L’ESPACE NUMÉRIQUE EUROPÉEN : L’alliance du progrès et de l’éthique ?

L’ESPACE NUMÉRIQUE EUROPÉEN : L’alliance du progrès et de l’éthique ?

Chaque jour, la jungle numérique à laquelle le citoyen du XXIème siècle est confronté prend de l’ampleur. Elle se fait plus vaste dans des endroits toujours plus reculés, et les espaces de « désert numérique » perdent du terrain. Les programmes et applications que nous utilisons sont de plus en plus présents dans nos vies, et leur protection, leur surveillance et leur sécurité deviennent des enjeux centraux pour les politiques nationales aux quatre coins du globe. Alors que les utilisateurs d’internet, toujours plus dépendants des GAFAM, voient leur vie confiée à la discrétion des géants américains et chinois, l’Unions Européenne et ses institutions se donnent pour mission de fournir des cadres compétitifs, éthiques et sécurisés à ses citoyens et à ses entreprises. Numérisation des services publics, souveraineté juridique et économique, monnaie numérique, l’Union déploie ses moyens sur tous les fronts du secteur numérique pour rattraper son retard.


Le retard du Vieux Continent dans les secteurs numériques
Avec la deuxième zone géographique la plus riche au monde et un demi-milliard de citoyens majoritairement urbanisés et connectés, les 300 milliards d’euros annuels que l’Europe investit en Recherche & Développement dans le numérique (soit 2% de son PIB) ne suffisent pas à l’élever au rang de puissance numérique. Face aux États-Unis qui dominent le secteur depuis l’Arpanet des années 1960, les GAFAM des années 2010 et les nouvelles NATU (Netflix, RBNB, Tesla, Uber), et à une Chine qui s’impose en nouveau géant via son écosystème BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiamoi), avec une politique volontariste de protection du marché et de promotion de l’IA, les entreprises et organisations européennes ne peuvent qu’aspirer à un succès limité et local. Le géant américain finance les startups technologiques, promeut l’entreprenariat, et détient 90% des sites les plus visités au monde, avec 84% de la capitalisation boursière des entreprises numériques. Quand les parts européennes, elles, peinent à atteindre les 3%.

Des programmes à différentes échelles pour relancer la compétitivité
Si les politiques européennes n’ont pas contribué au développement du numérique jusqu’aux années 2015, notamment par l’absence de politiques volontaristes à grande échelle, la dernière décennie est marquée par une volonté commune des pays membres de développer un environnement numérique accessible et propice à la concurrence. Des programmes éducatifs ont par exemple été mis en place, comme « Digital Skills for You » qui a offert une formation numérique à 100.000 Suédois en 2023.
Des partenariats entre structures publiques et privées ont également été établis à cette occasion. La Commission Européenne allouait par exemple, début 2023, un budget de 20 milliards d’euros sur 5 ans à l’entreprise « AI4UE » pour stimuler la recherche et le développement de
l’IA au sein de l’Union. On peut également citer « Next Generation EU », un nouveau fonds européen de 750 milliards d’euros destiné aux entreprises du numérique, dont la création faisait suite à la proposition de Règlement d’avril 2021 visant à développer le potentiel de l’IA. Ou
encore le plan de production de semi-conducteurs voté en septembre 2023, axé sur le développement des matériaux indispensable à la compétitivité et à l’autonomisation de la production du Vieux Continent.

La double fracture numérique, les problèmes d’une Europe hétérogène
Alors que les puissances transatlantiques et asiatiques occupent le haut des classements, les 27 pays de l’Union produisent, financent et accèdent au numérique de manière inégale. Les disparités socio-économiques et les différentes infrastructures et législations entre États ont
poussé chaque membre à appliquer ses propres règles, dans un secteur qui fait fi des frontières.
En 2018, le géo-blocage des sites internet dans certains pays menaçait la concurrence dans un marché numérique déjà fragmenté. Et la répartition des 28 Licornes européennes, les entreprises dont la valorisation dépasse le milliard, était si mal équilibrée sur le territoire qu’on en comptait plus de la moitié en Angleterre. Malgré quelques réformes visant à harmoniser les législations nationales tout en finançant les activités numériques prometteuses, les difficultés d’une Europe hétérogène sur le plan numérique se ressentent également dans l’inégalité des financements du secteur. Ainsi, l’Irlande et la Finlande représentent à elles deux 25% des financement numériques européens, quand la Lettonie, la Lituanie et le Portugal peinent à atteindre les 5%.
Alors pour unifier les projets numériques des 27, assurer une compétitivité à la hauteur des moyens du Vieux Continent, et produire de nouveaux champions numériques après que le BREXIT ait privé l’Union de la moitié de ses Licornes, un programme numérique inédit par ses
objectif et son ampleur est mis en place sous l’impulsion de la Présidente de l’Union, Ursula Von Der Leyen : c’est le Plan Digital 2030.

Pour la souveraineté et la compétitivité : Le Plan Digital 2030
À l’image de la « stratégie numérique » publiée par la Commission Européenne en 2020, le Plan Digital 2030 prévoit d’organiser la transition numérique européenne en s’assurant de dépendre le moins possible des systèmes internationaux et de développer au maximum le potentiel compétitif européen. Doté d’un fond de 7,5 milliards d’euros, une part malgré tout assez faible du budget alloué au numérique, il vise surtout à établir des objectifs communs, une coordination et une coopération approfondies entre les pays membres, avec un rapport tous les 2 ans et un partage d’informations constant. Permettant ainsi de penser ce vaste territoire comme une unité, et de répartir également les efforts, du Portugal à la Pologne.
Le Programme s’étale sur 10 ans et accorde des financements dans des domaines clés tels que le supercalcul, l’intelligence artificielle, la cybersécurité, ou les compétences numériques avancées. Et les objectifs sont ambitieux : 20 millions de spécialistes des technologies
numériques et un taux de 80% de la population à l’aise avec ces nouvelles pratiques sont espérés.
Mais les entreprises sont également ciblées : 75% d’entre elles devraient pouvoir utiliser à terme des technologies telles que le cloud, l’IA et le Big Data, et 90% des PME avoir accès au numérique de base. Les services publics doivent également devenir entièrement digitaux, avec
100% des citoyens ayant accès aux plateformes de santé en ligne. Le Rapport souligne par ailleurs l’importance de l’éthique et de la transparence dans l’IA, ainsi que la nécessité d’une identité numérique sécurisée pour tous.
Ce projet novateur touche des secteurs aussi variés que la santé et le développement de la télémédecine, la manufacture et les imprimantes 3D, la 5G, les récoltes de données, mais aussi la production de nouveaux matériaux de construction imprimés, la logistique et des acheminements plus efficaces grâce à des logiciels de trafic, l’agriculture (avec un gain de production agricole européen de 15% à horizon 2030), ou encore la mobilité et la coordination numérique des transports. Sans compter les économies permises grâce au numérique, estimées à 120 milliards par an, ou les mégaprojets communs comme la construction d’ordinateurs quantiques à Bruxelles ou d’usines de semi-conducteurs en Allemagne.
À 7 ans de l’échéance, on peut noter que 81% du territoire européen dispose de la 5G, ce qui le place devant la Chine et les USA en termes de déploiement technologique. Le nombre de Licornes a doublé depuis 2022, et de plus en plus d’entreprises se modernisent.

Une nouvelle souveraineté juridique européenne : le consommateur au centre de l’attention
Pour assurer et faire prospérer sa future souveraineté juridique, l’Union Européenne s’engage depuis quelques années dans une démarche d’harmonisation des législations nationales, tout en encadrant les activités des pays membres. Si les premières Directives sur la protection des
données personnelles datent de 1995, c’est en 2018 que le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) a marqué une avancée inédite. Ce dernier instaure des principes de transparence et de droit à la portabilité et à l’oubli de ses données, qui s’appliquent non seulement aux citoyens européens mais également aux entreprises non européennes offrant des services sur le territoire. 5 ans plus tard, le RGPD de 2018 a déjà prouvé son efficacité avec plus de 300 amendes pour non-conformité, pour un montant de 190 millions d’euros. Illustrant ainsi la fermeté de l’UE en matière de protection des données. Google, en réponse, a ajusté ses paramètres de confidentialité, soulignant l’impact concret de ces mesures sur les pratiques des géants du numérique.
Sur le volet fiscal, un accord supervisé par l’OCDE a été conclu en 2021, entré en vigueur le 1er janvier 2024. Il prévoit que les multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros devront désormais s’acquitter d’un impôt mondial de 15%. L’OCDE prévoit des recettes de 750 millions d’euros, dont la moitié sera réinjectée dans le budget numérique européen. En effet, les principaux acteurs de cette dynamique, Margrethe Vestager, vice-présidente de la Concurrence et de l’Europe numérique, et Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, sont à l’origine des nouvelles réglementations présentées en décembre 2020, qui visent à contrôler le contenu en ligne et à lutter contre la concurrence déloyale.
Actuellement, des réformes sont en cours pour contrer la domination des oligopoles et des GAFAM, qui imposaient jusque-là leurs règles et leur loi, notamment en pratiquant le dumping fiscal en quasi-impunité, entre autres en installant leurs sièges sociaux en Irlande, pays à la
fiscalité avantageuse.
De plus, des projets tels que le cloud européen ou le système de paiement européen montrent l’aspiration de l’UE à renforcer sa souveraineté dans ces domaines clés. Tout en mettant un point d’honneur à placer l’«utilisateur européen au centre de l’attention », selon les mots de la
présidente Von Der Leyen. La Déclaration des Droits et Principes Digitaux Européens, signée en 2022, et les actes « DSA » et « DMA » sur les services numériques parus à l’été 2023, s’assurent de la sécurité, de la durabilité, de l’aspect solidaire, inclusif et libre des services proposés, quand le règlement « Europrivacy » garantit la confidentialité des données des utilisateurs et la sécurité des mineurs.

Sécurité, cybersécurité et migrations :
Le numérique ne représente pas toujours la fin, il peut œuvrer pour les moyens. Avec une hausse de 60% des cyber-attaques entre 2022 et 2023, on assiste à des progrès technologiques notables dans le secteur de la sécurité, notamment aux frontières de l’Union. Le Système d’Information Schengen (SIS), qui permet la traçabilité de certains biens et l’émission de signalements dans tout l’espace Schengen a été mis à jour en 2022, en même temps que le système de cybersécurité SRI2. Ces deux logiciels communiquent entre eux et partagent leurs bases de données avec celles d’Eurodac et du nouveau système d’information sur les visas (VIS), permettant aux gardes-frontières de l’UE d’obtenir rapidement des informations plus complètes sur les entrées quotidiennes au sein de l’Union. Pour certains, ces nouveaux dispositifs nuisent à la liberté de circuler librement et favorisent les discriminations. Le président de la Fédération Internationale pour le Droit Européen, Alexander Abaradjiev, critiquait ainsi en mars 2023 les nouveaux systèmes européens d’entrée / sortie qui enregistrent les franchissements de frontières des ressortissants de pays tiers, ainsi que le système VIS qui trace les déplacements grâce aux visas.

Le projet d’Euro numérique et ses dérives, un danger pour les citoyens européens
« Qui contrôle l’argent contrôle le monde » disait Henry Kissinger. Alors que les Etats-Unis, la Chine ou encore le Japon prévoient de lancer leur propre monnaie numérique, le Conseil Européen étudiait en 2023 le projet et les propositions législatives de la Banque Centrale Européenne pour la création d’un euro totalement numérique. Si 45% des consommateurs européens préfèrent le paiement en liquide selon Eurostat, cette proposition consiste à numériser intégralement la monnaie de la zone euro à horizon 2027. À une époque où les transactions se digitalisent entre personnes privées, entreprises et États, il semble logique qu’une telle transformation ait lieu. Accessible via une application, le nouvel euro ne laisserait plus de place à la monnaie physique. Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE et acteur de ce projet, expliquait en 2021 les bénéfices du nouveau système : plus de fraude fiscale ni de blanchiment d’argent, possibilité de payer instantanément depuis son smartphone, parade aux paiements illégaux, inclusion financière, concurrence équitable… Les avantages sont nombreux, et permettraient même d’éviter les faillites bancaires. Quand 5 jours du mois de mars 2023 auront suffi aux trois banques américaines Silvergate, Silicon Valley Bank et Signature Bank à faire faillite aux États-Unis, les pays de l’Union pourraient se prémunir de tout risque de crise de liquidités avec une monnaie centralisée et commune.
Seulement, un tel changement de paradigme vers une monnaie totalement numérique sans pièces ni billets, implique que toutes les transactions seront traçables. Comme l’a précisé la présidente de la BCE Christine Lagarde, ancienne de chez McKinney, notre compte bancaire
sera lié à notre identité numérique via une autre application fournie par l’UE, et le citoyen européen n’aura plus aucun moyen d’effectuer une transaction privée. En étant contrôlé par une seule entité, la BCE, l’euro pourra être programmé pour avoir des comportements spécifiques :
utilisables pour certains types de dépenses, dans certaines zones géographiques, à des dates spécifiques. Des paiements ne correspondant pas à certains critères pourraient alors être refusés, comme le président de la Banque des Règlement Internationaux l’expliquait clairement dans
son discours du 7 avril 2022 : « Avec une monnaie numérique, la Banque Centrale exercera un contrôle absolu sur les règles qui détermineront l’usage de la monnaie, et disposera de la technologie nécessaire pour faire appliquer ces règles ». Pour la première fois dans l’histoire de
l’humanité, centralisation, traçabilité et programmabilité pourraient donc être intégrées au cœur même du concept de ce qu’est l’argent. La dématérialisation de l’Euro semble être une évolution naturelle, mais pourrait se révéler menaçante dans la mesure ou une centralisation totale et inédite du contrôle de la monnaie ne peut se faire qu’au prix d’un risque de perte de souveraineté individuelle.

Un débat qui passe sous les radars
Aux États-Unis, des voix s’opposent à la digitalisation de la monnaie. Des lois contre l’avènement du dollar numérique sont discutées au Minnesota, au Texas et en Floride, et le candidat aux prochaines présidentielles Robert Kennedy a même fait de la lutte contre les
monnaies des banques centrales un point important de sa campagne. En Europe, la BCE se veut rassurante et assure que l’euro numérique ne sera pas programmable, et plusieurs parlementaires européens en faveur de ce projet rappellent que chaque pays gardera sa souveraineté, l’Union Européenne n’étant qu’un outil de coordination. En effet, on imagine mal des amendes directement prélevées par l’Union, des quotas mis en place pour des produits en cas de pénurie, ou des refus de paiement pour des billets d’avions à cause d’une limite de pollution annuel.

Les risques d’un portefeuille européen : des services publics trop connectés ?
Si le Plan Digital 2030 atteint ses objectifs, les principaux services publics européens seront ouverts à l’identité numérique d’ici une dizaine d’année. La Commission Européenne appuie d’ailleurs ce projet en proposant les premiers modèles de portefeuille européen d’identité numérique. Une fois enregistré, plus besoins dossier médical physique, ni de carte de mutuelle.
Peut-on alors imaginer qu’un tel principe s’étende à d’autres services comme la carte d’identité ou les données bancaires ? Un dossier numérisé et synchronisé qui permettrait des fonctionnements similaires dans d’autres domaines que celui de la santé ferait bel et bien peser
des risques sur nos libertés individuelles. Si les plus alarmistes et complotistes, appuyés par certains eurosceptiques, projettent un futur exagérément dystopique de surveillance constante aux airs de Big Brother, certaines mesures bien concrètes inquiètent les plus rationnels. La
Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) alerte sur les avancées de l’entreprise suédoise Dsruptive Subdermals, qui dès 2021, implantait à des volontaires des puces sous-cutanées pour stocker les données de leur Pass sanitaire, devenu un Pass vaccinal.
« Bien qu’avantageuse et pratique, portée sur la sécurité du citoyen face aux GAFAM intrusives, et destinée à faciliter l’accès aux services publics, l’idée d’identité numérique européenne pourrait, si elle est mal maîtrisée, ouvrir la porte à une étape irréversible où les données fiscales, juridiques, judiciaires et médicales seraient scanables et consultables, immédiatement et librement par les autorités » alerte Virgine Joron, parlementaire européenne.

La Bible, Apocalypse 13:17 « Et que personne ne pût acheter ni vendre sans avoir la marque, le nom de la bête ou le nombre de son nom ». Alors, comme pour tout pas de géant dans la voie du progrès technologique, l’Europe et ses institutions se trouvent devant l’immense défi de
créer un environnement propice à l’essor d’une compétitivité numérique à la hauteur de ses volontés de développement et de souveraineté, tout en assurant de façon renforcée des pratiques éthiques, parfois extrêmement difficiles à déterminer et à garantir. Elle se doit, par son Histoire
et les valeurs dont elle fait son étendard, d’avancer toujours plus loin dans la course technologique qui régit les rapports de forces contemporains, tout en veillant à ne jamais céder à la tentation d’une politique semblable à celle de Yuan, où l’identité numérique est liée à un
score social, lui-même évalué par un système de surveillance intrusif et anti-démocratique

JAPON : La nouvelle stratégie japonaise dans l’Indopacifique

JAPON : La nouvelle stratégie japonaise dans l’Indopacifique

En mai 2018, le président français Emmanuel Macron prononçait un discours en Australie, à Sidney, dans lequel il incombait ses partenaires indiens et australiens de s’unir pour former un front commun, solide, et capable de contrebalancer ou du moins, de limiter l’hégémonie chinoise galopante dans la région pacifique. Le Japon, un pays asiatique, et auquel le président français s’adressait pourtant indirectement lors de son appel à la solidarité, mène une politique complexe dans cette zone menacée par la Chine, qui revendique avec de plus en plus d’assurance les archipels de la mer de Chine et ses ZEE.

UN ACTEUR ECONOMIQUE DE TAILLE

Les 125 millions de Japonais prennent de plus en plus conscience de la délicatesse de toute éventuelle action diplomatique envers la Chine dans la région Pacifique. Si le premier ministre nippon annonçait en 2016 son souhait d’un « Indopacifique libre et ouvert » tant dans ses échanges commerciaux que dans sa géopolitique, la BRI (Belt and Roas Initiative) chinoise vient contrecarrer ce bel idéal d’espace maritime ouvert.

En effet, c’est bien vers les océans indiens et pacifiques que les micros, les caméras, et les canons sont pointés. La première raison de cette attention particulière portée à la mer est la dispute de certains de ses espaces. Si les 4 principales îles japonaises et les archipels des Ruyuke et des Ogasawara et leur 4,3 km2 de ZEE semblent bien définitivement acquis pour le Japon, les conflits territoriaux autour des Kourilles du Sud, occupé par la Russie depuis 1945, l’îlot Takeshima, occupé par la Corée du Sud, et celui de Tokodo revendiqué par Taïwan, sans compter les ZEE des Rochers Okinotori et Minamitori, constituent un élément de tension régional croissant. Deuxième raison de cette attention particulière : les ressources de ces espaces. 1ère puissance mondiale en matière de pêche jusqu’en 1991 en terme de tonnage débarqué, le Japon se voit restreint, pourtant au sein de sa propre ZEE, dans son accès aux ressources halieutiques. Quant à la surpêche chinoise et les prises illégales des chalutiers chinois et taïwanais, elle étouffe tant ses concurrents, que la FAO fut contrainte de lui imposer un objectif d’une baisse de 15% de sa pêche d’ici 2030 sous peine de sanctions. Selon la EIA (Energy Information Administration), les hydrocarbures ne manquent pas non plus dans les sous-sols de la Mer de Chine. Avec 200 millions de barils de pétrole et entre 30 et 50 milliards de mètre cube de gaz naturel, leur forte concentration autour des îles Senkaku explique les litiges autour de l’île depuis 1971

 Très dépendant des apports étrangers, le marché japonais vie des importations de ressources naturelles et de produits manufacturés, et ce encore plus depuis le Tsunami de 2011 et la remise en cause de l’énergie nucléaire. Dans le secteur énergétique, le pays importe 88% de son énergie dont 75% des régions du Moyen-Orient, acheminé par les détroits d’Ormuz et de Malacca. La part d’importation du PIB étant passé de 15% en 1984 à 20% en 2018, l’importance du principe de liberté de navigation et les accès aux grandes routes maritimes transpacifiques et indopacifiques prennent alors tout leur sens : ce sont des conditions nécessaires à la survie économique nippone

L’HEGEMONIE CHINOISE CROÎT EN MER DE CHINE

Si le blocage de certains détroits est souvent surévalué, l’éventualité de fermeture de détroits stratégiques inquiète le Japon face à la politique de Pékin en mer de chine méridionale. Avec la montée en puissance de la marine chinoise et son harcèlement des routes commerciales, le géant rouge inquiète. De plus en plus de terminaux portuaires sont acquis, construits et gérés par les entreprises chinoises. De l’Inde au Moyen-Orient en passant par l’Europe , Mombasa, Gwadar, Colombo, Sittw ou encore Pirée sont autant de ports, de bases militaires et d’installations de la marine qui contribuent  la stratégie de « collier de perle » chinois.

UN JAPON TOURNE VERS L’INDOPACIFIQUE :

La puissance de la BRI chinoise et le retour historique de la flotte chinoise en Asie pacifique et les restes de la politique isolationniste de Trump contribuent au sentiment d’instabilité croissante face à cette menace permanente de bouleverser l’ordre mondial. Ses projections économiques, diplomatiques et militaires poussent alors le Japon à s’orienter vers d’autres partenaires, et d’autres alliés… des alliés qui refusent cette hégémonie géostratégique. Les USA, devenus les premiers partenaires en matière de coopération sécuritaire avec les Japon, appuient les revendications nippones, surtout depuis leur adhésion au FOIP (Free and Open Indopacifique)

UN AXE TOKYO – NEX DEHLI?

Puis, si l’année 2020 à marqué un rapprochement considérable entre les USA et l’Inde, Tokyo aussi, fait partit de ceux qui étendent leur intérêt vers l’Océan Indien. La nouvelle stratégie japonaise s’appuie notamment sur la méfiance partagée et se concrétise depuis 2022 avec la mise en place de coopérations et de partenariats sécuritaire, économiques et humanitaires, comme par exemple, l’ « Humanitarian assistance and Disaster Relief ». Une vision commune de l’état des voies maritimes et de ses communications a poussé les nouveaux partenaires  établir les SLOC (« Sea Lines of Communication » ;  et le Japon, après la publication d’un nouveau livre blanc de défense en 2019, l’état nippon remplace la Corée du Sud par l’Inde comme 3ème partenaire en terme de coopération sécuritaire, après les USA et l’Australie. Le couple nipo-indien établit depuis fin 2023, grâce à la BAD (Banque Asiatique de Développement), des infrastructures populaires et un corridor de croissance Asie-Afrique (« Asia-Africa Growth Corridor »)

UNE COOPERATION FACE A LA PRESSION CHINOISE

Promoteur du dialogue multilatéral dans la zone pacifique, le Japon participe à des ateliers sur la sécurité maritime de « l’ASEAN Defense Minister Meeting Plus » et de « l’ASEAN Regional Forum », et finance les politiques de soutien bilatéral en Asie du Sud Est aux Philippines, en Malaisie, en Indonésie, et au Vietnam. Il lutte également contre la piraterie et la pêche illégale au niveau régional, et vends ses avions P1 de patrouille maritime à ses allier du Pacifique.

SI les 240.000 hommes et son budget militaire de 45 milliards d’euro n’égalent pas les 200 milliards de la Chine, sa force réside dans sa coopération régionale. En 2014, la relecture de l’article 9 de la constitution permet désormais au Japon de participer à des opérations pour soutenir ses alliés et non plus uniquement n cas d’autodéfense. En 2008, il indiquait d’ailleurs qu’une attaque chinoise dirigée contre Taïwan sera interprété comme un casus belli. La flotte nippone, forte de 155 unitées, de 20 sousmarins, de 5 navires de ravitaillement et de 4 porte-helicoptères, se hisse à la 5ème place des flottes les plus puissantes. Depuis 2021, une brigade amphibie est même formée et régulièrement entrainée dans l’éventualité d’une opération visant à reprendre les îles Senkaku. Malgré sa discrétion dans sa stratégie de réarmement, le Japon développe bel et bien ses capacités aéronavales face à l’avancée des positions chinoises.

En jouant le jeu de la Chine , Tokyo espère amener Pékin à contribuer à la stabilisation du pacifique tout en entretenant les attentes des USA en respectant ses règles de gouvernance et son système libéral. Depuis fin 2010, les intérêt japonais pour le concept d’espace indo-pacifique le pousse encore plus à ouvrir l’archipel nippon aux coopérations de ceux contre la Chine .

ISRAËL – PALESTINE : La démographie, l’arme dont on ne parle pas

ISRAËL – PALESTINE : La démographie, l’arme dont on ne parle pas

Deux peuples qui revendiquent un seul et même territoire. C’est cet affrontement qui enflamme les débats et les populations du levant, et dont les avancées font la une de la presse internationale. Un conflit d’abord appelé « israélo-arabe » puis réduit au conflit « israélo-palestinien » que l’on connait aujourd’hui, et qui symbolise une bataille diplomatiquement irrésolvable et dont l’issue se dessine de plus en plus depuis que les bombardements israéliens anéantissent les populations de gazaouies.

Entre 2008 et 2021, les deux camps sont responsables de plus de 7000 morts : 5590 du côté palestinien, et 853 pour l’état d’Israël. Quant à l’année 2022, elle est considérée comme la plus meurtrière depuis l’intifada de 2005, avec 150 morts palestiniens et 30 morts israéliens. Et si un inventaire était nécessaire, environ 13.000 palestiniens et 3700 israéliens ont perdu la vie entre 1948 et 1993.

Ce conflit, a la spécificité d’être d’actualité depuis 1948. C’est-à-dire qu’il n’a cessé de préoccuper et de solliciter les acteurs et autorités internationales depuis cette date. Il est donc encore en 2023, un sujet d’actualité, et un sujet historique. Pourtant, c’est avec la grille de lecture démographique que cet article propose d’étudier ce conflit. Depuis l’arrivée massive de juifs en 1948, les annexions de plusieurs territoires en 1967 et le renouvellement de la politique d’occupation et d’expropriation de ces dernières années, la démographie n’est peut-être pas au cœur du débat, mais elle est bien au cœur des stratégies et des politiques des deux camps.

LA DEMOGRAPHIE QU’EST-CE QUE C’EST ?

Si la démographie n’a pas la prétention de tout expliquer, elle permet de rendre compte de l’état d’un territoire, de ses citoyens, d’une génération et même des mentalités. C’est « l’étude quantitative et qualitative des caractéristiques des populations et de leur dynamiques » ou en des termes moins abstrait, c’est ce qui permet de dresser un grand tableau statistique d’un territoire, d’y entrer des données spécifiques, comme le taux de natalité, de fécondité, de mortalité, de nuptialité ou encore de migration, et d’interpréter ces moyennes. Attention, cet outil ne permet pas une compréhension totale de la société. La théorie de Samuel Huntington par exemple, qui tentait d’expliquer la violence politique des sociétés du Maghreb par la forte présence d’une population jeune est à nuancer. Dans cet article, la démographie n’aura pour seul but que de revisiter les grilles de lectures manichéennes et traditionnelles et d’apporter un regard neuf à une situation pourtant déjà bien connue.

UN PEUPLE, C’EST UN NOMBRE

Depuis  la création de l’état d’Israël et ensuite, l’annexion israélienne de la Cisjordanie, de la Bande de Gaza, du Plateau du Golan et de Jérusalem Est, la population et le peuplement sont devenu des questions majeurs pour les deux camps. Dans les territoires occupés ou à Jérusalem même, la question de la majorité ethnique pèse dans la balance. Les taux de croissances des populations sont surveillés de près, tout comme les déplacements et les arrivées. Le « choc des civilisations » n’est plus utile pour l’analyse des relations internationales, mais il semble bien faire écho aux mentalités des deux camps : qui est le plus grand nombre est chez soi, et qui est chez soi est légitime.

LES PREMICES D’UNE POLITIQUE POPULATIONISTE

L’atout démographique s’ajoutant aux nécessités de l’état israélien, celui-ci commence, avant même sa création, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, à mener une politique de mariages précoces pour s’assurer une population abondante. La « Loi du retour » permettait dès 1950, à toute personne juive capable de justifier un lien avec l’identité ou la tradition juive, de devenir un citoyen israélien, quand les Palestiniens ne pouvaient l’obtenir malgré des justificatifs de résidence ou d’appartenance familiale en Israël. Puis le Ministre Israélien Ben Gourion arrivé au pouvoir en 1955, se lance dans une politique populationniste et fait appel au sens patriotique des citoyens en inquiétant : « Nous sommes amenés à devenir une minorité ». Il ira jusqu’à créer un prix à son nom pour récompenser les familles de plus de 10 enfants. Un peu plus tard, Golda Meir, qui succède à Ben Gourion de 1969 à 1974, instaure les prémices d’une politique raciste envers les Palestiniens, et ajoute à l’équation un mépris violent à l’égard des juifs séfarades, qu’elle considère moins instruits : la qualité et la quantité sont donc à l’ordre du jour.

PALESTINE : OBJECTIF CROISSANCE DEMOGRAPHIQUE

Côté Palestine, les réactions sont immédiates. Des années 1950 jusqu’à la deuxième Intifada ( 2000 – 2005) les femmes palestiniennes ont en moyenne 8 enfants, soit 5 de plus que les femmes juives, qui n’en ont que 3 jusqu’aux années 2000. Dans les années 1970, Yasser Arafat, fondateur de l’Organisation de Libération de la Palestine, demandera même aux épouses d’enfanter 12 fois avec cette phrase restée célèbre : «  2 pour elles, 2 pour la famille et 8 pour la Palestine. »

Mahmoud Abbas répondra quant à lui au prix Ben Gourion en créant un aide équivalent à 4.000 dollars américains pour tous les couples rencontrant des difficultés à avoir d’autres enfants. En une trentaine d’année, l’utérus devient, aux yeux des dirigeants, un outil politique, et une véritable arme.

ISRAEL REPRENDS SA POLITIQUE POPULATIONISTE

Malgré une légère détente encouragée par les tentatives de dialogue et de négociations, notamment la mythique poignée de main entre les deux dirigeants israéliens et palestiniens à la Maison Blanche lors des accords d’Oslo (1993) puis d’Oslo II (1995), le début des années 2000 marque une dégradation des relations bilatérales des deux pays, et le début d’une politique agressive inédite chez l’état sioniste. Avec des percées toujours plus lointaines sur le territoire palestinien et des dirigeants penchant de plus en plus à droite du spectre politique, Israël reprends sa politique populationniste.

En 2003, le président Benyamin Netanyahou déclare l’interdiction totale du droit de regroupement familial. Il est alors impossible pour un Palestinien marié avec une cisjordanienne ou une Palestinienne de la Bande de Gaza de vivre en Israël. En 2011, la Loi Comité d’Admission permet à toute commune juive de moins de 400 familles de refuser à un Palestinien de s’y installer. Puis en 2018, la Loi sur l’Etat Nation définit Israël comme un état ou « seul les juifs ont le droit à l’autodétermination », et encourage l’implantation exclusivement juive en retirant à l’arabe son statut de langue officielle de l’état.

LA NOUVELLE KNESSET, LE NATALISME REMIS AU GOUT DU JOUR

Lors des élections de la 25ème parlement israélien en 2022, la Knesset, les écarts se creusent. Les députés israéliens montrent l’exemple en terme de natalité, avec une moyenne de 3 enfants par députés tout parti confondu, et allant jusqu’à 8 enfants par députés des partis d’extrême droite. Cette politique nataliste renouvelée appuyée et encouragée par un gouvernement de plus en plus extrême souhaite cesser de « s’encombrer du laïque » selon les mots du ministre de la sécurité nationale Itamar Ben-Gvir. En 2021 déjà, le taux de natalité israélien de 3,13 enfants par femme avait dépassé celui de Palestine, avec seulement 2,83 enfants par femme.

QUE PEUT ON PREVOIR GRACE A LA DEMOGRAPHIE ?

Avec une augmentation des proportions nationalistes et d’ultra-droite de Knesset en Knesset, et l’intensification des politiques natalistes, les projections de courbes de natalités prévoient une majorité juive à l’échelle nationale d’ici 2065 avec 16 millions de Juifs contre 14 millions de Palestiniens selon le rapport de Nitzan Perelman, directrice du magistère de l’IREMMO et enseignante à Paris 1. Depuis les évènements du 7 octobre 2023, les bombardements israéliens, la mort de dizaines de milliers de civils palestiniens, les pénuries en eau et la famine qui s’installent dans l’enclave Gazaouie viennent évidement accélérer les tendances précédemment énoncées. Les chiffres sont à nuancés, ne prenant ni en compte la diaspora palestinienne qui s’élève à environ 1 million, ni les non citoyens israéliens non juifs. Toujours est-il que l’avantage démographique est un argument de poids qui pourrait faire tomber la balance qui penchait déjà du côté Israélien. Peut-on parier sur la longévité de ce conflit au vu des évènements de l’Histoire ? Faut-il s’inquiéter de cette « date de péremption » de la majorité palestinienne qui vient s’ajouter aux expropriations constantes israéliennes et aux menaces existentielles qui pèsent depuis le mois d’octobre 2023 sur le peuple palestinien ? La question est ouverte.

INDICE NORMANDIE, OU COMMENT MESURER LA VULNERABILITÉ DES PAYS

INDICE NORMANDIE, OU COMMENT MESURER LA VULNERABILITÉ DES PAYS

Dans différents domaines et selon différents critères, organisations internationales, entreprises privées et centres de recherche utilisent régulièrement des indices comme outil pour classer les payes. A l’initiative d’institutions comme le FMI, le PNUD, l’OCDE ou le FMI, ou fruit de recherches d’entreprises privées, de lobbies, d’ONG ou de groupes d’intérêts collectifs, les indices offrent une nouvelle grille de lecture du monde selon les facteurs qu’ils étudient. Du plus peuplé aux plus vides, des plus riches aux plus pauvres, IDH (Indice de développement humain) ou IPH (Indice de Pauvreté Humaine), on retrouve en fonction des indices, des classements mondiaux similaires. En voici un qui offre une approche originale, et dont la principale variable est la vulnérabilité. Mais à quoi des pays entiers peuvent ils être vulnérable et sur quelles données concrètes se base ce nouvel indice ?

Degré de vulnérabilité face au dérèglement climatique, aux risques de pénuries alimentaires, des guerres, du terrorisme… c’est ce que propose d’étudier le nouvel indice développé par le parlement européen, « L’indice Normandie » 

L’INDICE NORMANDIE, UN NOUVEL OUTIL EUROEPÉEN

Nommé en référence au rôle fondamental de la Normandie dans la Seconde Guerre Mondiale, l’indice Normandie a été élaboré par l’ « Institute for Economics and Peace » et présenté par le Service de Recherche du Parlement Européen (EPRS) en 2019, dans le cadre de la « Stratégie Globale de l’Union Européenne ». Les 27 pays de l’Union et ses institutions se sont accordés sur une dizaine de menaces à la paix dans le monde et à l’intégrité du territoire européen. La spécificité de cet indice s’exprime par une vision et une interprétation purement européenne des menaces qu’il identifie. Parmi ces 11 menaces, 9 sont quantifiables : la vulnérabilité au changement climatique, l’indice de crime, l’insécurité énergétique, la qualité des processus démocratiques, le terrorisme, la menace des armes de destruction massive, la cybersécurité, le risque de crise économique, la fragilité de l’état, la désinformation, et les conflits violents. Ainsi, l’indice Normandie se classe entre des indices globaux comme le « Global Peace Index », qui indique le degré de paix et de sécurité des pays dans le monde, et des indices plus spécifiques comme « l’indice reporter sans frontière », qui vise à indiquer la liberté de la presse. Si on retrouve certains pays auxquels on s’attends évidement en tête du classement dont la Norvège, la Suisse, ou la Nouvelle Zélande, le Costa Rica et la Mongolie les suivent de près, grâce à leur résilience que les critères de ces indices valorisent. A la fin du classement, le Sud Soudan où sévissent la guerre civile et les pénuries, puis l’Irak, la Syrie, et l’Afghanistan, dont ses conflits et sa situation climatique le confine à l’avant dernière place.

LA SECURTIÉ ENNERGETIQUE COMME NOUVELLE GRILLE DE LECTURE

Comme expliqué, ce classement fait apparaître un lien entre les causes de dégradation des pays. Aussi, la vulnérabilité au changement climatique lié à l’insécurité énergétique, soit la dépendance à d’autres pays quant à l’alimentation énergétique, sont deux facteurs qui mènent régulièrement à une instabilité générale dans les pays étudiés par l’équipe du Parlement Européen. La guerre en Ukraine a par exemple réduit l’afflux de gaz et de pétrole vers l’Europe, menant à une augmentation des prix, et donc, fait croitre le facteur d’instabilité des pays de la région. Dans un classement où seuls ces deux variables seraient sélectionnées, la Turquie vient, de manière plus inattendue, rejoindre l’Afghanistan en avant dernière place. Cumulant une vulnérabilité au changement climatique et des températures de plus en plus extrêmes, elle se voit contrainte d’importer la quasi-totalité de son énergie chez son voisin russe, l’y rendant de plus en plus dépendante. Encore une fois, à la lumière de ce nouvel indice Normandie, on comprend mieux la stratégie du président Erdogan sur la scène internationale, à la foi membre de l’OTAN et peu regardant face aux projets russes en Ukraine.

CLIMAT ET CONFLIT, UN LIEN ÉVIDENT ?

Deuxième lien intéressent que laisse apparaître ce nouvel indice : une interconnexion entre les causalités des conflits violents et des réactions face au danger climatique, comme en Somalie, au Yémen ou au Tchad, ou les conflits de la région sahélienne continuent d’être en partie alimentés par l’avancée du désert. Le séquençage exact des causalités, soit la capacité à précisément discerner les liens entre ces différentes causes et conséquences ainsi que leur hiérarchie, reste impossible, mais ces liens existent bien. Une fragilité environnementale rend un territoire plus propice à la naissance de conflits violents. Pour l’expliquer plus clairement, voici un cas pratique, celui du conflit Syrien

En 2003, après l’intervention des Etats Unis en Irak, des déplacements massifs de populations vers la Syrie donnent lieu à une augmentation de la population des grandes villes de plus de 10%. Les services publiques, d’accès à l’eau potable et à l’électricité, sont dépassés face aux nouveaux besoins des citoyens d’Alep, de Damas et de Homs. En 2008, c’est la plus grande sècheresse jamais enregistrée en Syrie qui entraine un afflux massif de population des campagnes vers les villes, avec de nouveau, une augmentation de 10% de la population citadine. Une population rurale quasi exclusivement musulmanes arrive dans des grandes villes multiculturelles, multiethniques, et multireligieuses. Le sentiment de maltraitance et de rejet s’associe alors progressivement et particulièrement aux sunnites récemment arrivés. Bien que la cause de ces souffrances soit due au manque de services publiques, ce sentiment de discrimination participera à former un terreau fertile et favorable au développement de l’Etat Islamique. L’organisation récupère et instrumentalise alors les conséquences du conflit en Irak et de la vulnérabilité environnementale syrienne pour favoriser son implantation et son développement dans la région.

UN INDICE TROP EUROPÉEN ?

