture à l’huile, une symphonie…

Le processus de création de la pensée chez l’homme n’a donc rien de démiurgique.

Ce n’est pas un réflexe : elle est issue de la volonté que l’Homme a de réfléchir. La pensée n’est pas soudaine (on parle du processus et non d’instantanéité temporelle) étant donné qu’elle trouve ses origines dans une expérience d’abord sensible.

La philosophie qui tend à éclairer tout phénomènes par une justification rationnelle, appuyé sur la démonstration et la preuve, omet parfois de considérer les origines de la pensée étudiée et leur rôle. Le philosophe lui, se penche trop peut souvent sur les motivations de ses propres réflexions. Si son but est d’éclaircir le monde et de se rapprocher de la vérité, la question première et primordiale ne devrait-elle pas porter sur les motivations de cette quête ?