L’indice Normandie éclaire les menaces à l’intégrité des pays et à la paix de bien des manières, mais surtout à la manière européenne, et pour les décideurs européens, et les critères de cet indice ne correspondent et ne conviennent pas à tous les chefs d’état. Le président brésilien Bolsonaro avait confié en mai 2022 au journal « Estado » ses réserves quant à cet indice « qui arrange ceux qui l’ont créé ». Pour 11 menaces identifiées par l’Union Européenne, certains pays en identifient beaucoup moins. La Chine par exemple, ne craint que le terrorisme, les conflits violents, la cyber-insécurité, et les armes de destruction massives. La France, elle, en identifie une dizaine : les mêmes que l’Australie. Les Etats-Unis et le Bresil adaptent quant à eux cette liste de menaces à leur vision du monde en en établissant moins que l’Europe mais plus que la Chine.

Y compris au sein de l’Union Européenne, les différences et différends sont nombreux, et les 27 ne se positionnent pas de la même manière face aux menaces qu’ils définissent. L’Estonie et l’Espagne voient le changement climatique d’un œil différent, tout comme les positions de l’Irlande, un pays neutre, et de la Grèce, peuvent s’opposer au sujet de la défense de l’Europe.

UN OUTIL POUR COOPERATION ET DE PARTENARIAT

Ces discussions au niveau européen et mondial quant aux types de menaces et à leur nombre constituent un exercice comparatif qui permet aux partenaires mondiaux d’identifier des zones communes sur lesquelles concentrer leur effort. Avant le conflit russo-ukrainien, les pays membres de l’UE et la Russie avaient mis en place une série d’objectifs communs face au changement climatique. La Russie, acteur important du sommet de Copenhague de 2009, coopérait activement avec les pays de l’Union Européenne, craignant la libération d’une grande quantité du CO2 contenue dans son permafrost et coopérait activement 

LES LIMITES DE CET INDICE

Malgré ses avantages, les limites de ce nouvel indice résident dans son approche quantitative. Comme l’explique le chercheur Phillipe Peroch, l’intérêt de cet outil est d’en apprendre plus sur les raisons du classement des pays et de leur évolution, dans une approche qualitative. La hiérarchie des pays dans le classement proposé comporterait alors une part de subjectivité, cette même subjectivité qui détermine les menaces et leur hiérarchie, une subjectivité européenne.

Il est par ailleurs pour l’instant impossible d’étudier ces phénomènes par région géographiques et d’en faire émerger les dynamiques régionales. Le classement étudie les pays et rends difficiles l’analyse des clusters géographiques entre les pays voisins et les phénomènes de contagion positifs ou négatifs, les similarités et les liens causaux vis-à-vis des menaces. Au Sahel par exemple, où les conflits et les défis climatiques touchent une zone géographique qui s’étends sur plusieurs pays, l’indice peine à retranscrire la dimension transnationale des ces enjeux.

UN NOUVEL ESPOIR

Si l’indice permet aux décideurs et aux chefs d’états de définir et d’adapter leur objectifs, face aux tendances de désinformation qui augmentent, il s’étends au-delà des sphères institutionnelles et s’adresse aussi au grand public, afin d’alimenter le débat sur l’état du monde et de ses régions

Au long terme, pouvoir identifier et anticiper l’indice qui se dégrade ou s’améliore en premier lorsque la position d’un pays change dans le tableau pourrait mener à la création d’un système d’alerte permettant aux acteurs humanitaires et européens de savoir où, quand, et comment diriger leurs efforts et leur attention.

UN BILAN DE LA PRESIDENCE FRANCAISE AU CONSEIL DE L’EUROPE

UN BILAN DE LA PRESIDENCE FRANCAISE AU CONSEIL DE L’EUROPE

« L’Europe de juin 2022 est très différente de l’Europe de Janvier 2022 » déclarait Emmanuel Macron le 1er juillet 2022, quand s’achevaient les 6 mois de Présidence Française du Conseil de l’Union Européenne (PFUE). Cette présidence, chamboulée par le conflit en Ukraine qui a mis en exergue la dépendance des États membres de l’Union aux hydrocarbures russes, a surtout permis au Président Macron de placer la vision française de l’avenir d’une Europe souverain, indépendante, et humaine sur le devant de la scène. L’agenda politique français à fait prendre un nouveau tournant stratégique à l’Union Européenne, dont les membres ont fait preuve d’une coopération inédite au sein du conseil.

LE CONSEIL DE L’UNION EUROPENNE

Le Conseil de l’Union Européenne est, au même titre que le Parlement européen, la Commission européenne ou le Conseil européen, une des 4 institutions décisionnelles de l’Union Européenne. Il réunit les ministres des États membres de l’Union par secteur, et contribue de différentes manières à l’évolution de sa politique. Le Conseil négocie et adopte des actes législatifs et coordonne les politiques économiques, culturelles, d’éducation et d’emploi des 27 États membres. Il définit sa politique étrangère et sécuritaire tant dans le secteur commercial que celui de la défense, conclut les accords internationaux et adopte le budget de l’UE avec l’accord du Parlement européen.

La direction du Conseil, assurée à tour de rôle par chaque État membre pour une période de six mois, permet au chef d’État désigné d’influer sur les votes, les débats abordés et les résolutions prises au sein de cette institution, tout en veillant à la continuité des processus décisionnels ainsi qu’à la coopération de ses membres. Du 1er janvier 2022 au 1er juillet 2022, le Président de la République Emmanuel Macron a eu cette opportunité.

LE MOT D’ORDRE DE LA PFUE

« Relance, puissance, appartenance » : voici le mot d’ordre qu’Emmanuel Macron avait proclamé le 9 décembre 2021 à l’Elysée, en vue de sa présidence européenne. Avec une triple mobilisation de l’Elysée, de Matignon et du Quai d’Orsay, et un budget prévisionnel de 140 millions d’euros, Emanuel Macron et ses équipes ont mobilisé toute la capacité diplomatique et l’expérience politique de l’Hexagone pour transformer ces directives en réformes concrètes. Le Président français s’est fait le chantre d’une Europe politiquement, financièrement et militairement souveraine, sans s’éloigner de l’objectif d’une Europe en croissance et plus humaine. Le président a assuré ne pas avoir oublié non plus le « défi climatique » qui l’attendait. Mais si les élections présidentielles sont venues étoffer les pages de l’agenda macronien, l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022 a chamboulé l’ordre des priorités et poussé les États membres de l’Union à répondre rapidement et à l’unisson devant l’ambition expansionniste de Vladimir Poutine.

LA GUERRE EN UKRAINE : SITUATION DE CRISE OU VERTIBALE AUBAINE ?

Face à l’afflux de réfugiés, l’Union Européenne s’est dite prête à faire preuve d’un « soutien sans faille » envers les Ukrainiens. C’est un budget de près de 335 millions d’euros débloqué dans l’urgence qui a permis l’accueil des premiers 7,6 millions de réfugiés, et leur a garanti un accès à l’emploi, à l’éducation et à la protection sociale. A la fin de la PFUE, les fonds pour l’aide humanitaire levés par les pays membres (1,2 Milliard d’euros) sont venus s’ajouter aux 4 milliards d’euros déjà fournis par l’Union Européenne, également répartis dans le soutien à la population ukrainienne et à son armée.

Des sanctions inédites contre la Russie et la Biélorussie ont immédiatement suivi. L’UE s’est montrée catégorique en appliquant un embargo sur 90% du pétrole russe et en fermant les portes de l’Europe aux navires et aux camions russes transportant des marchandises. La diffusion de médias russes liés au Kremlin à été interdite sur les ondes européennes, les banques russes ont été exclues du système de transaction SWIFT, et ses réserves de devises dans les banques européennes ont été gelées. Enfin, la fameuse « cure de désintoxication aux énergies fossiles russes » proposée par E. Macron à été acceptée par la majorité des États membres. Ces sanctions européennes visant les secteurs clés de la finance, des transports, de la défense et de l’énergie russes ont été appliquées dès le début de l’invasion de l’Ukraine. Réel défi pour les États membres qui ont fait preuve d’une coopération inédite, la crise ukrainienne, en toile de fond de la PFUE, a non seulement permis l’émergence d’un nouveau consensus autour de la transition énergétique, pour s’écarter de la dépendance russe, mais a aussi facilité le débat autour des questions de souveraineté et d’autonomie européenne soulevé par le Président français.

POUR UNE EUROPE PLUS SOUVERAINE

Devenu le symbole du renforcement de la souveraineté européenne, « L’Agenda de Versailles » est signé le 11 mars 2022. Ce corpus, constitué d’accords inédits entre chefs d’États européens, s’appuie sur trois points :  renforcer la coopération et les capacités de défense de l’Europe en augmentant son budget, mettre un terme à la dépendance énergétique russe et réduire les énergies fossiles en diversifiant les voies d’approvisionnement énergétiques des États membres, et enfin, renforcer l’indépendance européenne dans le secteur des matières premières, de la santé et de l’alimentation. La PFUE à aussi été marquée par la réforme de l’espace Schengen. Des contrôles renforcés aux frontières et la création d’un « Conseil Schengen » assurent depuis juin 2022 la sécurité des citoyens face aux différentes menaces extérieures, aux crises sanitaires, et à l’instrumentalisation des migrations.

Concernant la politique de défense de l’UE, la rédaction d’un « Livre blanc » de la défense européenne qui identifie les menaces communes aux 27 États membres, a permis de déterminer l’orientation stratégique de l’Union jusqu’en 2030. Dans un second temps, la reconstruction des stocks des États membres ayant apporté leur soutien militaire à l’Ukraine et l’exemption de TVA dans le secteur de la construction de matériel militaire a été voté à Versailles. Si l’élan de réarmement général dans le cadre de l’OTAN accompagne les réformes européennes visant une certaine autonomie, l’Union n’en oublie pas pour autant ses voisins et partenaires. Dans un projet de politique européenne commune, E. Macron propose de renforcer les liens économiques, culturels et sécuritaires avec les États tiers partageant des valeurs démocratiques pour lutter contre la criminalité organisée et garantir une meilleure sécurité alimentaire. Il signe dans un même temps, via la plume du Conseil de l’UE, un contrat mutuellement bénéfique de 150 Milliards d’euros avec l’Union Africaine. Son but étant de lutter contre l’influence de la Chine en répartissant les investissements dans une dizaine de thématiques :  santé, infrastructures modernes, énergie…

 A travers les efforts d’indépendance et de souveraineté européenne pour ne plus avoir à rougir devant les géants américains et chinois, un nouveau modèle de croissance européen se dessine sous la PFUE qui fait de la production, de l’innovation et de la création d’emploi ses principaux objectifs.

UN NOUVEAU MODÈLE DE CROISSANCE EUROPEENNE

Le Président français a mis fin à 10 années de négociations en parvenant à établir des conditions de concurrence équitables entre les entreprises européennes sur le marché mondial, en interdisant toute restrictions ou pratiques discriminatoires de la part des États. Au mois de mai, l’UE à élargi les règles européennes aux États tiers, qui ne pourront toucher des subventions européennes que dans le cas d’une politique conforme aux lois de l’UE.  Le PIIEC (Projet Industriel Commun Européen) a progressé et permis une plus grande coopération industrielle. Le meilleur encadrement des services financiers européens assure une sécurité informatique renforcée des banques et des transactions, ainsi qu’une meilleure régulation des crypto-monnaies. Emmanuel Macron pense aussi à la compétitivité, en entamant une politique spatiale plus ambitieuse qui propose la création d’infrastructures européennes communes. SI l’UE encadre de mieux en mieux les services financiers, le programme macronien a voulu participer à la construction d’une Europe « plus humaine », qui protège ses consommateurs et citoyens en élargissant ces régulations aux géants du numérique.

POUR UNE EUROPE PLUS HUMAINE :

Cette régulation ambitieuse des services et des marchés du numérique se compose de deux niveaux de législation. La première consiste à réguler les marchés numériques en interdisant les grandes plateformes d’imposer des applications et logiciels par défaut. Elle interdit également d’utiliser des données personnelles sans le consentement du consommateur. La deuxième permet de limiter les contenus illicites sur les grandes plateformes, et leur impose une plus grande transparence. Ces réformes garantissent une liberté de choix au consommateur et renforcent l’idée d’une Europe plus souveraine face au numérique. Toujours dans l’optique de protéger ses citoyens, la PFUE a fixé des salaires minimaux adéquats pour chaque État membre afin de lutter contre la concurrence salariale et le dumping social, et a imposé une parité homme / femme à 40% d’ici 2026 pour les entreprises cotées en Bourse. Le Président français a également souhaité offrir une réponse « solidaire et sûre » au défit migratoire en instaurant le pacte « Asile et migration » pour une meilleure répartition des réfugiés entrant dans l’espace européen, et en renforçant les contrôles aux frontières pour lutter contre les mouvements irréguliers. Attaché à l’esprit démocratique partagé par l’Europe des 27, E. Macron a présidé la Conférence sur l’Avenir de l’Europe jusqu’en mai 2022 en ouvrant une voie de dialogue entre citoyens européens et dirigeants des États membres. Au succès bien plus notable que le « Grand débat National » français, c’est plus de 700.000 citoyens européens, dont 50.000 jeunes Français, qui ont pu faire part de leurs propositions et revendications. C’est sans grande surprise que l’on retrouvait, loin devant toute les autres, l’exigence de mesures en faveur du climat, ce à quoi la PFUE à répondu par plusieurs mesures.

À la protection des citoyens de cette Europe de plus en plus souveraine et indépendante, vient s’ajouter la gestion des impératifs climatiques trop longtemps laissés de côté.

CONCRETISER LES AMBITIONS CLIMATIQUES EUROPÉENNES

La réforme phare de l’agenda climatique de la PFUE, pour laquelle un budget de 59 milliards d’euros a été levé, consiste à instaurer la législation la plus ambitieuse au monde en termes de transition écologique. Dans l’optique d’une neutralité Carbonne d’ici 2050, l’Union Européenne à imposé un prix du carbone identique sur l’ensemble de son territoire, et interdira la vente de véhicules thermiques d’ici 2035 afin d’atteindre la barre symbolique des 40% d’énergies renouvelables dans le « mix européen » avant 2040. Ces réformes s’accompagnent d’un projet de « compensation carbone » qui a permis la plantation de 230.000 arbres. Un accord contre la « déforestation importée », signé entre les États membres, empêche également l’entrée sur le marché européen de produits ayant fortement dégradé l’environnement. Et l’obligation d’afficher la durabilité des produits sur les étiquettes européennes contribue à sensibiliser les consommateurs aux enjeux climatiques. En quelques chiffres, la présidence française comptabilise plus de 2.000 réunions et 130 textes adoptés, un chiffre exceptionnellement élevé. Alors le bilan de la PFUE est-il aussi bon qu’il le laisse paraître ?

UN BILAN SALUÉ PAR LA COMMUNAUTÉ EUROPÉENNE

Dans une lettre postée le 30 juin 2022 sur le site de l’Union Européenne, le Président s’est félicité d’avoir tenu ses engagements. Le retour de la guerre sur le continent a poussé les États membres à resserrer les rangs derrière la présidence française et à engager de lourdes sanctions contre la Russie, parallèlement au déploiement de l’aide humanitaire. La crise ukrainienne et le contexte géopolitique et sanitaire complexe n’ont pas détourné le Président de la gestion des questions climatiques et migratoires, et de sa promotion des droits sociaux. Les réformes de l’espace Schengen, la lutte contre la déforestation importée, l’exigence de réciprocité dans le commerce international, la refondation des relation euro-africaines et les accords de parité hommes / femmes étaient autant de réformes attendues. Le président n’est pas le seul à saluer son mandat semestriel. Parvenu à dérouler la quasi-totalité de son Agenda (97%), les rares échecs de la PFUE au sujet du « blocage hongrois » sur les accords de taxation et le contrôle des subventions de plusieurs entreprises européennes s’effacent face au succès d’Emmanuel Macron, qui a marqué les esprits en ouvrant les portes de l’Union Européenne aux candidatures de la Moldavie et surtout de l’Ukraine.

 Il est indéniable que le bilan de la PFUE est positif. Macron renvoie une image digne d’un président exigeant, dont les préoccupations s’articulent autant autour des questions de souveraineté, de défense et de croissance économique, que des enjeux sociaux et climatiques. Mais à l’aube de la PFUE, l’ancien conseiller en communication de Nicola Sarkozy prévenait : « La gestion du Conseil va éloigner le Président des Français […] et l’élection présidentielle ne se remporte pas à Bruxelles ». Alors le mandat d’E. Macron à la tête de l’UE, vivement salué, reflète-t-il la politique nationale menée par le Président de l’Hexagone ?

UN PROGRAMME NATIONAL PLUS MITIGÉ

Nombreux sont les détracteurs, opposants politiques ou citoyens qui, ne s’opposant en rien au bilan positif de la PFUE, se sont étonnés du gouffre qui séparait les agendas politiques européen et français. Malgré des objectifs européens inédits sur le climat, la France se distingue des 26 autres membres de l’Union Européenne qui ont tous rempli voire dépassé leur objectif de consommation finale d’énergie renouvelable (23% en 2021). Emmanuel Macron fait donc cavalier seul dans son inaction climatique en ayant manqué ses objectifs sur ce volet.

Face au tournant de souveraineté et d’indépendance européenne, la France fait face à une sévère perte d’indépendance face aux Etas-Unis. L’interdépendance peut être synonyme d’efficacité dans le cadre de la coopération transatlantique, mais la dépendance face à l’approvisionnement d’une ressource cruciale ou la prise de décisions est à proscrire. En 2018, la société française d’armement MBDA a fait les frais de l’ITAR (International Trafic in Arms Regulation) qui a permis aux USA de bloquer la vente et l’exportation de missiles SCALP de la France à l’Egypte. L’état avancé des négociations concernant le rachat de groupes industriels français, comme Exxelia par le géant américain HEICO, questionne la souveraineté française future que le Président s’est pourtant donné tant de mal à défendre à l’échelle européenne. Le rachat de ce groupe, qui fabrique des composants essentiels dans des domaines industriels clés comme l’aviation, la défense et le spatial, ne ferait que creuser le gouffre qui sépare déjà le coq français de l’aigle américain, qui a toute les cartes en main pour imposer un modèle particulier de catapultes au célèbre porte avion Charles-de-Gaule. Le 13 juillet 2022, un rapport de la commission européenne (« 2022 Rules of Law report ») est venu nuancer les progrès de l’État de droit sous la PFUE, en relevant le manque d’indépendance de la justice française. La Commission a appelé à des réformes permettant d’accroître la responsabilité et la protection des magistrats. Une référence au cas d’Éric Dupond-Moretti, premier Garde des Sceaux à être renvoyé devant la Cour de Justice de la République pour « prise illégale d’intérêt » pendant l’exercice de ses fonctions. Encore une fois félicité pour sa gestion de la question migratoire pendant la PFUE, le président Macron refuse pourtant depuis le 21 mai 2022 de répondre aux questions concernant une « Start-up de l’Asile », qui accumule les subventions malgré ses défaillances, et refuse toute transparence sur la gestion des 1,7 millions d’euros de fonds publics ainsi que sur les statistiques de réinsertion des migrants.

Enfin, le Défenseur des Droits pointe la « non-action de l’État » pour les 10 millions de français en difficulté dans leurs démarches numériques. Quant à l’Institut Montaigne, il rapporte l’inadaptation des armées françaises aux nouveaux conflits portés par la Russie et la Turquie dans l’espace numérique. Ces deux constats nuancent l’ambition portée par le Programme français sur la protection du consommateur face au numérique et la lutte contre les menaces hybrides, affichée pendant la PFUE. Ces constats ne définissent évidemment pas les deux mandats d’Emmanuel Macron à eux seuls, mais marquent une différence suffisamment importante pour être relevés, entre la politique menée par le Président français lors de la PFUE, et celle qu’il applique depuis 2017 au sein de l’Hexagone. 

« UNE FRANCE FORTE DANS UNE EUROPE FORTE »

Saluée par les citoyens français et la communauté européenne, la PFUE a amélioré la coopération politique, économique et militaire des états membres, et le nouveau modèle européen de production régulé et solidaire, a accompagné l’Europe dans sa transition climatique. La régulation numérique et la responsabilisation des entreprises permet à l’Europe de s’approcher d’un équilibre qui empêche les monopoles tout en faisant la promotion de l’esprit d’innovation. Mais surtout, la PFUE a contribué à concrétiser les ambitions de souveraineté et d’indépendance du vieux continent et par conséquent, de la France.

Le Président a confié aux journalistes de « l’Observateur » qu’une « France forte ne [pouvait] exister que dans une Europe forte », et que c’est bien ce qu’il avait tenté d’appliquer. Malgré une différence notable avec la politique intérieure du Président, la PFUE à contribué à redorer le blason français dont on remarque, parfois à juste titre, la « panne de croissance » et la « perte d’influence régionale ». Grille de lecture efficace de la politique étrangère française, elle montre comment son président pro-européen a souhaité inscrire son mandat dans un contexte de coopération européenne, qui serait, selon lui, le meilleur moyen pour la France États membres de réduire leur dépendance aux autres grandes puissances de ce monde désormais multipolaire.

Ecrit dans le cadre de la revue Terra Bellum « La France, un potentiel inexploité »

Disponible sur le site : https://www.terrabellum.fr/

LE « DEPARTMENT OF JUSTICE » : L’ARME IMPITOYABLE DE L’INTERVENTIONISME ECONOMIQUE AMERICAINE

LE « DEPARTMENT OF JUSTICE » : L’ARME IMPITOYABLE DE L’INTERVENTIONISME ECONOMIQUE AMERICAINE

            La BNP Paribas, la Société Générale, le Crédit Agricole, ALSTOM, ALCATEL, TOTAL, Airbus, Technip, SIEMENS, ING, la Royal Bank of Scotland ou encore HSBC… Ces entreprises ont pour point commun de toute être de grosses multinationales, connues dans le monde entier, dotés de savoir faire historiques et de technologies inimitables, mais un autre point commun les rassemble. Elles ont toutes fait l’objet d’attaques en justice, parfaitement légales, capables de les mettre en difficulté, de perturber leur activité commerciale, et donc de les amener à prendre des décisions risquées devant les menaces auxquels elles se trouvent exposées.

Ce sont les Etats Unis qui, en 20 ans, ont infligé des dizaines de milliards de $ à de grandes entreprises, en Europe, en Asie et en Amérique du Sud pour ne pas avoir respecté la législation en vigueur. Quelle législation ? Celle de la loi américaine, qui présente une petite particularité ignorée de la majorité. Elle est en partie extraterritoriale et s’applique donc principalement en dehors du territoire des USA. Elle lui permet de mener une guerre discrète et silencieuse à l’Allemagne, à la France, au Royaume-Uni ou encore au Japon, pourtant tous signataires de traités internationaux historiques et membres de l’ONU, de l’OTAN, du G7 ou encore de l’OMC… des pays alliés, peut-être parfois seulement en apparence.

Le DOJ (Department Of Justice) s’est progressivement transformé en outil d’espionnage et a commencé à œuvrer pour faciliter des conquêtes commerciales sans équivalant, au service des entreprises américaines, capables d’abattre les concurrents les plus solides, ou de s’approprier des quantités phénoménales de données sensibles sans s’en voir empêché par les autorités des autres pays.

UNE JUSTICE AMERICAINE A L’IMAGE DE SA PUISSANCE

Loin des yeux mais pas loin du cœur, la justice américaine surveille de près ses plus gros expatriés et a trouvé un moyen infaillible de s’assurer que chacun respecte ces lois, qu’il soit américain, ou qu’il ne le soit pas. Pendant la seconde moitié du XXème siècle, la montée en puissance des USA précédemment évoquée à permis de développer la compétence de sa justice et de lui octroyer des lois un peu spéciales, de portées internationales. Au fil du temps, ces lois ont eu tendance à se multiplier, à tel point que les entreprises du monde entier s’en inquiètent de plus en plus.

La première de ces lois fut le « Trading with the enemy act » qui interdisait aux entreprises américaines tout commerce avec les pays ennemis comme l’Allemagne à l’époque des grandes guerres. Cette loi existe toujours, et on trouve sur la liste noire des nouveaux «ennemis publiques », Cuba, la Syrie, la Corée du Nord, l’Iran, le Soudan ou la Chine.

60 ans après la première, en 1977, les USA adoptent une deuxième loi  majeur de portée internationale. C’est le « Foreing Corrupt Practices Act » qui permet à la justice américaine de poursuivre tout entreprise ou personne qui aurait tenté de corrompre des agents publiques à l’étranger dans n’importe quel pays, quelque soient les nationalités de l’accusé ou de l’agent. En 1998, cette loi est renforcée avec la loi internationale sur la lute contre la corruption et pour la concurrence. Elle interdit alors à toute personne ou toute entreprises, américaine ou non, de tenter de soudoyer ou de faire pression sur un agent publique, quelque soit le pays concerné, pour obtenir un avantage quelconque, et donc adopter un comportement considéré comme anti-concurrentiel.

Il suffit alors qu’un pot de vin soit versé en dollar américain, ou qu’un mail soit échangé sur un serveur américain pour que la justice américaine se déclare compétente, et que les procureurs commencent à enquêter, même si l’entreprise concernée est française et que les faits ont eu lieu de l’autre côté de l’atlantique, comme au Nigeria

L’ONCLE SAM ET SA JUSTICE OMNISCIENTE DANS LE MONDE

C’est donc en 2010, au Nigeria que la société Technip à fait partie d’une des premières entreprises à faire les frais de cette nouvelle loi. L’une de ses filiales, la société pétrolière TSJK, dont elle détient ¼ du capitale, est accusée d’avoir versé près de 180 millions de $ de dessous de table à des responsables politiques nigériens pour obtenir des concession pétrolières, actant alors ce qu’on appelle un « pacte de corruption ». Les Etats Unis, n’ayant rien à voir dans cette affaire et n’ayant subit aucun préjudice réel déclarent alors leur justice compétente, les sommes versées s’étant échangées sous forme de dollar américain. Pour mettre un terme aux poursuites, Technip à du reconnaître les faits et verser 338 millions de $ au département de justice américaine (DOJ).

La même année, c’est au tour d’un des fleurons nationaux français de payer son dû. Le fabricant de téléphone Alcatel-Lucent est poursuivi pour les mêmes faits de corruptions qui se seraient cette-fois déroulés au Honduras, à Taiwan, et au Costa Rica. Bien que déjà condamné par la justice française, les transactions avaient été effectuées en dollar, un argument encore une fois suffisant pour que la justice américaine y applique ses lois. Alcatel écope alors d’une amende de 137 millions de $.

A partir des épisodes Technip et Alcatel, les poursuites du JOP contre de grosses entreprises internationales, dont beaucoup françaises, se sont multipliées, et le montant des amendes n’a plus cessé d’augmenter. Voilà alors que Total se voit amendé de 398 millions de $ en 2013, accusé de corruption en Iran. En 2014, c’est ALSTOM qui, s’étant rendue coupable de corruption en Indonésie,  doit déverser 778 millions de $. C’est ensuite au tour de l’Allemand SIMENS de payer 800 millions de $, le suédois Telia perds ensuite 691 millions de $ pour ensuite laisser la place au laboratoire israélien Teva, condamné pour corruption, blanchiment et viol d’embargo, qui paiera 519 millions de $.

Selon un rapport parlementaire de 2019 intitulé « Protéger nos entreprises des lois à portée extraterritoriale », les USA auraient imposé près de 7 milliards de $ d’amandes à des entreprises étrangères entre 2008 et 2018, au titre du fameux « Foreing Corrupt Practicies Act ».

LA SOLIDIFICATION DE L’APPAREIL JURIDIQUE AMERICAIN

En 1996, les USA se dotent de deux nouvelles lois de portées internationales . Le « Helms Burton Act », qui impose un embargo encore plus sévère aux cubains, et la loi « Amato-Kennedy », plus connue sous le nom de la loi «  Iran And Libya Sanciton Act ». Celle-ci interdit cette-fois les transactions avec l’Iran et la Libye qui sont exclus du système bancaire international, et avec tout autre pays considéré comme état voyou (« Rogue Country »), officiellement suspectés de soutenir le terrorisme, de chercher à se doter de l’arme nucléaire, ou de vouloir entraver les « processus de paix » au proche orient. La portée de ces deux lois a rapidement été contestée par l’Union Européenne dès la fin de l’année 1996, sans réel succès.

Toujours selon le même rapport parlementaire, plus de 15 milliards de $ ont été infligés aux entreprises étrangères ayant violé les sanctions internationales imposées par les lois de 1996 entre 2008 et 2018. En décembre 2012, c’est au tour d’HSBC d’être condamné à payer 1,9 milliard de $ d’amande pour complicité de blanchiment d’argent sale en provenance de cartels mexicains. En 2014, la BNP Paribas enfreint elle aussi les lois américaines et se retrouve contrainte de verser 9 milliards de $ pour avoir facilité des transferts de fonds (près de 190 milliards) avec l’Iran, le Soudan, et Cuba, frappés d’embargos. En 2015, la Commerzbank allemande règle à son tour une facture d’1 milliard de $, toujours pour des transactions jugées illégales entre 2002 et 2012, l’Iran étant particulièrement surveillé par les autorités américaines. Le pays est visé par 5 lois internationales qui prévoient toute de lourdes sanctions pour les contrevenants, américains ou non.

Les banques chinoises Kunlun et Dangdong, et banques irakiennes Efaf et Islamic Bnak le savent bien, ayant été exclues du système bancaire américain. Quant à la Dalian Global Unity Shipping ou au géant chinois de la téléphonie Huawei, leur droit de commercer avec des partenaires américains leur a été retiré.

Les années suivantes, d’autres lois sont entrées en vigueur pour compléter l’arsenal américain et renforcer son protectionnisme commercial. La fiscalité, la concurrence financière, le droit de la concurrence, l’espionnage… le droit américain est celui qui comporte le plus de lois extraterritoriales, et la situation n’a cessé de se compliquer depuis qu’il les a transformés en armes économiques de premier choix. En 2018, avec le « Cloud Act », les Etats Unis se sont arrogé le droit de collecter les données des entreprises ciblées par les actions en justice, ou qu’elles se trouvent, et ce, au mépris des règles établies par la Coopération Judiciaire Internationale. Cette nouveauté lui donne le droit de s’adresser aux hébergeurs américains pour obtenir toutes les données stockées sur leur serveur sans passer par une demande d’entraide, et donc sans aucune surveillance des autorités de la société mis en cause. Aujourd’hui, c’est plus de 65% du marché mondial du cloud qui est détenu par des entreprises américaines.

ALSTOM, LE GRAND SCANDALE NATIONAL

A titre d’exemple, voici une affaire qui illustre parfaitement ce dont les USA se sont rendus capable. Une affaire érigée en grand scandale national, la vente de la branche énergie d’ALSTOM. Concepteur du TGV, reconnu mondialement pour son savoir-faire, et que tous les investisseurs français ont eu à un moment ou à un autre, dans le portefeuille d’investissement, l’entreprise fait partie des moteurs de l’économie française. Sa branche ALSTOM énergie, rassemble les activités des énergies renouvelables, des énergies thermiques et nucléaires, ainsi qu’une quantité phénoménale d’informations stratégiques et de brevets français. En 2014, la France apprends soudain qu’elle à été vendue pour 12 milliards de $ après 18 mois de négociations avec le géant américain General Electrics. Face à la grande surprise nationale, le PDG de l’époque Patrick Kron à du mal à se justifier devant la presse : « Je répète que je suis fier de donner un avenir à l’ensemble de nos activités, même si c’est, pour certaines, à l’extérieur du groupe. » expliquera-t-il devant les micros des journalistes. Selon lui, cette opération particulièrement réussie allait permettre à ALSTOM de se recentrer sur ses activités de transport, son « vrai métier », alors que le groupe se débat avec la justice.

En effet 2014 marquait, comme évoqué précédemment, la condamnation d’ALSTOM par le DOP pour ses activités de corruption en Indonésie, alors contraint de verser 778 millions de $ d’amande. Or, d’après les derniers éléments rendus publiques, il semblerait qu’il existe un lien entre des menaces de poursuite chez les cadres du groupe, à titre personnel cette fois, et la décision de vendre cette branche énergie aux américains. Par soucis de transparence, il est important de préciser qu’il n’existe à ce jour, que des témoignages, parfois anonymes, ainsi que le livre intitulé « le piège américain », de l’ancien comptable d’ALSTOM, Frederic Pierucci, emprisonné 2 ans au moment de l’affaire.

Les journalistes d’investigation et plusieurs juristes français soupçonnent donc l’utilisation du « Deal Of Justice », une méthode désormais bien rodée, qui ne serait que l’application d’une politique américaine de chantage économique moderne opérée en toute légalité par la première puissance mondiale. En 2018, le député français Olivie Marleix à publiquement pointé le rôle du ministère de l’économie de l’époque dans cette vente, représenté par le président actuel Emanuel Macron, qui aurait autorisé cette opération. Le député à également demandé l’ouverture d’une enquête qui aurait dû démarrer dés 2014, et qui pourrait apporter un éclairage nouveau sur les raisons de la vente d’ALSTOM et sur les méthodes américaines pour garantir leur souveraineté économique.

TOUJOURS PLUS D’INTERVENTIONS AMERICAINES EN FRANCE

Plus récemment, l’avioneur Airbus a versé 3,6 milliards de $ pour éviter les poursuites pénales pour corruption, dont 530 millions de $ au trésor américain. La procédure d’enquête américaine a duré 6 ans, pendant lesquels des milliers d’informations sensibles ont été rendues accessibles à une puissance étrangère. Puis en 2020 le fleuron français spécialiste du nucléaire Orano, a lui aussi été visé par une enquête pour un pacte de corruption passée avec des élus américains. En conséquence, on parle alors d’une amende record de 24 milliards de $. Le groupe à du montrer patte blanche et se plier à toute les demandes d’informations nécessaires à l’enquête. Une aubaine pour les services de renseignement américains qui ont pu obtenir un accès privilégié à toute ces données stratégiques.

L’IMPERATIF DE MODERNISATIN DE LA JUSTICE FRANÇAISE

Avec des lois d’une telle portée, aucune transaction n’est en réalité véritablement protégée des actions de la justice américaine. Les USA se voient aujourd’hui reprochées de transformer des combats éthiques comme la lutte contre la corruption ou le financement du terrorisme, en prétexte opportuniste facilitant l’espionnage ou l’attaque de grosses sociétés étrangères, au service des sociétés américaines. En France particulièrement, il est très facile pour le DOJ d’intervenir au vu de la mauvaise protection législative des entreprises françaises. La loi du 26 juillet 1968, connue sous le nom de « loi de blocage », relative à la communication de documents, de renseignements commerciaux, stratégiques ou technologiques, est le seul outil juridique, périmé au vu des enjeux contemporains, dont les entreprises françaises peuvent de servir pour faire face au géant américain. Obsolète et facilement contournable, elle doit impérativement être modernisée en incluant une obligation de déclaration et un suivit de dossier par les autorités françaises. Une extension du règlement général pour la protection des données (RGPD) devrait être sérieusement étudiée selon plusieurs juristes spécialistes de la question. Le RGPD devrait donc assurer une réelle protection des personnes morales quant à l’utilisation des données et à leur transfert sans contrôle à des puissances étrangères. Pour fixer les frontières du droit international en matière d’extraterritorialité, il est envisagé de saisir la cour internationale de justice.

UNE STRATEGIE QUI S’IMBRIQUE DANS LA POLTITIQUE INTERVENTIONISTE AMERICAINE

Malgré le sentiment d’injustice que peuvent révéler l’étude des procédures peut orthodoxes du DOJ, il est important de se rappeler que ces amendes punissent des crimes qui n’avaient pas lieu d’être. Quelle différence entre l’ingérence des Etats Unis dans l’Affaire Airbus, et leur intervention militaire au Vietnam ou en Serbie ? dorénavant informé des agissements répréhensibles du DOJ, il reste bon de remarquer que cette interventionniste correspond au fil rouge américain qui, malgré quelque épisode isolationniste, semble avoir fait vœux de s’ériger en gendarme du monde, sur le plan politique, militaire, mais aussi économique. Ils imposent alors parfois leur vision de la justice et de ce qu’est un bon régime, y compris concernant le financement et les échanges économiques entre d’autres pays. Malgré l’argument judiciaire brandit par l’Oncle Sam pour justifier ses interventions autour de tout ce qui touche au dollar américain, de près ou de loin, il reste injuste que la somme des amandes leur revienne au lieu d’être versé aux acteurs victimes du dommage en question.

VERS UNE LEGISLATION INTERNATIONALE ?

« L’union fait la force ». C’est peut-être dans l’optique de suivre ce mantra proclamé par Vonck lors des premières indépendances de 1790, que la France souhaite proposer un projet de lois communes au sein des pays de l’OCDE et de l’Union Européenne, l’objectif étant de rétablir la souveraineté nationale en matière de justice et protéger les activités et la santé des entreprises et de leurs actionnaires. Mais avant l’adoption et la mise en œuvre de ces mesures, les opérations continuent. Il est difficile d’imaginer les Etats Unis en maître chanteur internationale, pourtant le pays de la bourse, des milliardaires du pétrole et des technologies modernes ne s’encombre pas d’une politique particulière pour entretenir de bons rapports avec ses voisins, quand le jeu en vaut autant la chandelle. Les entreprises françaises attendaient beaucoup de la visite du président français à la Maison Blanche le 30 novembre dernier. Ayant promis de s’entretenir avec Joe Biden au sujet de toute ces mesures protectionnistes, de la limitation de l’accès américain aux entreprises françaises, et de l’impact des décisions de justices sur leur productivité, Emanuel Macron s’est trouvé face à un Joe Biden à l’écoute, mais dont la réponse fut claire : « Vous n’avez qu’à faire pareil ».

Ecrit dans le cadre de la revue Terra Bellum « USA : Lutter pour l’hégémonie »

Disponible sur le site : https://www.terrabellum.fr/

QUEL BILAN DES OPERATIONS SERVAL ET BARKHANE POUR LA FRANCE ?

QUEL BILAN DES OPERATIONS SERVAL ET BARKHANE POUR LA FRANCE ?

8 ans après avoir posé les pieds sur le sol malien, le président français Emmanuel Macron annonçait une réduction de la présence militaire dans la région du Sahel. « Nous allons amorcer une transformation profonde de notre présence militaire dans la région » déclarait-il lors d’une conférence de presse en faisant référence aux cinq mille soldats déployés dans le cadre de la Force Française Barkhane (FFB) pour lutter contre les groupes djihadistes. Accéléré par la crispation des relations entre Paris et Bamako, c’est sans grande gloire que le départ français est finalement annoncé le 17 février 2022, pendant que le chef des opérations assure le rapatriement des premières troupes.

La région du Sahel, ou Sahel Central, englobe plusieurs pays africains : la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad.  Elle subit, depuis les années 2010, une grave crise humanitaire, et sa population fait face à plusieurs conflits armés dont les civils ne peuvent se protéger, causant des déplacements massifs sur son territoire.

Quels sont les acteurs de ces conflits, pour quelles causes combattent-ils, d’où viennent-ils et comment sont-ils formés ? Trouver une réponse à ces questions est indispensable pour saisir les raisons de la présence française, de ses opérations, et de leur bilan.

LE MALI, UN TERREAU DJIHADISTE

Sur ces cinq pays africains, un en particulier pose un problème. C’est vers le Mali que les soldats français dirigent le gros de leur effort. On y retrouve, depuis 2012, 3 groupes djihadistes majeurs, principalement au nord. Le groupe AQMI (Al-Qaïda in Maghreb Islamic), d’origine algérienne, s’y est retrouvé après avoir été poussé en dehors de ses frontières natales, vers le sud, par la politique de lutte anti-djihadiste mise en place par le président Bouteflika. Le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) à été fondé au Mali en 2011 par des anciens de l’AQMI ayant décidé de faire bande à part. Enfin, le groupe armé des ANSARDINE créé assez récemment, puisqu’en 2012, prends directement ses racines au Mali. Pour leur faire face, une petite partie des 56.000 soldats maliens coopère avec les soldats français et leurs alliés.

Si elle vient bien au secours de populations en difficultés et en proie à la violence, l’intervention française, et européenne dans une moindre mesure, n’est pas uniquement poussé par la bienveillance et le sens du devoir de l’hexagone. De la même manière, il y a bien une raison qui explique l’étendue de la puissance djihadistes dans la région, son efficacité, et son soutien par différents acteurs. Ce conflit armé oppose ses acteurs de manière bien plus complexe que le simple clivage : terroristes / soldats. Il est indispensable de remonter la pellicule de l’Histoire malienne pour le comprendre.

LES ORIGINES DE L’INSTABILITE AU NORD-MALI : ENTRE INDEPENDANTISTES ET DJIHADISTES

Le Mali est le principal théâtre des opérations au Sahel. Ses frontières, comme la majorité des pays africains, ont été dessinées lors de la répartition coloniale, et ce n’est qu’en 1960 qu’il à accédé à l’indépendance. Ses frontières n’ont donc rien à voir avec les logiques de celles d’un état nation. On retrouve dans ses 18 millions d’habitants différentes communautés, dont les intérêts, l’histoire, et les rivalités, façonnent la politique nationale. C’est au nord du pays que les tensions sont apparues. Depuis une soixantaine d’année, des groupes Touaregs réclament l’indépendance. Ignorés et très peu pris en compte par Bamako et sa politique, les Touaregs du nord lancent plusieurs rebêlions de 1963 à  2012 (1963, 1990, 2006, 2012).

C’est alors au nord, que les premiers djihadistes exploitent le sentiment d’abandon des indépendantistes pour conquérir des territoires et assoir leur autorité. La porosité entre ces deux groupes les pousse à s’entre aider, puis à briser leur alliance pour en reconstruire de nouvelles au gré de leur intérêt commun. Le fondateur du groupe armé djihadiste ANSARDINE, Iyad Ag Ghali, combattant originellement dans un groupe indépendantiste, s’est d’ailleurs servi de son réseau pour promouvoir si efficacement le djihad.

Dans le Nord du Mali, trois acteurs principaux mènent donc un combat différent. Les djihadistes œuvrent pour la mise en place d’un état islamique et de la Shari’a, les Touaregs se battent pour l’autonomie de la région, et l’Etat malien souhaite rétablir son autorité. Cette zone de non droit exclue politiquement et économiquement les populations pauvres qui décident parfois de s’engager dans les groupes rebelles djihadistes ou indépendantistes, plus souvent par instinct de survie que par idéologie.

LE PROBLEME LIBYEN

Pour nourrir leur rang, ces groupes rebelles ont aussi fait appel à d’autres soldats venus… de Lybie.

Après la chute du dictateur libyen Mouammar Kadafi dont se félicitait l’ancien président Nicolas Sarkozy, une grande partie de l’armée libyenne s’est retrouvée sans commandement et à rejoint les groupes djihadistes en apportant avec elle armes, matériel militaire, expérience du combat et techniques de formations. Les Touaregs du Nords ayant servi de mercenaires sont eux aussi rentré « fusils dans le dos », rêvant de se séparer d’un sud-Mali avec lequel ils ne se sont jamais entendus et de proclamer l’indépendance de l’Asawad, une nouvelle région autonome.

SI ces quelques lignes rappellent les rapports entre les différents groupes armés, la réalité de leur relation reste bien plus complexe. La grande fragmentation des mouvements djihadistes en une multitude de sous-catégories et bataillons leur permet de rester difficilement identifiables. Les leader locaux, efficaces et opérationnels permettent de facilement remplacer la tête de l’araignée en cas de chute. Et pour ne rien faciliter aux soldats maliens, leur connaissance du terrain et leur grande autonomie permet à l’hydre djihadiste de continuer à étendre ses têtes.

LES OPERATIONS SERVAL ET BARKHANE

C’est dans ce contexte que la France décide d’intervenir, aussi concernée par l’instabilité de son ancienne colonie, que par la richesse de son sol.

Le 11 janvier 2013, le président François Hollande annonce le début de l’opération Serval. Elle a pour but de repousser l’avancée terroriste ayant mis la main sur le nord du Mali qui menace de plus en plus la capitale Bamako. Les Français et l’armée malienne reprendront les villes de de Gao (25/02), de Tombouctou (27/01), de Kidal (30/01), et de Tessalit (08/02). Le franc succès de cette opération, qui prendra fin le 1 aout 2014, comporte tout de même un point d’ombre. Les zones rurales et montagneuses, trop difficiles d’accès et considérés comme des détours dans la « route de libération » vers le nord, sont devenu des lieux de refuges puis des foyers pour des djihadistes, encore bien implanté dans plusieurs villages, et près à riposter. 

La menace terroriste, loin d’être éradiquée mais écartée pour un temps, doit maintenant être combattue dans toute la région du Sahel. Cette zone, grande comme l’Europe, doit être sécurisée et les bastions djihadistes, qui ne cessent d’agir et de se reconstruire, doivent être débusqués. Sur le plan économique, une autre opération dans la région permettrait de protéger les nombreuses ressources naturelles à plus long terme et d’établir d’ajouter des liens diplomatiques à ces profit issus de l’exploitation des ressources par des entreprises étrangères, comme AVEA au Niger, ou Total en Mauritanie. 

C’est ainsi que le 1 aout 2014, l’armée française, encouragée par ses alliés européens, lance une opération de grande ampleur anti-terroriste qui remplace l’opération Serval, dont les efforts se concentrent au Mali, tout en élargissant ses actions aux pays du « G5 Sahel » évoqués plus haut (Mauritanie, Niger, Burkina Faso).

Pendant 8 ans, plus de six mille soldats seront déployés sur la bande sahélienne chargés de débusquer des milliers de terroristes tout en protégeant les populations locales, et plus de 12 bases temporaires, logistiques et militaires seront établies  et permettront d’affaiblir le MUJAO et ANSARDINE.

Tout en remarquant le nombre de 5500 soldats français déployé au plus fort des opérations et en déplorant les 50 d’entre eux morts au combat depuis 2013, le bilan et les conséquences de cette opération semblent plus importantes que son déroulement même. Les causes du retrait français de cette lutte inachevée sont bien différentes selon les versions. Le discours officiel de Macron, qui omet quelques aveux et des grilles d’analyses intéressantes, dénonce principalement la politique hostile de la nouvelle junte au pouvoir depuis l’année dernière, son manque de légitimité, et l’ambiguïté d’un soutien militaire à un gouvernement qui se dit prêt à traiter avec des terroristes. De l’autre côté, le discours d’Assimi Goïta, à la tête du Mali depuis mai 2021, qui ne mentionne pas non plus toutes les informations nécessaires pour saisir la situation, déplore l’abandon français, et tiens à avoir le dernier mot en accélérant le processus de départ des Français.

L’ECHEC DES OPPERATIONS FACE AU NOUVEAU GOUVERNEMENT MALIEN

Les causes du retrait français son enfaite nombreuses et complexes. Les deux états ont commis des erreurs, plus ou moins graves aux yeux de leur interlocuteurs.

Le Mali gangréné par la corruption, s’est rendu coupable du détournement des fonds destinés à lutter contre le terrorisme. Le président Ibrahim Bubakar Keïta (« IBK »), protège son fils des accusations d’assassinat du journaliste d’investigation Birma Touré, et a permis à une entreprise bretonne d’obtenir le marché de confection des passeports malien sous la pression de Jean Ives le Drian. Il est aussi connu pour avoir accepté de laisser la société Airbus investir dans une mine d’or dans le sud du pays pour dégager du cash et corrompre les officiels maliens et leur vendre des hélicoptères.

Soutenue par le peuple, l’armée renverse IBK le 18 août 2020. Son remplaçant, Bah N’Dao ne se montre pas hostile à Paris. Mais c’est pendant sa présidence que le président français décide de fermer les yeux sur le coup d’état au Tchad, et donne par son manque de réaction et son inaction, le feu vert au Mali, pour violer sa constitution. Et c’est face à cette trop grande tolérance qu’Assimi Goïta organise le deuxième coup d’état dans le pays en moins d’un an, et annonce, le 24 mai 2021, avoir pris le pouvoir après avoir capturé son prédécesseur. Moins favorable à la France, la nouvelle figure qui dirige Bamako refuse de se faire dicter sa conduite par l’Hexagone et participe à la dégradation de l’image du Coq français au Mali dans les mois qui suivent en faisant notamment appel aux tristement célèbres mercenaires russes du groupe Wagner. C’est suite à cette rupture que le président Emanuel Macron décrira le premier ministre malien comme « l’enfant de deux coup d’états » en appuyant son la légitimité du gouvernement actuel : « démocratiquement nulle »

LA FRANCE ET SA PART DE RESPONSABILITE

Pourtant, de son côté non plus, la patte française ne montre pas totalement patte blanche. Certains intellectuels maliens déclarait à peut-être plus juste titre que le gouvernement français ne laisse l’entendre, qu’il était tout naturel que la France intervienne au Mali : quelle vienne éteindre la mèche allumée par la chute de Kadafi en Libye. Comme expliqué plus haut, le président Nikola Sarkozy a grandement participé à la chute de l’homme suspecté d’avoir financé sa campagne. C’est par la suite qu’il n’a pu que constater, faute d’assez de coups d’avances, les conséquences de l’éparpillement de son armée.

 Pendant l’Opération Barkhane, la France a parfois été critiquée pour son manque d’efficacité. Médiapart expliquait que « [l’on] ne peut que lutter contre le terrorisme avec un ventre plein et une tête pleine », et un article du Monde du 17/10/22 soulignait que les régions le plus pauvres du Mali, du Burkina Faso et du Niger, faisant tous parti des 5 pays les plus pauvres du monde, constituaient un terreau extrêmement fertile pour les djihadistes.

Si les politiques de luttes contre le terrorisme auraient parfois pu être améliorées, c’est face aux agissements de son armée que le pays des droits de l’Homme rechigne à servir d’exemple. En 2013 l’armée française parviens à reprendre la ville de Kidal, au nord du Mali, qu’elle ne rend pas à l’état malien, mais aux indépendantistes Touaregs qui négocient et s’allient aux djihadistes : un acte qui contraste la condamnation de l’ambiguïté de la junte malienne par le président français. En 2014, les services français renoncent à éliminer Iyad Ag-Ghali, un chef Djihadiste protégé par l’Algérie, maintenant échappé et à la tête du GSIM (« Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans »), notamment responsable de l’enlèvement du journaliste Olivier Dubois. En 2018, l’armée française prends la liberté de « déléguer le crime » à des supplétifs Touaregs du MSA (« Mouvement pour le Salut de l’Azawad ») qui usent de ce nouveau pouvoir pour régler de vieux comptes avec la communauté peule et se rends perpétue des violences contre des civils désarmés. Et en 2021, deux Mirages2000 français bombardent un rassemblement terroriste qui s’est enfaite avérer être un mariage, dont les 19 civils conviés sont morts.

Aussi, la ferme condamnation d’Emanuel Macron envers la junte malienne illégitime et meurtrière, et de sa collaboration avec les mercenaires russes, interroge ses propres relations avec l’Egypte, le Togo et le Congo. Enfin, à l’occasion de manifestations contre la présence hexagonale en novembre dernier, l’armée française à choisit la voie des armes pour se dégager de barrières dressées par de jeunes Nigériens et Burkinabés, en causant 3 morts et deux blessés.

UN MALI TOURNE VERS DE NOUVEAUX ALLIES

Le 26 juillet 2022, le Président Français prononçait ces mots depuis le Cameroun : « nous ne lâcheront ni la sécurité de l’Affrique, ni ses intérêts » avec un paternalisme rappelant à certains le ton de l’administrateur colonial. Ainsi, les soldats français continueront donc d’opérer dans d’autres zones à risques contre les djihadistes sous d’autres latitudes. Depuis le Tchad de Débit junior, depuis le Niger du Mohamed Bazoum ou depuis le Burkina-Faso du Lieutenant-Colonel Tamiba dont le coup d’état semble beaucoup moins déranger la France.

C’est alors aussi peut être de ces raisons qu’émanent les ressentiments maliens aux yeux de qui l’image de la France s’est dégradée. Il est indéniable que le porte-parole putschiste aborde une approche hostile lorsqu’il appelle au départ « sans délai » des troupes françaises dans son opération de propagande. Cette sur enchère, vise enfaite à montrer que ce n’est pas la France qui part, mais bien le Mali qui pousse l’ancien colonisateur vers la sortie. Seulement, peut-être que la France aurait eu intérêt à porter un œil plus attentif sur sa politique, et sur le commandement de son armée au Sahel. La France, qui réponds à cette provocation dans un délai de 15 minutes, mets donc fin aux opérations en s’accordant sur un délai de 4 à 6mois pour quitter les lieux.

Les conséquences de ce que le premier ministre malien a qualifié « d’abandon en plein vol » détériorent profondément la coopération franco-malienne. L’hexagone et sa Force Barkhane se sont vu retiré leur statut particulier de détachement au Mali qui a décidé de se tourner vers de nouveaux collaborateurs, venus de l’Est. Le ministre de la Défense Sadio Camara s’est rendu la semaine du 10 aout 2022 à Moscou, pour discuter des termes d’une future coopération et les mercenaires russes de l’agence Wagner ont pris la place des soldats français depuis quelque mois dans les bases désertées en usant avec beaucoup moins de parcimonie de leur AK-47 devant, et parfois contre les civils maliens.

QUEL AVENIR POUR LE MALI ET LA REGION DU SAHEL?

Malgré le départ français, plus de 3 milles hommes resteront au Niger, au Tchad, et au Burkina-Faso pour poursuivre la lutte contre le terrorisme, qui s’est désormais réarticulée autour d’une alliance internationale ou s’associeront états européens et forces spéciales. Selon l’AFP et les prévisions du programme « Horizon 2023 », 2500 français continueront tout de même d’opérer sous le pavillon de la nouvelle agence. Pourtant, ce « Grand remplacement impérialiste » marque une fois de plus la perte d’influence française dans la région sahélienne et plus généralement en Afrique. La décision d’Emanuel Macron soulève l’éternelle question qui tiraille d’autres de ses homologues, notamment face à l’Afghanistan, à la Chine ou à l’Iran : comment traiter et négocier avec un régime que l’on considère illégitime ? faut-il prioriser sa souveraineté ? ses intérêts ? son image ? ou agir en selon des valeurs de son pays ?

Le président français a-t-il fait le bon choix ? La question reste ouverte

UNE ÉCONOMIE INDIENNE DE PLUS EN PLUS INTERNATIONALE

UNE ÉCONOMIE INDIENNE DE PLUS EN PLUS INTERNATIONALE

En 3ème position du classement des hommes les plus riches du monde, Gautam Adani, avec 121 milliards de dollars, est passé en mars 2022 devant Jeff Bezos et Bill Gates. Il n’est ni Européen, ni Américain, ni Chinois, ni Russe, mais Indien. L’Inde, que le premier ministre Narendra Modi qualifie de plus grande démocratie au monde, est le 3ème pays qui abrite le plus de milliardaires, derrière les USA et la Chine, avec 166 fortunés contre 9 dans les années 2000. Si l’expression de « miracle chinois » est entrée dans les glossaires, celle de « miracle indien » y a tout autant sa place. L’Inde comptabilise aujourd’hui 578% de croissance depuis 20 ans contre 127% pour les USA ou 116% pour la France, et il est prévu qu’elle dépasse la Chine en fin d’année prochaine selon la Coface. L’Inde s’élève maintenant au rang de superpuissance industrielle, nucléaire et commerciale, et revendique un rôle majeur en Asie comme sur l’échiquier mondial. Le pays s’est peu à peu défait de la pauvreté, de la corruption, de l’illettrisme, et du système de caste vecteur d’inégalités ces 30 dernières années.

Il s’agit de la 5ème puissance économique mondiale, le deuxième pays le plus peuplé, et la 4ème puissance militaire mondiale, pivot de l’alliance émergente des BRICS, et ses usines « couteau suisse » de ressources naturelles, ont permis à son économie de s’ouvrir, et de s’envoler.

DES PROGRÈS FULGURANTS

Il y a 30 ans, l’Inde n’était que la 15ème puissance économique mondiale. Aujourd’hui, il est prévu qu’elle dépasse l’Allemagne d’ici 2027. Et alors qu’elle comptabilise 6,8% de croissance en 2022, et qu’elle prévoit 6% de croissance pour 2023, les USA, la Chine, l’Europe, et 1/3 des pays de la planète sont sur le point d’entrer en récession selon la directrice du FMI Kristalina Georgieva. Le nombre d’Indiens pauvres s’est effondré, passant de 45% en 1993 à 7% en 2021, et 56% des ménages indiens constituent maintenant une classe moyenne. C’est aujourd’hui le 4ème plus gros producteur agricole au monde, le 2ème de blé et de canne à sucre.

LA CROISSANCE ÉCLAIR

Les mesures protectionnistes pour favoriser les activités nationales mises en places après l’indépendance de 1947 ont appuyé le modèle économique socialiste jusqu’aux années 1990, jusqu’à ce que le ministre de l’économie Manmohan Singh, du gouvernement de Narasimah Rao, introduise un vent de libéralisme en se détournant des entreprises nationales, en repensant le système bancaire, et en développant les industries lourdes et les centrales électriques. Les Indiens, dont 94% ont aujourd’hui accès à l’électricité contre 70% en 2007, bénéficient de subventions et d’une assurance chômage. Par ailleurs, le programme digital India entreprend de transformer le pays en pôle technologique majeur dans les domaines de la médecine, de la pharmacie et de l’informatique. En moins de 30 ans, le niveau de vie a explosé, atteignant fin 2022, 1.500 milliards de dollars dépensés à l’année. A cette demande s’ajoutent les mesures libérales et la valorisation des capitaux privés. Voici donc la formule qui a propulsé les Indiens dans la tête de liste du classement Forbes.

L’INTERNATIONALISATION DE L’ÉCONOMIE INDIENNE

L’Inde de 2023 est reconnue comme pionnière en termes de production pharmaceutique, un secteur dont on s’attend à ce qu’il double d’ici 2030 pour atteindre 120 milliards de dollars, notamment soutenu par la forte demande intérieure. Pourtant, sa balance commerciale est strictement déficitaire depuis des années, avec 175 milliards de dollars en 2023, dont 80% destinés à couvrir ses besoins en énergie. Narendra Modi a mis en place plusieurs lois pour attirer les investissements étrangers. Il souhaite négocier des accords de libre-échange avec l’Europe tout en gardant la ligne directrice du made in India, qu’il applique dans les négociations en cours avec Airbus et Rafale. Actuellement, 60% des importations indiennes sont constituées de pétrole, de GPL, de charbon, d’or et de diamant venant de Chine, des Etats-Unis, des Émirats Arabes Unis, de Suisse… et de la Russie. Depuis l’année dernière, l’Inde a intensifié ses échanges avec son nouveau partenaire en profitant de la crise pétrolière et en dépit de l’embargo, en vertu d’un traité datant de 1971 qui la lie à l’ex-URSS. Elle est devenue le plus gros acheteur de pétrole russe, qui est passé de 1% à 18% en un an dans les stations-essence indiennes.

POLITIQUE INDIENNE, NEUTRALITÉ OU AMBIGUÏTÉ ?

Refusant de prendre parti dans la rivalité sino-américaine, le gouvernement indien n’a pas non plus pris position dans le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine et à l’OTAN, et à même à cœur de rester le plus neutre possible, tout en se montrant défavorable aux sanctions économiques imposées par l’Occident. Grâce à son habileté diplomatique, elle parvient à conserver des relations stables avec les Etats-Unis, qui sont d’ailleurs ses premiers clients. Membre de l’ONU, de l’OMC, du FMI, du Commonwealth et du G20, l’Inde négocie avec le Mercosur et a signé des dizaines d’accords de libre-échange avec le monde entier.

LES GÉANTS INDIENS

A la tête des plus grandes sociétés indiennes cotées en bourse, on retrouve le groupe Reliance Industries, leader de la production de polyester mondiale, avec 342.000 salariés et qui pèse l’équivalent de 176 milliards de dollars. Dans le secteur des services, les 488.00 consultants de l’entreprise Tata Consulting présents dans 46 pays et 335.000 ingénieurs de la société Infosys participent à l’image de « prestige indien » à l’étranger. Du côté des entreprises étrangères, la branche indienne de l’entreprise britannique Hindustan Unilever, par exemple, a vu ses actions grimper de 85% en 5 ans.

UN CONCURRENT DIRECT DE LA CHINE ?

Les professionnels s’accordent à dire que l’Inde reste une source sûre pour les investisseurs. Elle est loin d’avoir achevé son développement et sa marge de progression est grande. Avec ses importations de pétrole et de gaz russes, elle représente de plus en plus une alternative à la Chine, qui elle, ralentit plus brutalement. L’Inde cherche à profiter des difficultés de Pékin, dont sa politique zéro Covid. Alors qu’elle est devenue le premier fabricant de vaccins au monde en produisant l’AstraZeneca, elle offre une main d’œuvre plus avantageuse qu’en Chine (environ 5 fois moins chère) et joue de sa neutralité pour attirer les industries et les usines sous-traitantes. Dans cette logique, l’usine Foxconn qui fournit Apple, envisage d’y produire son IPhone 14, et les usines de semi-conducteurs et les industries pharmaceutiques abondent depuis les années 2010. Par ailleurs, la population indienne est bien formée et éduquée, avec un taux d’alphabétisation passé en 30 ans de 60% à 92%. 1,5 millions d’ingénieurs sortent des universités indiennes chaque année, que l’on retrouve parfois à la tête de multinationales. Sundar Pinchai dirige Alphabet, la maison-mère de Google, et Arvind Krishna est le patron d’IBM. Par ailleurs, les 28 millions d’Indiens que compte la diaspora envoient plus de 90 milliards de dollars par an envoyés au pays.

UNE INDE DES TRADITIONS

Dans le pays, 70% des emplois sont informels, sans contrat ni législation, et bien que des Indiennes se soient hissées au titre de milliardaires comme Akshata Murty ou Falguni Nayar, première à diriger une licorne, ces sociétés valorisées à plus d’un milliard de dollars, le sort des femmes, dont seulement 59,3% savent lire, reste une question problématique. Par ailleurs, le système de castes hiérarchise la société en 5 rangs (prêtres, guerriers, commerçants, serviteurs, et intouchables) qui sont associées à des métiers et déterminent les conditions d’accès aux logements, au service bancaire ou au marché du travail, et entrave sinon n’empêche l’ascension sociale.

LES DÉFIS INDIENS

Malgré ces progrès, l’Inde se retrouve face à plusieurs difficultés qui ralentissent son développement économique. A la lourdeur bureaucratique s’ajoute le manque d’infrastructures routières et ferroviaires essentielles au transport des marchandises sur son territoire. Les inégalités restent flagrantes au regard des 100 Indiens les plus riches du pays qui possèdent autant que les 600 millions les plus pauvres. Le monde agricole est aussi marqué par des manifestations depuis presque 1 an pour protester contre les réformes de libéralisation de l’agriculture. Les paysans venus de toutes les régions ont bloqué les portes de grandes villes comme New Delhi pendant plusieurs mois. 2ème consommateur consommateur de charbon au monde et 3ème émetteur de carbone, malgré ses promesses le premier ministre Modi malgré ne semble faire de l’enjeu climatique une de ses priorités que lorsque les périodes d’élections approchent.

L’ÉMERGENCE DE L’ACTEUR INDONESIEN DANS LES RELATIONS INTERNAITONALE

L’ÉMERGENCE DE L’ACTEUR INDONESIEN DANS LES RELATIONS INTERNAITONALE

Il y a trois mois de cela, la rencontre entre Joe Biden et Xi Jinping avait lieu lors du G20. À cette occasion, le président indonésien Joko Widodo affirmait sa volonté de jouer un rôle de médiation face au « risque d’une nouvelle guerre froide ». Avant l’incident des ballons chinois survolant le ciel américain, l’Indonésie alarmait sur le risque de « diviser le monde en plusieurs camps ». Une déclaration intéressante pour ce pays à la jonction des océans indien et pacifique, point de passage inévitable pour les grandes routes commerciales reliant l’Inde et la Chine, notamment le détroit de Malacca, par lequel transitent plus des 2/3 du transport maritime de pétrole et de gaz

Ayant décidé de construire sa nouvelle capitale « Nusantara » sur l’île de Bornéo, l’archipel voyait Jakarta, sa capitale actuelle, saturée par les inondations dues au réchauffement climatique, la pollution et le nombre croissant d’habitants. Devenue une démocratie, certes imparfaite, après des années de dictatures, l’Indonésie est parvenue à endiguer la menace islamiste, à profiter de sa position stratégique, et peut se vanter de jouir d’une des économies les plus dynamiques de la région. Plus grand pays de l’Asie du Sud Est, le plus grand archipel du monde compte plus de 16.000 îles, 1,9 millions de kilomètres carrés, et 270 millions d’habitants.

UN DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET URBAIN

C’est sous l’impulsion de l’ancien président Soeharto, dans les années 1970, que le pays se rapproche des puissances occidentales pour attirer des capitaux afin de développer ses infrastructures. L’économie du pays est principalement basée sur l’exploitation des ressources en pétrole, en gaz, et surtout en charbon, dont le pays est le deuxième exportateur mondial derrière les Etats-Unis. Son économie se base aussi sur le tourisme, qui représente 5% du PIB, sur le contrôle partagé du détroit de Malaca avec la Malaisie, Singapour, et la Thaïlande, et sur l’exploitation des zones de développement économique qui lie l’Indonésie à ses voisins précédemment cités, sans compter Brunei, et les Philippines. En exploitant et en exportant ses ressource, l’Indonésie s’érige à la première place en termes de PIB au sein de l’ASEAN et à la 10ème place au niveau mondial. Avec un taux de croissance de plus de 5% depuis 2013, il est le seul pays d’Asie du Sud-Est membre du G20. Du fait de l’importance de sa population, son PIB par habitant annuel n’est que de 12. 300$ américains, encore loin derrière ses voisins.

Cette montée en puissance de l’économie indonésienne s’est accompagnée d’une très forte urbanisation au cours des dernières années : 57% de citadins en 2019 contre 14,8% en 1961. Cette urbanisaiton est l’une des causes des nombreux problèmes environnementaux auxquels l’Indonésie doit faire face et qui pourraient, à terme, la fragiliser.

LA MENACE CHINOISE

Mais à ces enjeux environnementaux, s’ajoutent des inquiétudes d’ordre géopolitiques. Son grand voisin, la Chine, a massivement investi dans le pays dans le cadre de son projet de nouvelles routes de la soie, dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la recherche, de l’industrie, de l’immobilier, et des infrastructures énergétiques et de transport, ce qui en fait son premier partenaire commercial et le 3ème investisseur. Mais face à cette position dominante chinoise se fait aussi ressentir dans l’espace maritime indonésien, où XI Jinping revendique des droits sur l’archipel de Natuna, un espace poissonneux qui possède l’un des plus grands champs de gaz naturel de la région. Inquiètes des incursions régulières des navires chinois dans leur territoire maritime, les autortiés indonésiennes ont renforcé leur surveillance, mais aussi leur base militaires dans la région.

CHANTRE DU MULTILATERALISME AU SEIN DE L’ASEAN

 Plus menacée qu’aidée, l’Indonésie, qui refusait de choisir son camp sur l’échiquier indopacifique, diversifie alors ses alliances, notamment par la commande, début 2022, d’avions de combats Rafale à la France. A la tête de l’ASEAN depuis le 1er janvier 2023, il semble de plus en plus claire que l’Archipel souhaite marquer sa présidence par un ferme engagement à défendre le régionalisme et le multilatéralisme. Ses réunions ont souligné l’importance d’adhérer aux principes clés, aux valeurs partagées et aux normes consacrées dans la Charte des Nations Unies, la Charte de l’ASEAN, la Déclaration sur la zone de paix, de liberté et de neutralité (ZOPFAN), le Traité d’amitié et de coopération en Asie du Sud-Est (TAC), la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) de 1982, le Traité sur la zone exempte d’armes nucléaires de l’Asie du Sud-Est (SEANWFZ), la Déclaration de 2011 sur le Sommet de l’Asie de l’Est sur les principes de relations mutuellement bénéfiques et l’ASEAN Perspectives sur l’Indopacifique. Un engagement important a aussi été réaffirmé pour préserver la région de l’Asie du Sud-Est en tant que zone exempte d’armes nucléaires et exempte de toutes les autres armes de destruction massive afin de sauvegarder la paix et la sécurité dans la région.

DES AMBITIONS DE MEDIATION SUR L’ECHIQUIER REGIONAL

Plus grand pays musulman en au monde et grande puissance en devenir, elle est à l’intersection des mondes dans cette région de l’Indo Pacifique où se joue désormais une grande partie de la rivalité sino-américaine pour le leadership mondial. Avec le G20, l’Indonésie concrétise ses ambitions de jouer un rôle de médiation diplomatique comme elle le fait déjà dans le conflit birman ou Jakarta soutient les pro-démocrates de Birmanie et limite les livraisons d’armes au régime qui a renversé Aung San Suu Kyi. L’Asie du Sud-Est devrait devenir le centre de la croissance économique régionale et un moteur de la croissance mondiale grâce à une coopération solide, notamment dans les secteurs de l’alimentation, de l’énergie, de la santé et de la finance, et ce avec l’Indonésie à la tête de sa plus importante organisation.

RUSSIE – URKAINE : LA RÉAFFIRMATION DE LA CULTURE ET DE L’IDENTITÉ RUSSE

RUSSIE – URKAINE : LA RÉAFFIRMATION DE LA CULTURE ET DE L’IDENTITÉ RUSSE

De par le monde, les dires et les stéréotypes sur les Russes abondent. Grandeur d’âme, générosité, les grands espaces de son territoire, des esprits insondables qui ont inspiré Tolstoï et Dostoïevski, et l’héritage des Tsar et de l’Empire soviétique. Ces dires se frottent souvent à une réalité plus plate, mais font pourtant bien partie de ce que sont l’identité et la culture russe au XXIème siècle. Cette culture russe dont les symboles sont nombreux, est profondément liée à la place qu’occupe le pays dans la géopolitique contemporaine. Elle trouve sa place et son influence dans les décisions et les débats politiques régionaux, et c’est peut-être même bien cette culture russe qui donne aux relations internationales en Europe de l’Est toute leur complexité.

LA CONSTRUCTION DE L’IDENTITÉ ET DE LA CULTURE RUSSE

Si l’essentiel de ce qui fait le peuple russe d’aujourd’hui s’est formé pendant la période de la Russ’ de Kiev (du IXème siècle au XIIIème siècle) puis celle des Tsar, jusqu’en 1917, c’est l’époque soviétique qui marque son l’apogée. Peut être que le sondage du centre indépendant Levada indique que 66% des Russes regrettent ce régime parce que sa chute marque une perte notable de puissance et la dislocation de son territoire en passant d’une population de 300 millions d’habitants en 1991 pour une superficie de 22 millions de Km2, à une Fédération de Russie dont la population est réduite de moitié (146 millions d’habitants en 2021) pour une superficie de 17 millions de Km2, privée de ses 15 régions, devenues des Républiques indépendantes. Parmi elles, les états slaves que sont l’Ukraine et la Biélorussie, des pays d’Asie Centrale dont le Kazakhstan ou l’Ouzbékistan, du Caucase comme l’Arménie ou l’Azerbaïdjan, les Etats Baltes soit la Lettonie, la Lituanie, et l’Estonie, ainsi que la Moldavie. Pour la Russie, la disparition de l’URSS est « la catastrophe géopolitique du siècle » pour reprendre les mots de Gorbatchev. Pendant que certains déplorent le déclin de l’influence russe, d’autres cherchent des moyens d’arriver à réaffirmer sa culture et son identité par le biais d’autres structures.

L’EGLISE ORTHODOXE, ELEMENT CENTRALE DE LA CULTURE RUSSE

Le Patriarche de Moscou, à la tête de l’Eglise orthodoxe, fait justement parti de ceux qui adhèrent à cet imaginaire de monde russe, à ce monde de la « Sainte Russie ». Avec une forte présence orthodoxe dans la région, le Patriarche Kirill, au service de Vladimir Poutine, partage son combat contre les « forces du mal » occidentales, qu’il diabolise dans son discours du 27 février 2022, 3 jours après le début de l’invasion en Ukraine. Dans la lignée de son prédécesseur Alexis II (1929-2008), dont la stratégie de missionnaire en Europe occidentale dans les années 1990 avait permis la consolidation et l’élargissement de la base de fidèles, Kiril ouvre les portes de l’église en prônant le principe d’une cohabitation des civilisations inscrite dans la tradition religieuse et culturelle russe, à l’image de la multipolarité prônée par le chef d’état russe. Une opération couronnée de succès, si l’on en croit les statistiques rendues publiques par Atlasocio.com qui indique un passage de la population orthodoxe en Russie de 58 millions en 2010, à 101 millions en 2020.

UNE IDENTITE RUSSE RECONSTRUITE A L’ANITHESE DE L’OCCIDENT

Si les Russes savent que l’Eglise orthodoxe de Russie est une des places fortes de leur culture commune, les valeurs portées par l’occident en sont l’antithèse. Cette répulsion totale trouve son origine dans la violation d’un accord verbale entre le secrétaire américain James Baker et Gorbatchev datant du 9 février 1990 sur la non-prolifération de l’OTAN. « Ils nous ont menti à plusieurs reprises… avec l’expansion de l’Otan vers l’est […] et avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières » expliquait Vladimir Poutine le 18 mars 2014, pour justifier la Guerre en Crimée. Depuis ce constat, le triomphe des valeurs libérales et de l’unipolarité du monde ne cesse de révolter les partisans russes, héritiers de l’ancien Empire Soviétique et de ses valeurs communistes.

UNE NOUVELLE CULTURE POLITIQUE QUI SEDUIT

Face à l’unipolarité du monde, c’est aussi la culture politique multilatérale affirmée par le chef d’état russe qui rends son pays si appréciable aux yeux de ceux qui y trouvent intérêt. La Russie réaffirme son propre système de valeur. L’absence d’une idéologie forte à exporter lui permet justement de déployer un panel d’arguments propre à sa politique multilatérale : souverainisme, respect des particularismes culturels, refus de l’universalisme occidental… des « principes » auxquels il est bien moins contraignant d’adhérer qu’à l’idéologie communiste, et qui trouve son succès de la Syrie de Bachar el-Assad à la Corée du Nord de Kim Jong-un, en passant par la Turquie d’Erdogan et le Cuba de Diaz-Canel, sans oublier les généraux africains ougandais, tanzaniens, ougandais ou zimbabwéen.

LA FRATERNITE RUSSE, UN OUTIL DE LA RHETORIQUE DE POUTINE

La « culture russe, c’est l’habitude de protéger les siens » expliquait Mikhaïl Michoustine, membre du gouvernement de Poutine depuis 2020. Cette phrase, haute de sens ayant fait l’objet des travaux de Tatiana Kastuvea, chercheuse à l’IFRI, permet de comprendre la manière dont la Russie justifie ses incursions qui s’écartent de sa politique de respect de la souveraineté. En Ukraine, il fallait secourir les 7,5 millions de russophones victimes de génocides et répondre à l’appel à l’aide des république populaires de Donetsk et de Lougansk selon la version officielle. Dans la même logique, il était impératif de « garantir la sécurité de siens au Donbass »… d’où l’intervention russe. La chercheuse explique la vision que Vladimir Poutine se fait de l’Histoire, en parlant d’un même peuple, qu’il bombarde pourtant dans une guerre fratricide. Cette notion de frère revient aussi lors des critiques de Poutine à l’égard des « trahison fraternelles » qu’il subit à l’occasion de livraison des missiles anti-char américains Javelins à plusieurs pays slaves.

UNE CULTURE QUI DEPASSE LES RUSSOPHONES ORTHODOXES

Le noyau identitaire russe est clairement défini par les russophones orthodoxes, mais le Kremlin se vente de rassembler l’ensemble des communautés slaves sous un même drapeau, celui d’une histoire commune née au batême de la Russ’ de Kiev au 10ème siècle. Plus large que cette supposée communauté qui regroupe la Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et plusieurs pays des Balkans, Alexandre Dougouine souffle dans les années 2000 l’idée d’un grand complexe eurasiatique post-soviétique. L’idée qui marquera les frontières de la culture et de l’identité russe s’avèrera finalement être celle du « Rousski mir » (« monde russe ») soufflé à l’oreille de Vladimir Poutine par le politologue Gleb Pavlovsky : un ensemble culturel et politique semblable à la Francophonie ou au Commonwealth qui ne s’arrête ni à l’ethnie, ni à la religion, mais qui permet de penser la russité comme une civilisation transnationale. La Russie regroupe des populations ethniquement et religieusement très diverses ; on peut leur nombre à plus de 120. La région du Nord Caucase, comprenant l’Ingouchie, le Daguestan et la Tchétchénie, est musulmane et partage une tradition d’islam confrérique. Il existe également des minorités juives, bouddhistes, catholiques et protestantes. Vecteur de cohésion identitaire, ce « monde russe » fédère slaves, turcophones, orthodoxes et musulmans. Efficace par son inclusivité, il englobe aussi les populations russes des diasporas. Or dans les anciennes régions soviétiques, les conversations en russe sont fréquentes dans la rue. En Lettonie par exemple, nue passante interrogée par Helen Richard pour le Monde Diplomatique en septembre 2022 que « le russe [était sa] langue maternelle bien qu’elle parle le letton sans problèmes ». Cette construction idéologique puise une peu partout dans l’Histoire des arguments allant dans le sens de l’unité régionale et culturelle russe. En en faisant son fer de lance ces dernières années, c’est sous ce large drapeau du « Monde russe » que Vladimir Poutine développe et défends les valeurs autour des traditions et contre la postmodernité occidentale.

LA CULTURE RUSSE, AU SERVICE DE LA RHETORIQUE RUSSDU KREMLIN

S’il est indéniable que la culture et l’identité russe existent, elles sont avant tout des outils de la puissante rhétorique du Kremlin : une rhétorique de protection des siens maltraités par des gouvernements nazis et anti-russes justifient alors les conflits diplomatiques notamment dans les pays baltes, et les interventions militaires. Sous la rhétorique d’une démarche protectrice de ses frontières et de son peuple, la Russie prend parts aux conflits en Géorgie (2008), en Ukraine (en 2014 puis en 2022), et en Azerbaïdjan et en Arménie (en 2020). Le Patriarche Kirill, qu’Hubert Védrine s’était amusé à appeler « l’employé de Poutine », mets la religion à disposition de cette politique russophone en remplaçant la théorie de Samuel Huntington du « Choc des civilisations » par « Le choc d’un projet global euro-atlantique contre les cultures traditionnelles et les civilisations locales ».

LE RAPPORCHEMENT DES STRUCTURES EURO-ATLANTIQUES

Manque de fidélité ou concrétisation d’un besoin d’émancipation naturel ? Le rapprochement des états post-soviétiques et baltes de l’Union Européennes pose la question. La logique propre au « Monde Russe », qui considère presque ces 15 pays indépendants comme des régions lui revenant de droit, voit d’un mauvais œil les vagues d’élargissement de l’OTAN des années 2000. En 1997, la GUAM (Organisation pour la Démocratie et le Développement), qui regroupe la Géorgie, l’Azerbaïdjan, l’Ukraine et la Moldavie, manifeste sa volonté d’intégrer les structures européennes. Puis en 1999, les pays du Pacte de Varsovie rejoignent l’Organisation du traité Nord Atlantique, et en 2004, 7 nouveaux membre dont les pays baltes font de même sous l’élan des révolutions de couleur (2003-2005). Face à ces rapprochements, couronnés par l’intervention américaine en Yougoslavie (1999), la Russie est tentée de couper la région des influences de cette culture occidentale compétitive et attractive pour certains. Mais en est-elle capable ?

LE SYNDROME POST-IMPERIAL ET LE CONCEPT « D’ETRANGER PROCHES »

Dans ses rapports avec les Etats de l’ex-Union, la Russie montre qu’elle est loin d’avoir renoncé à la posture impériale qui caractérisait tant le pouvoir tsariste que l’URSS. Mais elle n’en a plus les moyens, comme l’indiquent aussi bien la poursuite de la guerre en Tchétchénie que le recul de son influence dans le Caucase et dans les nouveaux Etats issus de la décomposition de l’URSS, qu’elle perçoit maintenant comme des « étrangers proches ». En 2014, la première guerre en Ukraine marquera l’activation d’un syndrome post-impérial au sein du Kremlin. La volonté de réunir et de mobiliser les populations pour restaurer la puissance soviétique se heurte aux politiques indépendantes des états de la région. Soucieuse de l’effritement de son « Rousski mir », la Russie déploie massivement des médias de propagandes pour prêcher la bonne parole et diffuser l’aura post soviétique de la Lettonie à l’Ukraine en passant par le Kazakhstan. Elle développer par ailleurs  « Runet », un réseau indépendant de l’internet mondiale, vise la souveraineté et un contenu contrôlé. Au-delà du récit transnational qui se veut fédérateur, la Russie développe une multitude d’outils intergouvernementaux.

DES ORGANISATIONS INTERGOUVERNEMENTALES GARANTES DE L’UNITE DU MONDE RUSSE ?

En réaction à sa perte d’influence, le Kremlin institutionnalise sa présence dans les domaines économiques et politiques dés 1992. LA CEI (Communauté des Etats Indépendants) qui regroupe 12 des 15 états post-soviétiques voit pourtant le Turkménistan, la Géorgie, et l’Ukraine quitter son bord, respectivement en 2005, 2008, et 2014. La même année, l’OTCS voit le jour, avec la Russie, l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan comme membres. En 1995, C’est la création d’une Union Douanière entre la Biélorusse, le Kazakhstan, et la Russie, qui donnera naissance en 2014 à l’UEEA (Communauté Economique Eurasiatique), rejoint par l’Arménie. Ainsi, ces trois organisations, la CEI, l’UEEA et l’OTCS, soudent l’espace post-soviétique autour de la Russie tout en repoussant l’avancée de l’OTAN, de l’UE et des USA vers l’est. Si la Russie renforce aussi, entre 1991 et 2014, ses accords énergétiques, c’est de la diaspora russe, nombreuse d’une trentaine de millions, dont elle va se servir comme levier d’influence. Ces « compatriotes à l’étranger », partageant la même culture, justifient alors toute l’attention du Kremlin, comme expliqué précédemment. C’est alors dans le bit de concrétiser la présence russe à l’étranger, que seront créées RUssia TOday (2005), la Fondation Rousski mir (2007) et l’Agence Fédérale Rossotroudnitchestvo (2008). Ces structures d’influences à l’étranger permettent alors, comme l’expliquent Vitcheslav Nikonov, président de Rousski Mir, « d’élargir les frontières de la culture russe et d’affirmer ce phénomène russe global qui ne peut être décrit par aucune définition ».

UKRAINE, L’ILLUSTRATION PARFAITE DE L’AMBIGUITE CULTURELLE RUSSE

En guerre avec la Russie depuis le 24 février 2022, l’Ukraine est l’illustration parfaite de la finesse et de l’ambigüité de la géopolitique menée par Poutine. Elle explique par les exemples quelle donne, l’ancrage de la culture russe chez ses citoyens, et exacerbe les liens profonds qui relient la question de l’identité et la géopolitique. Obsédé par la continuité de l’Histoire Russe interrompue par des ruptures fratricides et traumatisantes, Vladimir Poutine considère l’Ukraine comme une de ses provinces. « Les ukrainiens ne son pas un peuple, c’est une tribu » explique Sergueï Choïgou, ministre la défense russe. Pourtant, la résistance ukrainienne fait du patriotisme sa source en remettant au gout du jour un chant de l’armée Hostro-Hongrois de 1914. La journaliste Ksenia Bolchakova mesure l’ampleur de la fracture des deux pays : le petit frère ukrainien s’émancipe de la domination russe et de l’ancien paternalisme soviétique, il dispose d’alternatives. Les arguments du Kremlin d’une Ukraine arbitrairement détachée par Lénine et donc illégitime se heurtent aux arguments historiques avancés par Zelensky d’une Ukraine plus longtemps détachée que rattachée à la Russie dans l’Histoire. La cinquième enquête européenne sur les valeurs et les comportements européens, qui demande directement aux ukrainiens leur position vis-à-vis de la Russie, note que 72% d’entre eux sont fiers d’être Ukrainiens et que 91% d’entre eux sont favorables à une adhésion à l’Union Européenne. Pourtant, si 53% des entretiens se sont déroulés en Ukrainiens, 47% des interrogés ont préféré parles russe, et ce même pourcentage s’est dit plus sensible aux informations diffusées sur les chaînes de TV Russes (Spoutnik) avant le début de la guerre. Si la culture russe est bien présente dans les espaces post-soviétiques et au-delà, c’est alors, suivant la logique du « monde russe », contre ses frères et ses compatriotes que Vladimir Poutine dirige son armée et expose les conséquences d’une trahison. En soulevant cette contradiction, le Kremlin réaffirme son identité qu’il oppose à l’occident et à ses valeurs et continue de vouloir ancrer dans les pays russophones, qui font l’expérience du lien entre influence culturelle et intimidation militaire, incapable de se détourner de ce « grand frère bienveillant », dont les élans indépendantistes ou les orientations politiques alternatives éveillerait le courroux

LE PACTE EUROPÉEN SUR L’ASILE ET LA MIGRATION : QUEL FUTUR POUR LES MIGRANTS EN MEDITÉRRANNÉE ?

LE PACTE EUROPÉEN SUR L’ASILE ET LA MIGRATION : QUEL FUTUR POUR LES MIGRANTS EN MEDITÉRRANNÉE ?

Le 23 septembre 2020, la Commission Européenne présentait le Pacte sur la Migration et l’Asile, ayant pour but de modifier en profondeur le système d’accueil et de gestion des demandeurs d’asile et des migrants arrivant aux frontières de l’Union Européenne, présenté comme capable de mieux gérer la pression migratoire que peuvent ressentir certains États, mais aussi de renforcer les récoltes de données, et permettant aussi la décriminalisation des sauvetages en mer, et la création d’une agence de l’Union Européenne pour l’asile. Les migrants sont une majorité à traverser la mer Méditerranée pour atteindre l’Europe. La route de la Méditerranée occidentale donne sur l’Espagne, tant par voie maritime en accédant directement au continent, que par la voie terrestre qui aboutit sur les enclaves de Ceuta et Melilla en Afrique du Nord, et la route de la Méditerranée centrale donne sur l’Italie et Malte. C’est d’ailleurs ces routes vers les pays de l’Europe qui a massivement été empruntée lors des vagues migratoires de 2015 et 2016, plaçant la Grèce, l’Espagne et l’Italie en première ligne, la gestion des demandeurs d’asile incombant principalement au premier pays les accueillant, conformément au règlement de Dublin.

L’APRES 2015

Avec 1,28 millions de demandes d’asile déposées sur le territoire de l’Union Européenne en 2015, la crise migratoire a exposé l’inefficacité de la politique migratoire européenne au groupe des 27. Puis, au cours de ces 7 dernières années la moyenne annuelle de 3.000 disparus pendant les traversées de la Méditerranée n’a cessé de souligner la nécessité d’une action concrète aux frontières de l’UE pour répondre aux directives humanitaires et sécuritaires, alliant protection et légalité. Pour se faire, l’UE s’est dotée de nouvelles politiques visant un meilleur contrôle de ses frontières. Dès l’année suivante, en 2016, l’adoption d’accords controversés avec la Turquie, puis avec la Libye en 2017 ont permis de limiter l’afflux migratoire méditerranéen. Avec un total de 600.000 demandeurs d’asile provenant de la méditerranée en 2022, soit une augmentation de 34% par rapport à 2020 mais une diminution de 10% depuis le 2019 d’avant-covid, cette politique ne semble toujours pas être à la hauteur des attentes des pays membres. Quelque jour avant la présentation de ce pacte, qui œuvre notamment dans l’intérêt des enfants et des diplômés, Ursula Von Der Leyen, présidente de la Commission Européenne, déclarait vouloir « abolir le système de Dublin » qui régit l’accueil des demandeurs d’asile depuis les années 1990, jugé peu efficace et désavantageux pour les pays en « première ligne ». Comme pour appuyer son constat, l’incendie du plus grand camp de réfugiés d’Europe à Moria sur l’île grecque de Lesbos, interpelait Margaritis Schinasvice, président de la Commission en charge des migrations, qui constait, quant à lui, l’échec d’un « système qui n’en est pas un ».

IMMIGRE ET DEMANDEUR D’ASILE, QUELLE DIFFERENCE ?

Présenté il y’a 3 ans de cela, ce pacte sur l’asile et la migration ambitionne donc de traiter une partie des demandes d’asile en dehors des frontières de l’Union, de renforcer ces frontières pour dissuader de nouveaux départs, et de laisser plusieurs options aux états face à une éventuelle crise migratoire. Seulement, la politique migratoire et surtout son application, est partagée entre les états membres et l’Union Européenne. Les gouvernements doivent respecter un certain nombre de règles qu’ils se sont fixés ensemble, mais comment distinguer pour qui il est vital d’obtenir un permis de séjour, et pour qui cela l’est moins ? Il faut pour cela différencier les migrants, en quête de meilleures conditions de vie, de ceux à qui on accorde l’asile, qui fuient leur pays, où ils ne sont plus en sécurité. Ces derniers obtiennent alors le statut de réfugiés si le pays d’accueil reconnait que leur vie est en danger, selon les critères de la Convention de Genève. Les politique de migration et d’asile sont liées, mais leurs objectifs ne sont pas les mêmes. La première cherche à encadrer l’immigration légale et lutte contre l’immigration clandestine, et la deuxième tente d’offrir une protection aux ressortissants de pays tiers qui en ont besoin.

UN PACTE,  DES PROPOSITIONS LEGISLATIVES, 3 AXES MAJEURS

Pour les demandeurs d’asile ou les migrants, la Commission Européenne propose d’abord un règlement introduisant un procédé de filtrage (« screening ») contre l’immigration illégale aux frontières de l’union. Il s’appuies sur l’instrument « Eurodac », capable de récolter les données biométriques des migrants, leur empreintes digitales, et de leur faire passer contrôles de santé et de sécurité. Un autre règlement propose ensuite de remplacer celui de Dublin pour assurer un plus juste équilibre d’obligations au sein des pays membres. « Aucun état ne devrait supporter une responsabilité disproportionnée en matière migratoire, tous doivent contribuer à l’effort de solidarité » stipulait le bas de la première page du Pacte. L’échec de la politique de relocalisation obligatoire instaurée en 2016 laisse place à une plus grande flexibilité concernant l’effort des pays dans leur contribution respective. En cas de crise migratoire, il leur sera possible de déclencher un mécanisme de solidarité en choisissant d’accueillir une partie des demandeurs d’asile, de parrainer la reconduite des migrants en situation irrégulière en les prenant directement en charge, ou d’aider financièrement l’état sous pressions. 18 membres de l’UE et 3 pays associés ont formellement approuvé ce mécanisme de solidarité le 22 juin 2022, et engagé une dizaine de milliers de relocalisation dans cette logique. Résumée en 3 axes principaux, soit le renforcement des frontières extérieures, le partage plus équitable des responsabilités et de la solidarité, et le renforcement des coopérations avec les pays tiers, ces réformes visent surtout à harmoniser la politique migratoire européenne.

UNE HARMONISATION DE LA POLITIQUE EUROPEENNE

Harmoniser l’application de la politique migratoire et d’asile chez les états membres, et insister sur la nécessaire application des normes et des règles par tous les états, ce qui n’est pas toujours une évidence, permettrait donc de centraliser les rouages européen dans une seule institution. La « carte bleue européenne » adoptée en 2021, doit favoriser l’accueil des migrants hautement qualifiés, et l’AUEA, nouvelle agence de l’Union Européenne née en janvier 2022, s’assure désormais de vérifier et d’appuyer ces règles. Dotée de 172 millions d’euros et de 500 experts, elle fournit un soutien opérationnel et technique, et propose des formations aux autorités nationales de chaque pays. L’UE prévoit notamment de faciliter l’immigration légale en améliorant les conditions des résident longue durée en leur facilitant l’accès à l’emploi et aux autres pays de l’espace Schengen.

L’IMPACT DE LA CRISE UKRAINIENNE

Depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine apporte de nouvelles perspectives, tantôt justifiant le refoulement des flux migratoires, tantôt en expliquant l’importance de s’ériger en terre d’accueil. Le ministre de l’intérieur français Gérald Darmanin expliquait : « Je pense que ce qui s’est passé a créé une sensibilité différente, chacun évidemment est concerné par le continent européen, par ces questions migratoires« . Il proposera dans la foulée d’abandonner le principe de quotas obligatoires de relocalisation des migrants, laissant ainsi aux pays de transit les responsabilités les plus lourdes et réduisant l’arrivée migratoire en France. Tout à l’inverse, le ministre luxembourgeois de l’immigration Jean Asselborn déclarait deux mois après le début de la guerre : « Nous devons savoir que si nous pouvons accueillir des millions d’Ukrainiens, nous pouvons aussi nous occuper de milliers de personnes qui ne viennent pas d’Ukraine mais du Sud, et qui souffrent des mêmes conditions et qui ont une autre langue et une autre religion« . Quant aux ONG, elles saluent cet accord mais souhaitent des précisions. Cet ensemble de règles et de recommandations doit permettre à l’UE de ne plus revivre le chaos observé en 2015 lorsque la Grèce, l’Italie et l’Espagne se sont retrouvées seules pour accueillir des milliers de demandeurs d’asile qui fuyaient la guerre en Syrie.

DES PAYS REFRACTAIRES

Une épisode « 2015 bis » n’est pas souhaitable aux yeux de l’UE, et plusieurs pays membres restent réfractaires aux principes de solidarité. Les réticences de la Pologne et de la Hongrie s’ajoutent à celles de la République Tchèque et de la Slovaquie. Ensembles ils forment le groupe de Visegrad, dont les membres préfèrent gérer et repousser les flux migratoires extra européens individuellement, tenant à leur souveraineté et refusant d’avoir à se soucier d’un quota d’accueil. Le Danemark, dans la même optique, refuse toute demande d’asile en optant pour une politique « 0 réfugiés ». Depuis 6 ans maintenant, sur quelque millier de demandes dans le pays seul 1% obtiennent un permis de séjour. Quant à l’Angleterre post-brexit, désormais hors de l’Union Européenne, elle voulait renvoyer les premiers cobayes de sa politique d’externalisation au Rwanda à bord d’un avion. La CEDH (Cour Suprême Européenne des Droits de l’Homme), saisie par les ONG, a finalement cloué l’engin au sol en estimant que les autorités britanniques devaient d’abord s’assurer de la sécurité du pays de destination. Le Haut-Commissariat aux réfugiés s’en était aussi indigné, soulignant la réputation douteuse du pays africain en matière de droits de l’Homme et en notant que l’accord entre l’Angleterre et le Rwanda contrevenait aux obligations internationales du pays.

*Une frise chronologique retraçant l’évolution des débats et de la législation européenne concernant les politiques migratoires en 2022 est disponible sur le site du Conseil Européen https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/migration-timeline/

UNE UE TOURNEE VERS L’EXTERNALISATION ?

Outre les membres du groupe Visegrad, et les exemples cités, les politiques émergentes d’extrême droite en Europe estiment que les exilés doivent faire leur demande d’asile depuis leur pays d’origine, ignorant les situations de conflit, de guerre, de persécution ou de menaces de mort qui de fait, ne permettent pas de se lancer dans de telles démarches.

L’Union Européenne semble de plus en plus envisager une politique d’externalisation de la migration, et ce nouveau Pacte sur l’Asile et la Migration paraît s’ancrer dans cette tendance. La délégation des responsabilités européennes à l’égard des migrants extra-européens trahit l’inefficacité et le manque de confiance des institutions européennes. Centre décisionnel en matière de défense, d’économie et de santé, ces institutions décident pourtant de détourner le regard d’une question qui agite le débat, les et l’inquiétudes au sein de ses populations. La question est instrumentalisée par l’extrême droite qui place ce problème au cœur de ses campagnes électorales en France, en Italie, en Espagne et en Allemagne. Pourtant, le drapeau bleu aux étoiles jaunes missionne les autorités libyennes, connues pour leur manque de scrupule, pour patrouiller aux frontières méditerranéennes de l’Europe et surveiller les départs d’Afrique du Nord.

LE SCANDALE LYBIEN

C’est l’agence de surveillance Frontex qui se charge depuis 2018, de lancer ses avions et ses drones, au service de l’UE. Et pourtant, les autorités libyennes en bénéficient aussi, bien qu’elles ne soient pas censé pouvoir avoir directement accès aux renseignements de l’agence, réservée aux états membres. Différentes ONG se sont rendu compte de cette anomalie lors de la publication d’une dizaine d’image de surveillance sur les pages Facebook des gardes côtes libyens entre 2018 et 2021, ayant notamment servies à intercepter des embarcations. Le 8 mai 2019, les Aéronefs de Frontex ont donc mis à la disposition de ces gardes côtes, des informations sur la localisation d’une embarcation transportant 70 personnes. Coupables d’actions violentes et dangereuses documentées par le rapport du Conseil de Sécurité de l’ONU, allant jusqu’à la traite d’être humain et la torture, les Libyens n’ont aucune limite dans leur méthode. C’est alors l’Union Européenne qui est tenue pour moralement responsable par les ONG. « Quand on délègue un travail ou une mission, on ne peut pas s’assurer qu’il est fait correctement. Quand c’est à un employé pour gagner plus d’argent je veux bien, mais quand c’est un devoir moral qui impacte la vie de milliers de gens, il faut prendre ça au sérieux » expliquait désespérée, un membre de l’association SOS Méditerranée.

UNE UNION SOLIDAIRE ?

L’Union Européenne, encore plus depuis la mise en vigueur du Pacte sur l’Asile et la migration, s’assure de la sécurité de ses frontières, vise à correctement identifier et suivre les flux entrants, et se montre de plus en plus efficace quant à l’immigration irrégulière et la lutte contre la criminalité, tout en faisant de la solidarité entre pays membres une priorité. Pourtant les tendances d’externalisation de la question migratoire semblent faire défaut à la philosophie européenne et remettent en question les principes de « solidarité universelle envers ceux qui souffrent » évoqué par le président du Conseil Européen Charles Michel.

LA DÉCENTRALISATION, VERS DE NOUVELLES POLITIQUES PUBLIQUES ?

LA DÉCENTRALISATION, VERS DE NOUVELLES POLITIQUES PUBLIQUES ?

On attribue les difficultés, voire le déclin de nombreux Empires à la mauvaise gestion de leurs provinces. De l’Empire abbasside à l’Empire romain, en passant par le tout-puissant empire galactique d’Isaac Asimov dans sa saga « Fondation », les soulèvements et les révoltes « viennent de la bordure » pour citer le stratège militaire chinois Sun Bin.

Alors, si un pouvoir central et unitaire comprend des risques et des faiblesses quant à l’administration de son territoire, la décentralisation, à l’inverse, s’offre en modèle politique idéal pour les citoyens du territoire administré. Du moins c’est ce que le monde entier à semblé décider au début des années 1980, décennie qui a vu émerger des politiques économiques et sociales déchargeant les administrations centrales de leurs responsabilités sur des niveaux inférieurs : dans la France de Mitterrand, suivie de l’Allemagne, d’une partie de l’Europe, de plusieurs pays d’Afrique, puis du Proche-Orient. On assiste aujourd’hui à un nouvel élan de mise en place de politiques de décentralisation. Que ce soit au niveau national, des institutions européennes, ou à l’échelle mondiale.

DECENTRALISATION, POURQUOI ET COMMENT ?

Les avantages de ce phénomène mondial, ses enjeux et ses controverses se trouvent dans sa définition. Ce que ce système politique permet et empêche, et les résultats observables lorsqu’il est appliqué varient, mais une tendance se dégage. Alors que la centralisation n’érige qu’un seul centre de décision et ne distingue pas le pouvoir national du pouvoir local, la décentralisation permet à l’inverse de créer de nombreux centres de décisions relativement indépendants, sans pour autant aller jusqu’à l’autonomie. La décentralisation, c’est un moyen fondamental d’améliorer la gouvernance locale, d’adapter les décisions publiques aux besoins des administrés et de prendre en compte les spécificités locales dont la langue, la culture, la politique, l’histoire, ou la religion, critères parfois plus importants qu’une frontière arbitrairement tracée. En Amérique Latine, la décentralisation a pris le Blason démocratique. Les régimes centraux autocratiques discrédités se sont vu remplacés par des gouvernements décentralisés élus et auteurs de nouvelles constitutions. En Afrique, la demande accrue de participations locales aux prises de décisions a fait du processus de décentralisation un tremplin vers le pluralisme politique. En Ethiopie, cas à part, la décentralisation se trouve être la réponse aux pressions exercées par les groupes régionaux ou ethniques pour participer aux décision politiques et contrôler une partie des administrations. La décentralisation a donc parfois servi à préserver l’unité du pays en accordant plus de pouvoir ou d’autonomie à ses régions. En Asie de l’Est, elle est motivée par l’amélioration de la fourniture des services à l’ensemble de la population, l’état centrale en étant incapable. Elle a marqué, comme en Ouganda ou au Mozambique, la fin de longues guerres civiles, synonymes de nouvelles possibilités politiques et de participation des factions guerrières dans l’administration de l’état, et dans sa délimitation.

UN PEU DE THÉORIE

Votée ou imposée, par le peuple ou les dirigeants, la décentralisation existe et se répands sous différentes formes que Vincent Lemieux et son livre sur la « décentralisation [et les ] politiques publiques face au pouvoir » décrit et recense. La décentralisation administrative d’abord, permet une organisation territoriale déconcentrée mais toujours dépendant du centre. Une décentralisation fonctionnelle, permet une organisation autonome de l’instance périphérique. La décentralisation politique, permet quant à elle, une faible dépendance du centre car dirigée par des élus, d’avantages responsables envers les bases électorales locales. Et enfin, la décentralisation structurelle, dont la dépendance au centre varie selon les acteurs publics et privés. Ces catégories témoignent de la polysémie du terme et de la diversité de ses applications et des secteurs qu’elle mobilise. De la défense à l’enseignement en passant par les services de santé, sans oublier transports, communication et loisirs, tous sont mobilisés différemment selon les pays. Pouvant être pratique, fonctionnelle ou au contraire culturelle à caractère expressif, ce système, dans sa pluralité d’application, regroupe certaines tendances, favorables notamment, à la valorisation du processus démocratique.

DÉCENTRALISAITON ET DÉMOCRATIE, LE CAS EUROPÉEN

Les représentants locaux entretiennent un contact avec la population. Élus localement, leur présence, leur dialogue permanant, et les mises en œuvre concrètes de mesures correspondant au besoin d’une instance périphérique ont tendance, selon le rapport de l’INSEE du 12 janvier 2018, à apaiser la violence des revendications, le sentiment citoyen de ne pas être pris en compte, et donc à améliorer les rouages décisionnels au sein du territoire.

Au sein de l’Union Européenne, les pays intègrent peu à peu la démocratie locale, qui fait l’objet de réformes régulières et incite les transferts de compétences de l’état centrale aux collectivités locales. Certains, à la forte tradition d’un état unitaire et centralisé comme la France, appliquent vigoureusement des politiques de décentralisation, en témoignent les transfert de compétences aux collectivités territoriales en 1988, et le plus récent article premier de la constitution française révisée en 2003. D’autres pays, comme l’Allemagne, un état fédéral, valorisent les échanges régionaux dans le cadre d’états composés. Divisée en 16 landers, l’Allemagne dispose d’une faible autonomie fiscale contrebalancée par l’augmentation des dépenses publiques dans la décentralisation fonctionnelle de l’état. Quant à la « Cogestion à l’Allemande » veille de mieux en mieux à la répartition des ressources entre les états fédéraux. La Belgique, elle, pousse cette logique à son paroxysme. Les révisions constitutionnelles de l’état fédérale belge de 2012 et 2014 octroient une partie du pouvoir décisionnel à diverses instances qui exercent le pouvoir de manière autonome et remplacent le gouvernement et le parlement fédéral, dans des domaines qui leur sont propre.

L’EXEMPLE AFRICAIN

Pour ne pas faire de l’Europe, et de l’occident, le centre des considérations décentralisatrices, le rapport KIMUNU de la 9ème édition des afri-cités, paru en 2022, dresse un état des lieux de ce processus sur le continent africain. Il explique comment, au regard de ces 40 ans de valorisation des politiques territoriales, la décentralisation est devenue une caractéristique majeur du paysage institutionnel des pays d’Afrique. La libre administration au niveau régional, provincial ou local sont de plus en plus synonymes d’autonomie financière et de reconnaissance juridique. Le principe de subsidiarité, élément essentiel des politiques décentralisatrices, attribut la responsabilité d’une action publique à la plus petite entité capable de s’en charger et de la résoudre, peu importe le secteur concerné. Les 14. 000 collectivités africaines, « districts », « urbans concils » ou « houses town » sont répartis sur  les 30 millions de KM2 du territoire, avec 5 régions au Togo, 8 en Guinée, ou encore 27 au Tchad. Le processus de décentralisation a, sur ce continent aussi, réduit les fréquences et les intensités des révoltes  et des manifestation du mécontentement populaire, malgré les difficultés que peuvent éprouver ces pays dans leur développement. Une meilleure administration et surtout une meilleure utilisation des ressources confortent les processus démocratiques, et les actions publiques efficaces et ciblées, allant même jusqu’à transformer l’enjeu migratoire en levier du développement des villes intermédiaires.

UN ENJEU DU XXIème SIÈCLE : ENTRE ENVIRONNEMENT ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

Au-delà de son efficacité pratique, que les rapports des urbanistes et des économistes ne manquent pas d’applaudir, la décentralisation est présentée par les activistes comme la solution aux enjeux démographiques et environnementaux qui attendent l’humanité au tournant des prochaines décennies. Si Greta Thunberg brandissait une pancarte encourageant à la décentralisation à la marche pour le climat du 14 mars 2020 à Paris, des activistes et des écrivains vont plus loin dans ce combat pour l’environnement. L’écrivain Ernest Callembach publiait déjà, en 1975, son roman de science-fiction « Ecotopia » dans lequel quelque état de la côte ouest américaine se ferment au monde et deviennent peu à peu indépendants. Des villes de moins de 15. 000 habitants également réparties sur l’ensemble du territoire, des exemples de circuits courts et une décentralisation totale des services juridiques, de santé, et d’éducation, où les écoles, mêmes les plus prestigieuses, sont autogérées. Monde, encore fictif, de la décroissance et de l’écologie politique, l’auteur place la décentralisation au centre des rouages de son utopie.

Plus réaliste, et plus concret cette fois, une tribune socialiste parue dans le journal le Monde en 2020, faisait en quelque points, l’état des logiques d’un état centralisé. Se devant de se concentrer sur des missions essentielles et limitées dans la constitution, l’état doit appliquer la subsidiarité et une adaptation locale des normes, logique incompatible avec un état fort et centralisé (1). Il se doit aussi de financer ces collectivités locales et de réduire les inégalités qui les séparent (2) et d’inciter les choix de consommation locales, d’aliments comme d’énergie (3). On note aussi dans ce cahier de doléances l’amélioration des transports publiques, plus inspirés d’une mosaïque que d’une étoile dont le centre contient tous les intérêts (4), et un renouveau des fonctionnalités spécialisées intercommunales, ou interrégionales (5). En bref, décentraliser consiste à rapprocher le citoyen de l’action publique, et les services publiques du citoyen.

IDÉAL POLITIQUE OU PERTE D’UNITÉ NAITONALE ?

La décentralisation mets à disposition et encourage l’apparition de nouveaux services locaux. Promue par certains comme un système politique nécessaire au développement équitable et efficace, elle permet une certaine redistribution économique, facilite l’impôt et la participation aux politique publiques, réponds plus précisément aux demandes et aux besoins citoyens en leur donnant une place et une voix. Une décentralisation française plus poussée permettrait à Mayotte, ou à la Martinique, des territoires ultramarins délaissés par la politique marconiste, de retrouver une place au sin de l’attention politique. La « diagonale du vide » n’en serait peut-être plus une, et la question des déserts médicaux serait réglée.

Pourtant, ses détracteurs y trouvent des aspects négatifs. Sa logique poussée à son paroxysme, elle entrave l’image d’unité nationale et fait perdre aux frontières du pays leur sens premier. Les difficultés de l’exécution des politiques de stabilisation creuseraient la dette publique en multipliant presque les dépenses de l’état par 2. Comment gérer ces allocations aux régions les plus pauvres et s’assurer de leur justesse, et de leur justice ? Comment, sans un centre névralgique et décisionnel, gérer les relations diplomatiques et internationales ? Chaque région aurait alors son ambassade ?

Ni bonne ni mauvaise, la décentralisation témoigne surtout d’une tendance politique mondiale qui consiste à prendre, avec plus ou moins d’avance et d’importance, conscience des enjeux du siècle qui nous attends. Plus que ce qu’elle est, la décentralisation s’illustre dans ce qu’elle permet. Elle est un des rares exemples où le politique et l’économique peuvent servir une même fin. Les objectifs politiques (l’accroissement de la sensibilité des élus et la participation politique des citoyens au niveau local), peuvent coïncider avec les objectifs économiques (de meilleures décisions concernant l’usage des ressources publiques et une volonté accrue de payer pour les services fournis

DIPLOMATIE ET RELIGION

DIPLOMATIE ET RELIGION

DIPLOMATIE ET RELIGION EN RUSSIE

Dans son discours du 27 février 2022, Vladimir Poutine justifiait son « intervention spéciale » en Ukraine par son orthodoxie. En d’autres termes, par la gloire et la justice qu’elle apporterait et qu’elle se devait d’apporter à l’Église russe. Par une théorie métaphysique, le Patriarche Kirill, chef de l’Église, qualifie cette guerre comme « une opération contre les forces du mal », partisan, comme Vladimir Poutine, d’un monde russe affranchi de la menace occidentale. En légitimant ce conflit armé, le Patriarche Kirill se détourne des valeurs chrétiennes, et passe outre la juridiction du patriarche de Constantinople, qui avait accordé l’autocéphalie à l’Église ukrainienne, soit l’indépendance religieuse. À la tête du pouvoir spirituel depuis 2009, le Patriarche de Moscou agit comme un employé du chef d’État et reproche aux Chrétiens du monde de s’écarter du droit chemin. Il écrivait dans sa lettre au COE (Conseil Économique des Églises) que « la Russie [était] la seule à défendre les valeurs chrétiennes ».

Si, comme dans cet exemple, la religion peut servir à justifier des conflits armés, nous le rappellent les conquêtes islamiques et les croisades, la diplomatie religieuse s’est aussi révélée pacifiste. Quand les forces occidentales envoyaient du matériel militaire et des soldats sur le front, le pape François lançait de vifs appels à l’arrêt des affrontements, se rendait à l’ambassade russe en personne, organisait des visio-conférences avec le patriarche, et mandatait deux envoyés spéciaux à la frontière hongroise pour montrer son soutien et sa proximité avec ceux qui souffrent. Plusieurs dizaines d’enfants ukrainiens ont également été accueillis dans son hôpital à Rome, le Bambino Gesu.

LE SAINT-SIÈGE, UNE DIPLOMATIE HISTORIQUE

Petit État de 44 hectares et d’un millier d’habitants, le Vatican ne dispose pas d’une armée, et n’est pas une puissance économique. Pourtant, la petite entité géographique est reconnue à l’international, grâce à son autorité morale. Le Pape étend son influence sur les 1,2 milliards de Catholiques répartis à travers le monde (soit 17% de la population mondiale), et sa popularité, qui fait fi des frontières, octroie au Saint-Siège un soft power qui repose en réalité sur des pouvoirs spécifiques et originaux, liés à son identité hybride, structure qui relève à la fois de l’organisation religieuse, de l’organisation politique et de l’organisation humanitaire, auxquels on pourrait ajouter, dans une logique wébérienne, le charisme de son leader, principalement due à sa sacralisation. Le Pape François expliquait à des journalistes en 2014 « La Diplomatie est l’art du possible et de rendre le possible réel », et c’est de cette pratique, de cette tradition papale longue de 1500 ans, que l’implication catholique internationale fait du Saint Siège un des réseaux les mieux informés au monde. Le Pape est capable d’ingérence pour défendre les minorités chrétiennes, comme en Syrie, et son positionnement au sujet des questions sociales sont lourdes de conséquences, en témoignent le « Pro Vita » italien, et le « Sens Commun » français. Aussi, son apparition en couverture des magazines et journaux internationaux à chacune de ses visites et la politique culturelle des écoles catholiques qui tendent l’oreille à ses recommandations, sont autant de témoins de son influence.

L’administration du Saint Siège dispose aussi, avec la section des rapports avec les états, d’un service dévolu au suivi politique de ses relations diplomatiques. Le souverain pontife est représenté auprès des églises mais aussi de ceux qui gouvernent les nations, avec qui il entretient souvent de bonnes relations. Doté d’une personnalité juridique internationale, le Pape est impliqué dans différentes institutions internationales et onusiennes dont il est membre observateur. Parmi elles : les Nations Unies, l’Union Européenne, et le Conseil de l’Europe.

Ce sont aussi à travers des ONG, dont Caritas International, Pax Christi International, ou la communauté Sant’Egidio, que le Pape fait porter sa voix et son influence. Si le Pape plaide pour la charité chrétienne au sein du Parlement Européen, ce sont bien ces ONG, majoritairement humanitaires, qui la matérialisent en actions concrètes à Lampedusa, en Sicile, en Syrie ou à Lesbos.

UN SERVICE HUMANITAIRE PAPAL INTERNAITONAL

Le Pape se fait aussi lanceur d’alertes dans les enceintes institutionnelles en dénonçant l’ordre international libéral et le capitalisme financier devant les membres de l’ECOSOC, de l’UNESCO, ou de l’OSCE. Les prises de position du Saint Siège se multiplient, et contribuent à ouvrir et à faire avancer des débats portant sur les biens communs de l’Humanité Le cardinal Jena Louis Tauran (1943-2018) avait parfaitement défini les buts de la diplomatie vaticane : « Une activité religieuse sans interférence de la part du pouvoir, sans aucune subordination et en coopération entre société et autorité religieuse. ». Pourtant, la diplomatie vaticane se voit contrainte de dialoguer avec les états souverains dans l’intérêt de sa communauté. Elle signera d’ailleurs une série d’accords en 2018 sur la nomination d’évêques avec la Chine, dans le but de normaliser les paroisses et les pratiques de ses 12 millions de catholiques chinois.

Le Vatican fait certes fi des frontières, mais il est certain qu’il place la communauté chrétienne au centre de son attention, quitte à parfois taire ses revendications caritatives. Lors de son passage en Birmanie par exemple, le Pape, qui critiquait depuis Rome le sort dévolu de la minorité des Rohingyas, s’est cependant abstenu de les mentionner pendant sa visite, donnant la priorité aux relations entre le Saint-Siège et l’État birman en vue de protéger d’abord et avant tout la minorité chrétienne du pays.

Favorisant sa communauté, toujours est-il que la non-implication du Pape dans les affaires politiques en fait un excellent médiateur. Bien placé pour résoudre les conflits, il s’est souvent illustré dans des processus historiques de normalisation des relations.

LE VATICAN, UN MÉDIATEUR INTERNATIONAL

La rencontre officieuse entre le Cuba de Raoul Castro et les Etats-Unis d’Obama s’est faite sur le sol du Saint Siège. Sollicité par une délégation américaine, le Pape Benoit XVI y a rapidement répondu, et permit les discussions entre les deux pays, qui ont par la suite, normalisé leur relation sous les encouragements du Pape.

Le traité d’amitié de Montevideo signé entre le Chili et l’Argentine en 1978, se sont, eux aussi, faits au Vatican. Le Pape Jean Paul II étant parvenu à faire renoncer à l’Argentine, pays très catholique, à son opération militaire pour reprendre le Cap Horn, plusieurs îles, et le canal de Beagle accordés au Chili .

Puis, plus récemment, la visite inédite du Pape François dans la région du Levant en 2014, à témoigné de son objectivité et de sa bienveillance, reflétant parfaitement les volontés pacifiques de l’église. En visitant la tombe du fondateur du sionisme Théodore Herzl, et en reconnaissant l’état de Palestine en le mentionnant dans son discours, le Pape à accepté les deux récits en plaignant les victimes israéliennes du terrorisme tout en se révoltant contre la misère palestinienne, traumatisée par l’occupation et méritant de vivre en tant que peuple libre.

LA CONSTANTE PAPALE, AU-DESSUS DES POLITIQUES NATIONALES

Le Prince Phillipe de Belgique, les présidents italiens, polonais, lituaniens, portugais, hongrois, tchèques et togolais, l’ex-reine Sophie d’Espagne, le ministre français de l’intérieur Gérard Darmanin, un ambassadeur américain, et même le Patriarcat de Moscou et de Constantinople. Autant de personnalité politiques présentes aux Obsèques du récemment défunt Pape Benoit XVI. Peu importe leur bord politique ou leur confession, leur présence atteste de la popularité papale

Les espérances diplomatiques, et les causes que défendent les acteurs pontificaux et le pape forment une constante dépassant les rivalités géopolitiques, les frontières nationales, les évolutions historiques, et les conflits ethniques. Si ses frontières sont religieuses, la charité chrétienne le pousse à agir pour les autres, surtout les « citoyens en marge ». Figure spécifique des enjeux politiques de coopération, le Vatican manifeste l’importance des enjeux culturels intégrant le religieu. Bien qu’il ni la capacité, ni l’intérêt de défendre quelque intérêt national, le petit état pousse à s’interroger sur une vision trop exclusivement axée sur les rapports militaires et financiers. Les plaidoyers papaux pour les réfugiés, le migrants, la défense de la cause environnementale et contre les inégalités et… le mariage pour tous, témoignent de la mise au service du Pape au nom des idéaux catholiques, quel qu’ils soient. Toujours œuvrant pour la personne humaine plutôt de des formes abstraites d’appartenances, le Vatican continue de veiller sur sa communauté, et d’aider les autres, quant des conflits d’intérêts ne l’en empêche pas.

LA CRISE DES RÉFUGIÉS PROVENANT D’UKRAINE PERMETTRA-T-ELLE L’ADHÉSION DE LA ROUMANIE À L’ESPACE SCHENGEN ?

LA CRISE DES RÉFUGIÉS PROVENANT D’UKRAINE PERMETTRA-T-ELLE L’ADHÉSION DE LA ROUMANIE À L’ESPACE SCHENGEN ?

QU’EST-CE QUE L’ESPACE SCHENGEN ?

Né d’un accord datant de 1985 auquel ont originairement pris part l’Allemagne, la France, le Luxembourg, la Belgique et les Pays-Bas, l’Espace Schengen trouve son nom dans le petit village luxembourgeois où il a été signé. Il est aujourd’hui un résultat tangible et emblématique de l’intégration européenne. 3,5 millions de personnes se sont habituées à franchir quotidiennement leur frontières sans avoir besoin de montrer leur passeport ou à subir des contrôles. Cette suppression des contrôles aux frontières des pays de l’Union est non seulement synonyme d’une plus grande liberté pour ses citoyens, d’avantages économiques, mais aussi d’une sécurité améliorée. Si l’accord a été initialement créé parallèlement à l’Union européenne, il a finalement été intégré dans sa législation et fait désormais office de pilier central pour soutenir le marché unique. Ses frontières sont surveillées et sécurisées par l’agence Frontex qui aide les états et l’Union Européenne à gérer ses flux entrants et sortants depuis 2004. Cette large zone couvre aujourd’hui 26 pays : 22 des 27 membres de l’UE, et l’Islande, le Lichtenstein, la Norvège, et la Suisse, tous membres de l’association européenne de libre-échange. L’Espace Schengen concerne en tout 420 millions de personnes, et son adhésion requiert le respect de règles communes ainsi qu’une bonne gestion des frontières extérieures à laquelle s’ajoute l’application d’une politique de coopération policière efficace et d’échange d’information sur la sécurité. Une poignée de pays de l’Union Européenne cherchent toujours à pouvoir profiter de ses avantages, dont ceux de l’exemption de passeports. On retrouve plusieurs candidats sur cette liste d’attente, dont l’Albanie, le Monténégro, la Serbie, et… la Roumanie, dont la Commission Européenne a pourtant reconnu, il y a 12 ans de cela, la validité de sa candidature, qui remplissait toute les conditions à son adhésion.

LA ROUMANIE EN STAND-BY DEVANT LES PORTES DE L’ESPACE SCHENGEN,

Membre de l’OTAN depuis 2004 et de l’Union Européenne depuis 2007, la décennie d’attente pour rentrer dans l’Espace Schengen est source de frustration pour Bucarest, dont les citoyens ont toujours besoin de visa pour se déplacer au sein de ses frontières. Le parlement Européen avait, dés 2011, adopté une résolution faisant pression sur les politiciens pour qu’ils approuvent les candidatures roumaine et bulgare. En effet, le feu vert final revient au Conseil de l’Union Européenne et ses 27 pays. L’approbation d’un nouveau membre doit être entériné à l’unanimité. Un seul « non » peut effectivement geler l’ensemble du processus.

En 2011, l’Allemagne, la Finlande, la France, la Suède et les Pays Bas se sont opposés à sa candidature en raison de préoccupations liées au crime organisé, aux réformes judiciaires, et à la corruption, la Roumanie faisant partie des pays les moins bien classés des états  membres de l’UE dans l’indice de perception de la corruption rendu publique chaque année par Transparency International. Puis, la crise migratoire de 2015 provenant de la méditerranée et des Balkans est devenu l’enjeu principal pour Schengen, en éloignant encore Bucarest de ses espoirs d’admission. L’épisode COVID-19 avait pesé positivement dans la balance pour le pays, en raison du gel partiel des flux migratoires. Mais le 8 décembre 2022, c’est l’Autriche qui a posé son véto face à la Roumanie (et à la Bulgarie), estimant qu’elle accentuerait la hausse d’arrivée migratoire. Le ministre autrichien de l’intérieur Gerhard Karner  s’en plaignait le 9 décembre 2022: « Cette année, nous avons enregistré 100 000 passages illégaux à la frontière autrichienne, et c’est plus que suffisant ».

Les flux migratoires arrivés de la route occidentale des Balkans est effectivement un enjeu majeur pour l’Espace Schengen et ses pays . Frontex récence 140 000 entrées irrégulières dans l’UE depuis janvier 2022. Loin d’atteindre les 764 000 migrants enregistrés en 2015, cette situation a poussé l’Autriche et la République Tchèque à réintroduire des contrôles aux frontières, et a poussé la Commission Européenne à présenter un plan d’action pour tenter de réduire l’afflux par cette voie, comme elle l’a fait récemment pour la route de la Méditerranée centrale. Cette donc d’une main préoccupée par la situation migratoire, que le Conseil de la Justice et des Affaires Intérieures de l’Union Européenne s’est vue balayer la candidature roumaine.

LA GUERRE EN UKRAINE, UNE AUBAINE ROUMAINE ?

Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne marquée par la date clef du 24 février 2022, plus de 360 000 ukrainiens se sont rendu en Roumanie, et 82 000 sont restés (chiffres du 12/12/22). Partageant sa frontière est avec l’Ukraine, la Roumanie est un des derniers remparts avant les pays de l’Union Européenne. Sa non-appartenance à l’espace de libre circulation européenne constitue un obstacle sur la route des réfugiés ukrainiens. Si la vice-président Kamala Harris, en visite à Bucarest, constatait les efforts du président romain Klaus Iohannis dans son rôle en tant que membre de l’OTAN, les chefs d’état français, allemands et suédois ont également noté l’effort roumain pour protéger les frontières extérieures de l’UE et prouver sa légitimité à être dans l’Espace Schengen. La volonté de faciliter le trajet des grandes victimes de cette guerre russo-ukrainienne pourrait donc servir de laisser passer à la Roumanie, pour finalement être intégré à cet espace. Détournant le regard des problèmes endémiques de corruption nationale, les pays de l’Union Européenne pourraient décider d’ouvrir la porte aux 19 millions de roumains. Un nouveau véto quant à son admission serait alors sévèrement critiqué par les pays de l’OTAN et de l’UE, dont les yeux sont rivés sur les itinéraires des Ukrainiens. Déjà victime de boycott depuis son véto du 8 décembre, l’Autriche n’aurait alors d’autre choix que de resserrer les rangs derrière l’image de bienveillance et de terre d’accueil que souhaite renvoyer les institutions occidentales à l’égard de l’Ukraine, l’avancée roumaine, dont les débouchés restent à suivre, pause plus largement la question de l’impact de la guerre ukrainienne et de ses réfugiés sur le positionnement des institutions internationales et européennes vis-à-vis des Balkans, terre d’accueil mais surtout de passage des flux migratoires venant de l’Est.

L’EXPLORATION SPATIALE ET SES CONSÉQUENCES SUR LES RELATIONS INTERNATIONALES

L’EXPLORATION SPATIALE ET SES CONSÉQUENCES SUR LES RELATIONS INTERNATIONALES

Des années 50 aux années 80, le monde a vu Armstrong marcher sur la lune, le lancement d’une première station spatiale, l’envoi d’une première sonde sur Mars, les premières navettes spatiales, et le drapeau américain planté sur notre satellite lunaire. De la mission Spoutnik jusqu’à Apollo en passant par l’opération Persévérance, la seconde partie du XXème siècle à été marquée par une « course à l’espace » dans laquelle les puissance américaine et soviétique se sont affrontées. Si la fin de la guerre froide a marqué un désintéressement général du domaine spatial, plusieurs enjeux poussent les grandes puissances à revoir à la hausse leur budget consacré à ce domaine depuis le début du XXIème siècle, et ce, pour plusieurs raisons. Quels sont les nouveaux enjeux et les acteurs de l’exploration et de la conquête de ce lieu hautement symbolique ? Assiste-t-on à une course à l’espace 2.0 ? Et quelles en seront les conséquences ?

UNE COURSE A L’ESPACE 2.0

Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherches au CNRS, constate une augmentation quantitative et qualitative des moyens mis en place par les acteurs internationaux depuis les années 2000 pour obtenir le titre de « puissance spatiale » et rejoindre le « Club spatial » informel très fermé des puissances capables de lancer leur propre satellites, comptant une dizaine de pays. Si la France, dont le Centre National d’Etudes Spatial (CNES) est le plus gros contributeur de l’Agence Spatiale Européenne (ESA) grâce à la coopération européenne, elle ne se place qu’à la troisième place du podium avec un budget de 7,15 milliards d’euros en 2022, après la NASA et ses 24 milliards d’euros de budget, et la CNSA chinoise et ses 8,4 milliards d’euros. De son côté, l’agence spatiale russe ROCOSMOS, toujours capable d’assurer des lancements, voit son budget réduit à 2,5 milliards d’euros depuis le début de la guerre en Ukraine. Outre ces mastodontes, l’Inde, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l’Iran, et les Corées du Nord et du Sud, sont aussi capables d’assurer des lancements spatiaux. L’état des des forces en présence reste déséquilibré. En 2019, sur les 102 tentatives de lancement orbital, la Chine, les États-Unis et la Russie en ont réalisé 84 %, contre 8 % pour l’Europe, 6 % pour l’Inde et 2 % pour le Japon.

POLITIQUE ET ÉCONOMIE SPATIALE : PRESTIGE ET RESSOURCES

De son aspect symbolique à ses avantages très concrets, les raisons du regain d’intérêt pour le domaine spatial sont plurielles. Elle représente sur le plan idéologique, la vitrine de la puissance politique d’une nation, et lui permet ainsi de justifier aux yeux du monde, forte d’une puissance technologique suffisante pour accéder à ce domaine, la position dominante de son modèle politique et social. En termes de ressources, l’exploration spatiale promet la création d’une industrie et d’une économie fructueuse. La sonde chinoise Chang’e 1 avait confirmé dès 2009, la présence d’Hélium 3, une ressource au fort potentiel énergétique, sur la Lune. Plus généralement, l’espace regorge de minerais et de terres rares. Mars contient des réserves de cuivre, de nickel, de platine et de fer, et les astéroïdes gravitant autour des planètes les plus proches se sont avérés riches en or, en rhodium, ou en cobalt. La concentration en métaux rares y est jusqu’à 100 fois supérieure que sur terre. Le marché spatial pourrait alors représenter plus de 100 milliards de $ pour les industries d’ici 2050. Asteroid Mining Corporation, Planetary Resources et Deep Space se sont d’ailleurs déjà lancées dans la conception de machines capables d’extraire ces ressources.

ENJEU MILITAIRE, RENSEIGNEMENT ET OBSERVATION

Si l’espace peut servir d’alternative pour connecter le monde, pour l’Inde par exemple qui compte développer son réseau satellitaire pour étendre l’accès à internet de sa population, il représente aussi un enjeu militaire majeur. La maîtrise de l’espace extra-atmosphérique rend possible le déploiement d’un panel militaire et stratégique. De la navigation satellitaire, à la détection antibalistique, en passant par le guidage de drones ou de missiles, l’observation, l’écoute, ou la communication, ces éléments ont une place de plus en plus importante dans l’arsenal des armées modernes et au sein de la GEOINT (« Géopolitical Intelligence »). Chaque puissance dispose de son propre réseau. Le GPS américain, le GLONASS russe, le BEIDOU chinois, et le GALILEO européen se partagent les frontières et les territoires du monde.

L’ESPACE, REFLET DE LA GÉOPOLITIQUE TERRESTRE

Après la concurrence bipolaire russe des années 50, de nouveaux axes de rivalités et de coopération se sont mis en place sur terre et ailleurs… Dès le lendemain de la chute du mur de Berlin, la diversification des acteurs internationaux s’est accompagnée d’un développement du multilatéralisme dans le cosmos, qui reflète logiquement l’état de la géopolitique terrestre. L’importance des programmes spatiaux, japonais, indiens, coréens et iraniens sont proportionnels à leur influence sur la scène internationale. Le lancement de la sonde spatiale « Espoir » en orbite autour de Mars des Emirats Arabes Unis témoigne quant à elle, de leur montée en puissance. Sur terre ou dans l’espace, les difficultés européennes résidant dans la multiplicité de ses acteurs sont les mêmes. Les 11 milliards d’euros de budgets répartis dans le CNES français, l’Agence Spatiale Européenne, les projets spatiaux européens, les coopérations variées de constellations de satellites, et les différents projets nationaux, empêchent une avancée notable, qu’une centralisation pourrait faciliter. La Russie, quant à elle, lève de moins en moins les yeux vers le ciel. Elle conserve un rôle clef au sein de l’ISS et de la base Baïkour au Kazakhstan, qu’elle administrera jusqu’à 2050, mais les avancées les plus récentes son marquées par son absence et soulèvent des risques quant à son déclassement, notamment aux vues de la fulgurante avancée chinoise

FUTUR THÉÂTRE DE LA CONCURRENCE SINO-AMÉRICAINE

Avec un budget annuel de 50 milliards de $ en 2019, les USA restent les maîtres de l’espace, seul pays à pouvoir utiliser l’espace à des fins militaires de manière poussée, notamment grâce à la création de l’US Space Force sous le mandat Trump.Mais à force de méthode et d’efficacité, le budget chinois de 10 milliards de $  permet à Xi Jinping de rattraper son retard. En septembre 2011 Pékin lançait Tiangong 1 (Palais céleste 1)sa première station spatiale prototypale, le 3 janvier 2019, elle annonçait être parvenue à faire germer des graines de coton sur la lune, et en elle devenait en 2020, la 2ème puissance à planter son drapeau sur lune grâce à un robot. Le projet commun sino-russe d’une station lunaire concurrence directement celui de l’opération « Lunar Gateway » lancé par Trump et confirmé par Biden, visant à installer une station en orbite lunaire, en coopération avec le Canada et l’Europe. Quant au projet « Artémis » lancé le 16 novembre 2022, il remplace l’abandon du projet « constellation » de la NASA, et prévoit de refaire marcher un américain sur le satellite terrestre d’ici 2025. La lune est l’épicentre de la concurrence sino-américaine, mais les deux puissances regardent déjà au-delà. En février de l’année dernière, deux robots mobiles (« Rovers ») américains et chinois se sont posés sur Mars à quelque mois d’intervalle pour étudier son sol. Aussi, le livre blanc spatial chinois de l’année 2022 prévoir l’envoi d’un vaisseau sur la planète en 2028 et le déblocage d’un budget colossale dédié à l’exploration de Jupiter et de ses océans dés 2029. Elle pourrait ainsi rejoindre la mission JUICE de l’ESA (Europe Space Agency) et la mission « Clipper » de la NASA.

VERS LA GUERRE DES ÉTOILES ?

Certains territoires comme l’Ukraine, Taïwan ou le Donbass font l’objet de tensions géopolitique et son témoins d’affrontements. Certains s’inquiètent alors, au même titre, des conséquence de la dispute du territoire spatial. En 2017, le rapprochement d’un satellite russe de l’appareil franco-italien « Athena-Findus » dans un but d’espionnage était jugé hostile par les français, qui lançaient 4 ans plus tard, 3 satellites espions en réponse à cette menace. En juillet 2020 la Russie se voyait de nouveau accusée de tester des armes capables de cibler des satellites américains et anglais. Les conflits seront de plus en plus fréquents autour de la question spatiale, pourtant, une « guerre des étoiles » n’est pas non plus à prévoir. La destruction de satellites engendre des débris aux trajectoires incalculables capables de grands dommages. En revanche, la défense des installations terrestres réceptrices des informations satellitaires verront probablement leur défense renforcée face à leur importance stratégique.

DES EXCEPTIONS DE COOPÉRATION AU NOM DU PROGRÈS

Les acteurs internationaux adaptent de plus en plus leur jeu aux enjeux spatiaux, sachant parfois faire preuve de coopération au nom du progrès scientifique. L’ISS (Station Spatiale Internationale) rassemble américains, Russes, Canadiens et Japonais grâce à l’infrastructure aux 100 milliards de $. Les chercheurs s’accordent à prédire la « décennie prodigieuse » pour le secteur spatial, mais la multiplication par 10 d’objets en orbite d’ici 2040 soulignent l’urgence d’une règlementation.

LA QUESTION DES FRONTS PIONNIERS ET LA LÉGISLATION DE L’ESPACE

En 2022, la course à l’espace a donc bien repris, et dans cette compétition ou le principe du « winner takes it all » (« Le gagnant remporte tout ») semble s’appliquer, les acteurs de la communauté internationale se posent de plus en plus la question de la légifération du cosmos et des fronts pionniers, des territoire considéré comme inhabité, inoccupé ou inapproprié et convoité par une ou plusieurs sociétés humaines en raison de son espace et de ses ressources. Il est interdit pour tout acteur, depuis 1967, de s’approprier l’espace extra-atmosphérique. Le « Traité de l’espace » signé par 132 pays interdisant toute revendication de souveraineté, censé rendre l’espace ouvert à tous. Certains pays, comme le Luxembourg ou les Emirats Arabes Unis et leur 54 articles législatifs ont déjà établi une réglementation spatiale précise.  Mais en signant le « Space Act » en 2015, les USA d’Obama se retiraient de l’accord international, et le premier président afro-américain permettait aux entreprises américaines de s’approprier et de vendre les ressources extraites de l’espace.

PRIVATISATION DE L’ESPACE

La question de la privatisation de l’espace fait partie des enjeux majeurs de la prochaine décennie. Le recours aux entreprises privées dans le domaine spatial n’a rien de nouveau, Boeing et Lockheed Martin, fournisseurs de la NASA depuis 50 ans en témoignent. Ce sont en revanche ces nouveaux acteurs privés qui tentent d’imposer leur propre vision de l’espace et qui s’en donnent les moyens qui marquent une étape inédite. L’espace, comme de nombreux domaines, dépasse peu à peu les rivalités institutionnelles en devenant le lieu d’affrontement de puissants capitaux privés mondiaux, le terme de « New Sapce » désignant ce phénomène entrepreneurial, les agences Space X et Starlink du milliardaire Elon Musk, la filière Blue Origin de Jeff Bezos, Rocketlab, ou encore Virgin Gaalactic en sont les principaux acteurs. Parmi les projections des entrepreneurs dans cet espace plus si publique que l’on ne le voulait, on retrouve les projets de diffusion d’internet à haut débit, le maillage spatial qui pourrait atteindre 40.000 satellites d’ici 2023, ou les objectifs à court terme de tourisme spatial de Space X lancé par Elon Musk, à l’image du projet « Kuiper » de Jeff Bezos.

Toujours plus puissants, les acteurs privés sollicitent, collaborent, et influencent les institutions. La fusée Crew Dragon de Space X à récemment décollée pour une mission commerciale organisée par la startup Axiom Space, qui prévoit la création d’un hôtel raccordé à l’ISS d’ici 2024. Quant au financement de la société israélienne Spacell dans sa mission lunaire par Space X en 2019, il pose la question de l’indépendance des institutions face à leur redevances. Plus marquant, en 2019, le refus du satellite de Starlink de dévier sa trajectoire de celle d’un satellite de la Station Spatiale Européenne qui poussera cette dernière à dévier en catastrophe, illustre parfaitement l’influence sinon la domination croissante du domaine privé.

LE FUTUR DU DOMAINE SPATIAL

Reflet de la géopolitique terrestre dans ses acteurs, ses rivalités et ses enjeux, l’espace se profile aussi comme futur terrain de compétition économique. Comme tout nouvel enjeu, à l’instar des nouvelles technologies, ou des questions climatiques, son absence de réglementation scellera peut-être la domination de la puissance qui parviendra le mieux à l’exploiter, dans le domaine stratégique, notamment de la défense, de l’aéronautique, des technologies spécifiques aux lanceurs, de la surveillance, et des systèmes orbitaux.

LES ÉTATS-UNIS EN 2022, UN RECUL DE L’INFLUENCE AMÉRICAINE DANS LE MONDE ?

LES ÉTATS-UNIS EN 2022, UN RECUL DE L’INFLUENCE AMÉRICAINE DANS LE MONDE ?

« Je ne veux pas de seconde place pour les USA » lançait Barack Obama lors de son premier discours sur l’état de l’Union en janvier 2010. Voilà quelques mots qui résument à la perfection l’horizon stratégique des USA de la fin des années 1990 à aujourd’hui. Le pays se donne les moyens de conserver son hégémonie en dépit de celle des autres. L’ancien Secrétaire d’État remarquait : « Dans la première moitié du XXème siècle, les USA ont mené deux guerres pour empêcher la domination de l’Europe par un adversaire potentiel… Dans sa seconde moitié, à partir de 1941, ils ont ensuite mené trois guerres pour revendiquer le même principe en Asie, contre le Japon, en Corée et au Vietnam ». 

Ayant pour but de creuser l’écart entre ses concurrents russes et chinois, Washington n’a pas lésiné sur les moyens. Pourtant, le discours de l’ancien président Donald Trump « Make America Great Again » annonçait déjà de manière contradictoire la volonté de retrouver une situation et une influence égale à celle de leur âge d’or, celle de leur apogée, en 1950. Les USA se relèvent toujours des crises qui les secouent. Ils restent, comme expliqué précédemment, une puissance militaire indéniable et se placent du côté des vainqueurs de la globalisation, mais font pourtant de plus en plus défaut à leur rôle de puissance stabilisatrice, garante de l’ordre mondial.

UNE PERTE D’INFLIENCE DEPUIS LES ANNÉES 2000

La perte d’influence des États-Unis se fait sentir depuis le début des années 2000. Les attentats de 2001 et ses 3000 morts ont été considérés par beaucoup comme le symbole de la perte de la toute-puissance que Washington avait acquise à la fin de la guerre froide. Ensuite, la politique isolationniste et le désintéressement de Trump pour la politique étrangère ont remis en cause des pans entiers du soft power américain et de son influence au-delà de ses frontières. Plus récemment, le retrait de l’armée américaine d’Afghanistan vient s’ajouter aux échecs de Joe Biden dans le Golfe qui à du faire face au refus du prince Mohamed Ben Salman quant à l’augmentation de sa production de pétrole. On compte aussi parmi les échecs de la politique étrangère américaine, sa perte d’influence en Amérique Latine suite au Boycott du président mexicain Andres Manuel Lopez Obrador du sommet des Amériques du 8 juin 2022, en réaction à l’exclusion de Cuba des dialogues, jugés injustes par une partie de la communauté internationale. Aussi, le retrait des Etats Unis de l’accord iranien sur le nucléaire et sa réduction des financements de l’OTAN ont privé le pays d’outils coopératifs nécessaires à l’endiguement de ses concurrents russes et chinois.

LA CHINE, UN NOUVEAU CONCURRENT

La Chine défie de plus en plus les USA au sein des organisations internationales. Si elle ne fait pas partie de l’OTAN, elle reste le deuxième contributeur au sein de l’ONU, organisation au sein de laquelle plusieurs observateurs remarquent la tendance trop importante des fonctionnaires chinois nommés à se comporter comme des instruments du pouvoir chinois. L’Empire du Milieu est aussi parvenu à placer l’un de ses ressortissants à la tête de chacune de ces quatre agences spécialisées des Nations unies : l’Union internationale des télécommunications, l’Organisation de l’aviation civile internationale, l’ONUDI (pour le développement industriel), et la FAO.

Au Moyen-Orient et en Amérique Latine aussi, la Chine séduit les alliés traditionnels américain en intensifiant les partenariats économiques avec Riyad et en signant de nouveaux accords dans les domaines agricoles, aéronautiques, nucléaires et pétroliers, avec le Brésil, le Chili, l’Argentine et le Venezuela. Elle coopère également avec Israël dans le domaine militaire et vient donc menacer sa relation privilégiée avec Washington. Son avancée diplomatique fulgurante en Afrique dans les anciennes colonies européennes renforce ce nouveau sentiment d’encerclement de l’occident. Il y a 10 ans, la dette de l’Afrique à l’égard de la Chine était minime. Aujourd’hui, alors que Pékin y multiplie les investissements via son gigantesque programme des Routes de la Soie, elle est d’environ 140 milliards de dollars. Le Nigéria, le Soudan ou l’Angola ont également su tirer profit des investissements chinois dans l’exploitation, le raffinage et le transport d’hydrocarbures. Depuis 2010, la Chine, bien décidée à entrer en concurrence directe avec les grandes puissances moniale, se lance dans la construction de semi-conducteurs ainsi que dans l’ingénierie aéronautique, nucléaire et spatiale. Elle ira, après avoir finit l’assemblage de la « Grande Station Modulaire Chinoise », jusqu’à annoncer la création d’une base lunaire d’ici 2030. Quant à son projet des nouvelles routes de la Soie lancé en 2013, il permet, malgré quelque contestation, d’étendre à leur tour l’influence chinoise par des vois maritimes et ferroviaires allant jusqu’à l’Europe, et passant par le Kazakhstan, l’Allemagne, Djibouti, la Somalie, ou encore par la Biélorussie, la Pologne, empiétant ainsi sur les anciens territoires faisant partie de la chasse gardée russe : un autre puissance concurrente des États-Unis, au moins en terme de zones d’influences.

POUTINE, L’HÉRITIER DU BLOC DE L’EST

La Russie entreprend depuis les années 2000 de renforcer son potentiel militaire et politique, notamment via le développement d’armes stratégiques offensives. Plus récemment, le conflit en Ukraine et la pénurie mondiale d’hydrocarbures a permis à la Russie de contraindre ses opposants à tendre l’oreille quant à son cahier des charges. Vladimir Poutine ne cherche pas non plus à cacher le chantage énergétique qu’il inflige aux pays sortis de son giron, et adopte des positions diplomatiques, notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies, de moins en moins conciliantes avec les intérêts américains. Quant aux sanctions imposées à la Russie par l’Union Européenne et les puissances du G7, le prix plafond sur le pétrole russe et son embargo peinent à réduire la manne financière de la Russie. Présente en Afrique où elle use de moyens irréguliers et extralégaux pour étendre son influence, notamment en déployant mercenaires, désinformation, ingérences électorales, soutien aux coups d’État, et accords d’échanges d’armes contre des ressources, Moscou a obtenu de 25 des 54 pays africains l’abstention lors des votes de l’assemblée générale de l’ONU en mars dernier pour condamner son invasion en Ukraine. Aussi présente au Moyen-Orient, où elle prétend au nouveau titre presque vacant de gendarmes du monde, la Russie comble le vide laissé par l’Oncle Sam dans la Syrie de Bachar El-Assad. Elle renforce ses liens avec l’Iran d’Ebrahim Raïssi grâce à des contrats de vente d’arme, et obtient, de manière plus générale, une certaine discrétion et une prudence diplomatique de plusieurs pays arabes quant à la condamnation de ses opérations militaires. Vladimir Poutine parviendra même à faire douter quelque temps l’Allemagne du social-démocrate Frank-Walter Steinmeier quant à son alignement sur les sanctions internationales, parfaitement conscient des avantages énergétiques que représentait le projet Nord Stream 2.

UNE CIRSE PASAGÈRE OU LE DÉBUT DU DÉCLIN POUR LES USA ?

Avec la remise en question de ses institutions suite à l’assaut du Capitol le 6 janvier 2021, et les velléités d’indépendances Latines et Moyen-orientales, les USA ont de quoi se remettre en question. Les progrès techniques et technologiques chinois en termes d’armement progresse à une vitesse fulgurante. De leur missile hypersonique, à l’avion de 5e génération J-35, en passant par les drones furtifs, ou l’augmentation du nombre de navires de la marine, Xi Jinping fait de plus en plus obstacle à la suprématie américaine, qui conserve tout de même un PIB bien supérieur à la Chine (21 000 milliards de $ contre 15 000 milliards de $), qui lui permet d’investir près de 500 milliards de $ de plus que sa concurrente dans le domaine militaire (780 milliards contre 300 milliards pour les chinois).

VERS UNE RECONFIGURAITON DE L’ORDRE MONDIAL

La guerre en Ukraine a finalement permis aux Etats Unis de procéder à la réunification et à l’élargissement de l’OTAN, et de montrer les muscles sur le vieux continent en y envoyant 100 000 soldats, une première depuis 2005. Pourtant, il est possible de deviner l’avènement d’une nouvelle configuration de l’ordre mondial, d’une modification des rapports de force, et de l’avènement de nouveaux axes fédérateurs impliquant une nouvelle polarisation du monde autour d’oppositions et de clivages inédits, au regarde de ce bilan de l’étendue variable de l’influence américaine. Le paradoxe est qu’aujourd’hui, les États-Unis ne cherchent plus, pour des raisons internes plutôt qu’externes, à laisser libre cours au déploiement de leur puissance. Ils semblent se dédouaner de leur rôle de gendarme mondial. Ce mélange complexe d’interventionnisme retenu et d’une nouvelle tendance isolationniste laisse place à une reconfiguration de l’ordre mondial.

Comme semblait l’annoncer le rapport récemment paru du NIC sur l’état du monde en 2040, les instances internationales ont tendance à être négligées. Pour autant, le États-Unis ne s’impose pas non plus comme centre névralgique des décisions et des impulsions politiques occidentales. Ils ne s’effondrent pas non plus, et il n’est pas prévu qu’ils soient relayés au second plan. Mais ils devront apprendre à partager leur leadership avec les pays de l’Union Européenne pour faire face à la concurrence orientale et asiatique, en se référant par exemple à l’élan coopératif que la crise ukrainienne a engendré. Au regard de ces évènements et de ces nouveaux défis, on devine une nouvelle polarisation mondiale. Deux nouveaux blocs s’érigent : celui de la démocratie et des valeurs occidentales, et celui qui préfère l’efficacité dans la gouvernance plutôt que la démocratie, composé de régimes souvent autoritaires qui s’opposent aux valeurs occidentales. C’est donc au sein de ce premier axe que les USA devront peut-être s’impliquer en en devenant un composant essentiel, sans pour autant en être le leader incontesté et tout-puissant. Peut-être alors que la clé de cette coopération, dans un objectif de défense des intérêts communs occidentaux et démocratiques, réside dans la valorisation et la promotion d’organes internationaux, permettant la prise de décision commune et le ralliement de nouveaux acteurs, capables de fédérer, et d’être dirigés par plusieurs pays, sur les mêmes principes que l’ONU ou l’OTAN.

UNE HISTOIRE DE L’APARTHEID, DU PROBLÈME RACIAL AU PROBLÈME SOCIAL

UNE HISTOIRE DE L’APARTHEID, DU PROBLÈME RACIAL AU PROBLÈME SOCIAL

En 1948, au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le gouvernement sud-africain mettait en place l’Apartheid : une doctrine d’État séparant la population en deux groupes : les blanc et les noirs. Jusqu’au 30 juin 1991, cette politique de ségrégation à dicté la vie des 28 millions de Sud-Africains noirs et métisses qui ont du faire face à la misère, la discrimination et la violence, au profit des 4 millions et quelques de blancs, descendants des premiers colons néerlandais et européens arrivés par bateau 3 siècles plus tôt.

Le régime de l’Apartheid est aboli depuis maintenant près de 30 ans, notamment grâce à la figure emblématique du président Sud-Africain en fonction de 1994 à 1999, celui qu’on surnommait « Madiba », Nelson Mandela. Malgré son abolition, les cendres de ce régime de ségrégation raciale brulent encore le peuple Sud-Africain, qui souffre encore de nombreux maux.

La mise ne place du régime de l’Apartheid

Instituée par le Parti National (PN) de Daniel François Malan en 1948, l’apartheid, « séparation » en afrikaans, à systématisé les pratiques des premiers colons néerlandais du 17ème siècle. Ce régime se veut l’aboutissement institutionnel d’une pratique jusque-là empirique de ségrégation raciale. En reprenant les bases instaurées par la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales de 1652, les « néo-colons » Sud-Africains théorisent le « Baasskap » qui établit un rapport hiérarchique de maître (Blancs) à serviteur (Noir), ou encore le « Colour Bar Act » qui précède l’apartheid en réservant des post plus avantageux aux blancs. Malgré la prise de conscience de la population majoritaire de sa condition, et de la création de l’African National Congres (ANC) en 1912, les revendications restent impuissantes face au gouvernement suprémaciste.

Beaucoup moins nombreux que ceux qu’ils écrasent, les blancs établissent des lois, que l’Historien Giliomee expliquera par la crainte des « Afrikaners » d’être engloutis par la masse des peuples noirs. La minorité privilégiée, obsédée par sa survie ou peut-être juste par son règne, impose des lois rigides qui finissent par opposer sur un même territoire, une population sur développée, à une société de subsistance. Les noirs n’ont ni le droit de vote, ni de s’assoir sur les mêmes bancs. Ils ne montent pas dans les mêmes bus, ne vont pas dans les mêmes écoles, n’ont pas accès aux mêmes services, aux mêmes soins. Ils sont parqués dans des états fantômes. La ségrégation raciale, est aussi géographique.

A partir du 21 mars 1960, il devient impossible pour les Noirs de se déplacer en zone blanche sans porter une autorisation. Cette « Loi du Pass » déclenche alors une manifestation pacifique à Sharpeville, au cours de laquelle la violence de la police, tirant à balle réelle, marquera les esprits révoltés :  69 morts et 200 blessés et plusieurs centaines d’incarcérations, dont celle du futur président Nelson Mandela.

Les révoltes et leur internationalisation

Les manifestations terriblement réprimées de Sharpeville en témoignent, un tel régime soulève inévitablement des protestations. L’interdiction de l’ANC et de la PAC (Panafrican Congress), deux mouvement noirs anti-apartheid, pousse les militants vers la clandestinité. L’ANC prends alors les armes sous l’impulsion de Mandela, qui sera condamné à la prison à vie en 1964.

Les contestations du régime Sud-Africain débordent de plus en plus des frontières nationales et ethniques. De nombreux blancs britanniques ou catholiques s’y opposent dès le début des années 70, et la communauté internationale use de son influence pour faire pression et les sanctions de l’ONU (1962) poussent le Premier ministre de l’époque, Hendrik Verwoerd à déclarer l’indépendance de l’Union Sud-Africaine. Assi, les déclaration d’indépendances de l’Angola en 1975 et du Mozambique la même année, renforcent le nationalisme noir tout en affaiblissant le pouvoir en place. Les manifestations de la jeunesse noire à Soweto en 1976 dont la violente répression causera 575 morts et le combat pacifique de la nouvelle figure de la lutte anti suprémaciste Nelson Mandela, font pencher l’opinion international.

L’abolition de l’apartheid

Dans les années 80, le système de l’apartheid se fissure. Certains blancs d’Afrique du Sud commencent à enquêter eux même sur les sévices du régime en place et les différents crimes racistes. Le président de l’époque, Pieter Botha, supprime quelque loi ségrégationniste dans les lieux publiques, concernant le « passeport de couleur » ou l’accès des noirs à l’emploi, tout en maintenant sa politique « by white and for white » (« par les blancs et pour les blancs »). En 1984, l’autorisation de l’accès aux métisses et aux asiatiques au parlement ne fait qu’attiser la colère de la majorité noire et de l’opposition. Les grèves, manifestations, discours et révoltes contre le gouvernement se multiplient, et en 1985, les sanctions économiques des pays partenaires de la République d’Afrique du Sud font sombrer le pays dans un désordre politique et social qui poussera les autorités à déclarer l’état d’urgence.

Dans ce chaos, une seule issue possible : abolir l’apartheid. C’est ce que le président Fredrik de Klerk entreprendra en supprimant la totalité des mesures sous la supervision de l’ANC, redevenu légal. Après 27 ans de prison, Nelson Mandel est libéré en 1990 et élu aux premières élections multiraciales en 1994. Il s’impose auprès de la communauté internationale comme le symbole de l’égalité raciale. En 1997 enfin, une nouvelle constitution reconnait l’égalité des droits entre tous les citoyens Sud-Africains, peu importe leur couleur

Du problème racial au problème social

Après 50 ans d’injustice, l’apartheid est enfin aboli. Pourtant, les années de ségrégation raciale restent profondément ancrées dans les mentalités. Avec Mandela à sa tête, premier représentant de la majorité noire, le pays entreprends un processus de réconciliation nationale et internationale et met en place la « commission vérité et réconciliation » pour clarifier les torts, les crimes, et les injustices commises pendant l’apartheid. Mais si les inégalités raciales s’estompent, les inégalités sociales restent bien difficiles à combattre. Presque 30 ans après la fin de l’Apartheid, le pays est en proie à l’injustice, à la pauvreté, et reste divisé sur des critères raciaux. Il occupe la triste place de pays le plus inégalitaire sur des critères économiques selon la Banque Mondiale. Le chômage, qui atteint les 30% en 2021, connait un écart de 63% entre les blancs et des noirs. 15% des Sud-Africains n’ont pas accès à l’électricité et une partie de la population n’a toujours pas accès à la santé de manière décente, et le taux de féminicide y est 5 fois plus élevé que la moyenne mondiale. L’ANC, toujours au pouvoir et rongé par une corruption endémique qui entrave toute réforme économique ou politique, est de plus en plus critiqué par la population et par la communauté internationale. Le pays fait face à de graves problèmes structurels qui impliquent une mauvaise gestion des entreprises. La fragilité des compagnies nationales comme ESKOM , fournisseur d’énergie, fait peser des risques important de surendettements et menace l’activité économique Sud-Africaine et les finances publiques, dont l’état est déjà préoccupant. L’économie n’étant pas en mesure de créer suffisamment d’emplois, la recherche d’une croissance inclusive reste difficile aborder, faisant de l’Afrique du Sud l’une des sociétés les plus inégalitaires au monde ;

Quel avenir pour l’Afrique du Sud ?

S’il veut sortir son pays de sa torpeur, le prochain président Sud-Africain devra rapidement s’atteler à endiguer la corruption tout en promouvant une croissance inclusive. La lutte contre le chômage et le redressement des finances publiques en est une étape indispensable à la réduction de la pauvreté et des inégalités non plus basées sur des critères raciaux, mais sociaux

L’OTAN : UNE UNION ATLANTIQUE CONTRAIGNANTE ?

L’OTAN : UNE UNION ATLANTIQUE CONTRAIGNANTE ?

Thucydide a dit peu avant sa mort « L’équilibre de la crainte est la seule garantie d’une alliance ». Alors l’OTAN, né de la peur d’une invasion soviétique de l’Europe de l’Est a-t-il toujours lieu d’être dans ce monde multipolaire? Comment fonctionne l’OTAN au lendemain de la guerre froide, privé de son but premier ? Est-il devenu le symbole d’un déséquilibre flagrant dans la coopération transatlantique entre l’Europe et les USA ? Comment et pourquoi est-il devenu une organisation si contraignante que la puissance américaine s’en désintéresse ?

Ce sont autant de questions complexes que cet article tente d’élucider.

L’INSTRUMENT DE L’HÉGEMONIE

L’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) est une alliance politique et militaire dont le siège est à Bruxelles. Elle réunit 30 pays d’Europe, D’Amérique du Nord, et la Turquie, pays proche-oriental, et est placé sous l’autorité d’un comité militaires composé des chefs d’état majors des pays membres. Ces derniers organisent leur défense et coopèrent dans les domaines politiques et sécuritaires dans un but d’assistance militaire mutuelle en cas d’agression.

CRÉÉ DANS UN CERTAIN CONTEXTE

Doté de lourds moyens opérationnels, l’origine du Traité de l’Atlantique Nord, synonyme de la puissance et de la coopération occidentale, remonte au 4 avril 1949, lorsque 12 pays dans un contexte d’Europe en ruine et incapable de se prémunir contre une attaque soviétique, décident de s’unir, tout en se plaçant sous l’aile protectrice de l’Oncle Sam et de son Plan marshal. « Une attaque portée contre l’un des pays membres est considéré comme une attaque contre tous » déclarait le président américain Truman s’adressant indirectement à Gorbatchev, auquel il s’opposait en tout point, dans ce monde bipolaire d’après-guerre.

Jusqu’à l’éclatement du régime soviétique en 1991 et de son pacte de Varsovie créé en réponse à l’OTAN, l’organisation avait pour unique but de dissuader l’URSS de toute expansion vers l’Europe de l’Ouest.

L’OTAN POST GUERRE-FROIDE :

Incapable de se fonder sur la crainte de la menace communiste depuis son effondrement, et sans nouvelles menaces comparables émergente, l’OTAN voit son existence menacée, mais survit à la disparition du Bloc de l’Est. Si en 1989, le secrétaire d’état James Baker avait recommandé de modifier les fonctions de l’OTAN en reflétant l’évolution géopolitique européenne, c’est bien la volonté de conserver le lien le plus visible de la coopération transatlantique sous sa forme institutionnelle qui l’emportera. Les divergences de points de vue entre ses partenaires sur les décisions de l’OTAN s’effacent devant le socle de valeur et d’intérêts communs dont ils font preuve. Au lendemain de la chute du mur, l’organisation s’étends donc à des missions de gestions de crises et de maintien de la paix en diversifiant ses moyens d’action au-delà de ses frontières. Les pays attaché à la souveraineté comme la Chine, la Russie ou l’Inde, le voient d’un mauvais œil.

DE NOMBREUSES MISSIONS ÉXÉCUTÉES

L’OTAN s’est impliquée dans la deuxième guerre du golfe en 2003, a apporté son aide aux victimes du terrible tremblement de terre au Pakistan et de l’ouragan Katerina en 2005

Il a aussi montré son soutien au peuple Libyen en 2011 et s’est opposée au dictateur Kadafi en instaurant des embargos, des zones d’exclusions aériennes et en commandant des frappes aériennes et navales contre les troupes du régime, condamné pour violation flagrante et systématique des droits de l’Homme.

DE NOUVEAUX OBJECTIFS ET MISSIONS EN COURS

Encore aujourd’hui, l’OTAN déploie ses forces militaires et diplomatiques de bien des manières, dans plusieurs missions en cours.

Les 3700 soldats des pays membres déployés au Kosovo ont pour mission d’instaurer un environnement sûr, de veiller au maintien de l’ordre et de faciliter un dialogue avec la Serbie tout en appuyant des actions humanitaires. En Méditerranée, des moyens contre le terrorisme international sont déployés depuis 2001 sous le nom de l’opération « Endeavour », remplacée depuis 2016 par les « Sea Gardiens ». En Irak, la « Mission Otan Irak » tente progressivement de remplacer les institutions et les forces de sécurité irakiennes depuis 2018. Enfin, l’OTAN soutien fermement l’Union Africaine. Il offre son aide au Soudan en 2005, à la Somalie en 2007, et soutient la Force Africaine (FAA) en lui fournissant des experts et formateurs dans le domaine militaire.

Ainsi, l’OTAN promeut peu à peu des valeurs démocratiques et développe son aspect diplomatique en mettant un point d’honneur à régler pacifiquement les conflits. Depuis la fin des années 1990, l’OTAN se concentre sur la lutte contre le terrorisme, contre les cyber-attaques, le secours aux populations en danger, la conservation de son intégrité territoriale, et plus récemment, contribue aux efforts déployés par le secteur civil pour lutter contre la pandémie dans les états membres.  Alors que la « chute du mur » menaçait son existence, on observe chez l’OTAN une accélération de la cadence des opérations ainsi que leur diversification et une augmentation de la participation d’autres pays membres que les Etats Unis.

Cependant, un déséquilibre frappant persiste entre la puissance américaine et les autres pays au sein de l’Union. Aussi, l’augmentation du nombre de ses membres et son fameux article 5 sont autant d’objection contraignantes au bon déroulement de la coopération entre ses membres.

UN ORGANISATION CONTRAIGNANTE ET DÉSÉQUILIBRÉE :

LA SUPRÉMATIE AMÉRICAINE

Selon le site officiel de l’OTAN, depuis les années 2010, les USA participent à hauteur d’environ70% du budget de l’organisation. Elle dépense 683 milliards de $ en 2017 (72% du budget).

A la manière d’un actionnaire qui détient la majorité des parts d’une grande entreprise, le géant américain s’est vu lancer des opérations à plusieurs reprises sans l’avale de l’OTAN, ou pire, malgré la désapprobation d’autres organisations partenaires comme l’ONU.

En 1999, Bill Clinton lance une opération aérienne au Kosovo, après l’échec de la voie diplomatique. Les USA s’emparent du rôle du siège de l’Organisation à Bruxelles et lancent des frappes aériennes que les européens ne peuvent que désapprouver politiquement.

La même année l’Intervention de l’OTAN lancée sans l’autorisation de l’ONU en Serbie se couronne par des frappes aériennes « accidentelles » sur l’ambassade de chine à Belgrade. Le chef d’état-major américain à l’origine de cette attaque aurait oublié de prévenir ses homologues…

En 2003, c’est la présence d’armes de destructions massives en Irak qui aura suffit de prétexte à l’administration américaine pour agir sans mandats onusiens et contre la volonté de l’Allemagne, de la Russie et de la France, qui refusaient catégoriquement une opération contre Saddam Hussein

Face à cette indépendance américaine autoproclamée au sein de l’organisation, l’Europe constate malgré-elle la trop grande puissance des USA et la trop faible indépendance du vieux continent dans l’OTAN.

L’IMPERATIF D’UNE AUTONOMIE EUROPÉENNE

Si ce rapport de force n’était pas problématique dans le monde bipolaire de la guerre froide, cela l’est lors de conflits de faible ampleur, où les intérêts et risques européens ont aussi leur importance. Il est alors devenu impératif pour l’Europe de renforcer ses propres forces militaires et décisionnelles. Le président Emanuel Macron s’est fait le chantre d’une souveraineté européenne aux contours flou qu’ils s’est efforcé d’appliquer lors de sa présidence au Conseil de l’Union Européenne. Synonyme d’indépendance, la souveraineté européenne et seulement européenne est vue d’un mauvais œil par certains des pays membre de l’OTAN. Varsovie porte un regard inquiet sur l’avancée russe en Ukraine, et ne trouverait aucun intérêt à ce que les USA négligent la défense de l’Europe.

Malgré les réticences polonaises à le reconnaitre, l’OTAN rencontre plusieurs difficultés. Fervent défenseur d’une Europe souveraine, le président français avait marqué les esprits en déclarant le 8 novembre 2018 devant les journalistes de The Economist, la « Mort cérébrale de l’OTAN ».

L’OTAN « EN ÉTAT DE MORT CÉRÉBRALE » ?

Il dénonçait le manque de coordination entre les USA et l’Europe ainsi que le comportement unilatéral de la Turquie lors de l’épisode syrien, et appelait à clarifier les stratégies de l’OTAN pour muscler sa défense. Malgré l’importance de la Turquie, seul pays musulman dans l’organisation certains de ses comportements restent « indignes du traité ». L’achat d’Erdogan de missiles S-400 à la Russie et son chantage envers la suède sur son prétendu laxisme envers les réfugiés Kurdes   qu’elle refuse d’extrader vers Ankara interrogent sur l’unité de l’OTAN.

« Si Bachar al Assad attaque la Turquie, vas-t-on réellement s’engager auprès d’Erdogan ? » Demande E. Macron aux journalistes du monde en 2019.

Les membres de l’OTAN étaient originellement 12 à discuter défense et sécurité. Aujourd’hui,  l’organisation compte 30 membres. Mais en vu de ces désaccord, l’expansionnisme américain aurait-il été contre-productif ?

30 PAYS AUX INTÉRÊTS DIFFÉRENTS

En 1999 la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque, s’ajoutent volontairement, à l’inverse du pacte de Varsovie, à la liste des états membres de l’OTAN. C’est ensuite en 2004 que sept autres pays rejoignent l’organisation : la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie, et la Slovénie, suivis de l’Albanie et de la Croatie en 2009.

L’ajout de ces membres rends les prises de décisions communes bien plus complexes comme on l’a vu avec la Turquie et la Suède. Un consensus total est impossible. C’était déjà le constat du secrétaire général de l’OYTAN Lord Robertson à l’époque de « l’OTAN des 19 » : « Finalement, nous avons dû accepter le fait qu’un consensus entre les membres de l’OTAN était impossible, non par caprice mais du fait des différences politique de fond » expliquait-il au sujet de l’intervention en Irak.

Ces commentaires européens sur la dégradation de l’unité de l’OTAN poussent à s’interroger sur la pierre angulaire du traité : son fameux article 5

L’ARTICLE 5 : LA PIERRE ANGULAIRE DE L’OTAN

Il stipule que lors d’une attaque armée contre un pays de l’OTAN, l’alliance considère cet acte de violence comme une attaque armée dirigée contre l’ensemble de ses membres et prendra donc les mesures nécessaires pour venir en aide au pays attaqué. Une règle bien contraignante qui sous-entend que chaque membre devra se ranger du côté de la Turquie en cas de conflit, peu importe l’autre belligérant.

Cet article, et plus généralement la politique générale de l’OTAN sous entends une entre-aide et une communication permanente entre les états membre, et des concessions au profit d’un consensus et d’accords communs. Une politique très contraignante pour le peu d’avantages qu’elle apporte aux yeux des USA

LE DÉSINTÉRÊT DES USA

« L’épisode Kosovo » avait semé une certaine méfiance chez les hauts fonctionnaires américains.

L’opposition européenne et sa politique de limitation quant aux dommages collatéraux d’un attaque aérienne avaient été perçues comme une volonté de contraindre les forces militaires américaines et avait affaiblit la confiance de l’Oncle Sam dans l’Otan.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les USA refusent les premières aides européennes dans la lutte contre le terrorisme. Si certains l’ont perçu comme une revanche du Kosovo, il est bien plus probable que ce soit là l’expression publique d’une stratégie de réponses aux nouvelles menaces terroristes. Affranchie de l’OTAN, les USA retrouveraient une liberté d’action dans leur intervention, renoueraient avec leur passé placé sous joug de la « Manifest Destiny » et en reviendraient à leur « politique naturelle »

LA POLITIQUE NATURELLE DES USA

Si les USA avaient mis de côté leur méfiance envers tout engagement permanant à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, il est bon de rappeler qu’il est dans la nature politique du pays de rester libre de toute action. En 1796, le Président Washington exprimait publiquement ses réticences à s’engager dans un accord de défense systématique et contraignant. « L’illusion d’un intérêt commun ne peu berner longtemps les américains » disait-il peu après l’indépendance américaine. En 2004 c’est d’ailleurs le seul point sur lequel s’accordaient démocrates et républicains dans leur campagne : le besoin de rester libres.

D’UNE ALLIANCE À UNE SIMPLE COALITION ?

L’inégalité des moyens militaires et économiques donne plus de poids aux arguments américains, mais l’alliance permanente impliquant un partage décisionnel constant présent que trop peux d’avantages militaires comparé aux inconvenants politiques pour les USA.

L’idée d’une alliance souple plaisait déjà à l’administration Bush, qui proposait une interprétation assez libre de l’article 5 et avait tendance à considérer l’OTAN non comme une alliance à laquelle ont fait sans-cesse recours mais comme une coalition. Le président avait d’ailleurs imaginé la construction d’un modèle de défense adaptable à chaque crise proposant un « modèle à la carte » selon ses mots. Cette nouvelle forme de coopération de « circonstance » se rapprocherai du fonctionnement de l’OTAN lors de son implication en Iraq. Cette volonté de transformation de l’alliance en une coalition de circonstance témoigne de l’évolution profonde et réfléchie des USA concernant les aspects contraignants de l’OTAN.

L’OTAN et sa « mort cérébrale » présente assez d’inconvenants pour que les USA veulent en changer la forme. Et si le président Trump, utilisait l’OTAN pour distribuer des bons et mauvais points en se servant de sa présidence hégémonique, il a aussi participé à dégrader la coopération au sein de l’organisation. La situation critique de l’OTAN inquiète les membres du traité, et les nouveaux membres arrivants qui bénéficient d’une protection garantie et ne trouvent que des désavantages dans une alliance « souple ». Heureusement, plusieurs causes engendrent une renaissance stratégique au sein de l’OTAN, voici les principales.

UNE RENNAISSANCE STRATÉGIQUE

LE MANDAT BIDEN

Le 46e président des Etats Unis Joe Biden relance les processus de coopération de l’organisation et assite au premier sommet en juin 2021. Les USA conservent leur rôle de protecteurs, et ne comptent pas faciliter l’indépendance militaire et stratégique européenne, mais garantissent leur implication dans l’Organisation, affirment vouloir conserver cette alliance et acceptent le rôle de médiateur pour clarifier les relations avec la Russie.

L’OTAN voit ses structures renforcées et deux nouvelles menaces, inédites depuis la fin de l’ère soviétique éveillent des instinct de solidarité chez les pays membres.

LE NOUVEAU DÉFI CHINOIS

Pour la première fois dans son histoire, l’OTAN prends la Chine pour cible lors du sommet de Madrid le 30 juin 2022. Il la définit comme un « défi pour sa sécurité future ». « Les ambitions de la Chine et ses politiques coercitives défient nos intérêts, notre sécurité, nos valeurs » conclut l’OTAN dans un document baptise « Concept Stratégique ».

L’AUBAINE DE LA GUERRE EN UKRAINE

Aussi, l’OTAN est une organisation défensive, donc incapable d’attaquer directement la Russie en réponse à son invasion en Ukraine. Pourtant, les prévisions de Vladimir Poutine quant à la « désintégration prochaine de l’OTAN » se sont avérées fausses. La guerre russo-ukrainienne à eu pour effet de resserrer les rangs derrière Washington dans le renforcement des positions de l’organisation sur son flanc Est. L’OTAN se dit d’ailleurs prêt à accueillir la Suède et la Finlande et montre ainsi son impassibilité face aux menaces russes.

UNE COHÉSION RENFORCÉE FACE AUX NOUVELLES MENACES DE L’EST

L’OTAN est passé par de nombreuses crises et ses membres ont vu son institution et sa forme menacée de disparaitre. Le gouffre entre l’Amérique et l’Europe à déséquilibré pendant un temps les relations transatlantiques occidentales. Et le désintérêt des USA quant à cette organisation à poussé les européens à se questionner sur leur indépendance stratégique, militaire et politique. Malgré ces difficultés, l’émergence de menace chinoise et la réaffirmation de la puissance russe marquent un nouveau tournant dans un monde devenu multipolaire. Les USA sont poussés à constater l’importance d’une coopération transatlantique pour faire face à Moscou, à Pékin, et à leur partenariat stratégique approfondis et leur tentative mutuelle de « miner l’ordre international basé sur des règles pré-établies ».

LA FIN DE L’ACCORD SUR LE NUCLÉAIRE : QUELLES CONSÉQUENCES ?

LA FIN DE L’ACCORD SUR LE NUCLÉAIRE : QUELLES CONSÉQUENCES ?

16 mois. Du 14 juillet 2015, lors de la signature de l’accord de Vienne, jusqu’à l’élection du président Donald Trump le 8 novembre 2016. C’est la période pendant laquelle l’accord sur le nucléaire aura donné de l’espoir à la population iranienne et à la communauté internationale.

« Ma priorité numéro un est de démanteler cet accord désastreux avec l’Iran » déclare Le 45e président des Etats-Unis, une semaine après son investiture en prévoyant de se retirer du pacte qui avait nécessité 15 ans de négociations pour être ratifié.

Pourquoi et par qui l’accord de Vienne a-t-il été signé, et en quoi était-il synonyme d’amélioration des relations entre l’Iran et l’Occident, pourquoi les États-Unis se sont-ils retirés de cet accord et quelles furent les conséquences de ce désistement ? Un rappel historique s’impose.

RAPPEL HISTORIQUE

En 1979, le nouveau guide suprême Ayatollah Khomeini lance la création du centre nucléaire d’Ispahan pour créer lui-même son uranium enrichi. La société Eurodif, dont le siège est à Paris, et dans laquelle le Chah avait investi près d’un milliard de dollars, avait bloqué les avoirs iraniens et refusait de remettre l’uranium enrichi à l’État iranien, suite la prise d’otage de l’ambassade américaine.

Malgré la ratification de l’Iran, en 1968, du traité de non-prolifération nucléaire, la communauté internationale découvre en 2002, deux sites nucléaires enrichissant l’uranium bien au-delà du seuil de 5% nécessaire pour un usage civil. Après l’application de sanctions en 2006, un accord sur le nucléaire est signé le 14 juillet 2015. Le Plan d’Action Global Commun, ou JCPOA en anglais est ratifié par l’Iran, les membres du P5+1 soit les membres permanant du conseil de sécurité de l’ONU (USA, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) et l’Allemagne. Cet accord permet la levée progressive des sanctions économiques visant l’Iran et permet de contrôler son programme nucléaire.

Au mépris du feu vert de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) pour entamer la levée des sanctions (2017), Donald Trump annonce le 8 mai 2018 son retrait de l’accord et sa volonté d’appliquer des sanctions « au niveau le plus élevé », n’en déplaise à l’Union Européenne qui se dit « prête à continuer d’honorer l’accord iranien ». l’Iran se retire de l’accord et relance sa production d’uranium enrichis tout en cherchant du côté européen, un moyen de contourner les sanctions économiques américaines.

Depuis son élection, le nouveau président Joe Biden organise de nouvelles cessions de négociation entre les anciens signataires visant un retour aux conditions de l’accord de Vienne par l’ensemble des partis.

 Le mandat Trump n’a pas « simplement mis en pause » l’accord de Vienne que Biden tente de relancer comme l’explique le porte-parole de la maison blanche Karine Jean Pierre dans un  communiqué de presse. Les répercussions régionales et mondiales du désistement américain ont marqué un tournant dans les relations entre l’Iran et l’occident. Pour saisir la complexité de la situation, il est important de revenir à l’origine de ce changement.

QUE CONTIENT L’ACCORD DE VIENNE ?

L’accord de Vienne permet une activité nucléaire civile sur le sol iranien mais impose de sévères restrictions quant à son usage militaire. Son objectif est de maintenir et retarder le  « break out », soit la durée nécessaire pour enrichir un uranium permettant la fabrication de l’arme atomique. L’accord contient trois points principaux. Il impose des contraintes au programme nucléaire pour au moins une décennie en limitant ses stocks d’uranium enrichis, qui doivent être exportés ou dilués au-delà de 3,67%. Il permet aussi la levée des sanctions économiques, et permet aux inspecteurs de l’AIEA des contrôles réguliers.

Avec cet accord, l’Iran ne représente plus la menace d’une nouvelle puissance nucléaire, est exemptée des sanctions qui asphyxient sa population depuis 2006 et peut récupérer ses 1,7 milliards de dollars gelés sous formes d’avoir. Chaque parti semble tirer profit de cet accord. Pourtant moins de 16 mois après sa signature en novembre 2016, le président des USA fraichement élu, affirme sa volonté de se retirer de ce traité « piètrement négocié et terriblement désavantageux ».

LE RETRAIT AMÉRICAIN, LE DÉBUT DE LA FIN

Annoncé depuis 2015, Donald Trump tient parole le 8 mai 2018 en se retirant de l’accord et en imposant de nouvelles sanctions encore plus lourdes. Agacée par cette décision unilatérale, la communauté européenne met en place un fond commun de créance nommé « INSTEX » (Instrument in Support of Trade and Exchanges ») hors de la zone dollar, pour honorer son contrat avec l’Iran et lui permettre de contourner les sanctions américaines. Cet acte symbolique n’empêchera pas L’Iran de se retirer à son tour de l’accord en 2019, et de relancer sa production d’Uranium enrichis à 60%

Outre la dégradation rapide des relations irano-américaines, ce retrait porte un sérieux coup à la crédibilité de la parole étasunienne dans la région qui provoque une « crise de confiance », et sert sur un plateau les arguments contre l’oncle Sam aux régimes anti-américains, qui se saisissent de l’occasion pour se rapprocher de l’Iran en offrant de nouveaux partenariats économiques et des voies alternatives pour contourner les sanctions

L’IRAN SE TOURNE VERS L’EST

La République Islamique s’est rapprochée de la Russie. Elle produit différentes marchandises, des médicaments et des drones pour le Grand Ours, et il est prévu qu’elle adopte son système de paiement « MIR ».  Les vols militaires entre Téhéran et Moscou ont triplé depuis la fin de l’accord, et les échanges de connaissances et les formations qu’offrent les agents iraniens à l’armée Russe, notamment dans le cadre de la guerre en Ukraine, rappelle la coopération dont les deux pays avaient fait preuve sur le sol syrien. L’Iran est d’ailleurs le premier pays que Vladimir Poutine décide de visiter depuis le début de l’assaut en Ukraine.

Si la Chine, partenaire discret de Téhéran, attends patiemment la levée des sanctions pour diversifier son approvisionnement en pétrole, elle trouve aussi son intérêt dans le partenariat politique et économique qu’elle signe avec le régime des Mollah pour une durée historique de 25 ans sur l’énergie, la sécurité, les infrastructures, la communication, l’achat de pétrole à prix réduits et la livraison de matériel militaire chinois à l’Iran.

Plus proche de la Russie et de la Chine qu’avant, l’Iran ne néglige pas pour autant sa diplomatie européenne en faisant du marchandage nucléaire son fer de lance

LA STRATÉGIE DE MARCHANDAGE NUCLÉAIRE

Pour le journaliste et chercheur clément Therme, la République Islamique à tout intérêt à se déclarer comme technologiquement à même de produire l’arme atomique tout en se disant indécis quat à leur volonté de souveraineté nucléaire. Le guide suprême Ebrahim Raïssi se dit capable d’enrichir un uranium à 90% tout soulignant l’aspect « haram » (prohibé par la religion) de l’arme atomique, qui n’a pourtant pas empêché son voisin pakistanais tout aussi musulman de s’en doter. A l’échelle régionale, la puissance nucléaire « non déclarée » israélienne voit cette possibilité d’un mauvais œil.

LA RIVALITÉ IRANO-ISRAÉLIENNE

Malgré les nombreuses tentatives d’Israël d’infiltrer et de déstabiliser l’institution des Gardiens de la Révolution, une riposte iranienne n’était pas à craindre pendant la période de négociation et d’application de l’accord. Or sans cette assurance, l’Iran représente une nouvelle concurrence directe à l’hégémonie régionale israélienne. Malgré ce risque, une attaque frontale de l’Iran contre l’état hébreux n’est pas prévue.

UN NOUVEAU RISQUE D’ISOLEMENT

Israël avait tout intérêt à faire preuve d’une certaine retenue dans ses assauts contre l’Iran.  Il aurait été délicat pour l’occident de formellement soutenir Israël pendant ses négociations avec l’Iran. Il est en revanche probable que les USA défendent bien plus férocement leur pied à terre au moyen orient une fois les négociations closes en cas de conflit.  Sans la Russie, enlisée dans le bourbier Ukrainien et la Turquie, trop soucieuse de rentrer dans l’Union Européenne, l’Iran ne pourrait que compter sur la chine pour ne pas faire cavalier seul face à l’occident.

 Si les relations diplomatiques de l’Iran sont affectées par la fin de l’accord sur le nucléaire, c’est aussi sa population qui souffre des sanctions

DES SANCTIONS ÉCRASANTES

Le discours officiel assure que les sanctions américaines n’ont pas l’effet escompté. Selon le porte-parole du gouvernement iranien Bahadori Jahromi « il ne reste plus rien à sanctionner, les USA ont fait tout ce qu’ils pouvaient »

L’accord avait donné de l’espoir à la population asphyxiée par les sanctions économique et commerciale, mais la faible coopération des banques et le long délai des bénéfices de cet accord à se faire sentir n’ont pas eu le temps d’alléger la population iranienne. Depuis 2018, les 40% d’inflation, la dépréciation de la monnaie et le taux de chômage important pour les 70% de la population ayant moins de 35 ans, pèse sur les habitants du pays. Les sanctions servent également de prétexte à la corruption et à la mauvaise gestion administrative, et le mécontentement massif des citoyens de cet état plongé dans une crise profonde expliquent la minorité de 10% à 15% des soutient au régime.

UNE HOSTILITÉ LATENTE

La fin de l’accord sur le nucléaire aura eu de lourdes conséquences. Avec une population paralysée par les sanctions l’Iran se tourne vers l’Est trouvant en la Russie et la Chine des soutiens et partenaires alternatifs. Déterminé à se doter de l’arme atomique pour concurrencer son rival régional israélien, l’Iran joue aussi la montre face à l’occident en se disant « prêt à discuter sérieusement d’un nouvel accord ».

Malgré la pénible reprise des négociations depuis le mandat Biden, on entendait le peuple iranien crier « mort à l’Amérique » et brûler son drapeau lors des manifestations du 4 novembre 2022.

Si un affrontement direct entre les deux puissances n’est pas à craindre, l’augmentation des tensions et des moyens déployés en Irak qui est le théâtre de cet affrontement depuis 2003 reste à surveiller.

SOURCES

Fénah Ruh, « A mort les USA, crient toujours les iraniens. La crise de confiance persiste », Archives d’Almanar TV website, 01-11-22 : https://archive.almanar.com.lb/french/article.php?id=139203

Bahar Makooi, « Le rôle discret de la Chine dans les négociations sur le nucléaire iranien », France 24 – Moyen Orient, 10-10-21 https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220118-le-r%C3%B4le-discret-de-la-chine-dans-les-n%C3%A9gociations-sur-le-nucl%C3%A9aire-iranien

Alba Sabz, « La réactivation de l’accord nucléaire entre les mains de l’Iran », Atalayar, 10-08-22 : https://atalayar.com/fr/content/la-reactivation-de-laccord-nucleaire-entre-les-mains-de-liran

Frédéric Lemaitre, « La Chaine, négociatrice très intéressée de l’accord sur le nucléaire iranien », Le Monde, 29-11-22 : https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/29/la-chine-negociatrice-tres-interessee-de-l-accord-sur-le-nucleaire-iranien_6103997_3210.html

Adam Hayes, « What is a special Purpose vehivul (SVP) and why companies form them, investopedia, 23-08-22 : https://www.investopedia.com/terms/s/spv.asp

La rédaction, « Nucléaire Iranien : quels sont les principes de l’accord de Vienne », Geo, 01-08-22 : https://www.geo.fr/geopolitique/nucleaire-iranien-quels-sont-les-principes-de-laccord-de-vienne-211113

Rédacteur anonyme, « Retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien », Wikipédia, 11-08-15 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Retrait_am%C3%A9ricain_de_l%27Accord_de_Vienne_sur_le_nucl%C3%A9aire_iranien#:~:text=Promesse%20%C3%A9lectorale%20de%20Donald%20Trump%20%C3%A0%20l’%C3%A9lection%20pr%C3%A9sidentielle%20am%C3%A9ricaine,concr%C3%A9tis%C3%A9%20le%208%20mai%202018%20.

Rédacteur anonyme, « Note d’actualité : causes et conséquences du retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien », Centre Thucydide, 23-08-16 : https://www.afri-ct.org/2018/thucydoc-n-8-note-dactualite-causes-et-consequences-du-retrait-americain-de-laccord-sur-le-nucleaire-iranien/

Réponse à une question de Ladislal Poniatowski, « Conséquences du retrait de l’accord sur le nucléaire iranien pour airbus », Sénat, un site au service des citoyens, 02-03-2019 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Retrait_am%C3%A9ricain_de_l%27Accord_de_Vienne_sur_le_nucl%C3%A9aire_iranien#:~:text=Promesse%20%C3%A9lectorale%20de%20Donald%20Trump%20%C3%A0%20l’%C3%A9lection%20pr%C3%A9sidentielle%20am%C3%A9ricaine,concr%C3%A9tis%C3%A9%20le%208%20mai%202018%20.

François Nicouillard, « Le sabotage de l’accord de Vienne et ses conséquences », Cairn.info, 2020 : https://www.cairn.info/le-moyen-orient-et-le-monde–9782348064029-page-253.htm

La rédaction, « Retrait des USA de l’accord Iranien : quelles conséquences pour les entreprises ? », SUDOUEST, 09-05-18 : https://www.cairn.info/le-moyen-orient-et-le-monde–9782348064029-page-253.htm

-Vidéos:

Chaine YouTube du Monde, « Pourquoi Trump veut en finir avec l’accord sur le nucléaire iranien », Le Monde, 4-05-18 : https://www.youtube.com/watch?v=LFMoQ50PiAI

Chaine YouTube AJ+ Français, « Accord nucléaire iranien : pourquoi ça coince ? », Aljazeera + France, 09-09-22 : https://www.youtube.com/watch?v=nEcUhk0qYWU

Chaine YouTube de France 24, « Nucléaire Iranien : énièmes négociations pour sauver l’accord », France 24, 24-03-22 : https://www.youtube.com/watch?v=XF4aA_UvzgM

Chaine YouTube de la recherche stratégique, « La fin de l’accord nucléaire avec l’Iran ? », Fondation pour la recherche stratégique, 01-03-2019 : https://www.youtube.com/watch?v=Tq0oNaukf-w&t=4s 

LES ÉVOLUTIONS DU CONFLIT AZERBAÏDJAN / ARMÉNIE

LES ÉVOLUTIONS DU CONFLIT AZERBAÏDJAN / ARMÉNIE


Ce mercredi 14 septembre 2022, de nouveaux affrontements frontaliers entre l’Arménie et
l’Azerbaïdjan ont mis fin au cessez-le-feu établi entre les deux ex-républiques soviétiques. La
relation empoisonnée, depuis près de trois décennies, entre Erevan et Bakou trouve son origine dans
la dispute du territoire du Haut-Karabakh.


Une des dernières décisions du bloc de l’Est consistait à attribuer la région du haut Karabakh, petit
territoire montagneux à l’Azerbaïdjan malgré sa population à 94% arménienne. En 1991, les
Arméniens de cet Oblast de 4000km² s’autoproclament indépendants et annexent des territoires
voisins peuplés d’Azéries et de Kurdes ; 5 régions au total. On dénombre une trentaine de milliers de
morts pour cette première guerre du Karabakh.
Après une période de trêve, les deux pays se sont de nouveau affrontés en automne 2020 pour le
contrôle de ce territoire, causant 6500 morts et se soldant par la défaite de l’Arménie et la signature
d’un cessez-le-feu sous la supervision de Moscou.


Ce mercredi 14 septembre 2022, le ministère de la défense arménien a dénoncé de « violentes
attaques […] de la part de Bakou », ce à quoi son homologue azerbaïdjanais a répondu par
l’accusation de violation de cessez-le-feu et de bombardement sur des positions civiles.
Ce conflit a déjà causé plus d’une cinquantaine de pertes humaines du côté azerbaïdjanais et une
centaine du côté arménien selon un bilan communiqué par le premier ministre Nikol Pachinia, qui
aussi dénoncé « l’occupation d’une dizaine de kilomètres » carrés du territoire arménien, venant
s’ajouter aux 40km² occupés pendant les affrontements de Mai 2020.
Moscou, médiateur traditionnel entre ces deux pays, étant embourbé dans le conflit ukrainien,
plusieurs acteurs internationaux viennent modérer les accusations du président turque Recep Tayyip
Erdogan contre l’Arménie. L’Union Européenne et le Pape François appellent à « la fin des
violences ».

ÉGYPTE : DIVERSIFICATION ET NOUVEAUX PROJETS NATIONAUX

ÉGYPTE : DIVERSIFICATION ET NOUVEAUX PROJETS NATIONAUX

L’Égypte, dont les frontières touchent ou sont proche de 6 pays (Soudan – Libye – Arabie Saoudite – Jordanie – Israël – Palestine) est traversée par le Nil, long de plus de 6000 km, et sur les rives duquel se concentrent principalement le populations grâce à la fertilité des terres. Sa capitale, Le Caire, se trouve juste avant la séparation du fleuve et son embouchure, qui vient se jeter dans la mer Méditerrannée.

L’aridité égyptienne a poussé ses 97 millions d’habitants à se concentrer principalement sur les rives du fleuve, ou les villes d’Assouan, d’Assiout, d’Héouan et de Guizèh ont été créés, ainsi que sur le littoral, au nord du pays, où on retrouve Alexandrie, Damiette et son port, ainsi que Suez et son barrage qui donne sur la mer Rouge.

Les déséquilibres territoriaux et démographiques nationaux s’expliquent donc d’une part par l’essence géostratégique de l’Egypte dont les côtes donnent sur le bassin méditerranéen et sur la mer Rouge – qui débouche elle-même sur la Mer d’Arabie et l’océan Indien – favorisant le commerce et attirant les populations. D’autre part, ce sont les lieux ou s’écoulent le Nil qui déterminent la forte concentration démographique. Le fleuve s’impose dès l’Egypte antique comme la colonne vertébrale du pays par son rôle social (concentration des grandes villes), agricole (grâce au limon des crues et sa fertilité) et économique (commerce par voie fluviale).

Si une part de son territoire regorge de ressources, les deux autres tiers de son million de kilomètres carrés sont recouverts par le Désert Libyque (ou occidental) [700.000 kilomètres carrés]. 98% de la population habite sur 3,5% du territoire. L’irrigation des terres n’est possible que dans 7 petites zones du pays, qui compte d’ailleurs un haut taux de chômage (11% – 34% pour les 15-24 ans-). Les tensions géopolitiques qui viennent heurter le potentiel touristique du projet de développement du Sinaï et l’affaiblissement des mécanismes de solidarité amorcées par la réforme économique néolibérales des années 90-00, sont autant d’épines dans le pied du pays des pharaons, sans compter les coups portés aux institutions par les printemps de 2011.

Cependant, son économie diversifiée lui offre des sources de revenues plurielles qui la place à la première place du podium des puissances économiques du continent africain en termes de PIB PPA (11,9% PIB agriculture – 30% PIB Industrie – 55% PIB Services- 2017) . L’infitah (« ouverture économique ») des années 70-80 de Sadate (1970-1981) ont assuré les premiers pas égyptiens dans le capitalisme. Ensuite, les politiques d’ajustement structurelles et l’émergence d’une société de consommation dans les années 90-00 sous la présidence de Moubarak (1981-2011) ont favorisé l’essor de la consommation et le rôle croissant du commerce avec les firmes transnationales.

En 2017, l’Egypte exporte annuellement pour plus de 22Md $ dont 40% d’hydrocarbures, et en importe près du double (58Md $). Ses 9 raffineries restent insuffisantes pour le marché intérieur bien que la production, la commercialisation et l’exportation de gaz naturel soient en forte augmentation grâce à la découverte de gisements vers le Delta du Nil et dans le désert libyque.

Le tourisme, une des premières ressources en devise de l’Egypte (7Md $ en 2013) s’est pourtant fragilisé avec les attentats (1997-2004) et a ensuite diminué de 11% entre les années 2010-1012 à cause de son instabilité politique. Le meurtre de l’étudiant italien Giulio Regeni sous la torture au Caire en 2016 pousse certains touristes potentiels à redoubler de méfiance si ce n’est à se raviser.

La conférence des investisseurs  Charm el Sheikh dans la ville du même nom (2015), les mégaprojets du président Sissi, notamment ceux de nouvelle capitale et de 3 nouvelles villes, et la poursuite des projets structurels lancés par Moubarak ( « Uweinat est » et « Toska, nouvelle valée agricole » au sud du pays sont autant de témoins de la volonté novatrice égyptienne, ainsi que de réduction de la forte centralisation héritée de Nasser

Une décennie après les coups portés par les protestations sociales et politiques, l’Egypte du président Sissi s’appuies sur sa diversité économique et ses nouveaux projets pour répondre aux enjeux de demain.

QATAR : UN NOUVEL ACTEUR INTERNATIONAL

QATAR : UN NOUVEL ACTEUR INTERNATIONAL

Avec 2,8 millions d’habitants pour une superficie de moins de 12.000 km2, à peine plus grand qu’un département français, le Qatar, dont la capitale Doha abrite plus de la moitié de la population, programme des investissements massifs dans le secteur des hydrocarbures.

GAZ ET PÉTROLE

Le pays découvre le pétrole dans les années 40 et commence à l’exploiter une dizaine d’années après. Mais c’est surtout la découverte du gaz, à la fin du XXème siècle et la nationalisation des gisements du pays (1974), qui fera passer le Qatar de pays pauvre à pays riche. Proportionnellement, l’un des plus riches du monde (3ème plus riche en PIB / hab – 94k $ ).

Les hydrocarbures représentent environ 39% du PIB, 87% des exportations (soit 42 Md$ dont 75% provenant du gaz) et 78% des recettes budgétaires.

Si les réserves de pétrole du Qatar sont relativement faibles (1,5% des réserves mondiales), les réserves de gaz qataries sont extrêmement importantes. Le Qatar est le 5ème producteur de gaz naturel (4,5% de la production mondiale en 2020), derrière les Etats-Unis, la Russie, l’Iran et la Chine.

La recette du succès économique qatari reposes surtout sur la filière « gaz naturel liquéfié » (GNL) dont il est le 1er producteur mondial ; un processus dont il possède les capacités les plus importantes, qui consiste à refroidir le gaz a 163° et réduire ainsi son volume de 600 fois. Grâce à sa situation géographique péninsulaire, propice au commerce par voie maritime, le complexe industrialo-gazier de Rasafan (300km2) liquéfie le gaz et l’envoie par la mère avant qu’il soit regazéifié une fois à destination.

DE RICHES SOUS-SOLS, UN CADEAU EMPOISONNÉ DE DAME NATURE

Malgré cette immense richesse liée aux matières premières, la société du pays pétrolier est confrontée à plusieurs enjeux. Par sa faible densité de population, le Qatar exporte la majorité de ses ressources pétrolières et en tire de grands bénéfices. Le train de vie des citoyens Qatari (12% de la pop) s’en voit ralenti, et la distribution des revenus fréquemment appliquée dans une logique d’économie de rente, mène à l’explosion de bulles de prix, à un affaiblissement de la recherche d’emplois peu qualifiés, et enfin à la précarité sociale de la main d’œuvre venue d’ailleurs qui constitue 88% de la population.

Il est aussi possible d’établir un lien entre l’économie de rente et la soumission de la société à l’instauration et à l’application d’un système plus ou moins autoritaire. La fiscalité, le quadrillage policier, les dynamiques de corruptions, et l’achat de la paix sociale dans les pays du golfe en 2011 que les fond de l’état nourrissent sont de bons exemples.

Au niveau national, nombreuses sont les contraintes et les menaces liées à la richesse du sous-sol. Les ingérences politiques et militaires des puissances régionales ou mondiales convoitant ces « terres fertiles » mènent aussi à réfléchir aux réels bénéfices d’un sous-sol riche. Au lendemain de la création des états (1925), c’est bien pour les gisements récemment découverts que les Britanniques accaparent la région de Mossoul que les accords de Sykes-Picot avaient attribué à la France. L’Arabie Saoudite cherche absolument à garder un droit de contrôle sur la minorité chiite du Hasa pour ses réserves en hydrocarbures. En 1990, le Koweït est avant tout menacé et convoité pour son potentiel pétrolier, et l’on sent facilement, dans guerre en Irak, à son tour envahi par les USA (2003), l’odeur de pétrole à peine camouflée par le prétexte des « armes de destruction massives ».

Bien que l’aura politique qatarie, qui sera expliquée dans quelque lignes, le protège de (presque) toutes les ingérences, la dépendance économique et politique guette les pays pétroliers, contraints d’investir la majorité de leur ressource dans un secteur dont la vitalité s’essouffle à grand pas. L’Algérie par exemple, dont 42% du PIB relève du secteur secondaire, bondis de plusieurs décennies dans le passé en optant pour un bénéfice avec le forage de ressources récemment découvertes dans le Sahara.

L’économie du Qatar repose aussi sur une forte communauté de travailleurs immigrés, soumis à la « Kefala » (« soumission à l’employeur ») dont Amnesty international dénonce les milliers de morts inexpliqués Sans compter les zones d’ombre des circuits de financements accusés d’opacité par plusieurs ONG

DIVERSIFICATION ET AMBITIONS POLITIQUES

Face à cette menace de dépendance, le Qatar opte pour la diversification de son économie et de ses placements financiers en investissant les milliers de milliards de dollars qui découlent des bénéfices des hydrocarbures. Il investit dans plus de 40 pays et une Cinquantaine de secteurs différents : l’immobilier chinois, les terres soudanaises, le club de football français, le quartier d’affaire londonien, et sa propre compagnie aérienne, Qatar Airways, dotée de 230 appareils.

Plus que son économie, c’est sa politique qui témoigne de sa nouvelle volonté de se hisser au rang de puissance régionale, d’interface diplomatique mondiale et de développer son influence pour le rendre incontournable. Il crée d’abord la chaine de TV « al-Jazeera » en 1996, possiblement visible par 270 millions de téléspectateurs, qui soutient la chute des dictatures du monde arabe, offre les premiers débats libres du Moyen-Orient, et devient symbole de liberté de la presse aux yeux des occidentaux, à qui il montre pate blanche.

Le pays travaille ensuite son rôle de médiateur, sur la crise du Liban de 2008, entre l’Ethiopie et l’Erythrée, et implique sa compagnie aérienne dans les opérations d’évacuation en Afghanistan. Il organise notamment le sommet mondial annuel « Wise », sur l’éducation, organisée à Doha en se donnant les moyens de créer une « économie de savoir »

Au niveau régional, c’est d’abord l’Arabie Saoudite qui, par son imposant wahhabisme, accule le Qatar et le pousse trouver des alliés sur le plan politique (l’Egypte des Frères Musulmans, Tunisie, …). L’Iran, puissance régionale, finance également certains projets Qataris dans une logique d’affaiblissement des puissances du Golfe. Mais plus que tout autre pays, c’est le Qatar lui-même qui s’est rendu moteur de ce changement de cap : petit pays à la richesse exceptionnelle, ses capacités d’adaptation rapide lui permettent de s’assurer un futur stable et des sources de revenus diverses et plus sures.

La forte ambition de la famille Al Thani, qui dirige le pays depuis le 19ème siècle et dont l’héritier, Tamim est aujourd’hui au pouvoir, cherche à faire du Qatar un pays qui parle à tout le monde : aux Américains comme aux Talibans, aux iraniens, aux palestiniens, aux Européens et aux Chinois.

Le Qatar d’aujourd’hui exprime sa volonté et se donne les moyens de devenir le Genève de demain.

LE PARDON DANS LES RELIGIONS DU LIVRE

LE PARDON DANS LES RELIGIONS DU LIVRE

Cette décennie est en partie marquée par la montée des tensions interreligieuses à travers le monde. Elles apparaissent parfois sous couvert de questions politiques comme celle des musulmans en France, ou sont parfois exacerbées par des violences, comme le conflit judéo-musulman dans le monde arabe, marqué par l’expropriation des terres palestiniennes par les autorités et l’armée israélienne.

Cependant, la religion ne semble jamais être la cause première de ces maux. Elle sert plutôt à légitimer, à expliquer ou à réactualiser de vieux conflits. Si ces parallèles entre la violence et la religion entrent dans l’imaginaire collectif, ce n’est qu’une question de temps avant qu’il devienne une vérité pour des millions de personnes si les médias et personnalités politiques construisent leur programme (télévisé ou électoral) sur ce soi-disant rapprochement.

Une vision objective, une froideur d’esprit et un certain éloignement de l’émotion son recommandables pour aborder le thème des religions. Il faut condamner le condamnable, réprouver le répréhensible, et mettre en exergue ce qui est peut-être moins connu de tous.  L’exemple du pardon dans les religions semble tout trouvé pour apaiser le débat, les cœurs, et confronter à l’ignorance de l’autre religion, une similarité parfois insoupçonnée. Il est le parfait vecteur pour souligner les points communs des trois religions du livre dans leur praxie, tout comme dans leur philosophie. Dans leur rapport à Dieu, comme dans leur rapport à l’autre.

Le thème du pardon s’est progressivement étendu au-delà de la morale théologique pour toucher la sphère politique et même l’histoire, libérer le présent et le passé des fautes et des crimes commis par d’autres générations ou par ses pairs. Il est donc arrivé que l’on exige le pardon ou la réconciliation d’une communauté nationale comme l’Allemagne nazie pour ses crimes ou encore la restitution d’œuvres nationales dans une logique dé-coloniale. Et si Jankélévitch et Dérida sont les maîtres en la matière (philosophique), s’intéresser à la manière dont le pardon est présenté, dicté et pratiqué dans les trois religions monothéistes qui guident près de la moitié des habitants de la terre [2.2 millions de chrétiens, 1.2 musulmans, 14 millions de juifs] relève d’un tout autre travail.

L’étude du christianisme, de l’islam et du judaïsme ainsi que des aprioris à leurs sujets et de ce qu’en disent vraiment les livres saints et l’orthodoxie théologique, permettra de montrer la manière dont chacun décide de s’en saisir et de laisser place au « message originel » de ces religions.

 Il est important de préciser que ce texte n’a d’autre but que de servir d’introduction à la question du pardon et de fournir quelque modeste outil pour pouvoir en débattre et distinguer le vrai du faux dans tous les mythes qui gravitent autour de ce sujet. Les différentes branches de chaque religion ne seront ainsi pas abordées pour rendre le propose le plus simple possible.

UN AXE VERTICAL ET UN AXE HORIZONTAL 

Il est possible d’approcher ce large sujet sous deux angles différents, deux approches inséparables et consubstantielles : le pardon dans son axe vertical soit celui que Dieu accord à l’homme, et le pardon dans son axe horizontal, soit celui qui se pratique entre les hommes.

LE CHRISTIANISME 

Le pardon s’érige comme pilier de la religion chrétienne, et si certains n’en ont que pour image l’injonction de tendre l’autre joue, son application en est infiniment plus complexe et profonde.

Dans les textes bibliques, Jésus invoque le pardon « père pardonne leur car ils ne savent pas ce qu’ils font » (LUC 23, 24) – « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonne aussi ceux qui nous ont offensé » (Mathieu 6, 12). Bien que la vie confronte toujours à ce que le philosophe Paul Ricoeur appelle le « pardon difficile », le pardon a pour fin d’apaiser les âmes et de libérer les vieilles haines. « Tu vaux mieux que tes actes » disaient le prophète aux pécheurs et pécheresses qu’il fréquentait

Pour comprendre quelles dimensions embrasse la notion de pardon, revenons sur son histoire (récente). C’est le Concile de Latran (1215) qui fixe les règles modernes de la confession et instaure la confession privée protégée par le secret, dont Hitchcock illustre l’importance dans « La loi du silence ». On avoue désormais ses péchés à un prêtre et reçoit le pardon divin de sa main. Puis en 1962, le Concile Vatican II rappelle que le pardon doit consister en une conversion intérieure plutôt que d’un accomplissement mécanique de rituel et préfère la réconciliation avec Dieu plutôt que la culpabilisation du croyant.

Pour ce qui est de la confession, moyen d’accéder au pardon, elle s’organise en trois phases. L’examen de conscience, par lequel on recherche ses péchés, la contrition, qui implique de regretter ses fautes et de prendre la résolution de ne plus les commettre, puis la satisfaction, qui invite à matérialiser son regret ou réparer les conséquences réelles quand possible, comme rendre un vélo volé.

Le seul péché impardonnable, même par le Saint-Siège, est celui contre l’esprit, refuser la miséricorde de Dieu : si l’on ne croît pas en la faculté de l’église réparer ses péchés, elle ne peut pas le faire.

Le pardon, qui ne se refuse à accepter que quelque actes graves impardonnables qui vont à l’encontre de la loi divine et de la relation avec Dieu, est plus qu’une recommandation. C’est un commandement, une obligation. Jésus avant de monter au ciel a pour ses disciples la directive suivante : « la conversion et le pardon des péchés » (l’évangile de Luc, chap 24 ).

C’est une expérience qui s’ancre dans différentes temporalités. Le bon chrétien doit la pratiquer tous les jours envers son prochain, et il est en même temps nécessaire d’aller se confesser, face à Dieu cette fois-ci, au moins une fois par an. Dans son état de grâce universelle, Dieu pardonne dans le cœur des hommes peu importe leur croyances et religion. Le pire criminel garde du bon en lui, pour la simple raison que Dieu la fait à son image.

L’ISLAM              

L’Islam maintenant, nous parait sans pitié dans l’actualité qu’on nous montre, et aller jusqu’à être présenté en France, comme un mal en soi auquel on assimile les notions d’agressivités et de violence, enfaite propre à des groupuscules minoritaires, comme on en trouve dans chaque religion.

Contrairement aux chrétiens, le pardon dans la religion musulmane est une recommandation et pas un commandement. Il n’en est pas moins un élément central de la praxie, souvent cité dans le Coran. Sur les 114 sourates, 113 contiennent la formule, la basmala « Au nom de Dieu, le tout clément, miséricordieux », et la 55ème sourate, souvent désignée comme le plus beau chapitre coranique est celle du « miséricordieux » ou de « celui qui pardonne » : « al-raham ». Les hadiths, faits et dires du prophète, accordent une importance certaine au pardon, comme la montre la phrase du prophète : « ma bonté a devancé ma colère »

On trouve parmi les 99 noms du prophète, ceux de « celui qui pardonne » (« rafur »), de «clément » (« al-afuwa »), de celui qui revient vers les pécheurs (« al-tawab »), ou de prophète du repentir (« nabi you taouba »).

Le Docteur en science religieuses Chawkat Moucarry décrit le pardon comme un acte provenant d’une initiative divine : c’est Dieu qui vient, ou plutôt revient, vers le pécheur. Si le pécheur a échappé aux obligations religieuses, bu de l’alcool par exemple, et donc péché contre Dieu, alors le pardon de Dieu est facile. Il ne s’offre pas, mais s’obtient en priant et en le demandant. Si la faute commise est contre un homme, le pardon est tout aussi recommandé. On apprends dans la sourate « Al-Imrun » que les croyants sont « ceux qui répriment leur colère et pardonnent aux autres ». Ne constituant pas un crime impardonnable des pécher originels de l’islam, la faute est pardonnée une fois le crime réparé. Bien que « Dieu ne pardonnera sur la terre qu’a ceux qui pardonnent aux autres » l’islam ne fait pas du pardon une obligation car Dieu a créé les hommes faibles et ne leur demande pas d’accomplir une tâche au-dessus de leur forces car il est juste.

L’homme est aussi pécheur par nature et est affecté par les épreuves qu’il subit. Le coran et les hadiths ont donc bien leur part de réalisme (au sens littéraire) : le pardon divin apparaît comme une compensation à la faiblesse primordiale humaine. Il n’est par ailleurs pas un geste absolu, unidirectionnel et gratuit. Le croyant n’accède pas à la repentance sans sincérité et effort spirituel, même si, dans un certain pragmatisme, il est écrit dans le Coran verset IV, 28 que « Dieu [allège] les contraintes, car les humains sont créés faibles. »

« Ô ous mes adorateurs-serviteurs qui avez commis des excès à votre propre détriment, ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu. Parce que Dieu pardonne tous les péchés. Oui c’est lui le pardonneur, le très miséricordieux »

Sourate 39, Les groupes, Verset 53

Il n’existe pas de péchés impardonnables pour Dieu, sinon le rejet de Dieu lui-même. Celui qui a commis un acte abject et qui vient demander le pardon est en droit de l’attendre de la part de Dieu après avoir reconnu son tort.

Quelque fable, à travers l’histoire, renversent d’ailleurs les idées reçus concernant la violence consubstantielle à la religion musulmane. Saladin, célèbre sultan égyptien du 12ème siècle, emprunte la voie du  pardon  en reflétant l’enseignement du coran et des hadiths « pardonner réchauffe et convertis les cœurs ». Un autre bon exemple est celui de l’Emire Abdel Kader (1862) qui sauve les chrétiens d’un pogrom à Damas en justifiant son acte par cette phrase « je n’ai rien fait d’autre que de me conformer à la parole divine : les hommes sont tous les enfants de dieu et je n’ai pas de ressentiment contre les chrétiens »

Si des centaines d’autres exemples existent, au sein de toutes les autres religions, ces dernières permettent tout de même de détacher les notions de violence que l’on cherche parfois associer à l’islam, ou dans l’autre sens, à justifier par l’islam

LE JUDAÏSME

Du côté du judaïsme, c’est l’image du fameux « œil pour œil et dent pour dent » qui pourrait faire défaut à la rédemption. Le dieu de l’ancien testament aurait-il plus instauré les bases d’un système basé sur la vengeance que sur le pardon ?

Et bien pas du tout. Le pardon a en fait tout autant d’importance chez les juifs que chez les chrétiens ou les musulmans. Il est essentiel, et une des fêtes les plus importantes, Kippour, lui est consacré. Il accompagne aussi les rites mortuaires : les proches pardonnent le défunt et l’aident à demander le pardon de Dieu. Une fois le mort mis dans son cercueil chacun va lui demander pardon à son tour. Le pardon permet de partir sans mensonge et sans tricherie derrière soi.

Comme le commentait Maimonide, philosophe juif du 12ème siècle,  dans Mishné Torah (code de la loi juive) : le pardon ne dépends pas d’autre chose que de la disposition de l’homme au repentir. Pour obtenir le pardon, il suffit de faire ce que l’on appelle une « techouva », soit opérer un retour sur soi, prise de conscience de ses actes pour améliorer sa conduite.

Le Judaïsme fait en revanche la distinction entre le pardon et l’expiation, qui offre à l’Homme l’absolution définitive de ses fautes et la possibilité de ne plus être lié au mal qu’il a commis. Yom kippour (« le grand pardon ») signifie d’ailleurs aussi le jour d’expiation. Le fondement de cette journée ne repose donc pas tant sur le pardon mais sur l’expiation, qui lave définitivement les hommes de leur faute, mais qu’envers Dieu. Pour traiter du pardon entre homme, il faut prendre en compte une phrase essentiel de la torah :  « ne fais pas à ton prochain ce que tu n’aimerais pas qu’il te fasses » [Ancien Testament exprimé dans le Lévitique (Lv 19,18)]. Pour les préjudices à l’égard d’autrui il faut réparer sa faute auprès du concerné avant l’expiation. De son côté, celui qui a été offensé est invité à ne pas refuser le pardon à celui qui vient le demander.

Les étapes du pardon dans la religion juive se séparent donc en trois étapes : la compréhension de sa faute, la volonté de transformer son acte, et la transformation réelle de son comportement à l’égard de son prochain, ou de Dieu.

Le pardon est présenté comme la trame fondamentale de la bible et tout son enjeu tient dans cet équilibre : l’Homme faute ou fautera, mais garde la confiance en Dieu par l’intermédiaire du pardon. Comme le dit Psalmiste, il n’y a pas d’homme sans faute, et « quel est l’homme qui n’a jamais fauté ? ». Sans la capacité de Dieu à laisser l’Homme se repentir, sans sa magnanimité, il n’y aurait alors même pas d’humanité. Il est donc le symbole de l’humanité, d’un monde sans mensonge et encadre réellement la vie du juif.

UNE QUESITON DÉLICATE

Seulement que pourrait-on dire, pour une communauté victime de crimes inhumains et de violentes discriminations, de l’absolu du pardon ? On ne peut pas exiger d’un homme dont la famille a été abattue sous ses yeux de pardonner l’auteur du crime, ni d’une femme violée qu’elle excuse son agresseur. On ne peut pas exiger de quelqu’un qui a vu son peuple décimé de pardonner son bourreau.

C’est Vladimir Jankélévitch qui propose une médiation philosophique au sujet du pardon lors des événements de la Shoah dans l’Histoire. Ce moraliste, juif dans sa chair et philosophe dans son intelligence expérimente l’impossibilité de pardonner le génocide commis, ce qu’il décrit dans L’imperceptible.

Parallèlement à cette position pessimiste et fataliste de l’impossibilité, le philosophe puise la noblesse nécessaire pour faire l’éloge d’un pardon désintéressé et gratuit. Dans Le pardon, entreprends de présenter le pardon en utilisant les procédures philosophiques et en opposant aux logiques stoïciennes l’éthique juive et chrétienne lue d’un œil néoplatonicien. Le but n’est pas ici de rentrer dans les détails de son argumentation mais ben de mettre en lumière la subtile alliance d’une notion religieuse et d’une élaboration philosophique.

Ce message implique donc une nécessité pluraliste et inclusive, y compris pour la résolution de problèmes purement théologiques, d’une discipline dont tout homme, de toute confession, y compris athée peut se saisir : la philosophie.

SOUS L’AILE DE L’ABRAHAMISME  

Les différences entre ses trois religions se ressentent dans leur praxie et se distinguent surtout par la caractérisation qu’elles font de Dieu : un Dieu de bonté et de charité pour les chrétiens, de souveraineté et de dévotion pour les musulmans, et d’espérance et de justice pour les juifs.

Le christianisme relève la spécificité du christ dont la vie est remplie de pardon jusqu’à sa crucifixion contrairement aux autres prophètes. La tradition judéo-chrétienne rappelle que le pardon n’est pas un privilège de Dieu, mais qu’il y a urgence à le corréler avec le pardon humain et exclue l’islam de cette logique, et l’idée de la responsabilité de l’homme rapproche l’islam et le christianisme.

Mais pour poursuivre cette lancée universaliste, ces valeurs se retrouvent toutes dans les trois livres. La bible, le coran et la torah érigent la notion de pardon et ses injonctions comme un patrimoine commun issu de l’héritage abrahamique dont émane les mêmes valeurs : la justice, le don, l’hospitalité, le pardon, et le fait que seul dieu peut pardonner en sa qualité de juge divin

UN SENTIMENT UNIVERSEL

Finalement, le pardon est un acte universel, qui n’a pas attendu la naissance des prophètes pour s’exercer entre les hommes.  S’il relève d’une « folie impossible » pour Dérida, son imbrication dans la culture, et ses exigences, religieuse ou non, sont assurément de nature différente à travers le monde

Mais s’il fallait retenir une chose de tout cela, c’est qu’après son examen, et au risque d’en fâcher plus d’un, le pardon dans les religions du livre présente les mêmes directives pour des aires géographiques et philosophiques, culturelles et sociales différentes.

Dans l’Histoire, des sages se sont servis du pardon pour être en paix avec l’autre. Et Abdel Kader était musulman, comme les terroristes qui en perpétuent les dérives, Maïmonide était juif, comme les ultra-orthodoxes qui participent à la dépossession des terres palestiniennes, et les évangélistes radicaux aux USA sont chrétiens comme l’était Mère Thérèsa. La religion est un socle commun aux croyant, dont il existe mille manières de se saisir et de la pratiquer, parfois pour faire le bien, parfois pour justifier le mal.

La différence avec son voisin vient alors peut-être plus de l’éducation que l’on à reçut, de l’endroit où l’on est né, et des choix de vie que l’on fait, que du dieu pour lequel on prie.

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #1/2

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #1/2

« L’impression de savoir est bien plus dangereuse pour la connaissance que l’ignorance. » disait Gerald Bronner.

Avec l’avènement du web, les internautes sont de plus en plus exposés à de fausses informations. De plus en plus diffusées, de plus en plus relayées grâce aux nouveaux systèmes de partage, les fake news et les thèses conspirationnistes sont de plus en plus présentes sur la toile. Elles sont les armes principales d’une désinformation de masse qui touche tout-le-monde, et la jeunesse en particulier. Les théories conspirationnistes désorientent l’opinion publique à coup de mensonges, de vérités autoproclamées, de pseudo-révélations sur une vérité cachée, allant parfois jusqu’au négationnisme. Elles entravent le travail des historiens et entachent les mémoires. Ces thèses, présentes en masse et partout, parviennent même à s’insinuer dans des discours institutionnels. Le climato-scepticisme américain ou le négationnisme turc en sont de bons exemples.

DES RÉPERCUTIONS À GRANDE ÉCHELLE

Les historiens s’accordent à dire que les premières théories du complot à grande échelle nous viennent de la Révolution française. Depuis, le protocole des sages de Sion, les OVNI, l’assassinat de J.F.K, le programme Apollo, et les attentats du 11 septembre ont été les sujets de théories de ce genre. Le problème, c’est que ces thèses ont de plus en plus d’audience, notamment sur les réseaux sociaux, et qu’une part de moins en moins négligeable de la population y prête foi, avec de graves répercussions sur ses choix politiques et sociaux.

C’est pourquoi il devient de plus en plus important, voire indispensable, de connaître et de savoir manier les différents outils rhétoriques et oratoires pour s’armer contre le complotisme et ses partisans. Et pour apprendre, dans un débat à démentir des arguments infondés, se faire défenseur de la vérité et éradiquer mensonges et menteurs.

Et puis même sans ces aspirations justiciables, connaître quelque astuces rhétoriques n’est jamais fait de mal à personne. 

Le complotisme est un mal sans tête qu’il est possible d’éradiquer, chacun à son échelle.

Il ne s’agit pas ici d’exposer les failles de chaque théorie du complot (c’est le rôle du debunker), ni de prouver qu’elles sont toutes fausses, mais de mettre en place une liste non-exhaustive de scénarios et d’outils qui pourront s’avérer utiles, et dans certains cas efficaces. Évidemment, ils ne garantiront pas le succès dans un débat, mais la démarche critique qui vas être favorisée et exposée apportera certainement des outils et des idées pour remporter un débat contre des partisans d’idées complotistes, reconnaître un complot, et crier la vérité aussi haut que possible.

I POSER UN CADRE ET UNE MÉTHODE

Dans un premier temps, il est impératif de poser l’atmosphère du débat: n’oubliez jamais qu’en public, l’attitude compte autant que les arguments ! C’est ce que font très souvent les hommes politiques en utilisant des formules de courtoisie : Mr…. Je vous remercie de m’accueillir… Merci de me poser la question… Ce sujet est important… Il est également important de rester calme, et de veiller à ne pas se montrer catégorique dès le départ. En effet, bien que la plupart soient plus aberrantes et loufoques que probables, certaines théories qui sont passées pour complotistes au départ se sont révélées vraies par la suite. On peut citer pêle-mêle l’incident du Golfe du Tonkin, le projet MKUltra, ou les écoutes illégales de la NSA. Ce qui ne constitue pas un complot en soi, mais jette le doute et donne du poids aux arguments conspirationnistes.

Un choc frontal n’est donc pas conseillé, d’autant que le complotiste peut se révéler très au fait de son sujet. Par ailleurs, en restant par principe ouvert, et en reconnaissant que de vrais complots ont été découverts par le passé, on évite d’être considéré comme dupe, naïf, ou croyant aveuglément à la propagande officielle. Ensuite un débat calme, où chacun écoute l’autre, permettra d’atténuer, voire de gommer le principe de la raison du plus fort.

En effet dans de nombreux débats médiatiques ou officiels, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Celui ou ceux qui font preuve de force, voire d’agressivité, qui font le plus de bruit, ou qui provoquent le plus d’applaudissements, en profitent pour noyer la réponse de l’autre. Et c’est ce qu’il faut éviter ici.

Rester donc courtois… et factuel. Prenons l’exemple des Protocoles des Sages Sion, point de départ de nombreux complots modernes. Ce texte, qui se présente comme un compte-rendu de réunions secrètes, pourrait se résumer par ce petit pitch: l’Occident est en passe de tomber aux mains de 300 Juifs influents qui ne souhaitent pas autre pas autre chose que de faire basculer le monde sous leur coupe. Mais voila ! Ce qui apparaît comme la véritable preuve de l’existence d’un complot mondial est en réalité un faux… Et c’est là que va commencer la bataille: notre interlocuteur, lui, est persuadé que ce complot est bien réel, et il va falloir instiller le doute. Le meilleur moyen de commencer est donc peut-être de reconnaître qu’en effet, ce document a bien été écrit en 1903… bien qu’il y ait querelle entre spécialistes, et que certains affirment que c’était plutôt en 1901… À Moscou ou à Paris ?

D’ailleurs, quelle est ta position sur le sujet ? La réponse vous permettra de savoir quel est le degré d’implication et de connaissances historiques de votre opposant sur la question. Et de laisser penser, par la même occasion, que vous êtes vous-même ouvert à ses arguments. Le ton, s’il était vindicatif, devrait se radoucir…

Votre adversaire va maintenant commencer à dérouler ses preuves. Même face aux plus grosses absurdités, il est important de ne pas se laisser emporter. Ne pas rire, même si c’est parfois difficile, ne pas s’énerver, ne pas lever les yeux au ciel… Il faut impérativement qu’il / elle se sente pris(e) au sérieux si vous voulez laisser une chance à vos contre-arguments. Savoir respecter l’Autre est une position de principe, même s’il s’agit d’un crétin, d’un ignorant ou d’un fou. Faute de quoi vous ferez vite partie de la très actuelle et décriée catégorie des sachants, technos et autres intellos… et passerez à côté de votre objectif: convaincre. Pire, il / elle se sentira conforté(e) dans sa position de combattant(e) anti-système, se mettra en situation de défiance, refusera d’écouter davantage, et sera perdu(e) pour le dialogue.

Comme donc on ne persuade personne sans écouter d’abord… Courage et patience à vous ! Il faut donc se comporter en bon rationaliste, auquel une théorie est soumise. Théorie qui n’est ni bonne ni mauvaise a priori. Et il faudra montrer que l’on s’y penche, sans mépris ni condescendance. Pour reprendre notre exemple, Les Protocoles servent aujourd’hui de modèle aux anti-conspirationnistes pour dénoncer les théories du complot. Or à l’origine, ce texte provient bien d’une manipulation destinée à influencer le gouvernement russe.

Si la révélation de la supercherie met donc à mal la théorie du complot judéo-maçonnique, elle ne détruit pas pour autant l’existence d’une machination fomentée au sein de l’État. Et admettre que de telles cabales existent va vous donner du crédit dans le camp adverse. Vous pouvez même enfoncer le clou en citant d’autres mystifications avérées, comme l’affaire des armes de destruction massive en Irak en 2004, le sabotage du Rainbow Warrior de Greenpeace, coulé par les services secrets français en 1985, ou tout ce que le (vrai) journalisme d’investigation ou les enquêtes de (vrais) historiens auront pu vous apprendre. Bref, Les Protocoles des Sages de Sion prouvent bien que les complots existent. Mais pas forcément ceux qu’on croit…

Tu avais raison, il y avait bien un complot là-dessous.. Votre adversaire n’y a pas perdu.

Il a bien son complot, sauf qu’il a changé de nature. Sa théorie a été troquée pour les travaux d’un historien, d’un journaliste ou d’un scientifique. Vous aurez peut-être gagné l’oreille d’un opposant, qui sera plus enclin à vous écouter lors de votre prochaine confrontation… et ce n’est pas un sophisme. En effet, lutter contre le complotisme n’a jamais voulu dire ne se poser aucune question sur les discours officiels, ne jamais douter de rien, ou relayer sans réfléchir le premier article de presse venu.

Quel que soit le sujet, il y a probablement des travaux sérieux et documentés à trouver pour se faire une idée et développer un contre-argumentaire en cas de délire judéo-maçon paranoïde diagnostiqué. En situation d’urgence, la petite sélection ci-dessous vous permettra d’accéder rapidement à des sources web fiables, et de vous faire une première idée des grandes lignes d’un sujet que vous ne maîtrisez pas forcément.

EN BREF Calme, patience, respect et bienveillance

Rendez-vous dans le deuxième épisode de cette série, où on aborde l’argument du doute!

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #2/2

COMPLOTISME VS VÉRITÉ #2/2

Pour ce deuxième épisode concernant la lutte contre le complotisme, on se concentre sur l’usage des points communs et du doute.

Si vous n’avez pas lu le premier épisode, lisez-le ! L’ordre chronologique est impératif.

Après avoir déterminé les problèmes du complotisme et défini le cadre du débat, il sera également utile de reconnaître que nous sommes tous un peu complotistes par moments, afin de créer un lien et de montrer que nous pouvons tous être amenés à croire quelque-chose qui semble vrai.

Ce qui revient à utiliser le procédé que Pascal applique dans ses Pensées, dans lesquelles il part d’un constat sur l’Humanité, dont il fait partie, pour développer toute une partie sur des observations probablement partagées par une majorité qu’il veut convaincre. Lui attribuant du coup un certain crédit, les esprits sous l’emprise du stratagème pascalien se laissent donc séduire par la solution proposée, qui ne peut qu’être raisonnable et juste étant donné la position commune qu’ils partagent avec l’auteur.

Mais comme le disait Ésope dans sa fable Le loup et l’agneau, «les arguments les plus justes ne peuvent rien contre les gens décidés à faire le mal». C’est-à-dire, en ce qui nous concerne, que les conspirationnistes les plus radicaux vont systématiquement mettre en doute le moindre argument que vous pourriez leur opposer. Totalement fermés d’esprit, refusant d’entendre d’autres idées que les leurs, ils vont se retrancher dans une position hermétique que vous ne pourrez que difficilement contrer. Et dans ce cas, il vous faudra espérer, au minimum provoquer le doute.

Mais pourquoi tant de certitudes et de passion? Parce-que les théories du complot nous apportent une sensation de contrôle. Face à un environnement et des informations parfois difficiles à interpréter, la théorie du complot nous permet d’appliquer une grille de lecture toute faite qui fonctionne pour (presque) tout. Elle nous permet d’échapper aux souffrances du doute, à l’obligation de la réflexion, et offre une interprétation toute simple à un monde devenu complexe. Il devient alors facile de rassembler les informations qui confirment cette interprétation, et de les exposer comme un ensemble cohérent et limpide.

Elle permet également de s’extraire de la masse de nos semblables. Je suis spécial, je sais et je comprends ce que d’autres ne voient pas. Je suis intelligent(e). Je suis capable de repérer des connexions pleines de sens entre des éléments distincts, ou encore de décrypter les intentions malveillantes qui se cachent derrière les événements. Je suis comme un journaliste d’investigation qui va vous révéler ce que vous ignorez. Alors profitons de cette posture, et exploitons-la à la façon de Pascal.

« Oui, c’est une démarche qui vaut la peine… Il faut se pencher sur le sujet… J’avoue m’être déjà posé la question…Tu pourrais me passer les infos? J’adore poser des questions qui fâchent... » En reconnaissant que la méfiance est dans la nature de l’homme, et que le doute sain et raisonnable fait partie du devoir de tout bon citoyen, on dit quelque chose de vrai. Et en principe, la garde de l’adversaire devrait se relâcher un peu.

Pour cette deuxième étape, nous utiliserons l’exemple d’une théorie plus délicate à contrer parce-qu’elle contient une part de faits avérés, et une part de fantasmes conspirationnistes. Il s’agit du Forum Bilderberg. Initié en 1954 par un ancien diplomate polonais et une dizaine de personnalités inquiètes de la montée de l’anti-américanisme en Europe au moment où la Guerre froide fait rage, ce Forum avait pour but de réunir dirigeants européens et nord-américains pour renforcer la coopérations militaire, économique et politique entre alliés. Très vite, on y retrouve des personnalités aussi en vue qu’Antoine Pinet, David Rockfeller, Paul van Zeeland (ex-premier ministre belge et co-fondateur de l’Otan) ou plus tard Georges Pompidou… La liste est longue… Rien de plus extraordinaire qu’une conférence internationales direz-vous.

Et bien si… Parce-que pour garantir la sécurité des conversations face à d’éventuelles oreilles venues de l’Est, aucun compte-rendu des discussions n’est publié, et aucun journaliste n’est admis à assister aux tables-rondes. Votre adversaire déroule alors la liste 2018 des membres du comité directeur Bilderberg, très officiellement publiée sur la toile… justement pour lutter contre le complotisme dont fait aujourd’hui l’objet le Club. On y trouve donc pêle-mêle Henri de Castries, ancien patron d’AXA, des représentants de Goldman Sachs, de Fiat, de la Commission européenne ou de Ryanair… – Un mini Davos en comité restreint ? – Pas du tout ! D’ailleurs dès 1967, leur projet de Synarchie, c’est-à-dire d’éradication des nations au profit d’un gouvernement mondial, commence à fuiter… Mais comme ils sont hyperpuissants, la presse n’en parle jamais. Normal, les media officiels leur appartiennent

C’est là qu’il vous faut faire preuve d‘un soupçon de malice: notre nouvel ami est intelligent, et par-dessus tout, il aime établir des connexions et des liens de cause à effet. Il aime raisonner. À sa façon certes, mais il aime manier la logique et les faits. Alors c’est le moment de caser vos infos sur ceux qui ont lancé «L’affaire Bilderberg»: « Oui, une réunion internationale qui compte autant d’hommes politiques, de banquiers et de cadres de multinationales, depuis autant de temps, c’est louche… Mais qui les a donc démasqués ?« 

Soit il/elle sait et vous avez affaire à un(e) anti-judeo-maçonnique: retournez alors à l’épisode #1/6

Soit il / elle ne sait pas, et vous pourrez lui faire remarquer que ce sont justement des partisans de la droite religieuse, des suprématistes blancs et des anti-communistes qui furent les premiers, en 1964, à dénoncer la famille Rockefeller et le groupe Bilderberg (dixit Conspiracy Watch). Quel intérêt des anti-communistes auraient-ils eu à dénoncer un groupe qui justement cherchait à lutter contre l’influence soviétique à cette époque ? On se pose encore la question… Sauf s’il s’agissait en fait de «dénoncer» un énième complot judéo-maçon…

Tu vois ce que je veux dire ? Sinon, tu tombes dans la théorie du complot là… Et puis dans ce cas, on peut dire la même chose de tous les Forums internationaux non ? L’ONU aussi ? Tu crois qu’ils veulent créer un gouvernement mondial pour remplacer nos gouvernements ?

Quel que soit l’argument qui vous sera alors opposé à ce moment-là, foncez ! Allez-y de votre couplet anti-ce-que-vous-voudrez le plus primaire, ou le plus sincère, c’est selon… Balancez les multinationales, les guerres civiles et le travail des enfants pour Nike ou H&M, le risque des lois de protection des investissements qui donneront le droit aux intérêts privés d’attaquer en justice des États souverains, les paradis fiscaux…

« Et on laisse faire, tu te rends compte« … Bref, tout ce que vous pourrez trouver, de bien réel cette fois, pour pousser votre camarade de jeu à s’indigner, à dire que « non vraiment… C’est pas acceptable…« 

En principe à ce stade, il / elle s’est un peu déporté(e) sur sa jambe droite, et vous pouvez pousser un peu plus loin.

« D’ailleurs, si tu veux vraiment savoir qui fricote avec qui, il y a quelques groupes de gens (il faut éviter le mot Institution ou ONG avec nos amis complotistes, ça les fait reculer tout-de-suite…) qui font un super-boulot là-dessus « .

Et vous pouvez citer à l’appui, et selon la sensibilité de votre contradicteur, le réseau Tax Justice Network qui lutte contre l’évasion fiscale, Anticor qui se bat contre la corruption, Transparency International, ou des groupements de journalistes d’investigation comme OOCRP, Forbiden Stories ou encore ICIJ.org à l’origine des Panama Papers. Mais sans lui dire tout de suite qu’il s’agit de groupes tout-à-fait officiels.

Et comme la réalité dépasse parfois la fiction, il devrait y trouver de quoi se renseigner. Mais cette fois à partie de sources fiables et vérifiées.

N’oubliez pas: un(e) complotiste aime l’investigation, et cherche à comprendre le monde qui l’entoure. Il / elle veut avoir accès à des information qui lui permettent d’y trouver un sens ou un ennemi à combattre, parce-qu’il sent confusément que quelque-chose cloche… Et il / elle a raison, des tas de choses sont injustes, immorales ou insupportables: le faim dans le monde, la montée des inégalité (et du coup des idéologies extrémistes) ou le changement climatique… Mais inutile d’aller chercher un complot derrière chaque phénomène. Étudier un sujet, fouiller les sources universitaires, les archives ou la littérature sans fautes d’orthographe permet toujours de découvrir des explications, c’est-à-dire ces fameux liens de cause à effet que notre complotiste aime tant… et nous aussi !

EN BREF Se fier aux historiens, penseurs, journalistes, philosophes….

Tant que ces théories du complot se développeront, les vrais pouvoirs n’auront aucun souci à se faire. (François Langlet, Journaliste France 2)

Rendez-vous dans le troisième épisode de cette série, ou l’on aborde la charge de la preuve.

LE VOTE, UN DROIT OU UN DEVOIR ?

LE VOTE, UN DROIT OU UN DEVOIR ?

On a tous déjà entendu un proche ou un ami dire qu’il n’est pas allé voter. Vous-même, cher lecteur, si vous en avez l’âge, vous êtes-vous déjà abstenu de voter ?

« Ça sert à rien », « Je préfère pas choisir entre la peste et le choléra », « Mon vote ne changera rien », « De toutes façons, c’est même pas une démocratie »… autant de raisons qu’on ne peut parfois que comprendre à moitié.

Pourtant, l’abstention, bien que hautement décriée, se veut un paramètre inéluctable de tout suffrage, et sépare l’opinion publique en deux. Alors l’abstention est-elle une menace pour la démocratie ?

En clair, le vote représente-t-il un devoir que chaque citoyen se doit d’appliquer, ou un simple droit que l’on peut appliquer ou non ?

FONDEMENT DE LA DÉMOCRATIE & DEVOIR DU CITOYEN

Conformément à l’article 3 de la Constitution, tous les Français majeurs jouissant de leurs droits civils et politiques ont le droit de voter depuis 1791. C’est sur cet article que reposent les fondements de notre démocratie

D’un côté, il est souvent dit que voter est une nécessité absolue, un devoir moral dont l’esquive équivaudrait à un manquement social, arme de destruction massive contre la démocratie, ou que l’abstention n’est pas « inaction », mais une prise de position, une action par défaut qu’on jugerait immorale.

Si l’on remonte un peu plus loin, à l’époque ou le droit de vote vient d’entrer en vigueur (1795), Kant nous dit la chose suivante «  ne pas voter serait une action immorale car mue par une maxime ne pouvant s’ériger en loi universelle sans réduire à néant son enveloppe qu’est la démocratie. »

C’est d’ailleurs sur la base des arguments cités ci-dessus que la fondation Jean-Jaurès, un think tank proche du PS, ainsi que des responsables écologistes, ont proposé récemment de rendre le vote obligatoire pour résoudre le problème de l’abstention. Le manquement à cette obligation serait alors sanctionné d’une amende pouvant aller jusqu’à 1000 euros ou des travaux d’intérêt général.

Seulement, cette réponse proposée à la réduction du nombre de votants participe aussi à la punition et à l’infantilisation du citoyen.

Et puis le droit de vote, n’est-ce pas aussi le droit de non-vote ? On a le droit de voter, comme on a le droit de ne pas voter, de la même manière que le droit à la liberté d’expression inclut le droit de ne pas s’exprimer. C’est un choix personnel plutôt qu’égoïste.

Et surtout, le droit de ne pas voter est un des seuls moyens dont le citoyen dispose pour contester, à son échelle, le système même dans lequel on lui demande de s’exprimer.

POURQUOI NE PAS VOTER, C’EST AUSSI REVENDIQUER QUELQUE-CHOSE

Le sociologue Raymond Boudon explique que l’on devait s’efforcer, pour comprendre les actions humaines, de rejeter les explications irrationalistes. Son postulat est que les individus agissent parce qu’ils ont de bonnes raisons de le faire. Quelles sont donc les bonnes raisons qui poussent les classes moyennes et populaires à s’abstenir de voter ?

Tout d’abord, force est de constater que les offres politiques dominantes sont en grande partie contraires à leurs intérêts à court et moyen terme. Les deux principales formations de gouvernement ont mené sur le plan national la même politique, inspirée du pari de la croissance par la compétitivité. Si tant est qu’une politique de l’offre permette de relancer l’économie à long terme (ce dont de nombreux spécialistes doutent fortement), à court terme elle provoque une paupérisation de la moitié la moins aisée de la population. Entre 2008 et 2012, alors que les 10 % des plus riches ont vu leurs revenus annuels augmenter de 450 euros de plus par an (après impôts et prestations sociales), les 40 % du bas de l’échelle ont connu une baisse de 400 à 500 euros.

L’alternative proposée, le Front National, est peu crédible sur le plan économique : un protectionnisme brouillon, des propositions sociales contradictoires, une violence dans le verbe et des élus aux compétences discutables. À l’autre extrémité, la gauche radicale est divisée et son positionnement vis-à-vis du PS est encore peu clair. Elle souffre en plus d’une invisibilité médiatique importante comparée à l’omniprésence du FN, devenu une référence incontournable du débat public, notamment grâce à son rôle d’épouvantail électoral agité par les socialistes comme par la droite.

La défiance à l’égard du politique trouve aussi sa source dans les promesses non tenues, en particulier le contournement des résultats du référendum de 2005 et l’abandon pur et simple par François Hollande de son programme électoral.

Un autre soucis de ce système, c’est la forte homogénéité parlementaire, qu’on peut qualifier d’injustifiée, sinon d’illégitime. En 2014, 32% des conseillers généraux étaient cadres supérieurs, alors qu’ils ne représentent que 8% de la population active. 1% seulement était ouvriers alors même qu’il s’agit d’un groupe fortement présent dans la population française.

Plus démocratisées que l’Assemblée Nationale (où 81,5 % des députés sont cadres), les instances départementales représentent cependant faiblement les classes populaires, et cela ne cesse de s’aggraver depuis plusieurs décennies. Il est donc sociologiquement compréhensible que des ouvriers ou des employés peinent à se reconnaître dans des assemblées composées majoritairement d’individus aux revenus, aux patrimoines et donc aux intérêts différents des leurs.

La majorité de la population n’est tout simplement pas représentée, et c’est ainsi que le gap entre les intérêts de ceux qui prennent les décisions et ceux qui les subissent se creuse de plus en plus.

Le principe républicain présuppose qu’un représentant de la nation subordonne ses intérêts particuliers à l’intérêt général. Mais l’actualité politique dément en permanence cet idéal : que cela soit au niveau local ou national, la proximité des élus avec les catégories inférieures de la population est parfois inexistante.

Si l’on ajoute à cela le fait que les lieux de pouvoirs, comme les départements, sont régis par des mécanismes politiciens complexes et opaques, dont la traduction médiatique laisse très franchement à désirer, on peut alors bien comprendre le phénomène de désengagement électoral de nombreux Français.

Ainsi, toutes ces raisons permettent d’identifier de bonnes raisons de s’abstenir. Il est nettement moins aisé de comprendre l’aveuglement dont font preuve les politiques à l’égard de leur propre crédibilité. Le vote obligatoire serait une mesure de fin de régime, un artifice de caste défaillante. Le taux d’abstention du 22 mars est, (malgré les raisons liées à la nouvelle pandémie du COVID-19), plutôt qu’un indicateur du désengagement ou du désintérêt des Français pour la chose publique, l’expression de leur profonde lucidité.

Rendre le vote obligatoire, ce serait réduire notre liberté d’expression à un cadre prédéfini et incontestable, tout le contraire de la démocratie totale dont ceux qui proposent ces réformes rêvent pourtant.

IA & RESPONSABILITÉ JURIDIQUE

IA & RESPONSABILITÉ JURIDIQUE

À une époque où le numérique accompagne de plus en plus la vie de l’homme, les créateurs et les utilisateurs des nouvelles technologies ont inventé l’IA, nouvel outil apparu il y a moins d’un quart de siècle…

L’intelligence artificielle semble être la nouvelle voie du progrès, et marque un changement notable dans les processus d’interactions humaines

Mais l’émergence de cette technologies aux effets potentiellement préjudiciables pour les individus pose la question de l’attribution de la responsabilité en cas de dommage. Il est essentiel de s’assurer que la responsabilité des risques, des préjudices et des torts découlant de l’exploitation de l’IA soient bien identifiés et attribués.

Que faire lorsque l’action d’une IA est impliquée ou responsable d’accidents, ou a des conséquences néfastes voire désastreuses ? Quand on demande à Siri : « dit Siri, de quoi es-tu responsable ? »…. silence

Alors, l’homme doit-il être rendu irresponsable des actes et décisions de l’intelligence artificielle ? Si non, est-ce le développeur que l’on doit blâmer ? Ou son utilisateur ? Quelle faute est-il possible d’attribuer à la décision d’une intelligence artificielle, pourtant fatale à un acteur ? Comment appliquer la loi lors d’un accident entre deux voitures automatisées ? Faut-il créer une personnalité juridique pour les IA ? Devra-t-on même une jour léguer nos droits et nos devoirs à une IA ?

UNE PROBLÈME JURIDIQUE ÉMERGENT ET MONDIAL

D’abord, qu’est-ce-que l’intelligence artificielle ? C’est l’ensemble des théories et des techniques mises en œuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence. Par extension elle désigne, dans le langage courant, les dispositifs imitant ou remplaçant l’homme dans certaines mises en œuvre de ses fonctions cognitives. Ce qui nous intéresse donc ici, c’est la manière dont il est possible d’appréhender juridiquement un comportement humain issu d’une machine numérique.

Un problème majeur d’un nouveau genre émerge alors: l’IA n’est pas exactement un outil car elle reproduit parfois des processus intelligents et peut donc agir indépendamment, notamment via ce qu’on appelle une «black box», une partie complexe de l’IA à laquelle l’homme n’a pas accès, où s’effectuent les calculs et les prises de décisions. Mais ce n’est pas non plus une personne: elle reste programmée, utilisée et contrôlée dans une certaine mesure.

Pour légiférer sur ce nouveau domaine, c’est à grande échelle que l’on doit agir. Influencés par plusieurs compagnies d’assurances, les parlementaires européens ont demandé à étudier la possibilité de créer un statut juridique spécial pour les IA, « afin de clarifier la responsabilité en cas de dommages », notamment ceux causés par les voitures autonomes. Fortement contestée, cette position divise les acteurs de ce débat en deux parties. D’un côté, le camp dit des « modérés », qui voient l’IA comme un outil, un bien, ou un service, et pensent que la notion de responsabilité ne doit pas être revue et que les développeurs et utilisateurs doivent veiller à ce que l’IA respecte les législations attribuées à ces notions.

À l’opposé, les auto proclamés «progressistes », ceux-là même qui ont pour objectif de créer un personnalité juridique pour l’IA, souhaitent voir se développer pleinement cet « outil » inédit, qui n’entre dans aucune case juridique.

IA, ÉTHIQUE, MODÉRATION

Bien que de nombreuses propositions aient été faites, peu de réformes et de lois ont été mises en vigueur, et la majorité des procès liés à cette problématique se sont réglés par jurisprudence.

Comme la très récente affaire Tesla, où l’accident entre deux voitures automatisés causant l’hospitalisation d’un homme de 40 ans s’est réglé par l’indemnisation de la marque.

Sur le plan notionnel, aucune définition commune n’existe actuellement au niveau de l’Union européenne. Cependant, le Parlement a demandé à la Commission européenne de proposer une définition « des différentes catégories de systèmes cyber-physiques, de systèmes autonomes et de robots autonomes et intelligents »

En 2019 l’«Alliance européenne pour l’IA» à été crée. Elle allie plusieurs partis pour débattre du sort de l’IA. D’ici la fin de l’année, un projet de lignes directrices pour le développement et l’utilisation éthiques de l’intelligence artificielle sur la base des droits fondamentaux de l’UE devrait être voté. Ce faisant, le groupe prendra en considération des questions telles que l’équité, la sécurité, la transparence, l’avenir du travail, la démocratie et plus généralement l’impact sur l’application de la Charte des droits fondamentaux.

Malgré cette stagnation, les membres de l’Union européenne sont parvenus à s’accorder sur trois règles concernant les robots, qu’ils ont pour projet d’attribuer à l’IA:

  1. Un robot ne peut attenter à la sécurité d’un être humain, ni par inaction, permettre qu’un être humain soit mis en danger;
  2. Un robot doit obéir aux ordres d’un être humain, sauf si ces ordres entrent en conflit avec la première loi;
  3. Un robot doit protéger sa propre existence tant que cela n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi. »

Toujours est-il que leur attribuer une personnalité juridique est impensable à l’heure actuelle. Celle-ci se caractérise par le fait d’avoir des droits et des obligations, ainsi que la capacité de mener une action civile et d’être tenu responsable de ses actes. Une personne juridique est également en mesure d’exprimer des valeurs morales. Une fois que la personnalité est attribuée à des robots ou à d’autres agents artificiels autonomes, ils deviennent des sujets et pénètrent dans l’univers des personnes juridiques. C’est notamment le cas du robot Sophia, conçu par la société Hanson Robotics (États-Unis) qui a obtenu le 25 octobre 2017 la citoyenneté saoudienne. Pour autant, celle qui a déclaré vouloir « détruire les humains » peut-elle véritablement être considérée consciente de ses propos au même titre qu’un humain ? Les robots pourront-ils savoir qu’ils sont responsables et donc susceptibles de rendre des comptes ? La récente affaire des tests sur route d’une voiture autonome d’Uber en Floride ayant conduit à un accident mortel au mois de mars dernier devrait apporter des éléments de réponses sur ces questions.

L’IA est donc un outil dont on doit limiter la capacité, et rendre son utilisation conforme à la législation concernant les services. Il serait aussi possible, selon les propositions du Comité d’éthique européen, de la considérer comme un produit défectueux ou porteur d’un vice caché lorsque elle cause des dommages.

IA, MODIFIER LA LOI EN VUE D’UNE PERSONNALITÉ JURIDIQUE

Cependant, les acteurs autoproclamés « progressistes » de ce débat juridique refusent le chemin de la modération. Alain Bensoussan, avocat français et auteur d’un court manifeste concernant le droit des robots, réclame la création d’une personnalité juridique pour l’IA. Fer de lance de ce mouvement, il dénombre plusieurs arguments en faveur de cette démarche…

Les intelligences artificielles ne peuvent pas prendre l’initiative de mentir. De ce fait, elles ont une analyse objective de leur responsabilité en cas de dommages. Pour reprendre l’exemple de l’accident de deux voitures automatisées, leurs intelligences artificielles seraient capables d’évaluer les répercutions de leurs actions : quelle voiture est responsable de quoi. Ainsi, pas besoin de juge pour attribuer la responsabilité de chacun. L’auto-responsabilisation est possible. Ce « progrès » allégerait les tribunaux de bien des affaires, et apporterait une certaine impartialité.

Avec une personnalité juridique, l’IA serait directement inculpable, on pourrait la rendre directement responsable de dommages et lui demander un indemnisation. En effet, punir une intelligence artificielle n’a pas de sens car on punit pour faire comprendre. L’indemnisation serait donc la seule peinr possible. Ainsi, un « capital assurance » serait attribué à l’IA par son utilisateur ou son fabricant dès sa mise en circulation.

Lors d’un dommage, le processus d’auto-évaluation, d’attribution de la responsabilité, et de l’indemnisation via le capital assurance serait presque immédiat. Mais peut-on considérer ce système comme un réel avantage juridique ? Il est certes plus rapide, moins coûteux en temps et en argent, mais la où il résoud ces problèmes, il en pose d’autres :

Pour ce qui est de l’auto-évaluation menant à l’attribution des responsabilités, comment s’assurer que celle-ci ne sera pas volontairement faussée ? Aucun moyen de le savoir si cette évaluation passe par la black box.

Pour l’indemnisation, un problème d’ordre éthique nous saute aux yeux : pour indemniser, il faut évaluer un montant. Comment alors évaluer le prix d’une vie humaine prise dans un accident ? Que prendre en compte ?

Et puis, ce capital assurance nous informe sur la moralité douteuse du procédé : il ne s’agit plus de prévenir ou d’empêcher un crime, mais de prévenir et réduire un maximum son impact chez le responsable… Voici un dangereux pas vers la déresponsabilisation !

Voici aussi un dangereux pas vers le transhumanisme: laisser deux IA régler un litige entre elles, c’est léguer nos droits à un robot. Gaspard Koening, écrivain et fervent défenseur du libéralisme, ne s’en plaint pas, et nous dit dans La fin de l’individu que « pour un soucis de praticité et d’efficacité, cette démarche est tout à fait acceptable, elle devrait nous convenir et nous ravir ».

DES SOLUTIONS POUR CE VIDE JURIDIQUE

Chaque potentielle solution vient avec son lot de mécontents et d’insatisfaits. Face à cet imbroglio juridique, deux solutions ont été envisagées par le Parlement européen.

PARVENIR PLUTÔT QUE GUERRIER

Incertain, le Parlement propose de mettre en place des « bacs à sable d’innovation » : adopter des réglementations temporaires dans des zones géographiques précises pour découvrir l’évolution de ces nouveaux systèmes. Concrètement, cela reviendrait à adopter différentes réglementation au sein de l’Union européenne, attendre pour voir laquelle sera la plus efficace, et ensuite l’appliquer partout. Mais un problème reste à régler : pendant cette « période d’essai » censée durer trois ans, deux cas identiques seront jugés différemment si ils sont dans deux pays différents. Cette situation pourrait bien faire fuir certaines entreprises d’IA…

En Espagne par exemple, là ou la réglementation s’annonce la plus dure, alphabet.inc et Google menacent de réduire leur services. Cette pression, notamment du géant qu’est Google, freine toute mise en application.

RESPONSABILITÉ CONTRACTUELLE

Le Parlement à donc retenu une autre solution possible, celle de la responsabilité contractuelle. Elle consisterait en la création de conditions d’utilisations entre les différents fabricants, et entre fabricants et utilisateurs. Cette option a pour avantage de reposer sur un système que l’on connaît déjà, que l’on sait aborder et gérer : la contractualisation. Cette solution est orientée vers la modération et la réduction des capacités de l’IA, et satisfait ceux qui s’opposaient à trop de conservatisme.

Les accords entre fabricants permettront de se partager les charges d’indemnisations à hauteur de leur implication et de leur responsabilité. Porsche et Google ont d’ailleurs prévu, dans le cas ou cette loi entrerait en vigueur, de lancer une collaboration.

Cette solution pose tout de même, elle aussi un problème : la justice ne pourra dans ce cas qu’estimer le montant de la responsabilité, mais ne pourra pas l’attribuer comme elle le souhaite aux acteurs du contrat. Imaginons que le contrat de Porsche et Google, pour reprendre cet exemple, désigne Porsche responsable à hauteur de 65%, la justice pourra réclamer cette indemnisation des deux acteurs, s’assurer que le contrat est respecté, mais pas décider de sa répartition.

On assisterait alors à la privatisation d’une partie de la justice.

Nous l’avons vu, ce n’est pas sans difficultés que le Parlement européen tente de trouver une solution au problème de la responsabilité de l’intelligence artificielle. Avec d’un côté la pression de certaines entreprises et géants de la tech qui ont tout avantage à ce qu’une personnalité juridique soit créée pour réduire leurs pertes potentielles et augmenter leur indépendance, et d’un autre, des juristes, philosophes et scientifiques qui affirment que l’IA doit être considérée comme une service, un objet ou un bien, et ainsi être jugée comme un vice caché ou un produit défectueux lors d’une action néfaste. Il semble que faute d’avancer dans la recherche d’un équilibre qui puisse satisfaire libéraux, modérés, conservateurs et progressistes, il serait peut-être bon d’oublier les revendications des acteurs de ce débat et ne prêter attention qu’aux avis des scientifiques et des juristes.

EN BREF

Stephen Hawking disait : « il faut arrêter les progrès de l’IA avant qu’on ne se demande qui paiera pour les dommages qu’elle causera. » Ce conseil judicieux et visionnaire ne peut plus être appliqué. L’intelligence artificielle est déjà trop présente dans nos vies, nous en sommes déjà trop dépendants pour parvenir à stopper son développement.

Quoi qu’il en soit, les outils d’IA se développent à une vitesse considérable. Il y a fort à parier que notre tendance actuelle à déléguer des responsabilités à des systèmes artificiellement intelligents deviendra un problème encore plus sérieux à l’avenir, d’où l’importance de la résolution du Parlement et des travaux de la Commission européenne. Les conséquences du développement technologique doivent être envisagées en tenant compte des acteurs de la société. Un cadre réglementaire efficace s’impose pour assurer que les agents artificiels coexisteront harmonieusement avec les humains, qu’ils seront spécifiquement conçus en fonction des valeurs et des besoins des hommes, et qu’ils opèreront et seront capables de s’adapter en conséquence.

Dans cette optique il serait alors logique, faute de ne pas ralentir son développement technologique, de réduire le pouvoir juridique de l’IA en continuant de la considérer comme un outil, un objet, un moyen en vue d’une fin, et non une fin en soi.

INTERNET & NOTRE NOUVEAU RAPPORT À L’INFORMATION

INTERNET & NOTRE NOUVEAU RAPPORT À L’INFORMATION

Umberto Eco pense qu’un texte est une coconstruction : il y a d’une part ce que l’auteur écrit, d’autre part ce que le lecteur lit, c’est-à-dire comment il s’approprie le texte. Il y a d’un côté la production d’une information par un ou plusieurs auteurs, sa forme, son support et sa diffusion, et d’un autre côté, la manière dont une information est perçue par celui qui y est exposé. Mais ces deux processus ont été considérablement modifiés depuis les années 2000, avec l’arrivée d’internet.

Le dernier changement de cet ordre remonte à 1454 précisément: c’est l’invention de l’imprimerie.

Avec la révolution numérique, l’homme a développé une nouvelle manière d’absorber l’information, plus rapide, plus efficace, en adéquation avec la logique consumériste et mondialisée de notre époque. Pour le meilleur… et pour le pire.

La première chose qui vient à l’esprit au sujet des changements qu’internet a apporté dans notre rapport à l’information, est que « les gens ne lisent plus les articles en entier ».

Et bien ce n’est pas aussi simple. Cela dépend du support : ordinateur, tablette, smartphone, titre de presse, type d’article, lieu et conditions dans lesquelles on lit… Et puis, peut-on comparer la lecture d’un article de presse people, ou sportif, avec un papier payant de Médiapart ?

Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’internet à modifié notre rapport à l’information.

UNE NOUVELLE APPROCHE

D’après l’étude du site BDM, en 2019, sur une population mondiale de 7,676 milliards d’êtres humains, on dénombre 4,5 milliards d’utilisateurs internet, dont la moitié qui passent plus de 6 heures par jour à utiliser ce réseau.

Les chiffres pour la France en 2019

Ces quelque chiffres donnent une idée de la masse d’informations disponibles, et surtout de la quantité des sources d’information: beaucoup, beaucoup plus d’info circulent qu’auparavant.

Toujours pour 2019, ce sont 2 milliards de sites internet qui sont recensés, avec parfois des milliers de pages et de catégories différentes. Parmi eux, on dénombre, à l’échelle mondiale, plus de 19 millions de sites relayant de l’information.

Autant dire que comparé aux 17 000 journaux officiels qui circulaient dans le monde entier à la fin des années 1980, le nombre d’informations disponibles est bien plus élevé. D’autant que là ou ces journaux nationaux étaient disponibles à une échelle plus ou moins locale, les journaux officiels actuels sont disponibles à travers le monde entier.

Par ailleurs, l’accès à l’information est aujourd’hui aussi bien actif que passif. C’est-à-dire que l’on peut décider de chercher une information en particulier, de consulter un site, ou de se renseigner sur un sujet, mais il est aussi possible d’accéder à un contenu sans avoir à le chercher, parfois même sans le vouloir. En effet les partages, mais aussi les partenariats et les publicités nous amènent à suivre un chemin bien précis dans notre consultation virtuelle. Certes, les publicités existaient dans les journaux, mais les liens n’étaient pas cliquables et accessibles aussi facilement, et le support était un objet finit qui ne pouvait proposer qu’une quantité de liens annexes proportionnelle à sa taille.

Cette remarque souligne une autre différence de taille. Avec le scroll continu, la quantité d’information n’est plus augmentée mais infinie. En effet, le format papier contient un certain nombre d’informations sur ses pages blanches ; mais l’ordinateur ou le smartphone ne sont que des moyen d’accès à des serveurs, des clefs pour accéder à la banque d’information du web.

Si on se concentre sur un article, et sur la manière dont on le lit, on voit encore des différences notables. Nos yeux se baladent et sont happés par les images, vidéos, publicités et notifications tandis qu’on a tendance à approcher le format papier de manière plus linéaire.

Dans l’optique de la diffusion d’information, là encore rien à voir. Les marchands de journaux, les kiosques, et le bouche à oreille peut-être, étaient les trois seules sources de diffusion des formats papier. Grâce aux nouvelles connexion, c’est toute l’ergonomie des sites qui est élaborée pour qu’ils soient partagés par Whatsapp, Twitter, Facebook, Instagram, Snapshat, mail et bien d’autres canaux encore…

Ainsi, la viralité d’un contenu est bien plus facile et fréquente. La seule barrière encore existante à la propagation d’information est la bienséance et la langue. Avec cette connexion mondiale, l’anglais s’est démocratisé et le partage n’a plus de limite géographique, ni linguistique : même la barrière de la langue est en train d’être abolie.

Alors notre rapport à l’info a-t-il changé ? La réponse est incontestablement oui. Mais alors, ce changement est il synonyme de progrès ou de pas en arrière ? Est-il bon de continuer dans cette voie ? Le format papier avait-il plus d’avantages ?

Ce qui est sûr, c’est que des tendances qui existaient déjà avant Internet se sont renforcées, comme le besoin d’immédiateté, la course à la rapidité et au flux constant de « nouveautés », le recours à l’émotionnel, notamment à travers l’indignation, mais aussi les bulles de filtrage : l’idée que nous consommons davantage de contenus qui correspondent à nos sphères d’appartenance sociale, à nos idées et opinions. Cette tendance est d’autant plus appuyée que les algorithmes de recommandation sont conçus pour augmenter notre temps d’utilisation.

UN CHANGEMENT NÉFASTE

Bien que plus faciles d’accès, les infos web présentent de nombreux inconvénients.

LA DÉSINFORMATION

Les bulles de filtrage, nous l’avons vu, peuvent conforter le lecteur dans ses convictions, aussi erronées puissent-elles être.

Beaucoup plus d’informations étant en circulation, il est logique que la quantité impacte la qualité. Sur internet, tout le monde peut lire ce que tout le monde écrit. Une légitimité est certes accordée aux journaux officiels (Le Monde, Le Point, Médiapart…), ou à des blogs reconnus (La quadrature du net…), mais l’internaute a autant de chances de tomber sur un de ces articles que sur une fake news ou sur un article complotiste, présents par centaines de milliers dans las pages de Google.

Si l’on trouve beaucoup plus de « faux articles », sans sources ni preuves qui affirment une réalité ou en remettent en cause une autre, ils sont partagés en masse. Les nouveaux systèmes de partage ne présentent donc pas que du bon. L’application Whatsapp a d’ailleurs limité la possibilité de partage à un seul groupe ou contact pour limiter cette désinformation.

Pour le format papier, ce problème n’existait pas ou très peu. Les publications n’étaient pas anonymes, le contenu était vu par moins de personnes, et il était plus simple d’attaquer l’auteur d’un article douteux dans un journal.

LA LOGIQUE INTERNET, CERCLE VICIEUX

J’ai un jour entendu un éditeur dire « le soucis, c’est que maintenant tout le monde veut écrire mais personne ne lit ». Le problème est assez bien résumé. Grâce aux nouveaux outils disponibles, toujours plus faciles d’accès, toujours plus abordables, de plus en plus de gens veulent se mettent à rédiger. Je tiens à préciser ici qu’aucune sorte de légitimité n’est nécessaire à l’écriture, et que quiconque ayant quelque revendication à faire valoir a le droit, et se doit même de sortir sa plume.

Seulement, ainsi, le ratio d’auteurs et de lecteurs tend vers une inversion. Toujours plus de contenus, et donc moins de lecteurs pour chaque article.

Avec internet, la frontière entre « je sais » et « je crois », entre étude et opinion, à tendance à s’estomper. Ainsi l’information, qui semblerait intuitivement plus accessible, se retrouve parfois submergée par un tas de pensées et d’opinions auto-proclamées en vérités.

UNE CHANGEMENT QUI APPORTE DU BON

Internet, quand on y pense, n’en est qu’à ses débuts puisqu’il vient à peine de dépasser la vingtaine. Et si il nous accompagne dans nos recherche en nous imposant quelques-uns de ses défauts, il reste un outil de progrès révolutionnaire en bien des points…. positifs.

UN ACCÈS PLUS RAPIDE ET PLUS FACILE

La démocratisation de l’information, bien que parfois obstruée, reste une avancée sociale majeure et un vecteur d’égalité. Penser que deux étudiants, de classes sociales distinctes sinon opposées puissent avoir accès à une même page web, contenant les mêmes informations, vient compenser, aussi modestement soit-t-il, les écarts de classes et d’opportunités.

LE PARTAGE

Si les fake news peuvent se propager rapidement grâce au partage individuel via réseaux sociaux et autres moyens de communication, alors l’information vérifiée peut aussi prendre ce chemin. Ce processus de partage présente lui même plusieurs avantages, notamment pour les minorités. Les médias font appel à l’émotionnel, nous l’avons dit, et bien des causes ont reçu des dons et du soutien grâce à une vidéo partagée. Qui n’a pas vu passer sur un groupe familial ou d’amis, des vidéos qui donnaient de la voix à des personnes que l’on essayait de faire taire ? La révolte des Hongkongais, le drame des Ouïgours, la colère chilienne de cette année… ont été relayés par quelque médias institutionnels, quelques journaux, mais les chaînes d’information classiques préféraient traîter d’autres sujets.

Le partage d’individu à individu, de citoyen à citoyen est facilité. Tout peut être entendu par tous dès lors que la population exige qu’il le faut.

DIVERSIFICATION, CONTESTATION DE L’AUTORITÉ MÉDIATIQUE & SÉCURITÉ

En effet, le citoyen n’a plus besoin de passer par aucune institution pour communiquer à grande échelle. Les journaux et les chaînes de télévisions ont une personnalité, une orientation politique parfois, et surtout quelqu’un qui s’inquiète pour son audience et ses revenus. Internet, c’est un moyen de partage, des réseaux utilisés et orientés, mais qui ne sont que de purs outils.

Et l’anonymat que permet internet libère la parole, pour le meilleur et pour le pire, certes, mais cela reste un moyen d’échapper à la censure, aussi discrète puisse-t-elle être. C’est sur cette idée que l’on a vu émerger des sites porteurs de messages, qu’aucun individu n’aurait pu librement exprimer « sur la place publique ». Bien sûr, la notion d’anonymat ne naît pas avec internet, mais le réseau mondial permet son utilisation, parfois mis au service de quelque noble cause.

CITOYENS DU MONDE

L’accessibilité de l’information pousse les internautes à développer une culture locale et nationale par les flux d’information traditionnels, mais aussi une conscience accrue et globale de ce qui se passe dans le monde. En effet, on s’informe depuis toujours sur ce qui nous concerne, et ce qui nous impacte en premier. Or aujourd’hui, avec l’urbanisation, l’interdépendance des villes et des pays, la mondialisation, les accords internationaux… bien des phénomènes font que tout ce qui peut arriver dans le monde nous impacte d’une manière plus ou moins directe. Des accords compétitifs entre États peuvent modifier tout un marché et, exemple le plus probant, un virus des quartier de Wuhan en Chine peut provoquer plus d’un milliard de confinements à travers le monde. Ainsi, la presse internationale s’est grandement développée, et les journaux traditionnels y dédient souvent une catégorie.

Avec la normalisation des connexion instantanée, certains espaces géographiques produisent une majorité de contenus concernant un domaine précis : Los Angeles et le domaine de la tech (E3), le Japon et la culture du jeu vidéo…

L’auteur de l’article « L’info des Français » nous explique : « on pourrait penser que le français moyen et plus généralement le lecteur moyen préfère les informations légères, divertissantes et locales, mais « Cette année, le Reuters Institute for the Study of Journalism a interrogé des milliers de personnes du monde entier, leur demandant quelles sortes d’informations étaient les plus importantes pour eux. […] La politique internationale écrase les infos people et “marrantes”. Les informations économiques et politiques arrivent encore plus haut ».

En prenant tout cela en compte, l’individu développe, grâce à internet, deux visions différentes du monde que l’on pourrait caractériser de marco et micro.

D’abord, une connaissance presque empirique de ce qui l’entoure : les activités de sa région, les derniers discours du président de son pays, les réformes qui impacteront ses revenus… (c’est le point de vue micro)

Puis, une compréhension globale des enjeux de son monde, une connaissance des conflits d’autre continents (vision macro), grâce à la presse internationale, ou plus simplement à travers la culture pop américaine, la culture manga du Japon, peu importe, ce qu’il faut retenir c’est qu’internet traverse les frontière. L’internaute a accès à un flux d’information mondiale et planétaire.

EN BREF

Internet modifie notre rapport à l’information. Il en change même la nature. Plus dense, moins sûre, mais aussi plus précise et plus vaste. Dans les pages de Google, il y a de tout ; on peut être inondé de fake news, d’articles complotistes, mais on peut aussi trouver l’article d’un scientifique à l’autre bout du monde qui répond précisément à notre question. Grâce à ce réseau mondial, on peut intégrer toutes sortes d’informations, peu importe ou elle ont été mises en ligne et par qui, mais aussi les relayer ou les contester.

Finalement, internet n’est qu’un outil. Il est ce que l’on décide de faire de lui, et si (en Europe en tout cas) on peut difficilement vivre sans l’utiliser, il n’existe que parce que l’on a décidé de l’utiliser. Internet prend la forme de ce que l’on en fait. Il à ses avantages, ses inconvénients… libre à nous d’ajouter de l’un ou de l’autre.

INTERNET & LES OBJETS-MONDE DE MICHEL SERRE

INTERNET & LES OBJETS-MONDE DE MICHEL SERRE

Avec un monde de plus en plus connecté, des flux commerciaux toujours plus nombreux et fréquents, un phénomène d’interdépendance se développe, lentement et irréversiblement. Ce mécanisme fait écho à un concept élaboré par le philosophe et historien Michel Serre : les objets-mondes.

La distinction sujet-objet, et sa remise en cause, est une dominante de la pensée de Michel Serre. Les objets-monde rendent cette dualité traditionnelle inopérante puisque d’après lui, les artefacts traditionnels, outils et machines, forment des ensembles à rayon d’action local, dans l’espace et le temps : l’aiguille perce le morceau de cuir, la marteau frappe et enfonce le clou, le tracteur laboure la terre… Un tel objet est manipulé par un sujet afin d’agir sur d’autres objets, voire même parfois sur des sujets. Mais cette relation sujet-objet est nettement délimitée dans l’espace (c’est une relation de proximité immédiate) et dans le temps (c’est une relation faite de séquences de courte durée). Les objets-monde, au contraire, n’ont plus de limite spatio-temporelle précise.

Ces objets-monde sont incompatibles avec la possession ou la propriété qui suppose une localisation (biens corporels) ou une durée (biens incorporels. Il me semble que les biens incorporels n’ont rien à voir avec la durée). Nous devînmes les hommes que nous sommes pour avoir techniquement sculpté notre environnement, notre propre maison afin de nous protéger. L’homme s’est servi et a pioché dans les éléments de la nature pour vivre, mais jamais, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’homme n’a possédé la nature, cet objet qui le dépasse, cet objet-monde.

Les objets-monde ne sont donc pas, ou plus, aux proportions spatio-temporelle humaines et, par leur condition, ils dépassent largement la taille de l’instrument manuel en atteignant les dimensions mêmes de notre monde. Ce concept concerne des objets qui nous entourent, dont on dépend, qui étaient parfois là avant nous, dont on est la cause, ou avec lesquels on peut interagir. Comme le climat, la nature ou encore l’eau et l’air. En tout cas, ces objets nous dépassent et si on peut avoir un certain impact sur eux, il nous est impossible de les contrôler ou de les posséder.

Seulement, des objets-monde, l’homme en a aussi produit volontairement : en 1945, les Américains

inventent la bombes atomique, capable de raser un ville entière, immédiatement. On peut aussi citer les satellites artificiels, ou l’exemple le plus évident: le système mondial de communication internet.

Depuis sa naissance dans les années 2000, cette révolution a gagné les foyers des habitants de notre

planète. La définition, que l’on trouve dans l’encyclopédie Larousse, de ce réseau à échelle mondiale nous en apprend beaucoup sur sa nature : Réseau informatique mondial accessible au public. C’est un réseau de réseaux, à commutation de paquets, sans centre névralgique, composé de millions de réseaux aussi bien publics que privés, universitaires, commerciaux et gouvernementaux, eux-mêmes regroupés en réseaux autonomes. Internet est donc un réseau global de communication sans limite spatiale claire, et sans limite temporelle puisqu’il fonctionne de façon continue. Quel sujet alors domine cet objet ? S’il n’était qu’un simple réseau de communication au moment de sa création, il a, en moins d’une décennie, atteint ce statut d’objet-monde. Peut-on alors dire que l’on en a perdu le contrôle ?

En effet, l’objet en lui même n’est plus malléable puisqu’aucun individu ne peut contrôler totalement cet objet planétaire. Il est certes possible d’avoir un impact sur son flux en coupant ses serveurs clefs, en sectionnant les câbles sous-marins qui assurent sa diffusion, ou en désactivant certaines de ses source, mais l’objet entier ne peut être dirigé précisément. Des millions, si ce n’est des milliards d’êtres humains dépendent financièrement de cet outil, et il est devenu indispensable au bon fonctionnement des États qui l’utilisent, c’est-à-dire quasiment tous. Mais là ou les objets-monde naturels peuvent exister indépendamment des hommes, les objets mondes artificiels, du fait qu’ils ont été crées par l’homme, sont destinés à interagir ou à servir l’humain. Or ces interactions occupent une place de plus en plus importante dans la vie de l’homme : on sait par exemple que l’adolescent européen moyen passe plus de 2h30 par jour sur son smartphone.

Ces objets nous dépassent, mais nous avons trouvé un certain équilibre, souvent à travers la géopolitique, qui maintient et force un rapport plus ou moins sain avec ces objets. Si l’on prend l’exemple de la bombe atomique, ce n’est que parce qu’au fil du temps différents pays s’en sont dotés, et qu’il n’y a pas de monopole nucléaire, que l’on ne vit pas dans la crainte perpétuelle d’être atomisés. C’est parce qu’aucun individu n’a le contrôle total de cet objet-monde que l’équilibre est (plus ou moins) maintenu.

Mais alors on pourrait se demander ce qu’il adviendrait, non pas si on perdait le contrôle du flux qu’est internet, mais si justement un seul homme, ou un groupuscule, s’en emparait. D’autant que ce scénario est loin d’être improbable étant donné la privatisation croissante des flux mondiaux, notamment par les GAFAM.

Que se passerait-il si cet objet aussi bien intégré dans les systèmes nationaux et internationaux que dans la vie de milliards d’individus, devenait un moyen de pression, que l’équilibre qui maintenait ce rapport sain à l’objet se rompait… il est légitime de craindre le pire.

De plus en plus, des flux et systèmes échappent au contrôle humain. Avant, on s’appropriait un objet, maintenant on vient s’y soustraire et s’y attacher le temps de son utilisation. Cette nouvelle démarche pose une question d’ordre mondial : si la présence de systèmes comme internet, qui entrent dans la conception des objets-monde du philosophe continue d’augmenter dans la circulation marchande, alors comment conserver l’équilibre, la place et le pouvoir d’action de l’individu face à cette effervescence qui concerne et soumet l’homme à ces flux hors de contrôle. Et pire, comment réagir face à une possible appropriation totale du système mondial internet ? Comment modifier notre rapport à cet objet dont on n’est théoriquement indépendant mais dont on ne peut plus se passer ? La servitude sera-t-elle volontaire ?

Toutes ces questions ne sont que théoriques, mais il n’est pas dit que leur réponses ne nous servent pas un jour.

COMMENT PENSE-T-ON ?

COMMENT PENSE-T-ON ?

La définition de la philosophie traditionnelle traite de l’homme et de sa situation à travers sa pensée. Autrement dit, le philosophe, l’homme qui pense, ou du moins, l’homme qui pense les hommes. Comme s’il plaçait tout son être et sa substance dans la pensée. Certes il n’est possible de connaître l’opinion d’un Homme qu’a travers ses travaux, ses productions ou ses discours; ses actes et gestes si l’on est particulièrement sensible et attentif.

Mais avant toute parole claire et arrêtée, n’y a-t-il pas association analogique ou logique d’idées, bourdonnements de réflexions et de remarques personnelles, ou d’échanges?

L’homme est un être qui certes pense, mais d’abord songe, imagine et sent.

Chaque livre ou traité, chaque annonce ou déclaration auxquels on peut associer l’adjectif “philosophique”, aboutissent certainement d’un étonnement premier, d’une bribe de réflexion ou d’un sursaut de pensée.

Chaque pensée d’ailleurs a une origine sensible (sensitive), et le trajet de toute chose partant de l’aval (monde sensible) et allant trouver l’amont (monde intelligible) du monde, doit bien être motivée par quelque chose. C’est l’homme qui, par la force de son esprit, aide ou oblige le voyage, à contre-courant de son expérience sensible vers ce monde fait d’idée. Une fois en ces lieux, il est capable, via sa concentration, sa volonté, son intelligence et sa méthode, de malaxer ce flux emmêlé, de le clarifier et de procéder à des associations. Il est capable, peu à peu, de détacher du chaos d’étonnements qui l’habitent une véritable réflexion, une idée claire et prête à être partagée, entendue et comprise.

Celle-ci peut être introduite clairement dans le monde matériel : un discours, avec exorde, narration, confirmation et péroraison, un écrit scindé en autant d’étapes que sa complexité l’exige, en une entité artistique même: une peinture à l’huile, une symphonie…

Le processus de création de la pensée chez l’homme n’a donc rien de démiurgique.

Ce n’est pas un réflexe : elle est issue de la volonté que l’Homme a de réfléchir. La pensée n’est pas soudaine (on parle du processus et non d’instantanéité temporelle) étant donné qu’elle trouve ses origines dans une expérience d’abord sensible.

La philosophie qui tend à éclairer tout phénomènes par une justification rationnelle, appuyé sur la démonstration et la preuve, omet parfois de considérer les origines de la pensée étudiée et leur rôle. Le philosophe lui, se penche trop peut souvent sur les motivations de ses propres réflexions. Si son but est d’éclaircir le monde et de se rapprocher de la vérité, la question première et primordiale ne devrait-elle pas porter sur les motivations de cette quête ?